Ces deux réveillons différent des dîners habituels de wine-dinners : ici, moins de souci de heurter des goûts, on peut prendre plus de risques. Et mon plaisir est de surprendre, par la juxtaposition de vins vraiment disparates.
Noël : à l’apéritif, Dom Pérignon 1980. Un bouchon extrêmement difficile à ouvrir, très sec. Un vin amer. C’est évidemment un grand champagne, mais il faut se forcer pour le trouver bon.
Ma femme avait préparé des truffes « à la Bruno », ce restaurateur si généreux en truffes. Des pommes de terre inondées de crème et croulant sous la truffe. J’ouvre « les Terres Salées Christophe Barbier 2001, vin de pays des Cotes de Perpignan 14° ». Ce vin est servi dans des verres Riedel, comme « Château Grillet 1986, Neyret Gachet à Condrieu ». L’association de ces deux vins si différents avec un plat de truffes est un de mes plaisirs. Et le Château Grillet avec la truffe, ça se marie si bien ! Ce vin avait un goût de melon. Une vraie salade de fruits complexes. Et l’accord se faisait délicieusement. Et quelle générosité dans ce vin si rare !
Le plat suivant était des « canettes huppées de Bresse » avec des agrumes qui fourraient les canettes et délayaient la sauce. Quelques pommes cuites servies séparément. Là dessus brillèrent aussi bien Jurançon Château Jolys cuvée Jean 1989 petit manseng Domaine Latrille 12°5, qu’un Inniskillin Okanagan Riesling Icewine 1999, vin de 10°. C’était un bonheur que de juger ces deux vins sur le canard. Le Jurançon était brillant, aux saveurs infiniment variées, et il trônait sur chaque compartiment de douceurs. Le vin de glace canadien s’affichait comme un vin complexe et plaisant justifiant sa réputation. Les deux se mariaient parfaitement avec le plat et les deux s’épanouissaient, et mon sourire aussi, car je venais de réussir un essai de rêve, en confrontant deux vins si différents sans qu’ils se détruisent.
Sur un fromage et bien sûr un vieux Comté, un Château Chalon Jean Bourdy 1982, vin de 13°. A l’ouverture des vins, c’était largement le plus généreux et grandiose au nez. Ce vin qui sent si fort la peau de noix fraîches est un petit bonheur pour moi. Je raconterai dans quelques numéros mes aventures à la Percée du Vin Jaune.
Une salade de fruits exotiques évitant les fruits trop acides a permis de découvrir un Sauternes inconnu de 1922 (mis en bouteilles et étiqueté par un marchand local). L’association est divine. Les fruits font apparaître toutes les subtilités du Sauternes. Comme je l’ai déjà fait remarquer, à un certain âge, les qualités se rejoignent, et si on m’avait dit qu’il s’agissait d’un embouteillage local de Suduiraut ou La Tour Blache, aurais-je dit non ?
J’ai servi ensuite un Maury Doré de Volontat 1870 belle expression colorée de cette région enchanteresse.
On a fini par une Fine Bourgogne Domaine de la Romanée Conti 1979. Cette forme d’alcool est un pur ravissement, fumé et énigmatique comme il convient. J’étais fier d’un dîner de fête sans aucun rouge.
Saint Sylvestre. Sur du Jabugo et de la poutargue, un Dry Monopole Heidsieck 1952 en magnum. Le vin est bien fait. Pas une trace d’âge. Rien ne heurte la sensibilité : c’est un très bon champagne profond.
Sur une terrine de foie gras mi cuit deux vins : un Filhot 1891, et un Château du Breuil Coteaux du Layon 1966. Le Filhot impressionna tout le monde (à deux ans près il a l’âge de la Tour Eiffel), et se révéla fantastique. Une expression d’un Sauternes sec, comme avait été le Yquem 1932. Et le Layon était un petit chef d’œuvre d’équilibre. A maturité et indestructible tant il avait assimilé toutes ses composantes. Il sera le même dans 50 ans. De nouveau les truffes à la Bruno (nous n’avions pas le même public et Noël avait été la répétition en famille), et là, l’accord osé qui se montre une forme d’art absolu : Château Chalon Auguste Pirou 1983. Un nez inondant. Une justesse sur la truffe très au dessus des accords qu’offrent les vins d’autres régions.
Le plat principal était une épaule d’agneau de cinq heures sauce Gremolata. D’abord un Léoville Las Cases 1945. A l’ouverture, j’avais peur qu’il soit fermé. Il fut meilleur, passant du fermé à l’ouvert puis à l’épanoui. Malgré sa valeur on l’oublia bien vite avec un Château Margaux 1934 époustouflant de qualité, rond, épanoui, long en bouche et d’une séduction extrême. Un vin sublime.
Arrive alors un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956. A l’ouverture cinq heures avant, une odeur désagréable. Quand j’ai servi, j’avais peur. Mon opinion est que ce vin était blessé, mais il a ravi mes amis. On ne boit pas si souvent des vins du Domaine ! Sur des fromages, un Cote de Beaune Villages Champy 1947 et un Nuits Saint Georges Les Vaucrains Michelot propriétaire 1926. A l’ouverture c’est le 47 qui avait été le plus généreux en bouquet. Et au dîner, il montra une chaleur rassurante. Le 1926 était plus fatigué, mais il avait suffisamment de force pour prouver à l’envi qu’il était de bonne naissance. Grand vin, sans doute un peu usé, surtout à coté d’un 1947 éclatant.
Des desserts variés accompagnaient un Château Fayau Cadillac 1947 et une star absolue, dans un état de fraîcheur juvénile : Filhot 1928. Impossible d’échapper au charme de ce Sauternes impressionnant et parfait.
Sur un dessert au chocolat, il “fallait” revenir à la Fine Bourgogne Domaine de la Romanée Conti 1979 (la même bien sûr que celle de Noël).
Les convives ont voté, et ce furent les raretés qui l’emportèrent : le Filhot 1891 et le Grands Echézeaux DRC 1956. Mon vote personnel a été Margaux 1934 / Filhot 1928 / Cotes de Beaune Villages 1947.
On comprendra ma fierté de mettre certains vins en situation de briller : un Sauternes générique, un Jurançon qui côtoie une star canadienne, un Cadillac qui côtoie une légende du Sauternais, un Cote de Beaune Villages qui brille après 52 ans. Mettre en valeur les oubliés de l’histoire et trouver l’accord juste est mon plaisir le plus grand. Que je veux partager. C’est l’objet, c’est le cœur de la philosophie de wine-dinners.
Archives de catégorie : dîners ou repas privés
dîner de réveillon le 25 décembre 2002 mercredi, 25 décembre 2002
Dîner de wine-dinners du 25 décembre 2002 au domicile de François Audouze
Bulletin 57
Dom Pérignon 1980
Pommes de terre à la crème et aux truffes à la Bruno
Les Terres Salées Christophe Barbier 2001 vin de pays des Côtes de Perpignan 14°
Vin blanc de Château Grillet 1986 Neyret Gachet à Condrieu
Canettes huppées de Bresse aux agrumes
Jurançon Château Jolys, cuvée Jean 1989, petit manseng Domaines Latrille 12°5
Inniskillin Okanagan Riesling Icewine 1999 10°
Fromages
Château Chalon Jean Bourdy 1982 13°
Salade de fruits exotiques
Sauternes de mise négoce 1922
Maurydoré vieux grenache sec Rancio # 1870 de Volontat Coume du Roy
Fine champagne Domaine de la Romanée Conti 1979
Repas de Noël mardi, 24 décembre 2002
Deux repas pour Noël, dont l’un que je raconterai dans un prochain message. L’un chez mon fils, qui avait fait le choix des vins sur sa propre cave. D’abord, en apéritif, il me dit : « tu devrais essayer cela ». Et il ouvre : Domaine du Clos des Fées Vieilles Vignes Cotes de Roussillon Villages Hervé Bizeul 2000. Quelle coïncidence ! Le même vin que ce choix de sommelier de cet hôtel si prestigieux. Le 2000 est plus rond, plus terroir. Et comme c’était le choix de mon fils, je l’ai trouvé meilleur. Ce qui confirme que ma méthode de dégustation est vraiment fondée sur des critères de pure objectivité. On l’a compris. Au moment de l’apéritif, un Billecart Salmon 1995 s’est montré plutôt neutre et fade. Ce n’est pas l’image et le souvenir que j’en avais.
Sur des toasts aux truffes, le Pavillon Blanc de Château Margaux 1998 a brillé de mille feux. La truffe propulsait ses goûts poivrés, épicés. Une merveilleuse association et toujours la bonne surprise de la complexité des bons Bordeaux blancs. Le Léoville Barton 1975 est extrêmement prometteur. Il a une amertume qui annonce une longévité extrême, mais il sait déjà se montrer séducteur. Sur une côte d’agneau à la sarriette, un Nuits Saint Georges 1er Cru les Pruliers Jean Grivot 1982 est une très belle surprise pour un 82. Il a merveilleusement enveloppé la côte avec des arômes chaleureux et délicats. Un accord étonnant allait suivre : un Saint Marcellin sur un Brane-Cantenac 1983. C’est surprenant, mais ça marchait très bien. Le Brane mais surtout de l’eau ont accompagné les macarons de chez Ladurée, péché institutionnel des fêtes de fin d’année.
déjeuner avec des amis jeudi, 19 décembre 2002
Un déjeuner avec des amis. J’invite, et je veux faire plaisir. Sur une omelette aux truffes, Lynch Bages 1989. On a raison de dire que c’est grand, car c’est un vin puissant, qui a su trouver l’équilibre entre le tannin et le fruit, sans aucun excès. Il est magnifique. Mais quand arrive La Conseillante 1986 Pomerol, on est bien obligé de reconnaître combien La Conseillante a une subtilité qui le place à de hauts sommets. Sur une pièce de bœuf, il a brillé, écrasant même le Léoville Las Cases 1986, trop brutal, trop « boum boum », affichant un certain manque de finesse, malgré une générosité et un caractère chaleureux qui feraient l’aimer hors de ce voisinage. Un Yquem 1987 sur une charlotte à la mandarine donnait une combinaison merveilleuse, même avec un jeune Sauternes. Myrtilles, quand j’y pense !
Déjeuner à l’Ecu de France mercredi, 18 décembre 2002
Un déjeuner entre amis en mon restaurant secret. Sur des escargots en pommes de terre, Haut-Brion blanc 1971. Quel accord ! Une robe dorée. Les premières gouttes font craindre la madérisation, mais le vin prend sa place. Il éclot comme une fleur exotique, et s’installe en prenant ses aises dans le palais. Un vin blanc à la grandissime texture. Un chef d’oeuvre. Sur un ris de veau, le Lafite-Rothschild 1955 confirme les précédents essais : 1955 est une immense année. L’un des convives nous avait offert lors d’un précédent déjeuner un très beau Lafite 1986. Il convint que ce 55 le dépasse de cent coudées. La soif finale se soigna au Krug 1988, petite merveille de goût encyclopédique, tant il se marierait avec n’importe quelle saveur qu’il saurait toujours embellir.
Dîner à l’Ecu de France mercredi, 18 décembre 2002
Un dîner dans mon restaurant secret. Je choisis Pétrus 1970. Ma femme m’a dit que jamais elle ne m’a vu aussi enthousiasmé par un vin. Il y a toujours un aspect d’un vin qui est à critiquer. Là, sur une bouteille que j’avais fait ouvrir deux heures avant, j’ai eu un moment de bonheur parfait. Ce Pétrus a un nez généreux mais complexe. En bouche, il demande à être examiné. En effet, il ne se livre pas si vite. Puis, comme dans un puzzle au moment de la dernière pièce, on a tout d’un coup la clef, et on monte dans un paradis gustatif. Ce vin d’une complexité extrême, s’il est lu comme il convient, est d’une perfection redoutable. Bien sûr, ce vin ne supporte pas d’être mis en compétition avec un autre. Il faut en profiter pour lui-même. Il faut l’adorer. Et alors, quel retour d’affection !
Dîner impromptu dimanche, 15 décembre 2002
Un déjeuner impromptu avec justement un Côtes de Jura Domaine de la Pinte 1999 sur du boudin blanc truffé. L’accord est une petite merveille, et ce jeune vin promet beaucoup. Sur un filet de bœuf aux pommes soufflées (ou quasi), un magnum de Vieux Château Certan 1966. Magnifique Pomerol, de très belle maturité, tout en discrétion finesse et noblesse. Un nez de rêve, et une belle longueur. Le Jura revient sur le fromage, et sur une délicieuse tarte à la framboise et à la crème, un Dom Ruinart rosé 1986 époustouflant. Une couleur de pèche, et une saveur invraisemblable. Un magnifique champagne, de profondeur et de race. Un grand moment et une émotion rare. Je retiens surtout l’émotion, plus que surprenante d’envoûtement.
Dîner familial samedi, 23 novembre 2002
Pour un dîner familial, après un Jerez fort agréable, un Cousino-Macul, Finis Terrae, D.O. Valle Del Maipo Chili 1997. C’est un vin de 12°8, assemblage de Cabernet Sauvignon provenant de vignes de plus de 60 ans, avec élevage en fûts neufs de chênes français. Nez très agréable, puis le vin se montre très salé, iodé, et très court. C’est intéressant, mais sans plus. En revanche, grosse apparition d’un Ridge California Zinfandel York Creek 1996 de Spring Mountain au Nord de la Napa Valley. C’est à 91% Zinfandel et 9% Petite Syrah, et ça titre 14°8. Ce sont des vignes de 39 ans pour 60% du Zinfandel, et il a été mis en bouteille en mars 1998. Nez magnifique, puissant, et une agréable combinaison entre le nez d’un puissant Bourgogne et la subtilité d’un grand Bordeaux, plus cette fin de bouche typiquement californienne. L’alcool aide, mais le vin est très grand. L’opposé d’un Cabernet Sauvignon Paul Masson 1979 de Saratoga Californie. Seulement 12°, et un goût de vin du Rhône, de Côtes de Provence, tout en légèreté. On finit sur un Saint-Raphaël des années 30, fabuleux et puissant.
Ce dîner inhabituel, voyage vers le Nouveau Monde était inspiré par cette soirée passée avec les propriétaires de Casa Lapostolle. Il fallait que j’y revienne, et j’y suis revenu avec plaisir. Si Sophie Fenouillet, dans son article de la Vie Financière, me demande des conseils sur des vins actuels, je ne vois pas pourquoi je n’irais pas aussi m’aventurer sur des vins de nouveaux pays où je n’ai pas de repères.
C’était la séquence : vins récents et vins modernes. Mes vins, ceux d’avant 1945, j’y reviendrai bientôt.
Déjeuner à Apicius dans le 17ème jeudi, 21 novembre 2002
Chez le délicieux Apicius, Jean Pierre Vigato nous a proposé une terrine fondante qui sur un Rully 1er Cru Clos Saint-Jacques Domaine de la Folie M. Bouton 1998 glissait comme un véritable plaisir. Un gentil Saint-Véran Domaine des deux Roches Vieilles Vignes 2000 venait assouvir les soifs avant que n’apparaisse la majesté absolue. Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1991 est une légende, et un vrai plaisir. Le nez est si rassurant. On sait qu’on est en présence d’un grand vin. Quel bonheur que ce vin là. On a tout le talent de l’exactitude. Que de vins modernes feraient bien de s’inspirer de cette justesse là. J’ai un peu boudé le pied de porc, mais un gigot d’agneau voisin me semblait une petite merveille. Sur de la mandarine confite à la cardamome, un verre de Rivesaltes de 50 ans d’age se révélait l’exacte ponctuation : une dictée de Bernard Pivot sans aucune faute – le rêve – un accord absolu. Belle cuisine d’un chef que l’on sent en plein accomplissement de son talent, et des vins d’une liste intelligente (ils sont plusieurs amis restaurateurs à se concerter). Et, encore une fois, la confirmation du mythe Henri Jayer, ce grandiose talent de la Bourgogne.
Dîner d’Alexandre Lazareff au Macéo lundi, 18 novembre 2002
Un repas avec l’héritière de Grand Marnier, Alexandra Marnier Lapostolle, propriétaire de Grand Marnier, du château de Sancerre, et de merveilleux vignobles au Chili plantés de vignes pré phylloxériques. Nous goûtons des vins de Sancerre, des blancs et des rouges du Chili, dont Casa Lapostolle Apalta 1999 et 2000. Il y a évidemment un immense travail qui est fait, notamment avec l’aide de Michel Rolland. Le Chili est un pays d’avenir pour les vins de qualité qui plairont à la Planète entière raffinée. Je ne suis peut-être pas le meilleur public pour ces vins, même si l’on doit reconnaître que leur tendance va s’imposer de plus en plus. Alexandra et Cyrille sont des entrepreneurs dynamiques et volontaires. Qui ne rêverait de les imiter. La démarche impose le respect.
Bien que je ne sois absolument pas compétent sur ces vins, je suis persuadé que pendant encore quatre ou cinq ans, on va continuer à produire des vins extrêmement travaillés, pour plaire au « golden boy de la Silicon Valley ». Mais dans peu d’années, on va revenir à une approche plus calme, en faisant respirer le terroir. Ce sera intéressant de voir si cette théorie se confirme. Je crois savoir que certaines régions du Monde prennent déjà le virage. A suivre…