Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dîner de famille mardi, 28 mai 2002

Un dîner de famille, avec dans la parentèle immédiate, de fins palais, et d’insouciants passagers sans bagage, qui voyagent dans les goûts sans se soucier de la destination. Je choisis une bouteille dont j’aurais du mal à situer l’origine. Les risques sont bien plus faciles à prendre en famille. Une bouteille d’une beauté particulière dont j’aimerais savoir percer l’énigme. L’écusson de l’année est 1953. Mais cet écusson est collé par dessus un autre écusson. Il serait intéressant de décoller, pour voir vers quelles périodes on serait emporté, mais la bouteille est si belle que je ne voudrais pas l’abîmer. L’étiquette dit : « Grand Vin d’Origine », puis « Chablis » (en très gros), puis « appellation contrôlée ». Bouteille de négoce, mais de qui ? La bouteille est cachetée d’une cire molle, grasse, comme posée sur un support de gaze. Le niveau est bas, mais la couleur est joliment ambrée, presque rose jaune. Et le plus énigmatique est que la bouteille elle-même est soufflée à la main, et le cul extrêmement profond et terminé par une grosse boule indique une bouteille du 19ème siècle. Quel négociant a embouteillé un Chablis dans une bouteille si ancienne ? Lorsque j’ai bougé la bouteille, d’inquiétantes suspensions. Toutes les conditions étaient réunies pour un vin à grand risque. Une belle puanteur à l’ouverture, odeur de népète, mais le goût n’en souffre pas. La senteur désagréable disparaît classiquement très vite. Le nez de ce Chablis 1953 devient discret mais agréable. Goût étrange où l’on ne voit apparaître ni un goût de Chablis, ni trace de madérisation. Le vin est jeune, agréable, rond, sans typicité particulière et sans aucun grain de folie. Sur un brick de foie gras poêlé, il s’est bien exprimé. Hasard d’un rencontre évidemment dangereuse d’un vin largement au delà de sa durée normale de vie, mais qui avait des restes méritant l’intérêt et le respect. Il faut lire ce bulletin comme un palimpseste où je grave inlassablement un amour des vins originaux, oubliés de tous les catalogues. A coté des grands vins qui sont les repères de l’histoire, il faut aborder les petits, les obscurs, les sans grade qui forment le bataillon des techniques révolues. A ce titre, ce 1953 méritait d’être connu, comme le Meursault 1942 qui va suivre.
Le foie gras allait accueillir un bien plus classique Mission Haut-Brion 1979. Ouvert tardivement, il est apparu assez coincé, tant au nez qu’au palais. Très lentement on a vu renaître les qualités intrinsèques de ce grand vin. Il est fortement charpenté, il a la structure d’un vin de race, avec une profondeur de grand cru. Mais un coté un peu grenier, un peu poussiéreux a empêché d’en profiter comme on sentait qu’on aurait pu le faire. Il est évident que quelques heures d’ouverture de plus l’auraient libéré, mais j’ai résisté à la tentation de carafer, ce qui n’aurait sans doute pas apporté de meilleur résultat. On reconnaissait le champion, mais on n’avait pas un vainqueur. Sur un canard au miel avec une purée de haricots rouges, un Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1985 a représenté un accompagnement idéal. Généreux, chaleureux, tout de suite ouvert, et par contraste avec le Mission si fermé, ce Rhône montrait son soleil, sa faconde décidément moins intellectuelle que la diction distinguée du bordelais. Les bons Hermitage sont des vins sans problème, à déguster en toute facilité. Le mariage avec les haricots rouges et la sauce au miel s’imposait tranquillement.
Comme il y avait à la fois un sabayon de fruits rouges et noirs et un dessert au chocolat, j’ai choisi de servir un Maury, un Mas Amiel Vintage Réserve 1998. Est-ce vraiment du vin ? C’est un jus si fruité, si envahissant en bouche qu’on est dans un jacuzzi de fruits rouges ! C’est un tir de pruneaux et de griottes. Et le vin « fonctionne » aussi bien avec le sabayon qu’avec le discret chocolat. Vin de dessert et de plaisir, à l’affirmation simple, « nature ». Il faut évidemment que tous les restaurateurs proposent ces vins au verre, car c’est le point d’exclamation d’un madrigal gustatif bien tourné.

Dîner d’Alexandre Lazareff au Dauphin vendredi, 17 mai 2002

Un dîner de vins de Provence dans ce si délicat petit restaurant le Dauphin. D’une profusion de vins auxquels il manquait les cigales, la chaleur moite, le vent d’iode et le bruit de la mer, j’ai retenu quelques noms : Domaine La Courtade, propriété de Porquerolles qui fait de beaux vins authentiques. Domaine Richeaume, qui travaille peut-être un peu trop ses vins, mais fait de belles choses. Son Columelle 2000 est une agréable confiture de fruits, à l’australienne. Et bien sûr Pibarnon 1996, valeur sûre du Bandol. Belle brochette de vins du Sud, et la présence de mon ami Pierre Hermé (qui note sur de petits carnets tout ce qu’il goûte) dont les propos discrets et pertinents réchauffaient comme un soleil de Provence.

Dîner à l’Ecu de France dimanche, 12 mai 2002

Dans un de mes repaires secrets, un Krug 1988. Après le magnum de Krug 88 bu au Château d’Yquem, il s’agit d’une bouteille. Très grand champagne d’expression, qui laisse apparaître le vin si intense dès que la température du champagne augmente. A boire plutôt tiède pour les arômes. Il accompagnait très bien des asperges blanches mangées sans sauce, pour le goût – comme les huîtres, qui sont tellement meilleures sans aucun adjuvant. Un Chassagne Montrachet les Caillerets 1998 de Jean Marc Morey était fort agréable. Beau nez de métal, de pétrole, très intense, et une belle rondeur fruitée en bouche sur un homard de Bretagne (Lorient venait de gagner la Coupe) à l’exacte cuisson. Le Calon Ségur 1970 qui suivait s’accordait bien lui aussi à ce homard. Un nez extrêmement distingué, et une maturité parfaite. Elégant, racé, délicat et subtil. Un Bordeaux que l’on aime, car tout y est authentique, orthodoxe, sans aucune exagération. Une très belle réussite de l’année 1970, et une bonne conservation en cave.

Déjeuner au restaurant Faugeron samedi, 27 avril 2002

Un déjeuner où je rencontre deux correspondants d’un forum sur internet. J’essaie de convaincre des amateurs, américains principalement, que les vins anciens représentent un stade de l’évolution des trésors de nos terroirs qui mérite attention et entraîne la passion. Ce forum m’avait permis de rencontrer un amateur raffiné. Je lui ai proposé de partager la dernière bouteille du Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1995 de la cave de Faugeron, bouteille que j’avais réservée après l’avoir tant appréciée tout récemment (voir bulletin 30). Je retrouvai cet ami qui avait déjà participé à un dîner de wine-dinners où nous avions ouvert Haut-Brion 1945, Margaux 1900 et Yquem 1908 notamment (bulletin 12). Je connais sa science et son amour des grands vins. Il était accompagné par un américain francophone, contributeur assidu du même forum.
Sur une cuisine talentueuse, dans un cadre raffiné aux tables espacées (quel agrément !), nous avons commencé par un Clos de la Roche Vieilles Vignes, Domaine Jean-Marie Ponsot 1985. C’est un immense Bourgogne. Extrêmement complexe, mais en même temps très pur. Une profondeur, un vin qui remplit largement la bouche et se prolonge d’une belle longueur. On sent le travail attentif du vigneron de talent. Rare bouteille de grande qualité. Les discussions sur les vins allaient bon train, lorsque arriva le deuxième essai pour moi de ce Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1995. A ce niveau de qualité, comment différencier deux vins d’une si belle tenue. Incontestablement le Vosne-Romanée est plus raffiné, plus plein, encore plus complexe. Mais il est assez compréhensible que l’on soit sous un charme anesthésiant ou inhibant l’analyse, tant ces deux vins apportent charme et satisfaction. On est à des niveaux de rareté, donc de prix, qui sont des freins rédhibitoires à la consommation de ces valeurs gustatives extrêmes. Nous avons conclu le repas sur Les Clos des Paulilles, Banyuls Rimage 1996. Après deux trésors, la chute était un peu amère, car ce jeune Banyuls manquait de race. Mais le plaisir d’avoir bu en commun deux merveilles l’emportait.

Un Cros Parantoux chez Faugeron jeudi, 25 avril 2002

Un autre événement – et c’en est un – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1995. Un mythe, et une bouteille introuvable. Une merveille bue sur la délicieuse cuisine aux truffes de Faugeron, ce si aimable grand restaurant. Un nez distingué et envahissant; un goût de fruits variés, juteux à souhait; c’est un très grand Bourgogne dont l’excellence explique la rareté. Ces bouteilles rarissimes sont intouchables en salles des ventes tant des fanatiques poussent les enchères au delà de toute raison (mais ils ont raison).

Bouteilles ouvertes à domicile lundi, 22 avril 2002

En petit comité j’ai ouvert un magnum de Grands Echézeaux 1971 Bernard Château. Un bouchon au nez de terre. Un intense besoin de respirer. Puis quand c’est fait, ce vin délivre de la chaleur et de l’humanité. Présence et persistance. Un bel adulte chaleureux. D’humeur ensoleillée, je n’ai pas résisté au plaisir d’ouvrir un Clos de Vougeot Méo-Camuzet 1992. Il est certain que je ne peux pas être objectif, tant j’adore. Quand on ouvre ce vin, les premières gorgées sont comme un tour de chauffe en Formule 1. On se dit : « quand la puissance va parler, ce sera le spectacle ». Et effectivement, quand l’oxygène a nourri le vin, on a une des plus belles expressions de la Bourgogne.
Un armagnac Dupuy 1961 présente une belle orthodoxie et un bois fort élégant. Mais le Laberdolive 1946 montre qu’on peut ouvrir encore des perspectives supérieures de belle complexité et de noblesse. Cette maison si connue fait de belles choses.
Un Chambolle Musigny Veuve Aubert 1982, fort agréable, mais avec une petite pointe de « fumé », attribuable à l’âge. Un Puligny Montrachet 1979 Marcel Amance, jeune, rond, fruité, juteux, tout de plaisir. Un Ridge Californian Zinfandel Lytton Estate 1993 offert par un américain lors d’une récente visite. C’est très flatteur, très épicé, un bouquet de fruits qui fait penser à une sangria. A ceux qui veulent comparer Californie et Bordeaux, il convient de signaler que si un vin titre 15°1, on ne peut pas le comparer avec un vin de 12°5. Ce n’est plus la même chose.

Un dîner d’amis à la façon wine-dinners au Maxence jeudi, 18 avril 2002

Un dîner d’amis à la façon wine-dinners, chez Maxence, où il semble que nous soyons abonnés. L’énoncé du menu montrera aisément pourquoi : crème de langoustine à l’orange, gâteau de foie gras et caramel de Porto, asperges et morilles, oeufs sur le plat et mendiants, dos de bar, lie de vin et laitue braisée, pastilla d’agneau de lait, fromages, gelée d’agrumes et sorbet passion, douceur vanille et fraises des bois, mignardises. Etourdissant festival de saveurs réussies.
Pour commencer, un Bollinger 1992. Nous avons tous en tête le Bollinger 1990 qui est une pure merveille, mais pourquoi bouder son plaisir ? Ce Bollinger est excellent, et suffisant. Beaucoup de dégustateurs ne boivent que les grandes années, qui atteignent des prix très démarqués des années discrètes. Notre démarche est d’explorer toutes les versions d’un même vin. Si nous n’avions pas suivi cette voie, nous n’aurions jamais connu ce sublime Cheval Blanc 1941 qui valait bien des 1947 ! Un ami à qui je racontais cette bouteille me dit en souriant : en fait, tu as effacé la barre du « 7 » pour que cela fasse « 1 », pour faire une surprise. Ce serait d’une ruse extrême.
Un Chablis Grand Cru Grenouilles William Fèvre 1976. Belle couleur jaune, avec des petites traces de vert cuivré. Un nez de pierre, de terre, assez minéral comme aussi Meursault en offre parfois. Ce qui frappe immédiatement en bouche, c’est le gras de ce vin. Il remplit merveilleusement la bouche et n’a pas d’âge : il est intemporel. Le foie gras a légèrement raccourci ce vin, alors que l’asperge de cuisson parfaite l’élargit de façon charmante. Un grand Chablis.
Le magnum de Lafite 1919 est beau. Vieux flacon, peut-être beaucoup plus vieux que l’année. Avec une étiquette illisible, c’est le bouchon (parfait) qui a donné l’année : 1919. Un nez invraisemblable. Tout en douceur veloutée, mais enivrant. On ne se lasse pas de sentir ce vin, ouvert plusieurs heures avant le dîner. Ce qui m’a donné l’occasion de faire une constatation : il y a des vins qui ont un nez tellement exceptionnel qu’on ne peut s’empêcher de les sentir. Mais, fait encore plus intéressant : l’odeur est telle qu’elle dispense de l’envie de boire. On est tellement ébloui qu’on ne voudrait pas quitter ce stade accompli du plaisir. Ce Lafite 1919 fait partie de ces rares vins là, au nez aussi envoûtant que par exemple Margaux 1900 le plus beau nez de Bordeaux, ou Haut-Brion 1961 en magnum, le plus beau nez récent. J’ai senti la paralysie, voire l’anesthésie qui me prenait : il fallait prolonger ce moment de bonheur unique. Mais lorsque le plat arrive, il faut bien boire. Le plaisir est aussi grand, mais encore une fois, le nez suffisait.
Une gentille acidité, une élégance unique. Un des convives n’a pas « mordu » à ce vin. Nous avions bu auparavant ensemble Lafite 1986, et je comprends parfaitement que certains dégustateurs préfèrent les vins jeunes. Il faut en effet admettre que le goût est subjectif et culturel. La première moitié de la bouteille a été sublime. Puis l’acidité a été d’une présence croissante, éteignant progressivement la rondeur. Seul le fonds de bouteille a réveillé la richesse incroyable de ce grand vin. J’en déduis que si le magnum est une bonne taille pour faire vieillir un vin, ce n’est pas la taille idéale quand on ouvre un vin ancien : la deuxième partie a pris trop d’oxygène. A vérifier à nouveau, car ce pourrait être un cas particulier. A suivre.
Le Gilette crème de tête 1949 ouvert cette fois fut nettement meilleur que celui ouvert au Pré Catelan. Couleur dorée avec des touches d’orange et de cuivre, un nez de fruits confits, d’épices, de fruits tropicaux. Et ensuite un goût de Sauternes accompli, équilibré de « juste ce qu’il faut » pour avoir un grand Sauternes de plaisir. Bel exercice de style que de le confronter à des agrumes et à une crème légère aux fraises, qui développent certains de ses aspects.

Un dîner à la façon wine-dinners dimanche, 14 avril 2002

Un dîner qui ressemble à un dîner de wine-dinners. C’est en famille, donc on essaie d’autres types de vin, dont certains plus risqués. Un champagne Taillevent non millésimé (Deutz en fait) vers 1990. Champagne comme j’aime, très classique, sec, de grande finesse. La légèreté du Deutz. Puis un Charles Heidsieck mis en cave en 1996. Beaucoup plus de fruit, de plaisir. Meilleur en bouche, mais moins fin. Un Pouilly Fuissé Charles Debaix 1961 que j’avais sorti à cause d’un niveau bas était franchement mort. Comme pour un parchemin, on distingue quelques lettres, mais le message n’est plus là. Un autre ouvert il y a quelques mois m’avait enchanté. A essayer une autre fois. Un Meursault Comte de la Rochefoucauld 1962 était beaucoup plus intéressant, mais quand même assez fatigué. Intéressant à lire, il fallait de grosses lunettes pour y trouver du plaisir. Après deux vins blancs plutôt faibles, risques assumés, un Figeac 1983. Quel vin adorable ! Nez complexe fait de terre, de cuir et de fruits de forêt (on voit le coté « expert »), ce vin épanoui et équilibré a ravi tous les palais. Figeac est un vrai grand Saint-Emilion. Et l’année 1983 est maintenant très agréable à boire. Après le charme du Figeac, beaucoup de convives avaient du mal avec le magnum de Rauzan-Gassies 1975. J’ai demandé d’attendre un peu avant de juger, et le vin s’est progressivement élevé à une belle hauteur. Un vin typé, agressif pour un Margaux, d’une belle acidité, et qui montre une nette personnalité de bon Bordeaux. Méfiez-vous des magnums. Il y a pour chacun un moment optimal. Un Nuits-Saint-Georges la Richemone Pernin Rossin 1982 se révéla en rondeur et épanouissement largement au dessus de ce que j’attendais : plaisir simple d’un vin souvent ignoré. Il se plaçait très bien à ce moment là. Et l’année 1982, qui est une des plus belles années de Bordeaux, et plus faible en Bourgogne, ne me déplait pas du tout en ce moment.
Conclusion provisoire avec Monbazillac Monbouché Domaine Marsallet 1921. Couleur de séquoia géant. Une odeur de café torréfié, de sucre caramélisé. Un goût de grand Sauternes (mais oui !), un peu plus alcoolisé sans doute. C’est très beau, chaleureux. Il y a manifestement un certain manque de complexité par rapport aux grands Sauternes, mais ces vins anciens méritent objectivement un intérêt car ils sont chaleureux et chatoyants. Ce producteur sympathique distille (si l’on peut dire) quelques trésors à l’occasion de rencontres. De tels plaisirs donnent l’envie de « s’abonner ».
Une liqueur de « Mézenc » du 19ème siècle (vers 1880) apportée par un ami a montré des saveurs étranges. Très sucrée, sentant les herbes aromatiques, la menthe et le poivre. Cet alcool a le même niveau de charme que ce qu’on trouve dans un vin de Chypre 1845. On a le même plaisir que si l’on trouvait une amphore dans un sarcophage égyptien datant de 2000 avant notre ère. Un alcool énigmatique qui mériterait un repas avec des alcools et apéritifs aux goûts étranges. J’en parlerai avec des amis cuisiniers : créer un repas où l’on présenterait des plats avec des apéritifs et alcools de près d’un siècle. J’aimerais travailler sur ce thème. Il y a certainement matière à créer un étonnement extrême.
Une Bénédictine des années 30 a été ouverte pour comparer les deux alcools. La Bénédictine a plus d’herbes, la liqueur d’angélique ( ?) a plus de sucre. Mais les deux ont des saveurs inimitables, aux irisations infinies.

dîner annuel des sommeliers de l’Ile de France jeudi, 11 avril 2002

dîner annuel des sommeliers de l’Ile de France, sous la présidence de Philippe Faure-Brac, avec Olivier Poussier, David Biraud, deux sommeliers français récemment titrés au plus haut niveau, et la voix si rare de Georges Lepré, le sommelier du Ritz, qui doit faire éclater toute la cristallerie de l’hôtel s’il donne toute la puissance de sa belle voix. Avant dîner, une très heureuse présentation de Pessac Léognan. Mes chouchous, Haut-Bailly et Carbonnieux, des vins charmants comme Pape Clément, La Louvière, Malartic Lagravière et d’autres que je n’ai pas eu le temps de goûter. Une tablée de 500 personnes et la cuisine d’Alain Dutournier. Comment fait-on des cuissons parfaites pour tant de tables ? Alain Dutournier a fort élégamment annoncé qu’il avait mis sa cuisine, sa façon, au service des vins. Les sommeliers, que l’on connaît si stricts dans leur difficile travail avaient ce soir là l’esprit mutin. Me trouvant placé à table à coté d’un responsable de la maison Riedel, je lui signalai la contre publicité de ses verres, fournis par milliers, mais lavés mécaniquement, ce qui donnait un goût fâcheux aux vins ce soir là. C’est dommage, car Riedel fait des verres magiques, qui améliorent les arômes, ce qui ce conçoit, mais aussi le goût, ce qui s’explique plus difficilement. Mon autre voisin était de la maison Louis Max qui vient de racheter Jaboulet Verchère. J’aurais dû l’interroger sur le Clos xx 1960 signalé dans le bulletin 30.
Champagne Jacqueson et Philipponat à retenter, car je n’ai pas vibré. Un très honnête Chablis Grand Cru Bougros Cote de Bouguerots 1998 Domaine William Fèvre : très typé sans être flamboyant. Comme pour le vin de paille cité tout à l’heure, apparaissait alors un vin impossible à boire pour moi : Château de Beaucastel blanc 2000. On sent la merveilleuse structure, mais c’est tellement puissant qu’il faudra bien quatre ans pour qu’il se civilise. Un énorme potentiel, mais quel infanticide. Fruit d’une grande générosité des propriétaires, Palmer 96 et Palmer 81. Le plus récent est un élégant jeune homme. De la force, de l’affirmation. Le plaisir de ne pas trouver trop de tanins. Belle promesse, mais ce gamin ne peut rivaliser avec son aîné, qui est une des plus belles réussites de l’année 1981. Bel équilibre, belle affirmation, il remplit entièrement la bouche et se conserve longtemps au palais. Un grand vin. Difficile pour un Ormes de Pez 96 de s’affirmer après cela, alors qu’il aurait une autre carrière s’il apparaissait lors d’un autre repas. Merveilleuse initiative que de nous faire goûter une Munster fermier de Poutroie avec du miel et du cumin, sur une bière blonde de l’abbaye des Flandres. Cela fait fonctionner merveilleusement bien les papilles, et ne brise pas le déroulement du repas. Olivier Poussier a fait remarquer que c’est la première fois qu’une bière se buvait à un dîner de sommeliers. Très bon choix. J’ai goûté sans savoir quel était ce merveilleux Porto 1985 au dépôt très lourd et abondant. Une vente aux enchères de vins offerts par divers donateurs a permis de mêler des prix stratosphériques avec de bonnes oeuvres. Philippe Faure-Brac a animé le dîner de façon remarquable. Un grand moment avec de grands professionnels que l’on voit d’habitude beaucoup plus sérieux et qui ont profité avec bonheur de cette grande soirée.

Bouteilles diverses mercredi, 10 avril 2002

De nombreuses occasions de boire des flacons très variés, en âges et en provenances. C’est l’intérêt de la démarche qui est poursuivie, qui est de n’ignorer aucun producteur, et de les découvrir ou mettre en valeur à tout âge.
En petit comité, j’ouvre – façon de parler, car dès que je sectionne la capsule, le bouchon tombe – un Barsac Latrille 1926. Couleur ambrée, voire encrée, tant l’âge a fait son effet. Mais, joli paradoxe, le vin renaît, et offre un onctueux un peu usé, en douceur, qui accompagne parfaitement un foie gras au pain d’épices. Un vin rouge de Louis Max. Sur l’étiquette on lit clairement 1960, puis Clos ??? Bizot ou Binot ? Ouverture très terreuse. Çà sent le terroir. Puis le vin se domestique et l’on a un fort plaisant Bourgogne, légèrement fatigué mais sans déplaisir. Un Malartic Lagravière 1982 bien rassurant de jeunesse prouve que l’année 1982 est toujours pleine de promesses et de bonheur. On n’a pas les interrogations des années 70 et 75. C’est la grande année, après 61 et avant 90, et peut-être aussi avant le phénomène 2000 (comme 1900 ?).