Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner à Deauville au Ciro’s lundi, 9 avril 2012

A Deauville, nous allons déjeuner en famille au restaurant Le Ciro’s Lucien Barrière, situé le long de la promenade sur la plage. Le lieu est sympathique, l’accueil est charmant, et les produits de la mer sont bons. Les grosses langoustines cuites à la minute sont bonnes, ainsi que le dos de turbot grillé sauce béarnaise, pommes écrasées et petits légumes. C’est sans prétention mais solide. Comme ma fille ne boit pas de vin blanc, je choisis un Château L’Angélus 2001. Il est d’une folle jeunesse, ses tannins étant encore dominants. Mais sa trame est si belle qu’on le boit avec plaisir. Sa faculté de vieillissement est telle qu’il serait prudent d’attendre encore dix ans ce très beau vin, très Saint-émilion.

nous avons la vue sur la promenade et sur la plage

j’ai voulu montrer l’importance de la lie et le nom Barière sur le verre

Pétrus 1959 en magnum à l’Ambroisie vendredi, 6 avril 2012

Ce sujet pourrait s’appeler « bonheur et misfit ». Et lorsqu’il y a un « misfit », tout le monde est mécontent, alors qu’il n’y aurait que du bonheur à attendre de l’événement. Deux amis particulièrement contents du dîner aux 9 Pétrus m’ont invité à dîner le lendemain à l’Ambroisie où ils ont apporté un magnum de Pétrus 1959. Le vin a été ouvert par le sommelier à 19h30 et carafé.

Etant en avance, j’ai le temps de bavarder avec Matthieu Pacaud, qui, à la suite de son père Bernard, tient les rênes de cette prestigieuse maison. Matthieu est un amoureux du vin et se régale de faire des menus pour les vins.

Christine, qui nous invite ce soir et qui a apporté la bouteille, est une fondue de caviar et a donc demandé qu’il y ait du caviar au menu. Le misfit vient du fait que Matthieu a compris : menu au caviar, alors que Christine en voulait un peu. Nous aurons attendu longtemps un plat qui aille avec le vin et nous ne l’avons pas eu. Alors, tout le monde sera mécontent, le chef parce qu’on n’aura pas félicité son menu et nous parce que nous avons attendu en vain un accord qui nous émeuve. C’est dommage, parce que tout était réuni : un très beau menu et un très grand vin.

Le menu : caviar osciètre Geld / œufs coque au caviar / salade composée de homard et chou-fleur / ravigote d’écrevisses et petits pois à la coriandre / escalopines de bar au caviar / suprêmes de volaille aux morilles / desserts et pâtisseries et mignardises.

Ce qui a agacé Christine, c’est qu’on ait servi du caviar chinois, qu’elle n’a pas particulièrement en odeur de sainteté. C’est vrai qu’il manque un peu de profondeur, même s’il est agréable avec un sel présent mais discret. Elle voulait du grandiose (selon ses repères) et on lui offre ce qu’elle a au coin de la rue. L’œuf coque est délicieux, le homard est de première qualité, le bar est très bon, mais flanqué d’un caviar hors sujet quand on est en plein dans le charme du Pétrus. Et quand les desserts de fruits rouges et glacés arrivent alors qu’il reste l’équivalent d’une bonne demi-bouteille de Pétrus 1959, il est certain que ça agace.

C’est un misfit qui – comme je le disais – ne fait que des mécontents. On effacera cela bien vite en refaisant le même combat en ajustant les scripts. Revenons aux vins.

Nous avons commencé par un Champagne Cristal Roederer rosé 2002. C’est un champagne très agréable, très droit, facile à vivre, de grande tenue.

Le nez du Pétrus magnum 1959 commence par être discret et il envahit les narines. C’est Pétrus dans toute sa splendeur. Truffe, morille, terre noire. En bouche le vin est phénoménal. Cette bouteille de parfaite conservation donne un vin exceptionnel. Disons qu’il est à cent coudées au dessus (j’exagère un peu) du 1962 que nous avons plébiscité hier. Il a une densité exceptionnelle, et un goût de truffe mis sur la puissance maximale. Sa trame est phénoménale.

Il cause ce vin ! C’est un bonheur absolu. Un immense Pétrus. Il est encore plus dogmatique dans l’excellence que les 1966 et 1998 d’hier. Il tutoie de très près les 1961 et 1990 que j’ai adorés.

Alors, ne gardons que le bonheur. D’abord, la générosité extrême de Christine et de Desmond. Ensuite ce monumental Pétrus 1959, qui touche à la perfection la plus absolue de Pétrus. Il faudra traiter le mal par le mal en revenant à l’Ambroisie, terre de belle gastronomie.

le joli salon qui nous est réservé

le caviar chinois a été marqué du nom de notre hôtesse

le pot de caviar gigantesque, c’est impressionnant, mais nous aurons de petites cuillers pour nos oeufs coque

je n’ai pas pris en photo les desserts qui sont arrivés avant que nous n’ayons fini le Pétrus. Nous n’y avons pas touché.

Déjeuner « royal » au Yacht Club de France mercredi, 4 avril 2012

Il y a de la surenchère dans notre club de conscrits ! Après un repas tout normand, j’allais dire trou normand, notre ami gallois a voulu faire un repas royal. Thierry Le Luc, le directeur de la restauration du Yacht Club de France est le complice enthousiaste de nos folies. Alors, voici ce qu’il a conçu : le crabe royal, la langoustine royale, le pouce-pied de Belle-Ile en Mer (parce que le pouce et le pied sont des mesures royales) / la langouste royale sur un tournedos de bar, légumes de saison piqués, sauce hollandaise figée au basilic / fromages affinés Alléosse dont le Royal Briard / royal gala en tuile de framboise et son sorbet citron vert, royale de framboise sur son salé.

Nous avons commencé par un Champagne Janisson Baradon non dosé non millésimé fort plaisant par son côté citronné bien équilibré. Une légère amertume ne nuisait pas au plaisir. Le Champagne Lenoble blanc de blancs 2000 est agréable, plus rond et plus fluide que le précédent. Le Condrieu Domaine de Bonserine 2009 est tout en puissance et en gourmandise. Il se place divinement bien avec les langoustines au goût superbe. C’est un vin joyeux, convaincant et riche de beaux fruits blancs.

Le Cos d’Estournel 1996 a un nez conquérant. Quel grand vin ! De très fine trame, de grande densité, ce vin noir est puissant, jeune, glorieux. Le Château Figeac 1989 fait un contraste très fort, car il semble beaucoup plus vieux que le Cos, d’au moins trois fois plus d’années que ce que donne le calendrier. Charmeur mais dans des habits rouges orangés alors que le Cos est dans des habits noirs, il montre une belle élégance dans le charme, plus assagie que la pétulance du Cos. Ces deux vins dissemblables sont très bons et je préfère le Cos d’Estournel pour sa vivacité et sa noblesse.

Le dessert est accompagné d’un Champagne Lenoble blanc de blancs 2002 qui est le meilleur champagne de ce déjeuner, riche, plein en bouche avec une belle bulle et une belle rémanence. La tâche sera dure pour le prochain conscrit qui invitera ses compères, car il sera dur d’imaginer encore mieux.

Chateau Margaux 1964 mardi, 3 avril 2012

Mon fils étant là, autant le chouchouter. Sur une préparation de pommes de terre, de lardons doux et de reblochon fondu, nous goûtons un Château Margaux 1964. La bouteille est belle et le vin a un niveau à haute épaule. Le bouchon vient bien, il est sain, de grande qualité. Le vin a un nez très raffiné, distingué. En bouche, ce qui frappe, c’est la grâce et la distinction de ce vin. Il est velouté, charmant, subtilement dosé. On sent tout le charme romantique de Château Margaux. L’année 1964 est toujours un peu stricte, carrée, rugueuse. On le retrouve dans ce margaux, mais avec un velouté conquérant tant il est aimable. La combinaison avec le plat est parfaite, celui-ci jouant le faire-valoir du vin. La lie est abondante, mais se « mange » bien. Ce vin fut d’un grand plaisir.

match Krug 82 et Salon 82 dimanche, 1 avril 2012

Mon fils est à la maison. Fille et gendre nous rejoignent pour un petit dîner rapide avec des couteaux, de la truite fumée, des crevettes roses, des coquilles Saint-Jacques poêlées ainsi que leurs coraux, un peu de foie gras et du camembert. C’est l’occasion pour comparer le Champagne Krug 1982 et le Champagne Salon 1982. Le krug est époustouflant, de fruits jaunes, avec une distinction énorme et une complexité rare. C’est peut-être le meilleur Krug 1982 que j’aie bu.

Le Salon est quasi impossible à ouvrir. Pendant dix minutes, j’ai essayé de tourner le bouchon, puis mon fils, puis mon gendre, et enfin, le goulot ayant été chauffé, j’ai pu extraire le bouchon. Et quand on pose les deux bouchons de la même année côte-à-côte, force est de constater que le volume du cylindre du bouchon de Salon est le double du volume du bouchon du Krug.

On ne peut pas imaginer deux champagnes plus dissemblables que ces deux là. Il y a plus d’acidité et de tension dans le Salon. On dirait la lame d’un sabre japonais. Il y a moins de fruits et plus de vineux dans le Salon. Ils sont tellement splendides tous les deux que c’est un bonheur. Mon fils et mon gendre préfèrent le Salon alors que je préfère le Krug. Sachant que je suis un inconditionnel de Salon, cette situation des votes est étonnante.

Ces champagnes se boivent si bien que j’ouvre un Champagne V.O. Jacques Selosse dégorgé en 2008. Même si l’on sent qu’il y a un écart de stature, le Selosse se place très bien et je le trouve compréhensible et charmant. Il tient bien sa place.

1982 est une année extrêmement belle et subtile en Champagne, et Krug dans le fruit, et Salon dans l’acidité vineuse contrôlée et romantique sont deux champagnes d’exception. Intégrant les votes des trois buveurs, disons qu’il y a match nul !

on constate l’écart énorme de volume entre les bouchons du Salon 1982 et du Krug 1982. Le bouchon du Salon est presque trop volumineux, et celui du Krug presque insuffisant.

en ajoutant les bouchons du Dom Pérignon 2002 et du Selosse, ça donne une disparité de bouchons assez spectaculaire, leKrug 1982 faisant petit !

repas champêtre samedi, 24 mars 2012

Nous allons déjeuner dans la maison de campagne de ma fille cadette. Il fait beau et la forêt n’a pas encore de feuille mais de jolies fleurs fraîches de début de printemps. Mon gendre prépare le repas avec des encornets, des coquilles Saint-Jacques, et deux beaux homards bleus.

J’ouvre un Château Cheval Blanc 1950 d’une bouteille sans étiquette. Le niveau est entre mi-épaule et basse épaule, mais la bouteille semble sympathique. Le bouchon sort entier et confirme 1950. Le premier nez est poussiéreux. C’est difficile de dire si le vin reviendra à la vie, mais pourquoi pas. La gorgée bue juste après l’ouverture a une belle attaque. C’est sans nul doute Cheval Blanc, avec peut-être un goût de truffe un peu forcé. Le vin est torréfié, comme si la bouteille avait eu un coup de chaud. La couleur a encore du rouge. Nous verrons comment il se comportera

Pendant les préparatifs et sur des bulots, nous trinquons avec un Champagne Salon 1996. Après avoir bu il y a peu un Salon 1988 éblouissant, sans doute le meilleur de tous les 1988 de Salon que j’ai bus, c’était intéressant de voir ce que donnerait un 1996. Il est fantastique, avec une pesanteur, une acidité parfaitement contrôlée et une longueur inouïe. Il a une assise extrême, une plénitude en bouche remarquable. Est-ce la saison, est-ce moi, je ne sais pas, mais ce 1996 me semble le meilleur Salon 1996 que j’ai bu, avec exactement la même impression que pour le 1988. On peut dire que le 1988 est plus accompli et a plus de complexité et que le 1996 a plus de vivacité. Sur des feuilles d’huîtres, cette sorte de pourpier qui imite le goût de l’huître, le coup de fouet du Salon est saisissant.

J’ai apporté un Echézeaux Mommessin négociant 1973. L’odeur est sympathique avec une amertume très bourguignonne. En bouche, l’attaque est superbe, chaleureuse, étonnante de joie. En milieu de bouche, une légère acidité apparaît, mais n’est pas gênante. Le final est légèrement plat, mais se supporte bien. Si l’on voulait diviser le parcours en bouche en deux, on dirait : superbe / limité. Sur les coraux de coquilles Saint-Jacques, l’accord est superbe. Sur des pinces de homards bleus, il marche très bien. Et ce qui est intéressant, c’est que plus le temps passe, plus la deuxième partie du parcours du vin s’améliore. Le vin devient fort agréable du début à la fin de chaque gorgée. Je n’attendais rien de ce vin qui ne pouvait être – au mieux – que limité. C’est donc une heureuse surprise que le vin se soit si bien comporté.

Pour le homard, le Château Cheval Blanc 1950 est servi. Le nez est sympathique. L’attaque en bouche est presque honnête. C’est la suite qui est marquée par la mort. Le vin n’a rien qui pourrait esquisser une émotion. Sa couleur est devenue marron. Nous le laissons à son triste sort. Il est mort.

Nous ouvrons un Chapelle Chambertin Domaine Louis Trapet P&F 1982. Ce millésime n’ayant pas une excellente réputation en Bourgogne, je m’attendais à un vin assez strict et plutôt sec. La couleur est belle, d’un rouge sang foncé, le niveau est parfait. Le nez est discret mais très bourguignon. En bouche, c’est un vin très rassurant, sans histoire. Il a la jolie amertume bourguignonne, un fruit assagi mais aucune trace d’évolution. Il est très honnête, bien fait, de bonne soif, mais ne dégage pas une émotion intense. C’est un vin fort agréable, bien balancé mais sans grande persuasion. Il marche très bien avec le homard.

Des tranches d’ananas sont poêlées avec des morceaux de bananes et des kumquats pour le Château Doisy-Daëne Barsac 1953. La magnifique bouteille a un niveau dans le goulot. On comprend mieux quand on lit sur le bouchon le rebouchage en 1999. La couleur est d’un or glorieux. Le vin est puissant, pur, d’une acidité contrôlée, avec des agrumes, de la mangue. Ce qui frappe, c’est son épanouissement. Il est d’une cohérence parfaite. Il boxe dans le camp des plus grands.

Ce repas de printemps fut un beau moment.

Un chef à suivre : Hervé Rodriguez mercredi, 21 mars 2012

Ça commence par un message sibyllin de Jean-Philippe : « Une table secrète, Un dîner privé, Un chef et son second, Nos vins, Hidden hôtel ». Un indice est donné dans le titre « MAnipulateur de SAveurs », ce qui suggère MASA, le nom d’un restaurant. Je ne fais aucune recherche, préférant me faire surprendre et j’annonce mes vins. Le matin du jour dit, je remplis ma musette de quelques flacons que je ne peux pas ajuster à ceux des autres, car je n’ai pas de réponse à ma proposition de vins.

A l’heure prévue je constate à l’adresse indiquée que le Hidden hôtel est bien un hôtel qui ne se cache pas. Sa façade est recouverte de bois de pin. Nous descendons au sous-sol où nous sommes accueillis par Sophie et par Hervé Rodriguez, le chef du MASA, qui a quitté son restaurant sur un différend avec ses commensaux. Il squatte depuis un mois la salle en sous-sol de l’hôtel et la cuisine attenante. C’est ce soir son dernier dîner de squatter, car il va très prochainement s’installer dans un restaurant à Boulogne.

J’ouvre toutes les bouteilles présentes, Jean-Philippe règle avec Hervé les derniers détails du repas. Voici ce que cela donne : Queso manchego et pata negra / Ormeaux beurre noisette, radis daikon, topinambour, racine de capucine, réduction citron-bergamote / Asperges nouvelles, réduction de langues d’oursin, crevettes grises grillées, brunoise chermoula / Fera du lac Léman, poêlée de févettes, poutargue, caramel de réglisse / Risotto d’épeautre à la truffe de Tricastin, pigeonneau, copeaux de gouda millésimé / Abats, émulsion de cardamone noire, cacao / Caille des Dombes, bruccio, framboises / Fraises gariguettes, coulis pomme-persil, sorbet fromage blanc / Déclinaison caramel beurre salé : sponge cake, mousse, fudge, crème glacée réglisse, éclats de noisette.

Nous passons à table. Le Champagne Jacques Selosse dégorgé en décembre 2010 est beaucoup plus avenant que celui dégorgé en 2008 que j’ai bu il y a peu de jours. Il n’y a pas le caractère fumé prononcé du précédent. Celui est clair, fluide, à la bulle altière et à l’amertume bien contrôlée. C’est un bon champagne, qui réagit bien sur le Pata Negra viril et sur le fromage de brebis coupé en fines tranches, mais ne crée pas l’émotion que j’ai déjà ressentie avec ce grand champagne.

Pour se faire la bouche et effacer la lourde trace du Selosse, Jean-Philippe nous fait servir un Bourgogne Blanc Bernard Boisson-Vadot 2009. Simple, sans chichi, ce vin joue le rôle qui lui est confié.

Je n’ai jamais mangé des ormeaux aussi bons que ceux-ci. Ils ont dû être battus et rebattus, car ils sont d’une tendreté exceptionnelle. Accompagnés de topinambours avec leur lourde peau, de racines de capucine et de radis noir, ils forment un plat délicieux. Le Puligny-Montrachet 1er cru Les Perrières Louis Carillon & Fils 2008 est un très joli vin sans histoire et juteux à souhait. Il accompagne de croquantes asperges vertes avec des crevettes grises craquantes et salées. La crème est à se damner.

Le saint-pierre aux févettes est le plat que je classerai premier. Il accompagne un Château Grillet Neyret-Gachet 1990. Que c’est agréable de trouver enfin un Château Grillet au sommet de son art ! Car de précédentes expériences n’ont pas été concluantes, sur des millésimes plus anciens. Ici, ce 1990 est superbe, énigmatique comme il se doit, mais d’un charme rare. On comprend pourquoi Curnonski l’a classé parmi les cinq plus grands vins blancs de France, car il a une personnalité rare, avec une facette citronnée et une immense fluidité. Ce que j’aime, c’est la constance de son parcours en bouche.

Le vin suivant est le Clos Joliette sec Jurançon 1971. Il y a quelques mois, j’avais raté le rendez-vous avec le Clos Joliette car le 1974 ne m’avait pas plu. Celui-ci est impérial. On sent qu’il a été touché par le botrytis, un peu comme le Clos Windsbuhl de ce midi et il est absolument confondant de bonheur, car il est sec mais aussi doucereux, tout en légèreté. Il y a un petit fumé, des fruits jaunes en salade de fruits, et une longueur impressionnante. C’est un très grand vin, solide, carré.

Le risotto à la truffe noire et au copeau de Gouda est remarquable. Le Château Lafleur Pomerol 1964 que j’ai apporté à un nez de truffe. Le vin est truffe, avec un velouté exceptionnel. Cette bouteille au niveau à la base du goulot est une grande bouteille. Le vin est majestueux, n’a pas de signe de vieillissement comme le montre la couleur noire et vivace du vin. C’est un vin impressionnant qui sera plébiscité par tous à la première place. Il dépasse les autres de la tête et des épaules. Son équilibre velouté est une merveille.

Le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1998 est très solide, en pleine possession de ses moyens, très rassurant. J’ai toujours aimé ce millésime de Beaucastel qui est maintenant au sommet de son art. Les abats lui vont bien.

L’Hermitage rouge Chave 2001 est superbe. La caille servie avec des petits fruits rouges l’excite fort à propos. Ce vin est une bombe d’émotions. Sa personnalité est très forte, son fruit est lourd et vivace. C’est un superbe vin à la trace très droite et pure, dont le message est sensiblement plus percutant que celui du Beaucastel.

Dans ma besace, j’avais logé un vin que je n’avais pas annoncé, mais prêt à être utilisé « pour le cas où ». Même si nous sommes déjà repus, le Champagne Salon 1988 est insolent de charme, de conviction, de grandeur. Quel beau champagne ! C’est probablement le meilleur 1988 que j’aie bu de Salon. Il a tout pour lui. Il est terriblement convaincant, avec de multiples facettes mais surtout une évidence : en le buvant, on boit de la grandeur amplifiée par la précision du vin.

Nous finissons le repas sur un Château Mazarin Loupiac 1955 à la couleur d’un or clair splendide. Là aussi ce vin de ma cave a un niveau dans le goulot. Splendide de grâce et de légèreté, il convient au dessert à base de caramel, par son équilibre délicat où le sucré est aérien et par sa trace profonde et élégante. Un Loupiac de ce niveau, c’est un véritable cadeau.

La cuisine d’Hervé Rodriguez est remarquable. Mes préférences vont vers le poisson, l’ormeau et le risotto. Pour les vins, mon classement est : 1 – Château Lafleur Pomerol 1964, 2 – Champagne Salon 1988, 3 – Château Grillet Neyret-Gachet 1990, 4 – Hermitage rouge Chave 2001, 5 – Clos Joliette sec Jurançon 1971.

Nous avons été les derniers à profiter du squat d’Hervé au Hidden hôtel. Nous nous précipiterons dès le début avril à sa nouvelle adresse à Boulogne, car ce chef de grand talent mérite qu’on le suive. Comme dans la chanson : « où tu iras, j’irai ».

déjeuner à l’Astrance mercredi, 21 mars 2012

Nous commençons par un Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1997, à la couleur déjà légèrement ambrée. Le champagne est distingué, presque fumé. C’est son élégance qui domine. Il est un peu strict et manque un peu d’ampleur, mais c’est un grand champagne vibrant. Sur le foie gras, il est à son aise et le champignon de Paris lui sert de tremplin. Sa longueur est belle, sa trace fumée est agréable, mais j’attendais un peu plus.

Le Riesling Clos Windsbuhl Zind Umbrecht 1994 est d’une couleur très ambrée. D’une année à botrytis, il combine le caractère sec du riesling avec l’esquisse d’un vin doux. Ce n’est qu’un esquisse, car à aucun moment, même sur la coquille Saint-Jacques presque sucrée, on ne ressent du doucereux. Ce qui me fascine, c’est la précision du riesling. Il a de l’orange amère, du fruit confit, du fumé, mais aussi l’acidité et la fluidité du riesling sec. Sa flexibilité est admirable aussi bien avec l’huître où l’iode excite le vin qu’avec la coquille qui le caresse. Mais c’est avec la crème de l’algue Kombu que le vin frétille. Comme l’occasion se présentait, je suis passé du champagne au vin blanc et j’ai fait le chemin inverse, et c’est fou comme les deux se renforcent. C’est assez saisissant. Et ce qui apparait, c’est la précision du riesling, comme taillée dans le marbre le plus blanc.

Nous risquions de manquer de vin blanc, aussi Alexandre nous ajoute un verre de vin de son invention, qu’il ne nomme pas. La couleur est aussi ambrée, le vin est noble, riche, puissant. C’est un Pouilly-Fuissé Clos de Monsieur Noly Domaine Valette 2000. Sur le tourteau et le coulis d’étrille l’accord est saisissant. Je félicite Alexandre pour ce choix pertinent. Ce vin « cause ». Il s’exprime, vibre sur le plat. S’il n’a pas le caractère ciselé du riesling, il a un coffre, une assise et une présence qui sont adaptées au plat. Fruits jaunes, fruits bruns, salade de fruits bruns, fumé, tout concourt à une impression d’élégante gourmandise.

Pour le Chateauneuf-du-Pape Cuvée des Célestins Henri Bonneau 2001, j’ai à peu près autant d’objectivité qu’avec la cuisine de Pascal Barbot. Je n’irais pas jusqu’à déchirer mon tee-shirt et pousser des cris hystériques, mais ce n’est pas loin. Car ce vin, ce n’est pas un Chateauneuf-du-Pape, c’est un monument. Quand on boit ce vin, on boit un désir de vin. C’est exactement ce que l’on souhaite d’un vin de dix ans. Je suis tellement heureux de boire un vin aussi parfait sans être doctrinal que j’en offre un verre à la table voisine. Je saurai plus tard qu’il s’agit de la mère et de l’oncle du pâtissier du restaurant.

Ce vin est pour moi un miracle, subtil, vibrant. Bien malin serait celui qui devine sa région. Je remercie Alexandre de son service du vin en lui donnant mon classement : 1 – Henri Bonneau, 2 – Zind Humbrecht, 3 – Puilly-Fuissé Valette, 4 – Philipponnat. Le mot « Fin » s’écrira avec un Whisky Macallan 1992 percutant de conviction.

La cuisine de Pascal Barbot est un bouquet de création. Son sourire est désarmant. Cette table est un bonheur.

magnifique repas à La Tour d’Argent samedi, 17 mars 2012

On ne peut pas imaginer le nombre d’américains qui connaissent plus de grandes tables européennes que les français. Murray profite de réunions professionnelles en Europe pour ajouter à son tableau de chasse tous les nouveaux trois étoiles. Si le guide Michelin ajoute un chef au firmament, Murray doit s’y rendre avec son groupe de collègues et amis in petto.

Cette semaine, ils ont « fait » deux restaurants phares en Allemagne, puis quatre ou cinq grandes tables de Paris. Hier ils avaient déjeuné à la Tour d’Argent et ce midi, avec mon épouse, nous les retrouvons à déjeuner au restaurant de la Tour d’Argent. S’ils doublent la mise, c’est parce qu’ils estiment que le choix de la carte des vins est unique.

Arrivant en avance, j’ai le temps de regarder la carte des vins et je suis horrifié par les prix. Si l’on est fou à Hong-Kong, faut-il être fou à Paris ? Un vin que j’aime, qui est grand, mais qui n’est pas dans mon Panthéon, peut être trouvé autour de 1.500 €. Il faudrait ajouter un billet de 10.000 € (comptez le nombre de zéros) pour que je puisse le boire ici alors que je l’ai chez moi. Pour les champagnes, c’est de la folie, rendant quasi impossible de goûter des cuvées que je bois habituellement.

Alors bien sûr, il reste de bonnes pioches, mais de plus en plus rares. Les vins que nous allons boire sont loin d’être des seconds couteaux, car à un moment, on décide de se lancer. Les amis arrivent, je discute avec Murray des choix possibles. Notre table, par un hasard que j’apprécie, est celle que gérait un maître d’hôtel historique, Monsieur Aimé. C’était un patient de mon père qui était oto-rhino. Ce détail a encore plus d’importance pour moi, car aujourd’hui, c’est l’anniversaire de mon père, qui aurait fêté ses 103 ans. La table est magnifique et je peux voir bien sûr Notre-Dame, mais aussi la Tour Saint-Jacques, les toits de la mairie de Paris, au loin le Sacré Cœur, et l’île Saint-Louis où j’ai habité avec celle qui allait devenir ma femme il y a 46 ans.

Les serveurs sont en habit, le service est attentif, tout annonce un grand moment. Nous commençons par un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en 2008. C’est un champagne d’initié. J’ai souvent écrit que c’est un champagne d’ayatollah. Car il faut un palais exercé pour apprécier ce champagne acide, fumé, à l’oxydation forte, sans concession. Mais si l’on entre dans sa sphère, on en découvre toutes les subtilités. Gagnera-t-il en vieillissant, je serais bien incapable de le dire. Mais sur l’instant, j’adore son caractère énigmatique, interrogeant, et ne gratifiant que ceux qui s’ouvrent à lui. Par un hasard extraordinaire, un petit amuse-bouche au haddock avec une sauce crémée a créé un accord magique avec le « Substance ».

Nos menus sont différents. Le mien est : terrine de foie gras aux deux gelées, la quenelle de brochet, le travers de porc, fromages et dessert à la mangue. Pour les deux premiers plats, j’ai fait servir ensemble le Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1983 et le Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 1992. Car la logique voudrait que le Bâtard vienne après le riesling, mais certains ont pris comme deuxième plat des asperges qui iront mieux avec le riesling.

Quoi de plus différent que ces deux grands blancs ? Le Sainte-Hune est une merveille de précision. Il est droit dans ses bottes, monolithique, mais d’une invraisemblable précision. Alors qu’il est un parfait gentleman, le Bâtard est beaucoup plus canaille jouant sur la séduction. Il a un fruit superbe, une mâche énorme, et si le Sainte Hune joue en longueur ou plutôt en verticalité, le Bâtard joue en largeur. Il est à noter que les deux vins semblent au sommet de ce qu’ils pourraient être, avec un épanouissement certain. Pour la quenelle, c’est le Bâtard qui s’impose, alors que pour l’asperge, c’est le riesling. Avec le foie gras aucun accord n’est parfait, mais le riesling est plus naturel.

Je fais voter la table sur le meilleur des deux, et c’est un vote partagé. Mon sentiment est que le vin de Trimbach est le plus pur, le plus précis, le plus dans une forme de perfection, alors que le plus chaleureux est le Leflaive, avec un épanouissement hors du commun. Mais avec le Bâtard, on peut imaginer qu’il existerait mieux, alors qu’avec le riesling, c’est impossible. Ce riesling est au sommet de son art, sans rival imaginable.

Le plat de porc est un éblouissement. La Tour d’Argent ressuscite la cuisine d’il y a un siècle, et c’est un succès. Lorsqu’on nous a servi le foie gras, c’est à la cuiller. Et les deux gelées, l’une au sauternes et l’autre au porto sont aussi servies à la cuiller. On est au sommet de la cuisine d’antan. Le travers de porc, laqué, fumé est une vraie merveille de gourmandise.

Le Bonnes-Mares Domaine Roumier 1988 qui n’a pas été carafé contrairement aux blancs est à la fois épanoui et timide. Il est follement bourguignon et ce qui me plait le plus, c’est qu’il n’essaie pas de plaire. Il est authentique, naturel, et tout en lui est finesse et discrétion. Murray trouve qu’il a beaucoup de fruit alors que je trouve son fruit discret, sans que cela nuise au message. C’est un beau vin de Côte de Nuits, avec déjà des signes de maturité, des évocations de cendres, un beau caractère vineux, et une longueur au final raffiné. C’est un grand vin plein de distinction.

Comme le bourgogne a été rapidement fini sur la viande gouteuse, que va-ton boire sur le fromage ? Je suggère un Château-Chalon Jean Macle 1991, de l’année la plus vieille sur la carte de ce beau domaine. Ce qui est fou avec ce vin, c’est qu’il est intemporel. Et il est d’une facilité de message extraordinaire. On sait qu’il est Château-Chalon, mais il est accueillant, facile à boire, lisible. Pour un peu, à l’aveugle, on se tromperait de région, tant il est fluide comme un vin de Loire. C’est presque le contraire du Selosse, même si les messages ont des points communs. Et c’est le Comté et lui seul qui fait apparaître de fortes notes de noix. Ce vin est splendide.

Sur la carte des vins, au chapitre de Clos Sainte-Hune, il y a deux vins pour 1989. L’un est un vendanges tardives que j’ai déjà goûté et qui est une réussite invraisemblable, et pour deux fois plus cher, il y a le Clos Sainte-Hune Vendanges Tardives Hors Choix 1989. Tout est dans le « hors choix », qui signe une crème de tête. Ce vin est fou. N’allez pas dire qu’il est d’Henri Maire ! Il est fou parce qu’il est à la fois doux, du fait de la vendange tardive, mais extrêmement sec, les sucres ayant été dissous du fait de ses 23 ans. On retrouve la précision du 1983. Un message délié révèle la cohérence d’un vin à la fois sec et doux. Est-ce cohérent ? quand on est en face de lui, on le comprend. Il y a des notes de mangue, d’orange amère, une belle acidité citronnée mais mesurée et une rondeur folle. Ce vin est diabolique car il est inclassable. Il est hors de tout.

Nous avons voté de façon informelle, et s’il y a une diversité des votes, il y a aussi beaucoup de cohérence. Mon vote est : 1 – Clos Sainte-Hune Vendanges Tardives Hors Choix 1989, 2 – Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1983, 3 – Bonnes-Mares Domaine Roumier 1988. Murray a les mêmes deux premiers et a mis en troisième le Château Chalon, ce que je comprends volontiers.

Nous nous sommes promis de nous revoir à San Francisco pour rejoindre un groupe de solides collectionneurs et faire de nouvelles folies. Que dire de ce repas ? En ressuscitant une cuisine ancestrale, La Tour d’Argent a réussi son coup. Tout était délicieux. Bien sûr, rien ne dit que ce sera aussi parfait un autre jour, mais ce qui est pris est pris. La vue est féerique, le service du vin est très attentionné et notre sommelière a géré intelligemment les vins. Le service des plats est parfait. Comme ma marotte est le prix des vins au restaurant, il faut que La Tour d’Argent revienne à une politique tarifaire raisonnable, car c’est le seul point, mais c’est le bât qui blesse.

Le célèbre canard au sang et Notre-Dame

déjeuner au Yacht Club de France mercredi, 14 mars 2012

Les déjeuners de conscrits se répètent à un rythme un peu trop soutenu. L’un des amis nous ayant offert un déjeuner normand, c’est aujourd’hui un déjeuner breton que nous partagerons au restaurant du Yacht Club de France. Etant en avance, je me fais offrir une coupe de Champagne Billecart Salmon sans année que je trouve fort civil, avec une belle mâche bien ensoleillée.

Le menu conçu par l’équipe dynamique de ce club est : andouille de Guéméné et bouchées de saucisse bretonne / ormeaux à la purée de coco Paimpolais / Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc, beurre blanc aux algues de chez Bornier / Homard bleu du Guilvinec en aumônière de blé noir, artichauts de Bretagne glacés, sauce armoricaine / fromages bretons affinés de la maison Bornier à Saint-Malo /far breton, petites crêpes au caramel salé, gâteau breton de tradition pur beurre.

Autant dire que l’on chausse ses sabots fourrés de paillons, que l’on porte le chapeau à ruban noir, et que l’on fume la pipe longue et noire qui est capable de résister aux embruns de la Pointe du Raz. Ça bretonne à pleins poumons. L’andouille est parfaite sur le champagne. La saucisse faite par la grand-mère de Thierry Le Luc, directeur de la restauration du lieu est virile et typée. Ça arrache !

Le Muscadet Michel Brégeon 2005 est absolument superbe. Son acidité est belle, son fruit jaune est présent, et ce qui frappe, c’est sa belle cohérence. Il est fruité, gouleyant, et s’adapte parfaitement aux ormeaux et Saint-Jacques. Lorsque Thierry me sert le Cos d’Estournel 1996, le nez est d’un parfum envoûtant. Ce vin respire la noblesse, la délicatesse et l’équilibre. Et le vin est délicieux, joyeusement tannique, avec un beau fruit, une mâche abondante, et un final entraînant. C’est un très grand vin qui cohabite bien avec le homard d’une qualité idéale. Présenté fourré dans sa crêpe, il est gourmand.

Le trou breton se fait à l’Hydromel de Cornouaille Chouchen de A. Lozachmeur qui titre 13° et arrose un sorbet. Ses notes de miel sont délicieuses. Le repas se finit sur un Château Suduiraut 1998 charmant mais aussi bien charpenté, et d’un équilibre remarquable. Les gâteaux bretons sont superbes et nous donnent des semelles de plomb. Le restaurant du yacht Club de France, par sa motivation, par la recherche de produits de qualité et par l’inventivité de son équipe, nous offre des repas particulièrement raffinés.

Un repas breton, ça se voit aussi dans les détails !