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repas chez un ami avec la cuisine sublime de Jean-Philippe samedi, 19 juin 2010

Jonathan ayant quitté sa nouvelle Australie pour un court séjour parisien, il enchaîne à un rythme endiablé les grands repas. Ce soir, il nous reçoit au domicile parisien de son père, et confie la cuisine à Jean-Philippe. La salle de la cuisine est immense, toute en longueur, très haute de plafond, et équipée comme la force de frappe nucléaire française. Au moment où nous arrivons, ma femme et moi, une gentille brigade commandée par Jean-Philippe s’affaire autour de produits merveilleux.

Lorsque j’avais annoncé les deux vins que j’apporterais, Jean-Philippe, suivi par Jonathan, a fait la moue soit du snob, soit de l’enfant gâté (vous cochez la case qui vous paraît la plus appropriée). Vexé comme un pou, caractéristique caractérielle de cet insecte un peu tirée par les cheveux, je viens avec cinq bouteilles dans ma besace, en tonitruant : « à vous d’en choisir deux, puisque vous n’aimez pas mes vins ». Mais à force de vanter les mérites de chacun pour convaincre de leur pertinence, j’ai fini par ouvrir les cinq, doublant presque le nombre de vins de cette olympiade gastronomique.

Jonathan a invité deux de ses amis dont j’avais fait la connaissance chez Yvan Roux, Jean-Philippe a invité deux de ses amis que j’ai connus en diverses circonstances, et mon épouse qui redoutait un dîner où l’on parle de vins a été servie !

Pensant que démarrer par un champagne sublime est un départ trop rapide, j’ai insisté pour que l’on boive « mon » Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998 pour se faire le palais. J’y étais conduit par la présence de copeaux de saucisse de Morteau que Jean-Philippe agrémenta de mizuna. Le rose du champagne est joli, frais, alors que le champagne ne l’est pas, puisqu’il a été mis au froid tardivement. La bulle est belle et je suis agréablement surpris de voir que c’est un bon rosé. Il a de la consistance, et il manque un peu de folie. C’est un exercice de style très appréciable, mais qui ne crée pas une grande émotion. L’accord avec la saucisse est très pertinent.

Dès qu’est servi le Champagne Krug Vintage 1990, nous montons quatre à quatre les marches de l’ascenseur gustatif, et cette phrase me plaît tant elle est dans la ligne des légendaires discours du maire de Champignac. Ce champagne est d’une classe extrême, délivrant un flot de complexité dont on saisit des bribes sans jamais embrasser la totalité des messages. Le foie gras poêlé, fève Tonka et fleur de coriandre est parfait, goûteux, d’une extrême qualité. Mais ce qui est curieux, c’est que si la logique de l’accord est respectée, il n’y a aucune valeur ajoutée pour l’un comme pour l’autre. Pas de changement de niveau.

Lorsque j’avais fouiné dans la cuisine, au moment des préparatifs, j’ai mis mon nez dans une casserole pleine de coques. Et une réminiscence à l’évidence criante m’est venue : il faut Yquem pour ces coques. Jean-Philippe les avait prévues en accompagnement du cabillaud. Il fut d’accord de scinder son plat. Aussi le dos de cabillaud est-il accompagné d’épinards à la poire, sur le merveilleux Meursault 1er Cru Perrières – Domaine Coche-Dury 1997. C’est divin. Le cabillaud est un millimètre trop cuit pour mon goût, mais il est goûteux et délicieux. Le meursault a un nez de gaz paralysant. Il nettoie les narines comme on nettoie les banlieues. Et en bouche, il montre une fois de plus le talent extrême de Jean-François Coche-Dury. Ce vin est une bombe gustative, qui trouve dans le cabillaud le répondant parfait. Ce meursault aux variations nacrées, irisées, infinies est un bonheur.

Le homard, céleri, sauce à l’anis et à la réglisse est prévu pour mon chouchou, le Vin de l’Etoile, Château L’Etoile, Vandelle 1959. La chair du homard est parfaite, mais de Jean-Philippe, on s’attend à ce que l’idéal soit standard. Le trait de génie, c’est le céleri, qui apporte au vin du Jura une dimension galactique. Le plat est un rêve avec un céleri diabolique, le vin est un rêve, car il emmène dans des saveurs intouchables et le tout est un rêve.

On s’en souviendra de l’accord entre les coques au bouillon iodé et le Château d’Yquem 1986. Car la correspondance est parfaite. La coque, mais encore plus le bouillon, arrive à accrocher l’iode d’un Yquem puissant, impérieux, presque insolent de charme assumé. Je suis particulièrement heureux d’avoir suggéré cette entorse au programme, qui se justifie pleinement et donne un rare plaisir.

Le lard de Colonnata est présenté sur un pain grillé et c’est l’occasion de servir le Vin de Mascara, vin d’Algérie de Herber-Préau à Oran et à Sète, des années 40. La datation n’est pas évidente, mais le vin est sûrement entre 1930 et 1950. Son nez est impérieux, riche, costaud. En bouche, ce vin annoncé à 13° est d’une puissance certaine, d’une couleur noire, et d’une conviction indestructible. Par son côté légèrement torréfié, café et chocolat, il me fait penser au Vega Sicilia Unico. C’est un vin simple, mais d’une richesse souriante et l’accord avec la Rolls du lard est joyeux.

Tout le monde se recueille quand il nous est donné de goûter une viande transcendantale, un Wagyu, sauce au boudin noir, poêlée de girolles. Ce bœuf venu dans les bagages de Jonathan est d’une qualité qui est introuvable en Europe. On le mange comme une hostie, tant on veut communier avec ce privilège. Et, comme la chance sourit à ceux qui la méritent, nous buvons un Château Cheval Blanc 1983 qui est exceptionnel. Carafé depuis longtemps, ce vin est aérien, gracieux mais aussi noble et racé. Il emporte nos papilles en des cieux inaccessibles. Ce vin sera unanimement couronné comme le plus grand de cette soirée. La sauce crée un pont merveilleux avec le vin. Nous sommes dans l’exception gastronomique.

Lorsque nous sommes servis du Château Haut Brion 1975 le vin fait pataud, collant à la glaise alors que le précédent était sur un petit nuage. Et par la magie de l’accord avec le ris de veau à la cubaine, le vin gagne en hauteur de façon spectaculaire. Cette transformation est inouïe. Le ris est d’une qualité extrême et l’accord crée de la valeur ajoutée.

Le quasi de veau basse température, est accompagnée d’une sauce que Jean-philippe aime à appeler Grand Cru, alors qu’il n’y a pas une goutte de vin. Cette sauce est rose, et la petite pointe de framboise rappelle l’odeur des bondes de fûts en Bourgogne. Ce plat est le velours qui convient au Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1973. Tout en ce vin est subtil, mais un peu timide. On sent qu’il a des choses à dire, mais qu’il reste sur le pas de la porte pour ne pas déranger. C’est un grand vin mais qui joue un peu discrètement malgré la sauce divine qui lui va comme un gant.

Le suprême de pigeon à la goutte de sang, poêlée de févettes est une merveille de la cuisine de Jean-Philippe. En lui associant un Ermitage "Le Pavillon" M. Chapoutier 1991, on sait qu’on a acheté un ticket gagnant. Le vin est sûr de lui, lisible comme une évidence, plein, équilibré, parfait. Et le plat n’a pas besoin de faire d’effort pour coller à lui comme tenon et mortaise. C’est de la gastronomie pullman, fondée sur une dextérité du cuisinier et du vigneron.

Le Stilton est goûteux. Peut-être un peu trop fort et trop salé, mais goûteux. Il en faudrait plus pour faire vaciller le Château d’Yquem 1986 qui est toujours un roc, dans la définition d’un Yquem puissant, archétypal.

Et ce qui est intéressant, c’est que l’Yquem ne porte pas du tout ombrage au Château Filhot 1972 dont le nez était renversant à l’ouverture, avec des notes de poivre et de menthol. La raviole de mangue au pamplemousse rose est née pour Filhot. Dès que je goûte, je demande à Jean-Philippe d’ajouter une jetée de poivre sur la mangue, car le Filhot appelle ce poivre. Et l’accord est merveilleux, confondant, au point que l’on ne sait pas si le goût vient du mets ou du vin. Le Filhot 1972, ayant mangé une partie de son sucre, donne une image du sauternes frais et délicat qui est aussi merveilleuse que celle de l’Yquem, plus guerrier et conquérant.

La tarte Tatin du pâtissier fétiche de Jean-Philippe est bonne, mais elle n’ajoute rien au sauternes. J’aurais aimé qu’on double la portion de mangue plutôt que ce très bon dessert.

L’ennui, quand on « fait du social » en invitant le cuisinier à table, c’est que quand il est à table, il n’est pas en cuisine. Aussi est-ce vers trois heures du matin que nous avons fini un repas qui restera dans nos mémoires comme un moment de justesse culinaire extrême et de choix de vins variés faisant voyager nos papilles dans des jungles inviolées. Quand on y rajoute la mayonnaise de l’amitié souriante et joyeuse, on est très proche du bonheur parfait.

dîner chez un ami – les plats samedi, 19 juin 2010

Cette photo rend bien l’atmosphère de laboratoire qui règne dans la cuisine

Saucisse de Morteau et mizuna – Foie gras poêlé, fève Tonka et fleur de coriandre – Dos de cabillaud, épinards à la poire

Homard, céleri, sauce à l’anis et la réglisse – Coques, bouillon iodé – Lard de Colonnata et pain grillé (deux plats sans photo hélas)

Wagyu, sauce au boudin noir, poêlée de girolles – Ris de veau à la cubaine (pas de photo) – Quasi de veau basse température, sauce Grand Cru (photo à la dernière bouchée, mais au moins, on voit la sauce grand cru)

Suprême de pigeon à la goutte de sang, poêlée de févettes – Stilton – Ravioles de mangue au pamplemousse rose – Tarte tatin

Astrance – les photos mardi, 15 juin 2010

Brioche tiède, beurre romarin et citron

Palet amande et pomme verte au praliné

Velouté de petits pois, yaourt au gingembre, mousse curcuma et cardamome

Foie gras mariné au verjus, galette de champignon de Paris, pâte de citron confit

Nage de légumes de Printemps, homard poché, herbes et fleurs sauvages

Asperges blanches, coulis de citron, amandes caramélisées, orange amer, cumin

Turbot vapeur, girolles aux amandes et abricot, arroche

Travers de cochon fermier laqué, petits pois cuisinés au Chorizo

Selle d’agneau grillée, chou pointu au soja noir, condiment curry noir et ail noir

Piment et citronnelle en sorbet

Cappuccino amande, feuille de riz grillé, cerises au Kirsh

Sorbet au sureau et gelée de sureau

Tartelette framboise, crème au thé vert

Lait de poule au jasmin

Fruits frais

Madeleines au miel de châtaignier

Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1997

Corton-Charlemagne Coche-Dury 2003

Chateau de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin Chateauneuf-du-Pape 2000

Paris sera toujours Paris !

dîner d’amis à l’Astrance mardi, 15 juin 2010

Jonathan était parti en Australie il y a neuf mois. Il revient à Paris, avide de sensations de bonne chère et de beaux vins. Nous nous retrouvons à trois avec Jean-Philippe au restaurant Astrance. Jean-Philippe nous a prévenus de son arrivée tardive, aussi, quand il se présente, le choix des vins est fait depuis longtemps.

La carte des vins composée par Alexandre, le sommelier, est intelligente, et il y a de belles pépites qui ne demandent qu’un orpailleur. Le champagne Philipponnat Clos des Goisses 1997 est vraiment très jeune. Il a des esquisses de pommes, aussi quand il est associé avec le palet amande et pomme verte au praliné, ça ne va pas du tout, comme dans un accord ton sur ton trop frigide. A l’inverse, sur la miraculeuse brioche tiède, beurre romarin et citron, le champagne trouve une assise plaisante. Mais globalement, il manque d’équilibre et de coffre. Sur le velouté de petits pois, yaourt au gingembre, mousse curcuma et cardamome, plat que je trouve d’une délicatesse majeure, le champagne fait bonne figure. Le plat suivant est le foie gras mariné au verjus, galette de champignon de Paris, pâte de citron confit. Il a un goût de « déjà vu » (en anglais dans le texte). Pascal Barbot qui déborde de créativité pourrait réinventer ce plat, sauf s’il tient à attacher un pilier symbolique à son restaurant. Le champagne suit poliment.

Sur la nage de légumes de printemps, homard poché, herbes et fleurs sauvages, Alexandre pense que le champagne se justifie, mais nous avons soif du Corton-Charlemagne Coche Dury 2003. Alexandre a raison sur certaines composantes du plat, dont le bouillon qui magnifie le champagne que je trouve un peu faible alors que je suis un fan de Clos des Goisses. Mais sur la chair du homard, c’est le Corton-Charlemagne qu’il nous faut ! Le nez de ce vin est terrifiant de suprématie. On le sent comme un Attila prêt à kärcheriser toutes les plaines de France. Ce qui me fascine, c’est qu’au-delà du poivre, on sent de la menthe dans ce vin à la folle fraîcheur. Le plat est bon, mais le vin capture notre attention. Chaque gorgée est une découverte nouvelle. Jamais nous ne pourrons saisir toutes ses facettes. Il y a du fort citron, sur des épices rares, et une longueur inespérée. C’est un cadeau du ciel qui repousse dans les 18 mètres tout autre vin blanc.

Les asperges blanches, coulis de citron, amandes caramélisées, orange amère, cumin sont magnifiquement faites, et ce sont les amandes qui captent l’attention du vin.

C’est avec le turbot vapeur, girolles aux amandes, abricot et arroche que le Corton-Charlemagne prend sa véritable dimension. Le vin est irréellement bon. Et le plat ne lui rend aucun point. Un turbot comme celui-ci est à se damner, car s’il a la texture d’un turbot, il n’en a pas la pesanteur. C’est un exercice de style d’une rare délicatesse.

Alors qu’il eût fallu continuer avec le blanc sur le travers de cochon fermier laqué, petits pois cuisinés au chorizo, c’est sur le Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 2000 que nous prenons de plein fouet le gras délicieux du porc et la force pénétrante du chorizo. Le nez du vin rouge est d’une richesse joyeuse. C’est une affirmation en coup de poing. En bouche, ce vin délicieux est quand même désavantagé par la mémoire du vin de Coche Dury.

Heureusement, la selle d’agneau grillée, chou pointu au soja noir, condiment curry noir et ail noir, le plus beau plat à mon goût, surtout à cause du chou fumé comme au feu de bois, permet au Châteauneuf de trouver son assise, riche, simple, lisible et de briller. C’est un vin riche, doucereux dans son expression, assez simplifié, de grand plaisir. Il met encore plus en valeur la brillante complexité du Coche-Dury.

Nous attendions une suite pour finir le vin rouge, mais la messe était dite, avec des délicatesses de fin de repas : piment et citronnelle en sorbet / Cappuccino amande, feuille de riz grillé, cerises au Kirsch / Sorbet au sureau et gelée de sureau / Tartelette framboise, crème au thé vert / Lait de poule au jasmin / Fruits frais / Madeleines au miel de châtaignier.

Pascal Barbot a fait une fois de plus la démonstration de son immense talent, surtout avec deux plats, le turbot et l’agneau. Des trois vins, c’est de loin le Corton-Charlemagne qui a démontré qu’il est capable de rivaliser avec la dextérité de Pascal Barbot. Lequel des deux est le plus complexe ? En une période où la France débute par des matchs nuls, nous les mettrons ex aequo, Pascal et Jean-François Coche-Dury.

Nous avons passé un moment de rêve, avec des accords chair et vin ou sauce et vin délicats à merveille. J’ai eu ce soir, au-delà du plaisir de l’amitié, de grands moments de jouissance, quand plat et vin se complètent en une harmonie subtile, où chaque saveur ajoute une strophe au poème gastronomique. Turbot et Corton Charlemagne, puis chou fumé et Hommage à Jacques Perrin, ce sont deux mariages de la plus haute gastronomie.

Rayas à la Grande Cascade lundi, 14 juin 2010

Déjeuner au restaurant de la Grande Cascade à mi-juin, c’est l’espoir d’être en terrasse, face aux arbres centenaires. Raté ! Il y a trop de nuages lourds. Mais la salle est si belle que la souffrance n’est pas vive. L’atmosphère de ce restaurant est toujours agréable, dépaysante, hors du temps.

Le vin choisi pour ce repas est un Château Rayas, Châteauneuf-du-Pape 2001. Sur un amuse bouche où des asperges sont plongées dans une émulsion crémeuse, le Rayas cohabite bien. Car rien dans le plat ne crée en lui une répulsion.

Sur une entrée aux morilles, sot-l’y-laisse et ris de veau, avec une sauce crémée tendue par un léger vin jaune, le Rayas, au nez follement bourguignon mais à la bouche rhodanienne gagne une opulence, une assise et une maîtrise spectaculaires.

Sur un pigeon à la chair douce et intense, le Rayas expose noblesse et raffinement. Il est immense. Les quelques gouttes restantes ne gagnent rien à être associées à un saint-nectaire qui laisse le vin indifférent.

Ce vin me plait énormément car il est insaisissable. Chaque gorgée est une nouveauté. Bien sûr, il y a un squelette de vin structuré sur l’élégance, avec une légère amertume. Mais le vin est capable de changer. Opulent sur la morille, raffiné sur la chair du pigeon, ce vin qui ne cesse de surprendre plait à mon cœur.

40 ans fêtés de façon bucolique samedi, 12 juin 2010

Mon gendre a quarante ans. C’est l’occasion pour lui de recevoir famille et amis. Nous sommes à l’orée de la forêt de Fontainebleau, là où ça sent le cheval, l’herbe et le mouton. Nous sommes nombreux, l’assemblée comptant une majorité de couples congénères de Guillaume, avec beaucoup de chères têtes blondes. Les seuls chenus sont les parents ou beaux-parents. Le Champagne Henriot coule à flots en magnums, que ce soit du millésime 1995 ou du millésime 1996 et nous sommes tous sous l’enchantement, si l’on veut bien comprendre l’allusion directe que contient cette phrase.

Le 1996 est plus grand, mais la constante des deux est d’être des champagnes naturellement plaisants. Le champagne Henriot se boit bien, donne du bonheur, et on en redemande. L’année 1970 est un prétexte à ouvrir des vins de cette année. J’ai apporté Château Meyney 1970 qui a été rebouché par Cordier en 1996. Ce vin est très plaisant, bien charpenté mais sans grande émotion. Il se boit bien. Quelques membres d’une secte, triés sur le volet, peuvent goûter un Château Margaux, 1er GCC Margaux 1970 en magnum que j’ai apporté pour mon gendre. On mesure par comparaison à quel point un grand vin, c’est un grand vin. Il y a une texture chatoyante, une sérénité veloutée, qui signent le niveau de premier grand cru classé. Les discussions sont animées, on se gèle sous les merisiers. Alors on boit, ce qui accentue l’impression de froid.

Un grand moment de bonheur, c’est quand arrive l’Ispahan, le dessert de Pierre Hermé à base de framboise et de rose. L’association de ce dessert diabolique avec un Gewurztraminer n’est pas seulement diabolique, elle est infernale, tentation ultime d’un soir d’été dont la chaleur ne vient que de l’affection et de l’amitié.

Au bord de la mer – photos dimanche, 23 mai 2010

Deux vivaneaux qui attendent d’être cuits. Entre eux le Jort, camembert essayé sur le champagne Henriot

Champagne Henriot 1996 en magnum

les toasts au foie gras poêlés de mon épouse

Château La Conseillante 1981 et Le Corton Bouchard Père et Fils 1988

Coteaux du Layon Villages Domaine Lecomte 1990

premier dîner de l’année en plein air face à la mer dimanche, 23 mai 2010

Cette journée de mai est certainement la plus chaude depuis le début de l’année. Nous sommes invités chez des amis, et ce que nous avons proposé, c’est que je prenne en charge les vins et que ma femme compose tous les mets de l’apéritif. C’est la première fois de l’année que nous dînons dehors, face à la mer.

Le Champagne Henriot magnum 1996 a une magnifique couleur dorée. Le nez est intense, et comme souvent le goût est celui de la couleur, c’est-à-dire des fruits jaunes. Sur des petits toasts au foie gras poêlé, le champagne est d’une grande douceur. Et il épouse le foie gras en trouvant une belle longueur. Sur une pâte brisée aux sardines broyées, le champagne prend de la hauteur. Il gagne en intensité et en richesse mais perd un peu de sa longueur. Sur des palets au parmesan, c’est sans doute ainsi que le champagne trouve sa personnalité, combinant la densité et le doucereux. Un camembert Jort coulant est mangé à la petite cuiller. L’accord est intéressant sans être vibrant. Une tarte à l’oignon est assez excitante, car l’oignon est à la fois sucré et salé. Il titille bien le champagne. Je dirais que dans tout ce qu’a préparé ma femme, la complémentarité avec le champagne Henriot est, selon mes préférences, la sardine, le foie gras et le parmesan.

Notre ami Claude a préparé deux beaux vivaneaux roses, pour lesquels j’ai apporté Château La Conseillante 1981. Ce millésime est souvent considéré comme neutre et limité, aussi la vivacité de ce vin est surprenante. La couleur du vin est d’une folle jeunesse, d’un rouge rubis et le niveau est haut dans le goulot. Le nez est typique de pomerol, et il se confirme une fois de plus que les pomerols épousent les poissons roses à la perfection. Je suis très étonné de la richesse et de la matière de ce vin de 1981, qui est mis en valeur par le poisson de façon saisissante.

Le vin qui est prévu pour la suite est Le Corton Grand Cru Bouchard Père & Fils 1998. Nous l’essayons sur le poisson et c’est évident qu’il y a un rejet très net. C’est sur les fromages que nous jouissons de l’extrême fruité de ce vin, dont je n’attendais pas autant de fruits rouges et noirs. Encore jeune, ce vin est joyeux, de belle mâche. C’est sur un fromage de brebis des Pyrénées très jeune, donc faiblement typé, que le vin s’est délicieusement épanché.

Le dessert qui m’avait été annoncé était une glace de chez Ré à Hyères, sans qu’on me dise le parfum. Ma femme avait préparé de délicieux palets au sucre. La glace est à la vanille, traitée de façon très légère.

Le Coteaux du layon Village Domaine Lecomte 1990 met un sourire sur tous les visages. Ce vin est délicat. Il est doux, et tout en finesse. Tout est suggéré, raffiné, enveloppant de douceur romantique. C’est un vin éminemment agréable, un vrai vin de dessert.

Alors qu’il était bien tard, le froid humide de la nuit est tombé d’un coup, nous obligeant à mettre de chauds pull-overs. Nous n’avons pas voté pour les vins mais il est tentant de les classer non pas sur la valeur intrinsèque, qui mettrait Le Corton en premier, mais sur l’adéquation des vins au moment et au repas. Et cela donne : 1 – Coteaux du Layon Village, 2 – La Conseillante, 3- Champagne Henriot et 4 – Le Corton. Ce repas préfigure avec brio les futures fêtes de l’été.

dîner chez Yvan Roux vendredi, 21 mai 2010

Une dégustation chez Krug, un repas dans un grand restaurant, ma journée aurait dû s’arrêter là ! Or, me trouvant le soir à l’aéroport pour aller dans le sud, je rencontre un ami, sa femme et ses enfants qui vont prendre le même avion que moi. Ils vont dîner ce soir chez Yvan Roux où ils retrouveront un autre ami qui m’avait demandé de passer chez Yvan.

Nous voilà donc à 22h40, du fait du retard de l’avion pour un dîner chez Yvan Roux. J’annonce d’emblée : je ne mangerai quasiment rien et même chose pour la boisson. Mais hélas, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Car une assiette de chorizo fait avec du Pata Negra et une coupe de Champagne Laurent Perrier Grand Siècle sont capables de briser toutes les résistances. Le champagne n’a pas la complexité de Krug, mais c’est un champagne de soif. Et que faire quand il y a des tranches de chorizo ? Boire !

Yvan nous montre un immense homard qui va permettre de faire des portions pantagruéliques. La cuisson est divine et l’accompagnement de feuilles d’épinard et une sauce au curry se mange à part, avec gourmandise. Pour le mérou accompagné par une purée d’aubergines, nous avons bu un « R » de Rimauresq Côtes de Provence magnum 2005. Ce vin puissant, riche, avec une râpe typée et gourmande accompagne bien le poisson. Et c’est la râpe qui s’accroche bien à la chair intense du poisson.

C’est tard dans la nuit que nous avons quitté la table d’hôtes d’Yvan Roux, avec le plaisir de nous être enivrés de promesses d’été.