Archives de catégorie : dîners ou repas privés

la solidarité des chaudières !! dimanche, 21 février 2010

(lire le sujet du 20 Février avant celui-ci)

Le lendemain midi, les mêmes se retrouvent à notre domicile. Je suis allé dans ma cave pour choisir du vin, et voyant un carton qui n’est pas ouvert, j’ai la curiosité de l’ouvrir. Dedans, trois bouteilles d’un Châteauneuf-du-Pape. Comment et pourquoi ai-je acquis ce vin, je n’en ai aucune idée.

Les enfants et petits-enfants arrivent, et il faut organiser les vins. Guillaume descend en cave avec moi et préfère explorer un vieux champagne. Dans une zone où j’ai des Mumm 1937 il sort une bouteille. Je pense qu’il s’agit d’un Mumm 1937 mais en fait c’est un Champagne Mumm Cordon Rouge sans année. Compte tenu des torsades du fil du muselet, des couleurs et des blessures, ce champagne doit être des années 30. Je constate qu’il a une belle couleur et un beau niveau. Ce sera donc le champagne du repas. Nous commençons à grignoter des noisettes sur ce champagne à la couleur de pêche, au parfum délicat qui ne montre aucune déviance, et au goût charmant et romantique comme un tableau d’Elizabeth Vigée-Le Brun. Il y a du fruit frais orangé comme la pêche fraîche, une bulle active, un pétillant joyeux et un équilibre ravissant. C’est le 18ème siècle galant.

Guillaume cuit des coquilles Saint-jacques, coquille d’abord et corail ensuite. La coquille s’accouple en délicatesse avec le champagne joyeux. Sur le corail, qui conviendrait aussi au champagne, nous essayons le Châteauneuf-du-Pape Ch. Bader-Mimeur 1961. Je n’ai jamais entendu parler de ce négociant installé au Château de Chassagne-Montrachet. La couleur du vin dans les verres Riedel est très belle. Le parfum est franc, précis. En bouche, ce qui frappe instantanément, c’est le velours. Ce vin est velouté, charmant, enveloppant, avec une force alcoolique non négligeable. Les coraux sont d’une finesse extrême, créée par une cuisson au millième de degré.

Le plat principal est un gigot d’agneau cuit à basse température avec des haricots blancs et des petits légumes. La chair de l’agneau est d’une intensité fondante, ce qui accentue le velouté du vin. Dans une telle délicatesse de sensations on remarque que le vin est légèrement influencé par un petit coup de chaud antérieur. Mais le plaisir est complet.

Une salade de fruits rouges et noirs n’accompagne aucun vin. Une sieste informelle et impérieuse suit ces agapes. Au réveil, je constate que la vengeance est un plat qui se mange effectivement froid, au sens propre du terme, car ayant ironisé sur la chaudière de mes enfants, je constate que notre chaudière hyper sophistiquée de moins d’un an est absente. La complexité des cadrans interdit toute manipulation de redémarrage. Un dimanche après-midi et probablement encore toute la nuit, nous allons rêver du sketch de Fernand Raynaud : « c’est le plombier ».

Une maison dans la forêt samedi, 20 février 2010

Ma fille cadette a depuis de nombreuses années pris le virage bio. Et c’est une prosélyte, car les produits bios gagnent du terrain dans notre entourage et dans nos assiettes. Avec son mari, ils ont acquis une maison au bord d’une des plus belles forêts de France. Je leur rends visite pour la première fois dans la nouvelle demeure champêtre. J’ai pris ce matin une bouteille dans ma cave pour fêter cette découverte. Quand on est « bio », l’idée qu’une chaudière fonctionne mieux lorsqu’il y a du fuel dans la citerne est d’un matérialisme rétrograde. Aussi n’est-il pas question de quitter polaire ou bonnet. Dans cette atmosphère que seul l’amour familial réchauffe, mon gendre ouvre un Champagne Krug Grande Cuvée sans année, qui doit être très récent. Une terrine de foie gras permet au champagne de s’épanouir. Il a la belle personnalité de Krug.

J’ouvre le vin que j’ai apporté qui est encore froid. Dès que le bouchon sort du goulot, un parfum précieux envahit l’espace. Le Château Mouton Rothschild 1990 exhale une odeur riche et élégante. En bouche, le vin frais est extrêmement plaisant, car le froid met en valeur sa jeunesse. Sur le foie gras, le bordeaux est goûteux, ainsi que sur une potée de légumes savoureuse. Et le souvenir du Mouton 1962 bu il y a deux jours me revient, avec l’évidence d’une similitude de goût, et de solidité de trame.

Nous grignotons debout, pour ne pas ankyloser nos jambes. Les petits-enfants n’appréciant pas trop ces températures hivernales, nous avons tous levé le camp pour revenir dans nos nids douillets respectifs.

RESTAURANT APICIUS mercredi, 17 février 2010

Périodiquement, un déjeuner réunit ma sœur, mon frère et moi. Il n’existe aucun autre cercle où nous nous connaîtrions depuis si longtemps.

C’est à mon tour d’inviter et mon choix s’est porté sur le restaurant Apicius où la cuisine de Jean-Pierre Vigato s’exprime dans l’écrin le plus élégant de la capitale. Les couleurs, les tons, les éclairages, les objets, tout est ravissant.

Jean-Pierre Vigato selon une tradition dont je ne suis pas nécessairement adepte vient proposer des plats hors carte, où la truffe abonde. Nos choix sont parfois différents. L’œuf à la truffe est délicieux, car la truffe embaume, et l’agneau, dans sa simplicité est une merveille.

Ai-je le palais moins amène, je ne sais, mais le Champagne Henriot 1996 que j’adore me parle moins aujourd’hui. C’est un solide champagne à l’orthodoxie rassurante, mais comme dirait Audiard, « y cause pas ». Et ce doit être moi qui suis aujourd’hui embrumé car le Châteauneuf-du-Pape Beaucastel 2003, petite merveille de joie de vivre, me semble scolairement parfait, mais sans vibrato. Mettons cela sur le temps ou mon humeur, car ces deux vins valent plus que ce que j’en ai perçu.

Déjeuner au restaurant Apicius est un ravissement.

Krug et Enfant Jésus au restaurant Laurent jeudi, 11 février 2010

Quand des événements s’enchaînent comme si un ange gardien s’amusait à les entremêler, j’en goûte le sel comme celui d’une impérieuse intrigue. Un couple de japonais s’est inscrit à de multiples reprises à mes dîners. L’amitié s’est construite au fil des repas, et l’idée d’un voyage au Japon a germé. Pour en parler, il faut un déjeuner. J’ai réservé une table au restaurant Laurent, et nos deux couples vont s’y retrouver.

Le matin, un ami journaliste du vin m’appelle au sujet d’un film qu’il réalise sur un prestigieux domaine de vin. Ce film est coproduit par une chaîne de télévision japonaise. L’ami me dit : « j’aimerais bien qu’en début de film on vous voie déguster l’un des vins du domaine. Avez-vous un ami japonais avec qui partager ce vin rare ? ». Alors qu’il s’attend à une hésitation de ma part, je lui réponds : « je déjeune avec lui ce midi ».Au restaurant Laurent, tout est fait pour nous plaire. Dans le hall d’entrée et d’accueil, nous commençons par un Champagne Krug 1988. C’est un champagne que j’ai bu de nombreuses fois. Est-ce l’atmosphère, je ne sais, mais il me semble le plus abouti, le plus conquérant de tous ceux que j’ai bus. Après les champagnes de la veille avec mes conscrits, le saut gustatif est invraisemblable. Il y a les honnêtes champagnes, les grands champagnes, et puis, loin dans le ciel de la hiérarchie, il y a Krug 1988. Ce champagne est aujourd’hui au sommet de son art, bulldozer gustatif qui pousse les papilles dans leur dernier retranchement. La longueur est infinie, et l’impression de richesse impressionnerait les traders les plus aventureux.

Sur les petits sticks au saumon, le champagne frétille. Sur l’entrée que nous avons choisie, il crée une passerelle extraordinaire. Le foie gras de canard poêlé, crème de lentilles fumées au lard est exceptionnel de précision. Et le Krug s’appuie sur le gras de la lentille pour résonner avec la légèreté du foie. C’est délicieux.

Pour la caille préparée façon « bécassine » et les macaronis gratinés, j’ai commandé un Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 2005. J’ai exploré ce vin sur un siècle et demi, et je suis sensible à son originalité. J’ai pleine conscience que c’est un crime de le boire aussi jeune, tant il est sûr qu’il progressera, mais 2005 est une année tellement exceptionnelle que le plaisir doit être au rendez-vous. Il l’est, et bien au-delà de ce que je pouvais imaginer. Ce vin chante la joie. Il y a du bois, qui s’exprime avec talent, un gouleyant de première grandeur, une générosité qui dépasse les canons de la Bourgogne, et au bout du compte, ce vin s’épanouit en bouche, la remplit de joie, et l’on tombe sous le charme d’un vin parfaitement réussi. On est largement au dessus de mes attentes, et avec l’ami japonais, nous ne cessons de nous lancer des œillades de ceux qui savent qu’ils tutoient le divin. Car ce Jésus-là marie toutes les religions. Il nous faut un saint-nectaire pour finir le vin que seuls les hommes boivent, nos femmes ayant été soumises à la burqa œnologique.

Il est évident que le restaurant Laurent mérite de retrouver sa deuxième étoile. Cela ne peut tarder.

Les légumes en entrée évoquent la très jolie couverture du livre sur le restaurant Laurent

Les cailles

déjeuner de conscrits au siège du Yacht club de France mercredi, 10 février 2010

Encore un déjeuner de conscrits, au siège du Yacht club de France. Un champagne sans âme et un autre, un Champagne Louis Roederer, qui pétille de plus d’esprit. La salle est belle, la forme de la table est parfaite pour neuf conscrits. La discussion intellectualise notre structuration. Même si c’est remarquablement orchestré, cette réflexion sur ce qui devrait être spontané m’ennuie. Le chef est plus inspiré sur un magnifique charolais que sur un homard un peu fade. Le Château Talbot 1998 est encore coincé, mais je décèle des potentialités à long terme qui font un vin de garde. Le Château Beychevelle 1998 est beaucoup plus amène, plaisant et rassurant. A terme, quel sera le plus beau ? Je ne serais pas loin de parier sur le Talbot, même si autour de la table, le Beychevelle recueille les suffrages. La neige aux lourds flocons qui fond doucement sur Paris donne à la belle salle du Yacht Club un petit air de Noël. Nous avons vite pris date pour être à nouveau ensemble.

Chez Yvan Roux, les photos dimanche, 31 janvier 2010

Pata Negra

calamars et seiches

pagre

soufflé et sorbet

Châteauneuf-du-Pape Yves Chastan 1967 (il est difficile de dire si c’est 1967 ou 1957 car le haut du chiffre est presque horizontal et droit au lieu d’être arrondi). On note le beau bouchon qui n’a malgré tout pas gardé tout le liquide.

Châteauneuf-du-Pape Domaine de l’Arnesque, Julien Biscarrat & Fils 1991

Un avion fend le ciel au dessus de la baie et du tombolo de Giens

Yvan Roux, suite ! dimanche, 31 janvier 2010

La couvaison n’aura pas duré bien longtemps. Car dans la chaleur communicative du dîner, nous avions pris rendez-vous pour déjeuner le lendemain chez Yvan Roux. Le soleil est radieux, les couleurs de la mer sur la rade de Giens sont magnifiques. Babette ouvre un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle pour que nous dégustions une chiffonnade de « Pata Negra » absolument délicieuse. C’est vraiment ainsi que ce champagne trouve son sens. Mais malgré tout, le message un peu monolithique peine à maintenir l’attention. Suis-je saturé par ce champagne que je connais par cœur ? Il faudrait sans doute en boire de plus âgés.

Le menu composé par Yvan pour ce jour est ainsi rédigé : fricassée de seiches et de calamars / tombée de pousses d’épinards aux petites crevettes décortiquées, à l’échalote et ail confit, et le pavé de pagre à l’unilatérale / soufflé à la vanille de Madagascar et sorbet framboise. Comme hier les cuissons sont spectaculaires, les goûts sont d’une rare finesse dans leur simplicité.

J’ai apporté deux vins qui sont des achats de hasard. Le Châteauneuf-du-Pape Yves Chastan 1967 a perdu de son niveau dans la bouteille, fort teintée d’une lie collante. Ouvert au dernier moment le vin est d’une acidité marquée qui disparaît très vite. Je m’habitue à ce vin qui n’est pas déplaisant, mais je sens que mes amis accrochent moins à son goût de vin ancien. J’ouvre donc un Châteauneuf-du-Pape Domaine de l’Arnesque, Julien Biscarrat & Fils 1991. Effectivement on se raccroche aux saveurs infiniment plus amènes d’un Châteauneuf-du-Pape de 14° tout de même.

La chair du pagre est très prononcée. J’avais peur que les épinards ne luttent contre les rouges, mais en fait, traités en douceur, ils jouent de velours avec eux. La mission que je m’étais fixée est accomplie : le retour en France, dans notre douce France, par un soleil de rêve, est définitivement réussi.

des cigalons chez Yvan Roux dimanche, 31 janvier 2010

Pour un vrai retour en France, il nous fallait un détour dans notre maison du sud. Yvan Roux m’annonce qu’il a des cigalons, qui sont aujourd’hui les mets que je recherche le plus. Nous appelons des amis. Je cherche en cave des vins que j’ai envie de boire. Laissons-nous aller.

Les amis arrivent à la maison. Des petits toasts au foie gras attendent un champagne. J’ai ouvert un Champagne Salon 1983, année difficile pour Salon. Je ne l’ai pas bue depuis plusieurs années. Comment a-t-elle évolué ? Le bouchon est impeccable, souple et puissant, ce qui me fait plaisir. Si l’on a pris le soin de prendre de bons lièges, c’est un signe positif. La bulle est très active, la couleur est d’un or sympathique. Tout s’annonce bien. Dès la première gorgée, on sent que l’on a affaire à un champagne atypique. Le caractère vineux est dominant. L’âge est sensible, et l’on comprend pourquoi ce vin a pu être jugé faible, car il y a un petit creux dans la densité. Mais la compensation existe largement quand l’on écoute le discours fumé d’un champagne vineux, fort, puissant et d’une longueur appréciable.

Nous allons chez Yvan Roux, et dans la cuisine, les fruits de la mer attendent notre gourmandise. Dans une assiette, trois éléments : une friture de petits souclets, des alevins de seiches sans os et des petits crabes de posidonies frits. Tout cela se croque avec bonheur sur un Meursault Clos de la Barre Domaine Comtes Lafon 2000. Le vin est très attendu. C’est-à-dire que la richesse onctueuse d’un vin polymorphe est exactement ce que j’espérais. Mais ce qui frappe, avec une évidence marquée, c’est la longueur du vin. Quand il pianote en début de bouche, on sent ce qu’il veut dire. Et dès qu’il prolonge les aiguilles du temps, on sent qu’il en dit un peu plus. C’est un grand vin.

Le point d’orgue de notre dîner, ce sont les cigalons qu’Yvan a mariés à de l’ail confit. Sur ce plat, deux vins rouges : un Clos de la Roche Armand Rousseau 2002 et un Clos de la Roche Dujac 2002. L’idée de mettre côte à côte ces deux vins m’est apparue ludique. Les cigalons sont transcendantaux. Parmi tous les goûts que je côtoie, le plus fort, le plus excitant aujourd’hui, car nul ne sait de quoi demain sera fait, c’est celui des cigalons. Et, si j’osais le dire, ce sont les cigalons cuits par Yvan.

Rien n’est plus dissemblable que le goût de ces deux Clos de la Roche. Il y a dans le Dujac un côté séducteur, charmant, puissant, flatteur, qui peut convaincre. Et ma voisine et amie est séduite. Mais le Rousseau résume complètement l’identité pure de la Bourgogne. Le charme moderne est chez Dujac. L’authenticité profonde est chez Rousseau. Les deux vins sont grands, mais mon cœur balance vers Rousseau. Les deux vins sont en symbiose avec les cigalons. Je vis un moment grandiose.

Yvan nous sert un carpaccio de pageot à l’huile d’olive et suprêmes de pomelos. La chair du pageot est sublime. Les rouges s’en accommodent bien, du moins ce qu’il en reste, si l’on oublie les pomelos pour n’en conserver que leur trace suggestive. Pour le soufflé à la vanille de Madagascar, mon ami commande un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle. Le soufflé est expressif et aérien. Le Laurent Perrier se place dans son sillage. S’il n’y a pas la complexité du Salon, il y a un plaisir de vivre qui se communique.

Lorsque nos amis nous quittent, je pense à ce dîner. Il y a eu exactement ce que je recherche. A tout moment, il n’y a eu que le goût pur. Pas la moindre fioriture. Le goût pour le goût, avec des cuissons d’une justesse extrême. Je touche à ce que j’aime. Et les vins que j’ai mis à leur contact répondent présents. C’est un plaisir ultime que je veux couver pour longtemps.

dîner chez Yvan Roux photos samedi, 30 janvier 2010

Champagne Salon 1983

Un bouchon splendide

Souclets, petits crabes et alevins de seiches

Meursault Clos de la Barre Domaine Comtes Lafon 2000

Clos de la Roche Domaine Dujac 2002

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 2002

Petites crevettes roses

Les cigalons, objet de ma convoitise

Carpaccio de pageot

Trois vins que j’apprécie

Soufflé à la vanille

Les bouchons des deux Clos de la Roche

Un hippocampe dans les filets, c’est un porte-bonheur