des cigalons chez Yvan Rouxdimanche, 31 janvier 2010

Pour un vrai retour en France, il nous fallait un détour dans notre maison du sud. Yvan Roux m’annonce qu’il a des cigalons, qui sont aujourd’hui les mets que je recherche le plus. Nous appelons des amis. Je cherche en cave des vins que j’ai envie de boire. Laissons-nous aller.

Les amis arrivent à la maison. Des petits toasts au foie gras attendent un champagne. J’ai ouvert un Champagne Salon 1983, année difficile pour Salon. Je ne l’ai pas bue depuis plusieurs années. Comment a-t-elle évolué ? Le bouchon est impeccable, souple et puissant, ce qui me fait plaisir. Si l’on a pris le soin de prendre de bons lièges, c’est un signe positif. La bulle est très active, la couleur est d’un or sympathique. Tout s’annonce bien. Dès la première gorgée, on sent que l’on a affaire à un champagne atypique. Le caractère vineux est dominant. L’âge est sensible, et l’on comprend pourquoi ce vin a pu être jugé faible, car il y a un petit creux dans la densité. Mais la compensation existe largement quand l’on écoute le discours fumé d’un champagne vineux, fort, puissant et d’une longueur appréciable.

Nous allons chez Yvan Roux, et dans la cuisine, les fruits de la mer attendent notre gourmandise. Dans une assiette, trois éléments : une friture de petits souclets, des alevins de seiches sans os et des petits crabes de posidonies frits. Tout cela se croque avec bonheur sur un Meursault Clos de la Barre Domaine Comtes Lafon 2000. Le vin est très attendu. C’est-à-dire que la richesse onctueuse d’un vin polymorphe est exactement ce que j’espérais. Mais ce qui frappe, avec une évidence marquée, c’est la longueur du vin. Quand il pianote en début de bouche, on sent ce qu’il veut dire. Et dès qu’il prolonge les aiguilles du temps, on sent qu’il en dit un peu plus. C’est un grand vin.

Le point d’orgue de notre dîner, ce sont les cigalons qu’Yvan a mariés à de l’ail confit. Sur ce plat, deux vins rouges : un Clos de la Roche Armand Rousseau 2002 et un Clos de la Roche Dujac 2002. L’idée de mettre côte à côte ces deux vins m’est apparue ludique. Les cigalons sont transcendantaux. Parmi tous les goûts que je côtoie, le plus fort, le plus excitant aujourd’hui, car nul ne sait de quoi demain sera fait, c’est celui des cigalons. Et, si j’osais le dire, ce sont les cigalons cuits par Yvan.

Rien n’est plus dissemblable que le goût de ces deux Clos de la Roche. Il y a dans le Dujac un côté séducteur, charmant, puissant, flatteur, qui peut convaincre. Et ma voisine et amie est séduite. Mais le Rousseau résume complètement l’identité pure de la Bourgogne. Le charme moderne est chez Dujac. L’authenticité profonde est chez Rousseau. Les deux vins sont grands, mais mon cœur balance vers Rousseau. Les deux vins sont en symbiose avec les cigalons. Je vis un moment grandiose.

Yvan nous sert un carpaccio de pageot à l’huile d’olive et suprêmes de pomelos. La chair du pageot est sublime. Les rouges s’en accommodent bien, du moins ce qu’il en reste, si l’on oublie les pomelos pour n’en conserver que leur trace suggestive. Pour le soufflé à la vanille de Madagascar, mon ami commande un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle. Le soufflé est expressif et aérien. Le Laurent Perrier se place dans son sillage. S’il n’y a pas la complexité du Salon, il y a un plaisir de vivre qui se communique.

Lorsque nos amis nous quittent, je pense à ce dîner. Il y a eu exactement ce que je recherche. A tout moment, il n’y a eu que le goût pur. Pas la moindre fioriture. Le goût pour le goût, avec des cuissons d’une justesse extrême. Je touche à ce que j’aime. Et les vins que j’ai mis à leur contact répondent présents. C’est un plaisir ultime que je veux couver pour longtemps.