Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner au restaurant « CUT » de Berverly Hills photos du repas samedi, 7 novembre 2009

Le menu est aussi détaillé que le générique d’un film de Cecil B. de Mille : « surf and turf » :

warm Maine lobster, French black truffle infused vin blanc and crispy Kurobuta pork belly, roasted quince and sun dried cherry compote, Chinese 10 spices

A tasting of beef : snake river farms Kobe style New York sirloin, cognac mustard sauce, 35 days dry aged sirloin, green pepper and Armagnac sauce, roasted bone marrow flan, mushroom marmalade, bordelaise, toasted brioche

The side : roasted Brussels sprouts, smoked bacon, pearl onions

four story hill farms, milk fed veal “tongue and cheek” : braised cheek, celery Bartlett pear puree, roasted chestnut dust, autumn root vegetables, Cotes-du-Rhone black pepper reduction and brioche thyme crusted tongue; black trumpet mushrooms

the side : creamy parmesan polenta, Italian white truffles from Alba

The cheeses, Carmody, red hawk, green hill, grilled fruit and nut bread

(je n’aurais pas mis les à-côtés que je n’ai pas touchés)

Dessert : marjolaine nouveau. Avec un Warre’s Vintage Porto 1997

20 vins rouges au restaurant « CUT » du Willshire hotel Beverly Hills samedi, 7 novembre 2009

Le deuxième repas est un déjeuner au restaurant « CUT », animé par Wolfgang Puck, comme le Spago, mais ici au sein de mon hôtel, le Wilshire Beverly Hills. Il ne me faut donc que deux minutes pour être à pied d’œuvre. Le restaurant joue branché. Une décoration minimaliste, avec d’immenses photos d’une crudité, voir d’une cruauté manifeste. Robert de Niro, Brad Pitt ou Barack Obama ont des têtes de plus d’un mètre de haut, ce qui exacerbe chaque détail du visage. Nous prenons l’apéritif debout sur un champagne Moët & Chandon 2000 plus inspiré que le Laurent Perrier de la veille. Les amuse-bouche sont : USDA prime steak Tartare, Dion, Capers, grilled sourdough / Grilled cheese, white truffle from Alba / sweet potato-amaretto knisch / grilles Kobe sliders, house made pickles, toasted brioche. Présentés par des serveurs stylés, ces amuse-bouche sont goûteux. Inutile de dire que comme la mouette rieuse, je lance mon bec vers les truffes d’Alba infiniment possessives, qui font vibrer le champagne.

Le menu est aussi détaillé que le générique d’un film de Cecil B. de Mille : « surf and turf » : warm Maine lobster, French black truffle infused vin blanc and crispy Kurobuta pork belly, roasted quince and sun dried cherry compote, Chinese 10 spices / A tasting of beef : snake river farms Kobe style New York sirloin, cognac mustard sauce, 35 days dry aged sirloin, green pepper and Armagnac sauce, roasted bone marrow flan, mushroom marmalade, bordelaise, toasted brioche / The side : roasted Brussels sprouts, smoked bacon, pearl onions / four story hill farms, milk fed veal “tongue and cheek” : braised cheek, celery Bartlett pear puree, roasted chestnut dust, autumn root vegetables, Cotes-du-Rhone black pepper reduction and brioche thyme crusted tongue; black trumpet mushrooms / the side : creamy parmesan polenta, Italian white truffles from Alba / The cheeses, Carmody, red hawk, green hill, grilled fruit and nut bread / Dessert : marjolaine nouveau. Il ne fallait pas moins de quatre chefs pour réaliser ce menu, aussi copieux que les intitulés sont longs.

La première série est constituée de bordeaux de 1989 : Haut Brion 1989, La Mission Haut Brion 1989, Lafleur 1989, Le Pin 1989, Pétrus 1989. Le nez du Haut-Brion est superbe et riche, celui du Mission est très profond. Le nez du Pétrus est discret, mais on sent la trame d’un grand vin. Le nez de Le Pin est très discret et celui de Lafleur très neutre. Je commence à goûter les vins sans plat. Le Lafleur est très pur, avec un final marqué par l’alcool. Le Pin est assez neutre et demanderait un plat. Je le trouve réservé. Le premier contact avec Pétrus n’est pas extraordinaire, mais le final révèle plus ce qu’il peut être. On sent que c’est grand, mais objectivement, il faut chercher. Il convient de remarquer que tous les vins sur ces trois jours, sont ouverts au dernier moment. Ils ne trouveront leur valeur que progressivement. La Mission montre une différence sensible avec les pomerols. Il a du café, de la douceur, et beaucoup plus de charme. Sa longueur est plus sensible et le final est fantastique. Le Haut-Brion est grand, rond, facile à comprendre, avec un très beau final. A ce stade je préfère la Mission, plus sauvage. Je classe : Mission, Haut-Brion, Pétrus, Le Pin, Lafleur.

Sur le homard, qui crée un accord délicieux, le Lafleur s’anime mais reste encore fermé. Le Pin est très pur, précis, mais franchement, il n’y a pas de quoi sauter en l’air, sauf que le final est très grand. Le Pétrus a une attaque assez calme, et c’est dans le final que la structure explose. Le temps passe, les vins s’ouvrent et maintenant, je reconnais le Pétrus 1989 tel que je l’aime : il est grand, dense, profond, avec une trace énorme. Après cette progression de Pétrus, Mission fait moins impressionnant, mais le final a un sacré charme. C’est la Mission qui est idéal avec le homard. Le Haut-Brion attaque en douceur, puis il occupe fermement la bouche. Il est grand, au final parfait. A ce stade, grâce au homard et à la truffe blanche, le classement est : Haut-Brion, Pétrus, Mission.

Pendant ce temps, Le Pin se réveille, mais il joue un peu : « programme minimum ». Lafleur passe devant Le Pin. La deuxième partie du plat est du porc. Le Haut-Brion s’y adapte, vin quasiment parfait. Mais je ne lui donnerais pas 100 points Parker. Le Pétrus est maintenant totalement excitant. C’est un vin qui dérange, qui pulse. Lafleur n’est pas mal, mais un peu limité, et Le Pin est charmant, mais n’a pas le caractère extrême que l’on attendrait. Le Mission a un final qui rachète une attaque devenue calme. Mon classement va encore varier au fur et à mesure des évolutions des vins. Je classerai finalement : Pétrus 1989, Mission Haut-Brion 1989, Lafleur 1989, Haut-Brion 1989 et Le Pin 1989.

Je me suis évidemment demandé si mon classement n’est pas influencé par mon amour pour Pétrus 1989. Mais le constat est sans appel : Pétrus a tout pour lui, et l’écart avec Le Pin est spectaculaire. Si les vins avaient été ouverts avant, je suis sûr que Lafleur aurait offert beaucoup plus de plaisir.

Bipin fait s’exprimer les quatre tables, et comme cela se passera tout au long des trois jours, je suis sidéré de voir la divergence des opinions sur les vins.

La deuxième série comprend des vins impressionnants : Latour 1929, La Mission Haut Brion 1929, La Mission Haut Brion 1949, Mouton Rothschild (magnum) 1949, Haut Brion 1959, Lafite 1959, Latour 1959. Le premier examen est celui des parfums. Latour 1959 a un nez très dense, ainsi que le Lafite 1959. Le nez du Haut-brion 1959 est beaucoup plus doux. Celui de Mission 1949 est spectaculaire. Mon verre de Mouton sent le verre, ce qui gêne l’examen. Le nez de Latour 1929 est discret et difficile à lire et celui du Mission 1929 est marqué d’alcool. Il faut attendre avant de juger.

Le premier examen des vins se fait avant l’arrivée du plat. Le Latour 1959 est complexe. Je le sens un peu minéral. Il faut attendre qu’il s’ouvre. Le Lafite 59 n’est pas encore ouvert. Il faut attendre, car à ce stade on ressent l’âge et un éventuel problème de conservation. Le Haut-Brion 59 me gêne, car je ne suis pas habitué de boire de si grands vins ouverts aussi tard. Les trois vins de 1959 sont de belles promesses à qui l’on n’a pas donné de temps. Le Mission 49 est très doux, un peu faible, mais on sent que le charme velouté va apparaître. Le goût du Mouton 49 me rebute un peu. Il promet d’être grand, car son final est long et riche. Le Mission 1929 est un vin énorme de puissance. Il évoque le café. Il faut encore attendre. Le Latour 1929 a une attaque légère mais un très beau final.

Le plat est maintenant servi. Sur la viande, Latour 59 est immense. Il est grand, puissant, viril et répond à la viande comme en un écho. Lafite 1959 est superbement élégant, d’un raffinement incroyable. Il fait partie des grands Lafite qui m’émeuvent. Le Haut-Brion 59 est plus torréfié. La compétition des 59 se fera entre Latour et Lafite. Le Mission 49 a un léger problème, mais c’est un vin très opulent, grand, lourd, au beau final. Le Mouton 49 est très Mouton, c’est-à-dire fantasque. J’aime beaucoup, même s’il n’a pas la rigueur des autres. Le Mission 29 est agréable mais un peu limité. Il est torréfié. Le Latour 1929 a la subtilité des bordeaux de 1929. Il est charmant mais a du mal à lutter avec les 1959. Latour 59 a tout pour lui, il est parfait. Le Lafite 59 donne envie de l’aimer. Je note à la volée sur mon petit carnet : « on aimerait tellement que Lafite soit aimé ». C’est le vin que j’aimerais encourager. J’ai évoqué les 100 points Parker. Pour mon goût, les trois vins de 1959 méritent 100 points.

Le Mouton 1949 me donne l’impression d’un bolide qui n’utiliserait que dix cylindres sur douze. Le Mission 49 est grand, même si une petite amertume me gêne. Mission 29 est meilleur que Mission 1949. Le final fruité du Latour 1929 est unique. Je classe : Latour 59, Lafite 59, Latour 29, Haut-Brion 59, Mission 29, Mission 49 et Mouton 49. C’est intéressant de comparer les Latour de 59 et 29. Le final du 29 est plus pur. Mais le 59 offre – aujourd’hui – beaucoup plus. Le Mouton, s’il était bu tout seul, serait jugé magnifique. Il est d’ailleurs adoré à beaucoup de tables. Le Mission 49 a perdu son petit défaut maintenant que le temps a passé. Les évolutions dans les verres me conduisent à ce classement final : Latour 59, Haut-Brion 59, Lafite 59, Latour 29, Mission 49, Mouton 49 et Mission 29. Les votes diffèrent à chaque table.

La troisième série nous fait changer de région : Hermitage La Chapelle 1949, Hermitage La Chapelle 1959, Hermitage Chave 1989, Côte Rôtie La Landonne 1989, Côte Rôtie La Mouline 1989, Côte Rôtie La Turque 1989. Les nez des vins ouverts tard ne veulent pas dire grand-chose, sauf que le nez de La Chapelle 49 est désagréable alors que celui du 59 est très élégant.

La Mouline est un grand vin, mais après les bordeaux, ça surprend. Le vin est astringent et poivré. La Turque est très grand, plus fin. La Landonne est plus équilibré. Le Chave est plus sauvage, viril, brutal. Il me plait et j’écris : « ça c’est du vin ». En reprenant La Mouline juste après le Chave, le vin de Guigal montre un charme énorme et sacrément efficace. Le nez de La Chapelle 49 ne s’est pas calmé, mais en bouche il est très acceptable. Le 1959 de La Chapelle est charmant, d’un équilibre rare. On sent son alcool, mais c’est un très grand vin. La Turque est très boisée. La Mouline est plus séduisante, mais La Turque est plus typée. La Landonne est la force tranquille, grande, au final imposant. Le Chave fait un peu plus faible maintenant. Comment voter pour les trois Guigal si différents ? La Mouline est parfaite, La Turque plus typée, et La Landonne plus sécurisante.

Le gagnant, ce sera La Chapelle 59 qui a un équilibre charmant malgré la pression alcoolique, et une complexité infinie. Mon classement final sera : Hermitage La Chapelle Jaboulet 1959, Côte Rôtie La Turque 1989, Côte Rôtie La Mouline 1989, Hermitage Chave 1989, Côte Rôtie La Landonne 1989, Hermitage La Chapelle 1949. Il faut admettre qu’à part le 1949 tous ces vins se valent. L’Hermitage 1959 raconte énormément de choses et je l’aime, même si j’imagine volontiers qu’il eût été meilleur quelques années auparavant. Alors que je suis un adorateur de ces vins du Rhône, je n’ai pas eu l’élan de joie que j’attendais car les bordeaux qui précèdent m’ont plus impressionné. Mais cela tient au fait que l’on a bu ces vins du Rhône ouverts depuis moins de dix minutes, ce qui est frustrant.

Comme au dîner des vins blancs il y a deux vedettes américaine, le Chateau Rayas 1989 et le Chateauneuf-du-Pape Hommage à Jacques Perrin 1989. Mais le combat n’aura pas lieu, car le Rayas a un infime bouchon au nez et en bouche.

L’Hommage a un nez très jeune, beaucoup plus jeune que les précédents vins. Le Rayas a un beau goût bien fruité, élégant. Mais le 1% de bouchon limite le plaisir. Le Perrin est tout en générosité. Il est large et ouvert, mais le final n’est pas totalement net. Le fromage accentue le défaut du Rayas, mais on peut clairement imaginer ce qu’il aurait pu être. J’aime beaucoup le Perrin qui malgré son amertume est généreux, joyeux et très beau.

Je m’amuse à classer les vins de toutes les séries et mon classement final est : 1 – Latour 1959, 2 – Pétrus 1989, 3 – Lafite 1959 et Haut-Brion 1959, 5 – Latour 1929, 6 – Hommage à Jacques Perrin 1989. La deuxième série de bordeaux à maturité m’a fortement marqué. Cette expérience montre que les grands bordeaux sont d’un niveau exceptionnel. Le repas se finit sur un dessert au chocolat accompagné d’un Porto Warre’s Vintage 1997 élégant et très « léger », fluide et goûteux.

La cuisine du « Cut » est d’un niveau supérieur à ce que Spago nous a proposé hier. Il est très réconfortant d’avoir pu goûter des bordeaux de 1959 aussi beaux.

dîner au Spago Beverly Hills – photos des vins vendredi, 6 novembre 2009

Les verres préparés pour le service

Champagne Laurent Perrier brut LP ss A

Yquem 1929, Yquem 1949, Yquem 1959, Yquem 1989

je n’aime pas qu’ils soient posés sur le la glace, qui gèle le bas alors que le haut reste chaud

des couleurs exceptionnelles

champagne Veuve Clicquot 1949, champagne Bollinger 1969, champagne Krug Vintage 1979

Les séries de vins :

Yquem 1929, Yquem 1949, Yquem 1959, Yquem 1989

champagne Veuve Clicquot 1949, champagne Bollinger 1969, champagne Krug Vintage 1979

Corton Charlemagne (Bonneau du Martray) 1989, Corton Charlemagne (Coche Dury) 1989, Corton Charlemagne (Jadot) 1989, Corton Charlemagne (Leroy) 1989, Meursault Charmes (Lafon) 1989, Meursault Perrieres (Lafon) 1989,

Chevalier Montrachet (Leflaive) 1989, Montrachet (Bouchard) 1989, Montrachet (Jadot) 1989, Montrachet (Lafon) 1989, Montrachet (P. Morey) 1989, Montrachet (Ramonet) 1989, Montrachet Laguiche 1989,

Montrachet (Leflaive) 1999, Montrachet (DRC) 1999

dîner au Spago photos du dîner vendredi, 6 novembre 2009

Le menu conçu par Wolfgang Puck avec Lee Hefter, Thomas Boyce et Sherry Yard est ainsi rédigé :

Duo of foie gras, pastrami in rye crisp with apple-mustard, seared wit apricot chutney, roasted pear and toasted hazelnuts

Osetra caviar, smoked sturgeon croquette with shellfish emulsion

rabbit, pork and veal tortellini in celery apple brood

pan roasted Dover sole, Maryland crab and Japanese Matsutake mushrooms

selection of artisanal cheeses toasted walnut bread

pink lady apple caramel pudding cake.

dîner au restaurant Spago Beverly Hills avec des vins mythiques vendredi, 6 novembre 2009

De temps à autre sur des forums de passionnés de vins revient une discussion sur les buveurs d’étiquette. Elle est fondée sur un postulat : celui qui boit grand boit cher et s’il boit cher, c’est qu’il n’a pas de palais. Car s’il en avait, il boirait les petits vins pas chers qui ont un rapport qualité-prix exceptionnel. Cette querelle n’aura jamais de fin. Elle sert d’introduction au dîner de ce soir, et des deux autres repas qui suivront, où seul le meilleur et le plus renommé aura droit de cité. Alors, serons-nous ce soir influencés par les étiquettes ? C’est un vrai cas d’école, car des étiquettes, il n’y a que ça. Et à ce stade, il n’y a plus d’influence puisque tous les vins sont d’une noblesse consanguine.

Le dîner se tient au restaurant Spago Beverly Hills, dont le chef Wolfgang Puck est un génie du marketing, puisqu’il doit posséder autour de deux cents restaurants dans le monde et appose sa signature sur des produits comme le fait Paul Bocuse. Nous sommes convoqués à 20 heures, mais j’arrive avec une demi-heure d’avance. Je suis contrarié car les Yquem sont dans des seaux à glace remplis de glaçons mais sans eau, ce qui gèle quasiment le bas de la bouteille alors que le haut est beaucoup plus chaud. Les bouteilles seront ouvertes, selon les habitudes de Bipin Desai, l’organisateur du dîner, au dernier moment. Je vois le sommelier Christopher Miller utilisant un ridicule tirebouchon « limonadier » qui brise les bouchons et fait tomber des miettes dans le vin, ce qui m’affole. Il me dit : « je préfère travailler seul », ce que je comprends, mais je lui réponds : « oui, mais il s’agit de mes vins ».

Pendant ce temps, nous prenons un long apéritif sur un champagne Laurent Perrier brut LP sans année, qui n’est pas particulièrement folichon, ne dégageant aucune réelle émotion. Les amuse-bouche sont : spicy tuna tartare in sesame-miso tuile cones / warm Kumomoto oyster in Meyer melon / Japanese Kobe beef « Nigiri » with Asian pear and Shiso / first of the season white truffle pizza.

Nous passons à table. Nous sommes plus d’une vingtaine autour de trois tables. Il n’y a qu’une bouteille par vin, mais l’expérience montre que c’est suffisant. Le menu conçu par Wolfgang Puck avec Lee Hefter, Thomas Boyce et Sherry Yard est ainsi rédigé : Duo of foie gras, pastrami in rye crisp with apple-mustard, seared wit apricot chutney, roasted pear and toasted hazelnuts / Osetra caviar, smoked sturgeon croquette with shellfish emulsion / rabbit, pork and veal tortellini in celery apple brood / pan roasted Dover sole, Maryland crab and Japanese Matsutake mushrooms / selection of artisanal cheeses toasted walnut bread / pink lady apple caramel pudding cake.

Devant nous, quatre verres : Yquem 1989, Yquem 1959, Yquem 1949, Yquem 1929. Les couleurs sont magnifiques. Le 1989 est d’un or très clair. Les deux suivants sont couleur acajou, le 1959 étant le plus foncé. Le 1929 tend vers le chocolat noir ou le caramel foncé. Les parfums sont liés à une ouverture trop récente. Le 1989 est discret, mais l’on pressent sa profondeur. Le nez du 1959 est incroyablement puissant. Celui du 1949 est plus équilibré, tendant vers les fruits jaunes. Le 1929, encore discret évoque le caramel.

Nous buvons les vins sans plat car le service tarde. Le 1989 est très gras en bouche, opulent. Le 1959 semble devenu plus sec, avec un sucre apparemment atténué. Tel qu’il se présente, il est adorable, parfait de construction, magique, avec un final interminable. Le 1949 est lui aussi magique, plein, plus rond que le 1959, plus accompli, mais au final moins impressionnant. Le 1929 est d’une pureté absolue. Il a du caramel légèrement fumé. C’est un vin profond et dense. Il y a dans le caramel une pointe de thé. Les trois anciens se caractérisent par une magnifique acidité. A ce stade, je classe : 29, 59, 49, 89. Le foie gras est un plat beaucoup trop compliqué pour les vins qu’il ne met pas en valeur. Le foie n’est pas assez cuit. Mais sur le plat, le 1989 prend de l’ampleur. J’aime beaucoup plus le 1949 que Bipin Desai qui lui voit un petit défaut. Je ne suis pas d’accord et quatre heures plus tard, le 1949 me donnera raison. Les vins évoluent dans leurs verres et mes sensations aussi. Brusquement, Bipin me demande de commenter les vins. Ayant entendu les remarques à ma table, je commence à dire que les avis sont extrêmement personnels. N’aimant pas trop les Yquem qui tendent vers le caramel, mon classement va défavoriser le 1929 alors qu’il a sans doute la plus belle structure. Et j’ajoute que considérant les 1949 et 1959 que j’ai apportés comme mes enfants, j’ai évidemment pour eux des yeux paternels. Mon classement est : 1959, 1949, 1929 et 1989, ce dernier étant une magnifique promesse, mais désavantagé de se situer avec de telles icônes.

La cuisine se simplifie avec le caviar, qui joue parfaitement son rôle pour les trois champagnes. Le champagne Veuve Clicquot Dry 1949 donne l’impression d’être un peu évolué, mais il est délicieux. Le champagne Bollinger Tradition 1969 est absolument génial, fluide, aqueux, mais d’immense complexité. Pour moi, c’est « love at first sight », alors qu’à ma table le Bollinger ne fait pas recette. Le champagne Krug Vintage 1979 est nettement plus jeune que les deux autres. Sa bulle est forte et insistante. Il est très Krug, sans toutefois l’ampleur qu’il pourrait avoir. A ma première impression, le classement est : 69, 49, 79, mais le Veuve Clicquot s’épanouissant de façon spectaculaire, le classement devient et restera : 1949, 1969 et 1979. La jeunesse et la force de la bulle jouent contre le Krug, ce qui est paradoxal. Il est très précis, très complexe, fruité. C’est un grand champagne, mais les plus anciens présentent plus d’intérêt du fait du développement de leur complexité que donne leur évolution. Le 1949 est un immense champagne.

Avec la troisième série, ça commence à « décoiffer ». Car nous avons en face de nous : Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989, Corton Charlemagne Coche Dury 1989, Corton Charlemagne Jadot 1989, Corton Charlemagne Leroy 1989, Meursault Charmes Comtes Lafon 1989, Meursault Perrières Comtes Lafon 1989.

Le Bonneau du Martray et le Leroy sont les deux vins les plus pâles de cette série aux couleurs très homogènes. Le Bonneau du Martray est très pur, magnifiquement dessiné, et bien fruité. Le Jadot est plus épais, montrant son alcool et je trouve moins fin. Le Leroy est pour moi le plus Corton Charlemagne, plus même que le Bonneau du Martray qui est traditionnellement le « témoin » de l’appellation. Le Coche-Dury est de loin le plus fruité, le « plus » sur tous les compartiments du jeu, mais à mon palais il joue plus Meursault que Corton Charlemagne. Le Perrières est un vin parfait, vin de plaisir absolu. Dans l’échelle des émotions, c’est ce Meursault qui m’émeut le plus. Le Charmes est plus attendu, et dégage moins d’émotion, aussi, quelle ne sera pas ma surprise lorsque des amis se lèveront des deux autres tables pour déclarer que le Charmes est plus grand que le Perrières. C’est absolument étonnant tant l’écart me paraît évident. Autres lieux, autres palais sans doute.

A ce premier stade, je classe le meursault Perrières, le Corton Charlemagne Leroy et le Coche-Dury. Mais les vins évoluent dans les verres. Le Bonneau du Martray explose de noix. C’est envahissant. Le Jadot se domestique mais n’arrive pas à éveiller l’émotion. Le Leroy est impressionnant de précision. Le Coche Dury est maintenant le plus expansif, le plus grand. L’élégance du Perrières est hors du commun. La sauce citronnée et crémée se marie au mieux avec le Perrières. Plus on avance et plus le Coche Dury devient une bombe aromatique et le Bonneau du Martray exprime sa précision. Si je ne le classe pas mieux, c’est à cause de l’insistance de sa saveur de noix. Le Jadot montre trop d’alcool. Le Leroy est magnifique. Quel immense luxe que d’avoir d’aussi grands vins réunis. Le Coche Dury est le plus grand de tous, mais je mettrai en premier celui qui m’a donné le plus d’émotions par ses côtés chantants, joyeux, épanouis et brillants. Mon classement est 1 – Meursault Perrières Comtes Lafon, 2 – Corton Charlemagne Coche Dury, 3 – Corton Charlemagne Leroy, 4 – Corton Charlemagne Bonneau du Martray, 5 – Meursault Charmes Comtes Lafon, 6 – Corton Charlemagne Jadot. Il faut se dire cependant que le classement est lié à l’état des bouteilles. Et chacun de ces vins, s’il était seul dans un repas, serait l’empereur à la barbe fleurie.

Nous pouvions penser avoir atteint un nirvana, mais l’escalier a une marche de plus, et une grande, car arrivent maintenant les poids lourds. Excusez du peu : Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1989, Montrachet Bouchard Père & Fils 1989, Montrachet Jadot 1989, Montrachet Lafon 1989, Montrachet Pierre Morey 1989, Montrachet Ramonet 1989, Montrachet Drouhin Marquis de Laguiche 1989. Si ça décoiffait, maintenant, ça déchire ! Il y a six Montrachet et un Chevalier, accepté au sein de ce groupe car c’est un Leflaive.

Les nez les plus ouverts sont ceux du Lafon, du Leflaive et du Ramonet. Le plus fermé est celui du Bouchard. Le Lafon est fruité, complet, joyeux, plein. Son final est assez court, ce qui me surprend. Le Pierre Morey est plus léger mais plus chantant. Il est aussi joyeux et même s’il est grand, il manque un peu de complexité. Le Ramonet est d’une grande fluidité, plein de grâce et de complexité. Son final est très élégant. Je le trouve très consensuel.

Le Drouhin Laguiche est plus conventionnel. Il manque un peu d’ampleur mais il est très bon, très fruité, avec un beau final. Le Chevalier Leflaive, seul Chevalier-Montrachet, tient bien la comparaison avec les Montrachet. Il a de la noix, du beurre et du miel. Il est coloré et riche. C’est un très grand vin dont le travail m’évoque celui de Coche-Dury. Le Jadot est très précis. Il n’a pas l’ampleur des autres mais il est très joli. J’aime beaucoup ce vin qui, lui aussi, a du beurre et de la noisette, exacerbés par la sole qui est divinement dans la ligne de ces vins. Le Bouchard est un peu faible. Il manque d’ampleur et de complexité par rapport aux autres. C’est très difficile de classer ces vins tous différents, car nous sommes au sommet de la hiérarchie. Le Lafon est assez archétypal mais court, défaut qui ne gêne pas Bipin. Le Ramonet a toutes les qualités, au final exceptionnel. Le Leflaive me gêne un peu par son côté trop noisette beurrée, un peu comme le Bonneau du Martray m’avait gêné par sa noix insistante ou l’Yquem 1929 par son caramel imposant. Le Jadot est élégant et n’en fait pas trop, ce qui me plait assez. Mon classement est : 1 – Montrachet Ramonet, 2 – Montrachet Jadot, 3 – Montrachet Lafon, 4, Montrachet Laguiche, 5 – Chevalier Leflaive, 6 – Montrachet Pierre Morey, 7 – Montrachet Bouchard.

Bipin Desai est toujours plus lent à manger et à boire que chacun d’entre nous. Aussi profite-t-il de l’expansion du Lafon qu’il classe premier. Je vérifie et c’est vrai que sa longueur s’améliore. Pourquoi ces vins ont-ils été ouverts aussi tard ?

La cinquième série est celle des vedettes américaines. Aussi est-il dommage de les associer à des fromages fort bons, mais incapables de révéler la majesté de deux seigneurs : Montrachet Leflaive 1999 et Montrachet Domaine de la Romanée Conti (DRC) 1999. Le Leflaive est d’une rare élégance, d’une définition de même ampleur que celle du Lafon 89. Le DRC a du charme, de la présence, de la puissance et une précision rare. Le Leflaive est plus élégant, du moins au premier contact et le DRC est plus kaléidoscopique. A chaque gorgée une découverte nouvelle. Je préfère le Leflaive, puis je préfère le DRC. En fait mon cœur balance pour ces deux vins parfaits. Malgré les affirmations de Bipin, je confirme que le Lafon 89 n’a pas la longueur qu’il devrait avoir. Le Montrachet DRC 99 est le premier de tous ces blancs, suivi par le couple Leflaive 99 et Ramonet 89. Quel spectacle !

Pendant le temps du dessert associé à un petit muscat perlant sans intérêt, je revisite les Yquem qui sont maintenant au faîte de leur gloire, alors que le Krug s’est acidifié. Mes vins de la soirée sont : 1 – Yquem 1959, 2 – Montrachet DRC 1999, 3 – champagne Veuve Clicquot 1949, 4 – Montrachet Ramonet 1989, 5 – Yquem 1949. 6 – Montrachet Leflaive 1999.

En rentrant à pied à mon hôtel, j’avais le sourire des gens heureux.

Départ à Los Angeles pour trois repas de rêve jeudi, 5 novembre 2009

Lorsque je fais un voyage, j’aime raconter des petites anecdotes sur le service, la considération du client ou du voyageur, petites émotions et tranches de vie, et je me suis demandé pourquoi. Deux éléments m’ont marqué. Ayant moins de dix ans, j’ai assisté au départ en avion de mon frère aîné qui rendait visite tout seul à son parrain en Algérie. L’angoisse de ma mère voyant partir son tout jeune fils était impressionnante. Mon père a garé sa voiture à Orly devant l’avion, le personnel d’accueil a materné mon frère que nous avons vu emprunter l’escalier qui monte dans l’avion dont nous avons suivi l’envol. Il n’y avait aucun bâtiment massif, juste un stand au pied de l’avion. Pas d’attente et une prise en charge conviviale. Ce minimalisme de la prise en charge d’un voyageur dans un aéroport, comparable à ce qui se passe pour les avions privés, m’est toujours apparu comme un idéal. Le deuxième exemple, vingt ans plus tard, c’est le Trans-Europe-Express, le TEE, dans lequel le jeune cadre que j’étais se rendait parfois à Bruxelles. Prendre le TEE pour aller à Bruxelles était une astuce qui faisait rire. Dans ce train, le petit déjeuner servi sur des nappes blanches, par un personnel en gants blancs, avec du vrai beurre et de vraies confitures, c’était le luxe tel que le prodiguait l’Orient Express pour des expéditions plus orientées vers la rêverie ou l’aventure.

Depuis, la massification des déplacements a conduit à ce que l’importance soit donnée au traitement de masse et non plus à la satisfaction individuelle. Il faut « traiter » du nombre. Me rendant à Los Angeles, j’ai deux heures et quart d’avance avant mon départ, en posant le pied à Roissy. Les queues successives au dépôt des bagages, à la douane, au contrôle au scanner des impedimenta, tels que mes chaussures et ma ceinture de pantalon, et à l’accès en cabine, ne m’ont laissé que deux minutes pour un éventuel shopping que je n’ai pas fait tant j’étais lassé de ces queues serpentines.

Le voyage s’est bien passé et l’attention du personnel d’Air France est exemplaire. Une belle invention est de doter chaque place d’un écran où l’on programme soi-même le démarrage du film de son choix. En deux repas et trois films, je n’ai pas vu le temps passer. Ce n’est pas le cas pour le passage en douane à l’arrivée, car selon les théories d’Einstein, 75 minutes de queue, c’est beaucoup plus long qu’onze heures d’avion.

L’arrivée au Beverly Willshire hôtel est assez impressionnante. Je croyais en avoir fini avec les queues. Eh bien non, ça recommence à la réception. Ma chambre est d’un luxe impeccable, et après une courte sieste, je m’apprête à aller porter les bouteilles prévues pour le dîner de demain au restaurant Spago.

Le hall et les abords de l’hôtel ressemblent en cet instant à un vidéo-clip tel qu’on en voit sur Trace TV qui pourrait être rebaptisé Trash TV. Une Rolls Royce décapotable à la plage arrière en bois de teck comme un fringant voilier, des Mercedes toutes plus customisées les unes que les autres, laissent sortir de jeunes blacks, puisque c’est ainsi qu’il faut les nommer. Les garçons sont sapés comme des princes. Pas de casquette, pas de jeans en sacs de pommes de terre. Ils sont apprêtés jusque dans les plus infimes détails, créant des personnages dignes des films sur la vie d’Al Capone. Les filles toutes sculpturales sont moulées dans des robes fourreau dont le bustier est à débordement. Et c’est amusant de les voir tirer sur le tissu de leurs minirobes pour essayer de protéger une intimité que le couturier semble avoir voulu révéler. On ne peut que rester bouche bée devant ce défilé de créatures de rêve, qui semblent indiquer que les clips ne représentent pas que des fantasmes. Le devoir m’appelant je vais au restaurant Spago où je laisse Yquem 1949 et 1959, déclarées à la douane comme de simples échantillons.

Je dîne ensuite à l’hôtel d’une belle pièce de bœuf. De beaux repas m’attendent dans les trois jours à venir.

Des vins corses sublimés par une cuisine exceptionnelle à Casadelmar Porto-Vecchio samedi, 24 octobre 2009

Nous sommes à l’hôtel Casadelmar à Porto-Vecchio. A neuf heures précises, après une nuit réparatrice du dîner de grands vins apportés par plusieurs amis, on frappe à la porte au moment où le téléphone sonne. Dilemme. Je choisis le téléphone pour apprendre que la valise de ma femme est retrouvée. Le petit-déjeuner sur la baie de Porto-Vecchio n’en a que plus de saveurs. Nous partons avec des amis visiter Bonifacio et sa spectaculaire falaise. Dans un petit bistrot « le Rustic », une aubergine farcie et des spécialités corses se mangent avec une bière brune corse. Il n’est pas question d’offusquer l’autochtone avec des choix continentaux.

Le dîner du deuxième jour est destiné à mettre en valeur des vins corses sélectionnés par Aurore Marre sommelière du restaurant. Jean-Philippe, notre cornac, a demandé au chef de donner libre cours à son talent sans le canaliser. Ce fut un festival.

Le menu préparé par Davide Bisetto mêle harmonieusement des intitulés en français et en italien : langouste vapeur, panais, huile de clémentine lyophilisée, sorbet de fenouil / battuta de filet de Yorkshire, fondue de Castelmagno, truffe blanche d’Alba / Raviolini vapeur de tourteau frais, royale d’algues Nori, infusion bonito-soja-kombu / risotto carnaroli « riposato » aux choux-fleurs, poisson caramélisé, caviar osciètre royal d’Iran / Saint-pierre fumé minute au bois de genévrier / cochon de lait, cuisse à la milanaise et côte au speck, glace pomme-moutarde, petits oignons dolce forte / framboise, poivron, glace à l’huile d’olive, émulsion siphon de marjolaine / croquant au chocolat blanc, pistache mandarine, sorbet chocolat Araguani.

Le E-Croce Y. Leccia, Patrimonio blanc 2005 est un vermentino au nez très jeune. Le goût est très râpeux, minéral. Il y a un joli gras en fin de bouche, une belle fluidité, mais c’est quand même très simple. Le vin va bien sur la langouste, prend du volume, et s’oriente vers des saveurs de Condrieu, alors que bu seul, il allait vers la Loire. La râpe du vin colle à la râpe du fenouil pour un joli accord sur un vin simple.

Le Clos Canarelli, Figari blanc 2003, lui aussi vermentino, a un nez plus opulent, et plus complexe. En bouche, le vin est opulent, très varié et polymorphe. Le vin se restructure sur le plat, et notamment la truffe blanche. Le fromage fait de trois laits assemblés, de vache, brebis et chèvre, réagit de belle façon sur la truffe pour pousser du col ce vin au dessus de sa valeur. Dès ce deuxième accord, nous constatons à quel point Aurore Marre fait un travail d’extrême précision, car les accords sont d’un dosage de génie. Lorsque le plat est fini, le vin se dissocie à nouveau, comme si un vin de 10° était additionné de marc. Le plat, tartare à la crème au fromage et truffe est un plat exceptionnel.

Le Mariotti Patrimonio blanc 2007 a un nez très expressif. En bouche il évoque la crème et le beurre. Il est gras avec une belle acidité finale. Pour Luc, ce vin fait penser à ceux de Marcel Deiss. Le nez est très différent de la bouche. Nous apprenons que le vigneron ne fait que trois mille bouteilles de ce vin par an. Les arômes du plat évoquent le bois séché, dans des harmonies japonisantes d’une grande subtilité. Le jus raccourcit le vin alors que le tourteau en ravioli épanouit le vin. Compte tenu de la complexité du plat et de la symbiose qui se crée, je pense que cet accord constitue le plus grand ou l’un des plus grands que j’aie rencontré en 2009. La magie de l’accord provient de sucres suggérés tant par le plat que ce vermentino.

L’A. Arena « BG » Patrimonio blanc 2004 est à 100% en cépage bianco gentile. Le nez est très pur, dense, riche, un nez de très grand vin. Le vin est fumé et se marie divinement bien au risotto et à l’osciètre. Sur le chapon que je vois présenté pour la première fois de façon aussi originale en caramélisé, c’est le 2007 sur lequel je reviens qui s’accorde le mieux. Je note à ce stade que cette cuisine vaut trois étoiles, tant les créations sont imaginatives et goûteuses, et qu’Aurore a fait un travail de première grandeur. Ce 2004 est un grand vin blanc, long, pur, délié, très fumé, poivré, de belle acidité citronnée, vibrant sur le chou-fleur du risotto.

Le bois de genièvre qui embaume quand on nous sert le Saint-pierre sur une crème de haricot coco fait immédiatement resurgir des souvenirs de Marc Veyrat. Nous sommes tous des adorateurs de ce grand chef et nous sommes heureux de voir une continuité talentueuse entre Marc Veyrat et Davide Bisetto.

L’Abbatucci, cuvée collection « Diplomate », Ajaccio blanc 2007 est un vin de grande race qui crée un accord d’une délicatesse absolue. Le vin est droit, direct et pur et donne la petite touche de fumé qui prolonge le plat. Le vin est du niveau d’un grand cru, dit Luc. Le vin est grand et l’accord est extrême.

Après une petite pause au « Sydre » qui est du cidre, nous continuons le repas par un cochon de lait sur deux vins. Le Clos Capitoro Ajaccio rouge 1997 est frais, court, mais très sympathique. Il a des accents de vin déjà vieux qui ne peuvent que me plaire. Le contraste est énorme avec le E-Croce Y. Leccia, Patrimonio rouge 2004 qui est puissant, fort, boisé, presque trop fort. Il est un peu fumé et vraiment un peu fort pour mon goût. Jean-Philippe aime ce 2004 à cause de son soyeux que je perçois quand le vin se domestique un peu. Même s’il est plus ordinaire, mon cœur penche pour le 1997.

La fantaisie du dessert avec sa glace à l’huile d’olive parachève, s’il en était besoin, l’étalage d’un talent qui surpasse le niveau de beaucoup de trois étoiles. Ce dessert est génial. Le Clos Camarelli, bianco gentile passerillé 2004 fait très vin du Jura qui aurait fauté avec un peu de macvin. Avec le chocolat, il prend des accents de xérès doux. C’est un vin délicat, léger, évoquant les fruits jaunes et les vins du Jura.

Nous avons longuement discuté avec Aurore qui a fait un travail de sommellerie de première grandeur sur un menu d’une explosion créatrice du plus haut niveau. Nous avons abordé des vins corses dont certains sont de productions tellement limitées qu’il serait impossible d’en acheter car tout est réservé. La question à laquelle je n’ai pas de réponse est celle-ci : dans un contexte de rêve, lié à la magie de l’endroit, au talent conjugué du chef et de la sommelière, nous avons adoré ces vins. Aurions-nous le même enthousiasme si les vins étaient servis à Paris et non pas sur leur territoire ? Peu importe. Il nous suffit que ce soir, ces vins corses aient été épatants.

dîner d’amis à l’hôtel Casadelmar de Porto-Vecchio vendredi, 23 octobre 2009

Nous formons un petit groupe d’amis amoureux de la grande cuisine et des grands vins. Jean-Philippe lance l’idée de fêter les quarante ans de l’un d’eux à l’hôtel Casadelmar de Porto-Vecchio. L’avion doit nous emmener à Figari, via Marseille. Après des valises perdues à Las Vegas ou à Pékin, j’ai envie de n’enregistrer nos valises que jusqu’à Marseille. Ma femme pense que je pousse le principe de précaution beaucoup trop loin. La dame du comptoir d’enregistrement me dit que le personnel est habitué à ces correspondances. Lorsqu’à Marseille je demande au comptoir si un contrôle est fait des bagages en transit, la jolie demoiselle me regarde avec un air hautain et agacé, comme si je l’injuriais de penser qu’un bagage puisse être perdu. A Figari, je demande à ma femme d’attendre les valises pendant que je règle les formalités de prise en charge de la voiture de location. Lorsque je reviens, ni femme ni valise. Ma femme est en train de faire sa déclaration de perte, car la sienne a été perdue. Elle reçoit une petite trousse de secours prévue pour cette situation. Voyageurs mes frères à qui j’ai recommandé il y a peu de ne pas prendre de salade de fruits présentée sous un film en cellophane, n’enregistrez jamais vos bagages à la destination finale si vous avez une correspondance. La gestion des valises est encore médiévale. Lire une étiquette à double destination est encore de la science-fiction. Il est des résistances au progrès qui ont des fumets sympathiques. Pas celle-là.

Retardés d’une demi-heure par les formalités, nous arrivons à l’hôtel où tous les amis nous attendent. Jean-Philippe me réclame mes bouteilles et je lui dis : « laisse-moi arriver, le grand dîner est pour demain. J’ai le temps ». Il me corrige tout de suite : « mais non, c’est pour maintenant ».

Nos amis disciplinés nous attendent. Nous prenons l’apéritif sur un Champagne Jacquesson dégorgement tardif en magnum 1989. C’est un beau champagne qui distille des notes de miel. Très précis, bien construit, c’est ce qu’on appelle un grand champagne. Je trouve cependant qu’il lui manque un petit grain de folie.

Tout l’hôtel est d’une décoration d’un goût sûr, jouant sur les volumes, les formes pures et de couleurs tranchées. La salle à manger est de cette beauté. Le menu préparé par le jeune chef italien Davide Bisetto est évocateur de son talent : foie gras de canard aux noisettes, gelée de myrte, sorbet de mûre / risotto mantecato au parmesan 48 mois, truffe blanche d’Alba / loup de ligne à la pistache de Bronte cuisson lente, enoki marine, ail doux / Chevreuil au poivre noir, châtaignes, nems de polenta, jus court / millefeuille aux fruits des bois, lime confit, sorbet hibiscus.

Sur le foie gras, le Pinot Gris Cuvée Clarisse Domaine Schlumberger 1989 qui était encore il y a peu dans ma valise (qui a bien fait de ne pas être perdue), se présente avec une robe fort sombre, comme si le vin avait vingt ans de plus. Le goût est extraordinaire, inhabituel, dépaysant, et d’une complexité infinie. Il combine une belle maturité avec des notes juvéniles, presque perlantes. La jolie gelée de myrte paraît émaillée dans l’assiette, ce qui est un régal pour les yeux, et il faut la décoller délicatement, ce qui crée avec le pinot gris un accord divin. Ce vin est un grand Alsace.

Le Meursault Perrières Leroy 1969 se présentera en deux bouteilles, la première non carafée et la seconde carafée à la suite d’un bouchon qu’Aurore Marre, sommelière attachante et d’une sympathie naturelle remarquée, a malencontreusement laissé tomber. Le premier est totalement rassurant, car son parfum est d’une folle complexité. Sa pureté est incomparable. Il a une belle minéralité et un goût citronné bien dosé. Le second, plus folâtre, n’a pas la précision du premier. Inutile de dire que chacun des deux trouve dans la truffe d’Alba une catapulte pour exacerber sa palette de saveurs. Cette truffe est d’un grand réconfort pour les vins de cette stature.

Le Château Ausone 1979 est le premier Ausone du fêté de quarante ans. Je lui explique donc avant que le vin ne soit servi, ce qu’il y a de subtil en Ausone, qui nécessite une grande humilité d’approche. Car ce vin de grand ésotérisme ne se livre pas comme cela. Comme pour me faire mentir, ce 1979 est d’une facilité d’approche rare, et constitue une brillante image de la beauté spécifique d’Ausone. Certains se sont amusés à essayer le Meursault avec le loup, mais il est évident que cette préparation colle à l’Ausone avec une exactitude absolue. Le plat est dans la ligne des deux étoiles qui décorent le chef.

Le Nuits-Saint-Georges 1er cru Les Georges, Cuvée des Sires de Vergy, Hospices de Nuits, élevé par Jean Germain en magnum 1989 est une plaisante surprise et une nouveauté pur moi. Elégant, ciselé, expressif, c’est un beau vin précis et agréable. C’est un plaisir de le boire sur le chevreuil au jus délicieux.

Le millefeuille est un régal et le Rivesaltes ambré Hors d’âge Arnaud de Villeneuve 1969 s’en réjouit. Ce vin de 16° est d’un équilibre juteux parfait. On en boirait sans s’arrêter. Son flacon si beau ressemblant à s’y méprendre à celui d’un cognac, l’astucieuse Aurore réussit à nous convaincre de prendre un verre de Cognac Delamain 1969, de l’année du fêté.

Mon classement des vins : 1 – Pinot Gris Cuvée Clarisse Domaine Schlumberger 1989, 2 – Nuits-Saint-Georges 1er cru Les Georges, Jean Germain en magnum 1989, 3 – Meursault Perrières Leroy 1969, 4 – Château Ausone 1979.

Nous n’avons pas comparé nos votes, mais le mien fut jugé cohérent par mes amis. Le plus bel accord fut le loup avec l’Ausone et le plus efficace celui de la truffe d’Alba et du Meursault.

Cette soirée d’amitié et de ferveur a été marquée par la générosité de plusieurs amis, la cuisine talentueuse d’un jeune chef et l’efficacité de la belle Aurore, sommelière elle aussi de talent.

déjeuner au restaurant Taillevent mercredi, 21 octobre 2009

J’ai envie de déjeuner avec ma fille aînée, l’un des piliers du « Ginette club » en matière de vin. Elle me propose une adresse près de son bureau et m’indique le site internet du restaurant. Je lui contre-propose Taillevent. « Oui, mais Papa, c’est la crise ». Ma réponse : « c’est justement parce que c’est la crise qu’il faut soutenir les restaurants que l’on aime ». Elle n’insiste pas, mais je sens que sa proposition de modération est sincère. La magnifique salle du restaurant est remplie mais ne fait pas salle comble. Les liens que j’ai tissés avec toute l’équipe font que je me sens en famille. Ma fille ne boira pas, aussi me contenterai-je, si l’on peut dire, d’un Champagne Krug Grande Cuvée non millésimé. Nous prenons le menu judicieusement dosé.

Mon premier plat est d’huîtres Gillardeau servies tièdes au riesling pendant que ma fille prend des légumes avec des lardons et un jus de viande. Comme elle fait régime, elle laisse les lardons et me les propose. Au moment où je voudrais, telle la mouette rieuse, picorer dans son assiette, Jean-Marie Ancher intervient pour que l’on me rapporte une assiette à bonne température. La sauce, même si elle a un gramme de sel de trop est absolument divine et appellerait un beau chambertin, tant elle a de réduction.

Le plat suivant est de rougets en filets poêlés aux saveurs méditerranéennes. La chair est délicieuse et les légumes gagneraient à être moins croquants, plus dans la continuité de la chair. Par une belle synchronisation, Jean-François, jeune sommelier plein de talent dépose devant moi un verre de vin rouge sans me dire ce dont il s’agit. Ce vin est plein de talent lui aussi – par mimétisme sans doute – et expose du boisé, de la richesse, de la trame, et je vais vers Bordeaux. Il n’y a pas d’opulence, mais une force de caractère qui impressionne. Mangeant du rouget, mes souvenirs de pomerols reviennent, mais je sens que ce n’est pas cela. Au-delà, inutile de chercher et quand Jean-François me montre la bouteille de Château Haut-Brion 1993, cela semble cohérent avec mes débuts d’analyse. Il s’agit d’un vin qui sur les tentures d’une année limitée plante le décor d’un grand cru.

Tout au long du repas, le Krug s’est bien tenu, flexible comme il sait l’être, sans jouer de ses biceps qu’il a pourtant fort charnus.

Sur l’Ossau Iraty et sa confiture de cerises noires, petit caprice rituel de la maison Taillevent, on me sert un pineau des Charentes qui colle bien au plat mais le domine trop. Le croustillant au pamplemousse, sorbet à la Chartreuse est un dessert délicat que je verrais bien cohabiter avec de vieux sauternes si l’on prend soin d’expédier une nouvelle fois les chartreux en exil à Tarragone. A la table voisine, un couple d’américains octogénaires déjeunent avec une discrétion exemplaire. Quand on plante devant eux une bougie d’anniversaire de mariage, ils s’excusent presque que ce ne soit pas le cas.

Le restaurant Taillevent est une adresse où il fait bon déjeuner ou dîner, et je m’y sens bien.