Départ à Los Angeles pour trois repas de rêvejeudi, 5 novembre 2009

Lorsque je fais un voyage, j’aime raconter des petites anecdotes sur le service, la considération du client ou du voyageur, petites émotions et tranches de vie, et je me suis demandé pourquoi. Deux éléments m’ont marqué. Ayant moins de dix ans, j’ai assisté au départ en avion de mon frère aîné qui rendait visite tout seul à son parrain en Algérie. L’angoisse de ma mère voyant partir son tout jeune fils était impressionnante. Mon père a garé sa voiture à Orly devant l’avion, le personnel d’accueil a materné mon frère que nous avons vu emprunter l’escalier qui monte dans l’avion dont nous avons suivi l’envol. Il n’y avait aucun bâtiment massif, juste un stand au pied de l’avion. Pas d’attente et une prise en charge conviviale. Ce minimalisme de la prise en charge d’un voyageur dans un aéroport, comparable à ce qui se passe pour les avions privés, m’est toujours apparu comme un idéal. Le deuxième exemple, vingt ans plus tard, c’est le Trans-Europe-Express, le TEE, dans lequel le jeune cadre que j’étais se rendait parfois à Bruxelles. Prendre le TEE pour aller à Bruxelles était une astuce qui faisait rire. Dans ce train, le petit déjeuner servi sur des nappes blanches, par un personnel en gants blancs, avec du vrai beurre et de vraies confitures, c’était le luxe tel que le prodiguait l’Orient Express pour des expéditions plus orientées vers la rêverie ou l’aventure.

Depuis, la massification des déplacements a conduit à ce que l’importance soit donnée au traitement de masse et non plus à la satisfaction individuelle. Il faut « traiter » du nombre. Me rendant à Los Angeles, j’ai deux heures et quart d’avance avant mon départ, en posant le pied à Roissy. Les queues successives au dépôt des bagages, à la douane, au contrôle au scanner des impedimenta, tels que mes chaussures et ma ceinture de pantalon, et à l’accès en cabine, ne m’ont laissé que deux minutes pour un éventuel shopping que je n’ai pas fait tant j’étais lassé de ces queues serpentines.

Le voyage s’est bien passé et l’attention du personnel d’Air France est exemplaire. Une belle invention est de doter chaque place d’un écran où l’on programme soi-même le démarrage du film de son choix. En deux repas et trois films, je n’ai pas vu le temps passer. Ce n’est pas le cas pour le passage en douane à l’arrivée, car selon les théories d’Einstein, 75 minutes de queue, c’est beaucoup plus long qu’onze heures d’avion.

L’arrivée au Beverly Willshire hôtel est assez impressionnante. Je croyais en avoir fini avec les queues. Eh bien non, ça recommence à la réception. Ma chambre est d’un luxe impeccable, et après une courte sieste, je m’apprête à aller porter les bouteilles prévues pour le dîner de demain au restaurant Spago.

Le hall et les abords de l’hôtel ressemblent en cet instant à un vidéo-clip tel qu’on en voit sur Trace TV qui pourrait être rebaptisé Trash TV. Une Rolls Royce décapotable à la plage arrière en bois de teck comme un fringant voilier, des Mercedes toutes plus customisées les unes que les autres, laissent sortir de jeunes blacks, puisque c’est ainsi qu’il faut les nommer. Les garçons sont sapés comme des princes. Pas de casquette, pas de jeans en sacs de pommes de terre. Ils sont apprêtés jusque dans les plus infimes détails, créant des personnages dignes des films sur la vie d’Al Capone. Les filles toutes sculpturales sont moulées dans des robes fourreau dont le bustier est à débordement. Et c’est amusant de les voir tirer sur le tissu de leurs minirobes pour essayer de protéger une intimité que le couturier semble avoir voulu révéler. On ne peut que rester bouche bée devant ce défilé de créatures de rêve, qui semblent indiquer que les clips ne représentent pas que des fantasmes. Le devoir m’appelant je vais au restaurant Spago où je laisse Yquem 1949 et 1959, déclarées à la douane comme de simples échantillons.

Je dîne ensuite à l’hôtel d’une belle pièce de bœuf. De beaux repas m’attendent dans les trois jours à venir.