Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Un Pétrus éblouisssant sur un repas de truffe au Petit Verdot vendredi, 13 janvier 2012

Jean-Philippe, on ne le quitte plus ! A table à l’Arpège, il a montré une photo d’un plat de truffe qu’il a mangé récemment au Petit Verdot. Il nous dit : « si vous voulez en profiter, il faut se dépêcher ». Aussitôt dit, aussitôt fait, une table est réservée pour le lendemain.

Qui dit truffe dit Pétrus, aussi à 19 heures, arrivé en avance au restaurant Le Petit Verdot et accueilli par Hidé, j’ouvre une bouteille de Pétrus 1981 au niveau dans le goulot. Le bouchon résiste et se déchire en mille morceaux dont seuls ceux du bas sont imprégnés. Le bouchon avait bien joué son rôle. Une odeur intense emplit la pièce du premier étage. Le vin sent la truffe avec une intensité maximale. Si l’on veut que le vin s’aère, il ne faut pas laisser le niveau dans le goulot. Aussi est-ce par pur esprit de sacrifice que je décide de verser deux verres dont un pour Hidé, pour que l’oxygène soit efficace. Ce vin est Pétrus, au fond de l’âme. Il est d’une jeunesse incroyable et avec Hidé nous nous disons que si l’on disait 1995, on ne ferait pas d’erreur. Le vin est généreux, avec une acidité élégante, une étoffe puissante, et ce qui est marquant c’est une persistance aromatique absolument infinie. Le vin ne quitte plus le palais. Cléopâtre se baignait dans du lait d’ânesse. Nos palais sont noyés dans la truffe. Et c’est indélébile.

Les amis arrivent et j’ouvre les bouteilles. Le Champagne Jacquesson 1988 dégorgé en juillet 2009 et non dosé est très original. Par certains aspects il me rappelle des vins de Selosse, car il est légèrement fumé, cendré et vineux. Il se boit bien avec une belle épaisseur en bouche. Sur l’amuse-bouche à base de boudin noir, j’ai l’intuition que c’est le Clos de Vougeot Grand Cru domaine Leroy 1997 qui répondra le mieux et l’accord est cohérent. Délicieusement bourguignon, fruité, il deviendra canaille par la suite.

Le menu tout truffe n’est pas à la carte, « car il serait trop cher » nous dit Hidé. L’œuf poché à la truffe sent la truffe, c’est le moins qu’on puisse dire, car elle est envahissante. Son parfum signe sa qualité extrême. L’œuf est un peu discret par rapport à la tubercule, et je me mets à rêver de l’œuf d’hier à l’Arpège sur cette truffe de compétition. Le Château La Conseillante 1990 est « le » pomerol doctrinal, serein, adapté à son sujet. Car il épouse la truffe et la met en valeur. On sent que ce 1990 a devant lui des jours heureux, car il va s’épanouir encore. C’est un grand pomerol rassurant.

Le chef du Petit Verdot a fait ses armes aux côtés de Bernard Pacaud, qui avait mis au point avec Claude Peyrot au Vivarois la recette du feuilleté à la truffe entière et au foie gras. L’exécution de ce plat est miraculeuse, et l’on sent que l’on épouse un dogme. Ce plat est un pilier de la cuisine bourgeoise raffinée, celle que l’Unesco vient de sacraliser. Et quand on mange de façon gourmande, on sait que l’on tient la recette parfaite. Comme s’il avait compris l’importance de ce moment unique le Pétrus 1981 se montre magistral. Il se confond avec la truffe et nous sommes entraînés dans une osmose unique. La mâche de la truffe que l’on mord à pleine dent est la même que la mâche du vin velouté, totalement truffé, à la longueur infinie. Quel grand Pétrus. Un des amis chez qui j’avais bu mon premier Pétrus 1990 dit que ce 1981 est son plus grand Pétrus. Le jeune ami de vingt ans pour qui c’est le premier Pétrus est ému de commencer à « apprendre » Pétrus sur une aussi magique bouteille. Le vin est immense, d’une folle jeunesse, plus jeune que La Conseillante, et crée une atmosphère recueillie quasi religieuse, d’autant que le plat est d’une exactitude confondante. C’est sans doute illogique de le dire alors que nous n’avons parcouru qu’un trentième de l’année, mais ce pourrait être le sommet gastronomique de cette année 2012.

La bavette d’Hugo Desnoyers est fondante et goûteuse. Avec la truffe, c’est un régal. Le Château Gruaud Larose 1959 apporté au dernier moment est encore un peu trouble. Son nez est distingué. Malgré une légère fatigue, le vin a la noblesse et la sérénité de son grand millésime. Et l’accord est parfait. C’est intéressant d’associer la bavette avec le Saint-Julien et avec le Clos de Vougeot car les deux accords sont très différents. Le bordelais donne des notes veloutées, confortables, glissant en bouche avec volupté. Le Clos de Vougeot au contraire devient canaille, interlope, jouant sur la provocation gustative. C’est aussi un temps fort de ce repas.

Le vin de Bourgogne est déjà presque totalement asséché quand arrive un Aisy cendré fort crémeux qui lui convient bien. Un Mont d’Or et les desserts vont accompagner un Champagne Perrier Jouët 1978 que j’avais aussi apporté. C’est un champagne assez gouleyant, généreux, mais qui ne crée pas une émotion particulière. Il est là, il désaltère et c’est sa fonction.

En fin de repas, nous sommes quasiment groggys, car nous avons conscience d’avoir vécu un de ces moments uniques qui marquent d’une pierre blanche le parcours gastronomique de chacun. Hidé ne recherche pas les étoiles au guide rouge, car il veut rester maître de son destin, avec sa générosité et sa liberté. Et ce soir nous avons glané des émotions dont l’intensité dépasse celle des plus grandes tables étoilées que nous pratiquons. Dans son petit restaurant sans nappe, sans chichi, Hidé et son chef Yoshi Morie nous ont donné du bonheur, et Pétrus, sur une année qui n’est pas la plus spectaculaire, nous a donné les frissons qui justifient son statut de vin hors catégorie. Ce fut un immense moment.

déjeuner au restaurant l’Arpège mercredi, 11 janvier 2012

Jean-Philippe lance un message : « j’ai une table au restaurant l’Arpège, voulez-vous venir ? ». Tomo et moi disons oui. Nous sommes quatre et carte blanche est donnée au chef. Après des petites amuse-bouche légumiers, les plats se succèdent : sushi à la betterave rouge original et délicat, ravioles et bouillon aux légumes gourmands, damier de coquilles Saint-Jacques et truffe au goût très prononcé, langoustine à la chair crue très typée au caviar osciètre dont le goût est moins prononcé, un oignon rose en crème brulée très bien exécuté, des légumes croquants, spécialité de la maison, un œuf qui me fait tomber en pâmoison tant il est gourmand, une lotte et sa purée de céleri, un ris de veau croquant, une volaille cuite en croûte de sel à la sauce lourde et une succession de desserts.

Les plats brillantissimes d’Alain Passard sont l’œuf, l’oignon rose, la betterave en sushi et le pot pourri de légumes. Du pur talent. Le Champagne Egly-Ouriet 2002 est bien fait, mais il manque un peu de vibration. J’ai eu, de cette maison que j’apprécie, de bien meilleures expériences. A l’opposé, le Champagne Agrapart Minéral Extra Brut Blanc de Blancs Grand Cru 2005 suggéré par Gaylord est beaucoup plus vibrant et plaisant. Il s’anime sur les plats et notamment sur le bouillon.

Le Volnay 1er cru Mitans de Montille 2002 est un vin simple, facile, avec l’authenticité d’un vin de village. Je l’adore, et il crée un accord inattendu mais brillant et pertinent avec l’œuf du fait du poivre bien dosé du plat. Le Vosne-Romanée 1er Cru Aux Brulées Méo-Camuzet 2001 est un vin plus structuré et plus plein en bouche que le Volnay, ce qui est naturel, mais ne lui fait pas d’ombre. Ce qui est à signaler, c’est l’efficacité et la motivation d’une équipe enjouée qui nous a permis de partager un grand repas.

repas dans le sud avec un beau Corton Charlemagne samedi, 7 janvier 2012

Quelques jours plus tard, toujours dans le sud, nous invitons des amis qui n’avaient pas pu se joindre à nous pour le réveillon. Le Champagne Dom Pérignon magnum 1998 est vraiment joli dans cette bouteille. Et le contenu n’a rien à envier au contenant. Il est devenu plus vineux, et avec du jambon Belota-Belota, c’est un vrai bonheur, car le gras excite la belle bulle d’un champagne large et gourmand. L’association se fait aussi avec de la mimolette, donnant au champagne plus de tension.

Deux beaux homards passés au gril accompagnent un Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 2000. Le parfum de ce vin est généreux et très complexe. En bouche, le vin est gourmand. Il a des myriades d’évocations joyeuses et se boit vraiment avec gourmandise.

Le cuissot de chevreuil et sa purée de céleri et patate douce est délicieux. La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1986 est d’un grand raffinement. Le vin s’est assagi, il n’explose pas de fruit et on peut l’aimer ainsi, noble et élégant. Je préfère toutefois les Côtes Rôties de Guigal sur la fougue de leur jeunesse.

Des pots de crème au chocolat se prennent sur un Champagne Perrier-Jouët rosé 1966 qui plait à mes amis mais ne peut masquer son évolution, au-delà de la splendeur que j’ai tant aimée de ce vin. Notre amie a classé comme moi les vins de ce soir : 1 – Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 2000, 2 – Côte Rôtie La Landonne Guigal 1986, 3 – Champagne Dom Pérignon magnum 1998, 4 – Champagne Perrier-Jouët rosé 1966.

réveillon J+1 les folies de l’après match dimanche, 1 janvier 2012

Le lendemain matin – enfin – plutôt vers la fin de matinée, nous profitons d’un soleil invraisemblable pour cette période de l’année. La table est mise dehors pour le déjeuner, dernier repas de notre groupe, puisque Jean-Philippe prendra son vol en fin d’après-midi.

Les restes du repas d’hier et le reste des vins vont nous permettre de nous régaler, certains plats et certains vins se montrant meilleurs que la veille. Les vins qui sont meilleurs le lendemain sont le Clos du Mesnil 1990, le Chevalier Montrachet 2000, et l’Yquem 1975. Les vins qui sont moins bons le lendemain sont le Krug 1976, La Tâche 1998. Ceux qui sont identiques sont le Montrachet 1993 qui affiche encore son goût de bouchon même s’il est faible, et La Tâche 1996, toujours aussi brillante. Le seul que nous ne pouvons pas juger est le Cathelin 1991, parce que nous en avons essoré toutes les gouttes au réveillon.

Vient maintenant le cas du Pétrus 1952. La couleur et le sédiment indiquent clairement que le vin peut être de 1952, contrairement aux jugements de ceux qui pensaient que le vin est trop jeune. Le parfum est de truffe, et je retrouve le velouté que Pétrus peut avoir. Le vin est incontestablement meilleur que la veille et l’idée d’un faux a nettement moins de consistance. Tomo risque une hypothèse d’un vin qui a été stocké trop froid, et qui a besoin de temps avant de s’épanouir, ce qui expliquerait que nous ayons été si critiques hier. On ne peut plus ignorer l’hypothèse que ce soit un Pétrus. De toute façon, je ferai examiner ce vin au domaine afin d’en avoir le cœur net. Je dois avoir en cave un autre Pétrus 1952, mais de mise belge (de mémoire). J’ouvrirai volontiers deux bouteilles au siège de Pétrus pour en avoir le cœur net.

Le seul vin ajouté à ce déjeuner est un Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1978 de Tomo, dont la couleur trop ambrée fait craindre le pire. Le vin est plus agréable que ce que la couleur suggère, mais le vin n’a pas le niveau que cette année merveilleuse pour les blancs de Bourgogne pourrait avoir.

Beaucoup des plats sont meilleurs que la veille. Le caviar pris seul est divin avec le Clos du Mesnil. Le turbot est moins cuisiné mais sa chair a pris de la consistance. Le homard juste réchauffé est merveilleux avec des petits morceaux d’oignon cru. Les boudins sont meilleurs, le foie gras coupé en dés et poêlé est magnifique et je constate que la meilleure préparation pour la truffe est de l’associer aux dés de foie gras, car la chaleur et le gras du foie exhaussent les qualités de la truffe.

Jean-Philippe m’a fait un vrai cadeau, car il était venu avec une saucisse de Morteau qu’il cuit maintenant, et je tombe en pâmoison tant je suis un adorateur de la Morteau. Le chevreuil est très bon maintenant, mais il était plus cuisiné hier et il avait comme compagnon un divin Cathelin de Chave. Ma femme avait préparé un brie au mascarpone et truffe nettement moins parfumé que celui que nous avions goûté provenant de la Maison de la Truffe, alors que la truffe en provient aussi.

Le stilton s’améliore au fil du temps et trouve dans l’Yquem 1975 une résonance de première grandeur. Nous prenons le café sur des arlettes.

La messe est dite. Jean-Philippe va partir. Nous rêvons déjà aux grands moments que nous partagerons en 2012. Ce grand week-end fut inoubliable.

La couleur n’est pas très engageante

de l’art d’accommoder les restes :

Les vins du week-end (hors Petit Nice) :

réveillon du 31 décembre samedi, 31 décembre 2011

Peu avant le déjeuner j’ai ouvert les deux La Tâche, 1996 et 1998 aux parfums résolument différents, celui du 1998 dans le fruit et celui du 1996 dans l’opulence. Et j’ai ouvert aussi le Cathelin 1991 au parfum des mille et une nuits. Vers 18 heures, j’ouvre les autres vins et peu avant 20 heures j’ouvre les champagnes, car l’ouverture au dernier moment du Krug 1996 m’avait donné envie de profiter d’une ouverture précoce afin que les champagnes soient immédiatement épanouis sur table. Lorsqu’est venu le temps d’ouvrir le Pétrus 1952, je constate avec une grande appréhension que la capsule manifestement très jeune est neutre avec une grappe de raisin comme on en voit pour les mises en bouteille de négociants. Et le bouchon, dont le dessus est un peu poussiéreux, ne porte aucune indication. C’est un bouchon neutre, qui plus est de piètre qualité. Je commence à trembler, car j’ai acheté récemment une caisse de Pétrus 1952, caisse bois magnifique et bouteilles en paillons de belle présentation. Je me demande si je suis victime d’une entourloupe. Je retrouve les mails du vendeur qui explique qu’il s’agit d’une mise en bouteilles de Madame Loubat, facilement authentifiable à Pétrus selon ses dires, et qui déclare que le millésime est inscrit sur le bouchon. Or le bouchon que j’ai tiré n’a aucune indication.

Nous sentons le vin avec Jean-Philippe et Tomo. Le nez est riche de truffe et annonce quasiment à coup sûr qu’il s’agit d’un pomerol. Mais le vin semble trop jeune pour l’un, trop vulgaire pour l’autre. Je ne sais pas quoi dire, et ce qui me vexe le plus, c’est l’incertitude. Je m’en veux tellement d’avoir acheté en laissant des zones d’ombre.

Cette ombre a marqué mon visage, chacun prenant conscience de ma déconvenue.

Pendant ce temps, Jean-Philippe organise l’espace de la cuisine en fonction du menu qu’il concocte depuis deux jours. Voici le résultat de ses réflexions : Huître, artichaut, caviar / Turbot, céleri, truffe noire / Noix de St Jacques, patate douce, poireaux toastés / Homard, avocat, yuzu / Ris de veau à la truffe noire / Queue de veau au sumac, navet long / Foie gras poché, fleur de cerisier / Filet de chevreuil, panais, sauce boudin noir / Raviole de mangue au pamplemousse rose.

Deux amis arrivent juste avant les vœux du président de la République dont nous avons une écoute citoyenne. Après ces doctes paroles, nous passons à table. Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1990 est d’une grande noblesse. Il en impose par sa complexité et sa force de persuasion. Il réagit divinement aux trois composantes du plat, mais c’est sans doute l’artichaut qui met en valeur sa noblesse. Le caviar Prunier d’Aquitaine est d’une qualité très supérieure à celui de Noël. Le Krug est majestueux, impressionnant de précision, avec des notes citronnées charmantes que révèle l’huître Gillardeau goûteuse.

Le Champagne Krug 1976 est d’une couleur à l’ambre prononcé. Le vin est plus évolué que des 1976 que Jean-Philippe et moi avons bus. Mais cette maturité lui va bien. C’est fou comme les évocations de fruits correspondent à la couleur du vin. J’adore ce Krug. Le turbot est d’une chair incroyablement parfaite, avec une mâche unique, le céleri est démoniaque. C’est lui qui fait vibrer le plus le Krug.

La patte de Jean-Philippe est dans les poireaux toastés, signature indispensable du plat de coquilles. Le Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1993 est hélas marqué par un léger bouchon qui n’empêche pas, malgré tout, de profiter de sa finesse discrète et de son élégance.

Le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 2000 au contraire est insolent de jeunesse et de force. Quelle puissance de conviction ! C’est un grand vin blanc qui ne peut nier qu’il est Leflaive, avec une générosité et une plénitude rares. C’est un très grand vin et le homard breton est tout simplement génial, l’avocat et le yuzu propulsant sa chair à des hauteurs gastronomiques extrêmes.

Le ris de veau est d’une tendreté remarquable et accompagne le Pétrus 1952. Le nez du vin est très truffé et en bouche, le vin est très bon. Pour Jean-Philippe, il est trop jeune pour être de 1952. Pour Tomo, il a du cabernet qui empêche qu’il soit Pétrus. Pour moi, c’est l’absence du velouté caractéristique de Pétrus qui met un doute. Mais ce qui m’énerve le plus, c’est le doute. Car on ne peut pas jurer à 100% qu’il s’agisse d’un faux. Le doute est là, avec de fortes présomptions, mais la certitude n’est pas là. Je porterai sans doute la caisse à Pétrus pour une expertise complète.

Inutile de dire que c’est une tempête sous mon crâne et les amis passent leur temps à me convaincre de me vider l’esprit de ce sujet. Heureusement, les vins qui suivent vont m’y aider.

Jean-Philippe, qui me connait bien, a voulu faire un plat canaille comme je les aime. La queue de veau au sumac, navet long a des saveurs interlopes, et j’adore. Et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1998 met un sourire sur mon visage. Elle est incroyablement fruitée, avec la signature du domaine mais surtout une générosité particulière. L’association est divine et le vin a une longueur extrême.

Par contraste, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1996 est beaucoup plus représentative du domaine, avec une râpe que j’aime tout particulièrement. Le 1998 est un jeune tout fou, alors que le 1996, plus noble et plus notable, emboîte le pas des vins du Domaine. Bien évidemment, la fleur de cerisier exacerbe la qualité du pinot noir du domaine. L’accord avec le foie poché est d’une rare élégance.

Qui aurait dit que nous aurions avec l’Ermitage Cuvée Cathelin Chave 1991 une émotion d’une telle intensité. Car, tel une fusée, ce vin nous transporte à des hauteurs infinies, loin de tous les autres vins. Et fort curieusement, tout ce que j’aime dans les vins du domaine de la Romanée Conti se retrouve dans ce vin de Chave : la salinité, la délicatesse en dentelle et une profondeur d’une lisibilité extrême. Ce vin peut soigner toutes mes douleurs, car il est d’une perfection absolue. Il va entrer dans mon Panthéon, comme faisant partie des vins plus que parfaits que j’ai eu la chance de boire. La sauce au boudin noir rehausse le goût, alors que le vin n’a besoin de rien, et le plat est aussi divin. Nous sommes dans un nirvana gastronomique.

Le Chateau d’Yquem 1975 est sans surprise un très grand vin, aux arômes d’agrumes avec un peu de miel, et en bouche un or fondu de plaisir. Rien ne peut mieux lui convenir que le dessert, raviole de mangue au pamplemousse rose. Quand on tient un plat gagnant, inutile d’en changer.

Quelqu’un demande si un alcool ne ferait pas l’affaire, et ma femme, l’imprudente, va chercher un whisky japonais que Tomo nous avait offert cet été, qui titre 58°. Dans notre folie, nous finissons sur les effluves diaboliques de ce whisky parfait Single Cask Malt Whisky Karuizawa 1967.

Que dire de ce repas ? Il fut certainement l’un des plus créatifs de Jean-Philippe, avec des subtilités extrêmes et une sérénité remarquable. Les chairs ont été superbes, grâce aux approvisionnements auprès de boutiques tenues par des esthètes. Les accords ont été remarquables, ciselés, d’une pertinence absolue surtout grâce aux seconds rôles qui valent bien des premiers : artichaut, céleri, poireau toasté, yuzu, sumac, et surtout fleur de cerisier et boudin noir. Par son côté canaille, c’est la queue de veau qui emporte mon cœur, mais le plat le plus accompli est celui du chevreuil, aidé par le plus grand vin de notre séjour dans le sud.

Pour ce réveillon, mon classement sera : 1 – Ermitage Cuvée Cathelin Chave 1991, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1996, 3 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 2000, 4 – Champagne Krug Clos du Mesnil 1990.

N’était la blessure du Pétrus 1952, plus créée par le doute que par le vin lui-même, d’autant qu’il me reste onze sujets de nouvelles souffrances à affronter, ce réveillon fut un des plus réussis que nous ayons faits, avec un vin extraterrestre, le Cathelin 1991, et une cuisine d’un raffinement inégalable. Ajoutons à cela la chaleur d’une amitié qui se renforce encore, et nous avons tout lieu d’être heureux d’avoir franchi la ligne du millésime 2012 d’une aussi parfaite façon.

réveillon – ouverture des vins samedi, 31 décembre 2011

trois rouges ont été ouverts avant le déjeuner pour le soir : La Tâche 1998, La Tâche 1996 et Cathelin de Chave 1991

on note les hauts de bouchons très différents alors qu’il n’y a que deux ans d’écart

ce qui est très étonnant c’est que Chave n’a pas fait faire des bouchons spécifiques pour l’Ermitage, utilisant des bouchons pour l’Hermitage, avec un « H » !

les autres vins ont été ouverts vers 18 heures

Voici maintenant le grand moment d’émotion avec l’incertitude créée par la neutralité de la capsule et du bouchon de Pétrus 1952

de plus, il est de qualité vraiment moyenne et court !

les champagnes ont été ouverts vers 19h30

de bien beaux bouchons !

réveillon J le déjeuner samedi, 31 décembre 2011

Le lendemain midi, jour du 31 décembre, avec un mâle courage, nous sommes prêts à déjeuner à l’eau, pour réserver nos forces au réveillon. Le déjeuner consiste en de fines tranches de Cecina de Léon délicieux et en linguinis recouverts d’abondantes tranches de truffes. Démon tentateur, je propose un Champagne Krug Vintage 1996 et à ma grande surprise, le rempart des grandes volontés cède à la première poussée. Mes amis disent oui. Le premier contact avec le champagne est très vert, mais plus on avance et plus il prend de la rondeur, devenant généreux. Les linguinis cohabiteraient aussi bien avec un vin rouge, mais le Krug est irremplaçable sur les fines tranches de viande de bœuf fumée. Ce champagne est un régal, avec une rémanence en bouche extrême.

réveillon J-1 le soir samedi, 31 décembre 2011

Le soir, pas question de cuisiner. Nous avions tous apporté tant de fromages que ce sera le thème du repas, permettant de finir les vins d’hier. Le Meursault Perrières Jacques Prieur 1995 est nettement moins brillant que la veille, manquant de vivacité alors qu’au contraire la Romanée Saint-Vivant Jean-Jacques Confuron 1997 s’est épanouie et son pinot noir est plus élastique, souple et vibrant. Il est d’un bel accomplissement malgré sa jeunesse.

Le Château Filhot 1975, quant à lui, est solide comme un roc, ayant gagné de l’ampleur. Son agrume claque comme un fouet.

réveillon J-1 au Petit Nice vendredi, 30 décembre 2011

Après le festin de l’avant-veille de la Saint-Sylvestre, la nuit fut rude. Nous nous rendons à Marseille au restaurant de l’hôtel Le Petit Nice. Le voiturier demande le nom de la réservation et par une attention charmante, Gérald Passédat nous attend au seuil de l’hôtel. Les membres de l’équipe qui nous connaissent nous saluent chaleureusement ce qui est très agréable.

Nous sommes installés au bar à une table confortable. C’est Jean-Philippe qui prend en main le choix des vins. L’apéritif consiste en des assiettes individuelles à neuf alvéoles où figurent diverses préparations délicates dont une friture délicieuse et de petits sablés au céleri. Le Champagne Bollinger Grande Année 2002 dégorgé en octobre 2010 est un champagne imposant. Il a une forte personnalité très conquérante et profite à plein des effets d’un millésime d’exception. Son aptitude gastronomique est extrême et son goût possède le code génétique de Bollinger. C’est un grand champagne qui sait être tendu mais aussi accueillant et plein en bouche.

Nous ne choisissons qu’un autre vin, car la pente sera rude, qui nous conduira au changement d’année. Dans les menus, puisque c’est la première fois que Tomo, son épouse et Jean-Philippe viennent en ce lieu, c’est le « menu Passédat » que nous prendrons, qui est une belle introduction à la découverte de l’art du chef. Mais Gérald, ayant envie de nous faire plaisir a remodelé le menu pour notre plus grand plaisir.

Le menu conçu par Gérald Passédat est : avant-goût / rougets de roche en nage d’anis étoilé / bar de ligne comme l’aimait Lucie Passédat / Pagre de palangre grillé, jus de la tante Nia / bouillon de pêche tel une bourride / noix de Saint-Jacques de Saint-Brieuc aux sucs de champignons / navarin de homard au secret du bateau Jean G, truffe d’Alba / l’avant douceur / souplesse de lait de l’Anse des enfers / mignardises.

Ce menu est d’un grand raffinement. Les amuse-bouche, à base de maquereau puis de moule, sont d’une finesse et d’une grande délicatesse. Tous les poissons se mangent avec la peau, tant ils sont bien préparés. Le repas est léger, les quantités sont d’une belle justesse, pour que l’on puisse suivre le chemin sans caler en route. Les plats sont inventifs et le chef est créatif. Et ce que j’apprécie le plus, c’est que ses créations sont sereines, assumées, sans besoin d’en faire trop. Le chef a atteint une sérénité qui donne un équilibre remarquable à tous ses plats.

Le champagne a accompagné le début du repas jusqu’aux rougets en deux préparations raffinées, l’anis étoilé trouvant une résonnance dans le champagne. Ensuite, c’est un Chablis Grand cru Les Clos Vincent Dauvissat 2005 qui a fait la suite du repas jusqu’au homard, la fin du repas se déroulant à l’eau minérale, ce qui mériterait une photo.

Le chablis est d’une grande pureté et d’une belle précision. La première impression est glycérinée, mais elle disparaît quasi instantanément, dès que l’on mange le pagre. Le vin s’installe, très minéral, et qui change de facette en fonction de l’acidité du plat. Car son acidité naturelle est élégante et s’adapte aux mets rencontrés. Je l’ai adoré sur le pagre et sur le turbot. Il est encore jeune et s’épanouira à son plus grand bénéfice, mais c’est déjà un chablis de haute stature, et flexible en gastronomie raffinée comme ici.

C’est sur les premiers plats que la créativité du chef est resplendissante. Sur des plats plus traditionnels comme les coquilles Saint-Jacques et le homard il s’adapte aux produits alors qu’au début il les précède. Les desserts et mignardises sont d’une grande élégance.

Nous étions placés à une table idéale, sur la mer violemment agitée par un fort mistral. Le soleil étincelant, presque aveuglant, créait des ombres dans les jolies assiettes creuses des plats, rendant les photos difficiles. Le service attentif est une des qualités de cette belle maison. Avec ma femme, nous nous sommes fait la réflexion que nous devrions y revenir plus souvent.