verticale de Barolos Monfortino à Castiglione Falletto samedi, 11 novembre 2006

Je suis dans un avion en partance pour Turin. Le dîner où je vais me rendre, je n’en sais pas grand-chose. On m’a dit qu’il y aurait un groupe rare de vieux Barolo. J’avais tant entendu – pour autant qu’on entende sur internet – que les Barolo sont les plus grands vins du monde, qu’il me fallait m’y rendre. Survoler les Alpes en constatant que les neiges éternelles sont devenues très rares est assez impressionnant. Je comprends les craintes de Yann Arthus-Bertrand. Je me dirige vers Alba où c’est jour de marché puis vers le Ristorante « Le Torri » de Maria Cristina Rinaudi à Castiglione Falletto, petit village perché, proche d’Alba, dominant des vignes de Barolo. Revenant à Alba pour acheter un tirebouchon plus propice aux vins anciens que les outils du restaurant, j’assiste à la vente de truffes blanches sur des étals de circonstance. Il parait qu’elles ne sont pas très belles cette année : « ah, si vous étiez venu en 2004 !», phrase qui rappelle le grand classique des pêcheurs : « vous seriez venu hier, on avait à peine le temps de lancer la mouche qu’une prise était faite ».

Je suis accueilli par deux suisses, organisateurs de l’événement, qui me connaissaient par des forums et avaient lu mon livre. Décidemment, après le dîner belge, j’ai plus de lectorat hors des frontières qu’en leur sein. De retour de notre promenade en Alba, nous déjeunons à « Le Torri » et je peux constater la générosité et la motivation de ce jeune couple. Tout aura été fait, à ce déjeuner mais surtout au dîner, pour que nous soyons satisfaits.

Le dîner a pour thème les Barolo Conterno Monfortino aussi à midi nous prendrons des Barolo Conterno qu’on pourrait appeler « ordinaires » puisqu’il ne sont pas Monfortino, mais sont de grands vins. Le Barolo Conterno 1998 est une bonne entrée en matières pour comprendre ce monde fascinant. Le Barolo Conterno 1997 est très différent, plus typé même si moins direct. Lequel préférer ? La difficulté de la réponse préfigure les dilemmes de ce soir.

J’ai tellement parlé de mes méthodes d’ouverture des vins qu’on me demande d’officier. Je le fais bien volontiers et l’un des organisateurs est impressionné que l’on puisse sortir intégralement des bouchons qu’il imaginait se désagréger entièrement. C’est le nez du 1955 qui est le plus éblouissant. Sentant le nez des deux vieux sauternes, je demande à Maria Cristina si elle peut faire un dessert de quartiers d’oranges juste poêlés. Sa gentillesse n’aura pas de limites.

Nous serons treize à table. Je reconnais un ami suisse avec lequel j’avais participé à une historique verticale d’Yquem, un membre du Grand Jury Européen, ce jury qui classifie des vins dans des confrontations célèbres. Le propriétaire du domaine, Roberto Conterno, est là au milieu de suisses, italiens, monégasques auxquels s’ajoute un sommelier américain. Je suis le seul français. Roberto a imposé la formule, qui ressemble plus à une dégustation thématique qu’à un dîner.

Le temps de se présenter et de regarder les bouchons que j’ai présentés dans de petites assiettes, nous dégustons un champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en octobre 2005. Ayant été conquis par ce champagne en Savoie, à Jongieux, je bois du petit lait. La bulle s’éteint très vite. Mais le vin, d’une élégance hors du commun est remarquable. Combinant le vineux et le floral, je l’imagine volontiers s’associer à des coquilles Saint-jacques.

L’entrée dans le monde de Conterno commence par le Barbera Cascina Francia 2001. Ce vin sera très bon dans quinze ans, mais pour l’instant, c’est trop fort, très fruité, voire agressif. Trop envahissant pour moi.

Roberto Conterno avait insisté pour que l’on ait devant soi dix verres, comme s’il fallait faire une dégustation professionnelle. L’esprit des convives était plus à vagabonder de l’un à l’autre autour d’un repas. Grâce au talent de Maria Cristina, nous avons pu trouver un juste équilibre entre l’examen œnologique et le plaisir gastronomique.

Nous passons à table. Voici le menu : tartare de veau piémontais et saucisse de veau de Bra / œuf poché et sa fondue de fromage / pâtes « Tajarin di Bruna » à la viande de Bra / cochon de lait et poireaux de Cervere / fromages régionaux / tranches d’orange juste poêlées / tourte au citron / tarte aux pommes à la crème / mignardises et café.

Le premier service de vins comprend les Monfortino 1993, 1990, 1988, 1985 et le Barolo Cascina Francia 1982. Le compte-rendu qui va suivre provient des notes prises à la volée. Ces vins riches changeant perpétuellement dans le verre, les impressions ne cessent de changer.

Au nez, le 1985 est le plus brillant. Le 1982 est dans des gammes d’odeurs qui me correspondent. Le 1990 a un nez très brillant. En bouche, le 1993 est très astringent, très vert, pas ouvert. Le 1990 commence par être austère, tannique. Le 1988 s’oriente vers des saveurs de Porto. Le 1985 est grand, long, son amertume est élégante. Un voisin fait remarquer que tous les vins ont des notes de cacao. Le 1982 a énormément de dépôt. Il est agréable, même s’il a évolué et vieilli. J’aurais volontiers commencé à classer le 1985 devant le 1990, mais ce dernier s’impose. Comme tous ces goûts changent presque à chaque gorgée tant ces vins s’épanouissent, à un moment le 1988 passe en tête, malgré son léger goût de bouchon. Le 1982 fait trop « brûlé », le 1993 s’anime. Le 1990 a une structure d’une noblesse rare, le 1985 fait plus évolué. L’onctuosité du 1990 me plait énormément. Mon classement à ce stade est 1990 / 1985 / 1988 / 1993 / 1982, alors que j’entends beaucoup de convives mettre le 1982 en premier. Roberto Conterno nous demande : « s’il y avait une seule bouteille à acheter maintenant, laquelle prendriez-vous ? ». La majorité penche pour 1985 puis pour 1982. Je suis le seul à indiquer 1990 qui représente pour mon palais la structure la plus raffinée. Pour mon goût, les 1990 et 1985 se détachent du lot.

La deuxième série comporte les Monfortino 1978, 1971, 1961 et 1958 et le Barolo Cascina Francia 1964. Il y a une nette séparation des couleurs. Les 1978 et 1971 ont un beau rouge foncé. Les trois plus vieux ont un rouge très clair tendant parfois vers le tuilé et vers des robes de bourgognes vieux de plus de cinquante ans. Le nez du 1978 est très pur, brillant. Le nez du 1971 est grand, presque parfait. Celui du 1964 fait nettement avancé. Le nez du 1961 est plus intéressant même s’il trahit son âge. Le nez du 1958 est encore plus avancé avec des tendances animales.

En bouche, le premier contact avec le 1978 est celui d’un vin fruité, très beau, qu’une légère acidité rétrécit un peu. Cette caractéristique va disparaître. Le 1971 est un peu amer mais a plus de longueur. Il n’est pas opulent, mais sa trame est belle. Le 1964 est très étonnant, car il apparaît sur l’instant flamboyant. Il est loin d’être parfait, il a une petite fatigue, mais il est rond, joyeux, alcoolique. Le 1961 est très exact. Rond, fruité, équilibré, structuré, il remplit bien la bouche. Le 1958 ressemble à un armagnac. C’est plaisant, mais ce n’est plus du Barolo. Noter des vins si différents va devenir difficile car chacun a sa personnalité. Le 1978 qui fait plus jeune a gagné en longueur. C’est vraiment le Barolo dans la définition que j’imagine, n’en étant pas expert. Le 1971 reste amer, le 1964 perd de son charme. Le 1961 reste beau, le 1958 garde une structure très forte et atypique. Je classerais volontiers 58 / 78 / 61 / 71 / 64 malgré le charme initial du 64. Après plusieurs approches, mon classement de cette série sera 1978 / 1961 / 1971 / 1958 / 1964. Dans la première série, il y avait deux vins au dessus du lot. Ici, c’est le 1978 seul qui émerge.

Roberto demande à nouveau quelle bouteille serait achetée parmi les dix bues jusqu’à présent. Une grande majorité de désirs se tournent vers le 1978. Vient ensuite le 1971, que je ne trouve pourtant pas parfait. Je suis le seul à voter pour le 1990.

Il faut vite laver des verres pour accueillir les vins suivants et chacun hésite sur les verres à rendre, car beaucoup des amateurs présents voudraient suivre les odeurs de ces grands vins qui évoluent toujours. Le Barolo Conterno Monfortino 1955, qui avait l’odeur la plus belle à l’ouverture et pour lequel j’avais dit avant le repas et sans l’avoir goûté : « vous verrez, ce sera le gagnant », délivre maintenant une odeur parfaite. Je suis amoureux de son goût, fait de terre et de truffe. Il est chaud en bouche. Il est de la trempe du 1961, avec un équilibre très supérieur. Petit à petit il va perdre ses racines terriennes. Je me demande s’il n’eût pas fallu l’ouvrir au dernier moment.

Le Barolo Conterno Monfortino 1943 dont le niveau dans la bouteille était assez bas par rapport aux autres a une couleur trop tuilée. Au nez, l’alcool domine, et en bouche, il y a des inflexions animales. Ce vin a dépassé les limites de sa vie, même s’il est buvable. Il n’a plus de réel intérêt. Le 1955 continue d’être fort, alcoolique, puissant.

Tous les vins anciens avaient été carafés avant le service pour éviter le dépôt. Voyant la fragilité du Clos de Vougeot Liger-Belair 1919, je décide de prendre les choses en mains, et je sers treize verres sur une autre table, en homogénéisant pour chaque verre des gouttes du début, du milieu et de la fin de bouteille. Ce vin n’aurait pas résisté à un carafage. Le vin a perdu une partie de ses pigments, car le dépôt en fond de bouteille est fort noir. Mais le nez est subtil et la bouche charmante. C’est un vin plaisant, même si l’on voit bien qu’on est loin de ce qu’il pourrait être.

A ce stade, fatigué car je m’étais levé à 4h45 ce matin pour prendre le premier avion, mon vote est le suivant : 1 – Monfortino 1990, 2 – champagne Substance de Jacques Selosse, 3 – Monfortino 1955, 4 – Monfortino 1978, 5 – Clos de Vougeot 1919.

Je constate avec effroi qu’il reste deux magnums de Monfortino à servir, ainsi que deux sauternes. Mon intention est de faire l’impasse du Monfortino 1998. Je la fais. Mais quand mon voisin me fait sentir le Monfortino 1987, je ne peux résister, car c’est celui-là qui est le plus parfait. Ce Monfortino a tout pour lui. Le nez est intelligent, spirituel, et en bouche, il est d’une pureté irréelle. C’est le plus grand de tous.

J’avais demandé à Maria Cristina quelques tranches de quartiers d’orange pelés et poêlés. Avec le Cru Labonade Peyraguey Sauternes 1949, l’association est excitante et sera plébiscitée par plusieurs convives. Le Sauternes n’est pas puissant mais il est expressif. Il est délicieux. C’est un petit cousin, en très discret, de l’éblouissant Lafaurie-Peyraguey, un de mes sauternes préférés. Un Sauternes générique de négoce 1919 est bouchonné, avec un goût de poussière. Mes nouveaux amis constateront avec étonnement à quel point ce vin va s’améliorer, sans revenir toutefois à ce qu’il devrait être. Mais il devient « presque » bon. Mon vote final, qui satisfera Roberto Conterno, est le suivant :

1 – Monfortino 1987, 2 – Monfortino 1990, 3 – champagne Substance de Jacques Selosse, 4 – Monfortino 1955, 5 – Monfortino 1978, 6 – Sauternes Cru Labonade Peyraguey 1949, 7 – Clos de Vougeot 1919.

A noter que le 1955 que j’avais repéré au nez à l’ouverture des vins fut le vin préféré de l’un des deux organisateurs.

Je descendis les rues de ce village pour rejoindre ma chambre d’hôte suffisamment confortable pour une nuit réparatrice. Je retrouvai les organisateurs pour un petit déjeuner à l’hôtel « Le Torri » où ils logeaient. Nous déjeunâmes ensemble, mais à l’eau cette fois. Le patron, mari de la sympathique cuisinière nous offrit le repas, ce qui confirme encore l’impression chaleureuse de ce restaurant où il faut revenir. Tant de générosité culinaire et humaine mérite d’être encouragée.

Que retenir de ce dîner ? Je ne connaissais pas bien les Barolo. Cette verticale aura levé le coin d’un voile. Il est assez significatif qu’aimant les vins anciens j’ai préféré en ce dîner des vins très jeunes. Est-ce parce que Monfortino vieillit mal ou est-ce dû aux bouteilles présentées ? Je crois que ce vin s’exprime mieux quand il a vingt ans. Il peut vieillir, comme le montre le 1955. Mais le plaisir sera plus grand pour un vin de quinze à vingt ans.

Je retiens l’accueil plus que sympathique des deux organisateurs, suffisamment discrets pour laisser chacun s’exprimer. Je retiens l’atmosphère amicale qu’ont créée les deux restaurateurs, ce qui donne envie de revenir vite. Je retiens la beauté des sites piémontais qu’un brouillard m’a empêché de contempler, identique à la fatigue qui embrumait les plus anciens barolos. Il me reste encore à découvrir des barolos âgés qui rivaliseraient avec leurs contemporains français. Et je retiens les propos intéressants échangés avec des amateurs talentueux, expérimentés et passionnés.

Ce fut un bien beau voyage, dont le souvenir sera aussi tenace que le parfum d’une truffe blanche d’Alba.

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 9 novembre 2006

Le 77ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent, complice de ces dîners pour la 11ème fois. La belle table habituelle est préparée avec un soin jaloux, et Patrick Lair, partenaire actif des ouvertures de vins officie avec moi avec une minutie exemplaire. Les parfums du Suduiraut 1955 sont si puissants dans des arômes d’agrume qu’après en avoir discuté avec Philippe Bourguignon, je demande un autre dessert, que nous déterminons avec le chef pâtissier.

Le menu élaboré sous l’autorité de Philippe Bourguignon et le talent d’Alain Pégouret : Rouelles de pommes de terre et pied de porc / Trompettes de la mort juste rissolées, crémeux d’œuf de poule et jaune coulant sur un sablé fin au parmesan / Saint-jacques et cèpes saisis à la plancha, jus aux fines herbes et purée d’ail / Épaule d’agneau de Lozère confite aux épices d’un tajine, haricots risina / Râble de lièvre rôti, sauce « royale » et tagliatelles / Vieux Comté / le dessert initial était : Mousseline peu sucrée de marrons ardéchois en mille-feuille croustillant, brisure de châtaignes grillées il fut remplacé par une cuiller aux marrons et un feuilleté de dés de mangues au piment d’Espelette. Cette solide cuisine, dans des directions semblables à celles de Taillevent, fut intelligemment propice aux vins.

Avant que n’arrivent mes convives, on m’avait fait goûter au bar une cuvée spéciale de Duval-Leroy 2001 presque non dosée, que j’ai trouvée d’un grand agrément. Toujours au bar, les premiers arrivés ont préparé leur palais avec un champagne Deutz. Après les consignes d’usage, nous passons à table. 

Ma charmante voisine, seule femme devant dix hommes, peu intimidée de son infériorité numérique adora le champagne Ruinart « R » Brut NM du fait de son équilibre harmonieux où la bulle active titille un goût expressif. Ayant porté un toast avant que l’entrée n’arrive, nous avons pu mesurer à quel point le champagne chante encore plus sur le pied de porc. Il prend une sensualité extrême.

Le champagne Krug 1988 est d’un raffinement rare. Sa structure est d’une précision remarquable. Le plat de trompettes de la mort est une nouveauté très originale. L’œuf, qui n’est pas l’ami des vins, est bien domestiqué par le parmesan. Mais c’est surtout le champignon de belle texture qui fait briller le Krug, en l’allongeant élégamment.

Il n’est pas fréquent que l’on présente deux vins identiques dans ces dîners. C’est la générosité d’un convive qui permit cette comparaison. Le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1988 avait à l’ouverture un nez beaucoup plus joyeux que le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1983. L’écart était très net. Servi à table, la balance penchait encore pour les arômes du 1988. Mais en bouche, la maturité acquise par le 1983 le rend plus agréable. J’aime beaucoup plus le 1983 de mon ami que la belle rigueur classique du 1988. Mais la table n’a pas cette analyse. Les préférences s’équilibrent entre l’un et l’autre. La richesse et la profondeur du 1983 m’ont conquis. Car l’âge a donné une suavité qu’un convive rapproche de Barsac.

Le Château Ausone 1966 se présente au nez d’une spectaculaire façon. Un fidèle convive dit qu’on pourrait ne pas boire tant le parfum enivre, procurant un plaisir complet. C’est assez éblouissant. Le Château Latour 1er GCC 1952 a un nez nettement plus discret. En bouche, l’Ausone est délicieux, classique, très typé Saint-émilion. Mais c’est le Latour qui me transporte au septième ciel. Quel vin immense. Ce qui est intéressant, c’est qu’un vigneron ami présent à la table me dit qu’il préfère de loin Ausone. Mais quelques minutes plus tard, il révisera son jugement et conviendra de l’incroyable perfection d’un Latour qu’on n’attendrait jamais à ce niveau en considérant son millésime. C’est certainement l’un des plus grands Latour que j’ai bus. J’ai demandé au vigneron bourguignon de fermer les yeux en buvant Latour, en pensant à un Chambertin 1929. Et, si l’on admet de ne pas s’arrêter à la définition stricte du cépage, on a un velouté en bouche qui évoque les plus grands chambertins. L’épaule d’agneau est un compagnon idéal pour que ces deux bordeaux s’expriment bien.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Ainé 1980 fait partie de mes bonnes pioches. L’année étant mauvaise en bordelais, on n’imagine pas aisément que ce vin puisse être bon. Or il l’est. Il n’a pas une palette sensorielle aussi étendue que des grandes années, mais il est rassurant.

La Côte Rôtie L. de Vallouit 1966 est solide, confortable, avec un final en bouche joyeux. Ces vins ont un charme fondé sur la simplicité et la franchise. On en tire la quintessence avec le râble.

Quand on croque un morceau de Comté en prenant soin de bien le marquer de salive, le Château Chalon Jean Bourdy 1955 fait exploser son goût de noix, pour un plaisir indicible dont je ne me lasserai jamais.

L’Anjou Rablay Maison Prunier 1928 est la curiosité absolue de ce dîner. C’est lui que je veux découvrir. Quel plaisir, quelle surprise, quel dépaysement. Ce vin fait partie de ma recherche. Car aucun Anjou de moins de cinquante ans ne peut approcher de près ou de loin de cette complexité de goûts. Ce vin est d’une richesse rare, d’une subtilité sensuelle, d’une complexité enthousiasmante et d’une longueur extrême. J’étais heureux. La petite cuiller au marron glisse bien sur l’Anjou.

Le Château Suduiraut Sauternes 1955, c’est le vin le plus rassurant qui puisse exister. Il a tout ce qui fait la grandeur de Suduiraut, une jeunesse insolente et un aplomb de marlou. Les agrumes dansent une farandole joyeuse. On est bien. Le piment d’Espelette délicatement dosé donne un joli coup de fouet à la mangue pour un bonheur parfait.

Tout paraissait si naturel, facile, qu’on pourrait se demander si chaque repas ne devrait pas être comme celui-là. Les discussions sont animées, et la cérémonie des votes allait être une occasion de plus de voir à quel point les goûts et les préférences sont dissemblables. Sur onze vins, neuf ont figuré au moins une fois dans les quartés, ce qui est toujours sympathique. Six vins ont eu droit à un vote de premier. On sait que cela me plait. Le plus couronné est de loin le Suduiraut 1955 avec cinq votes de premiers. Le Château Latour 1952 récolta deux votes de premier et quatre autres vins eurent un vote de premier : le champagne Ruinart, le Château Ausone 1966,  la Côte Rôtie Vallouit 1966 et l’Anjou Rablay 1928. Le vote du consensus serait : Suduiraut 1955, Latour 52, Ajou 1928 et Château Chalon 1955.

Mon vote fut : Château Latour 1952, Anjou Rablay maison Prunier 1928, Château Suduiraut 1955 et Côte Rôtie L. de Vallouit 1966. Mon ami vigneron n’avait pas le même ordre mais la même sélection de quatre vins ce qui nous réjouit. Ce dîner de bonne humeur a réuni des passionnés. Chez Laurent, c’est toujours un succès.

dîner wine-dinners du 09/11/2006 au restaurant Laurent jeudi, 9 novembre 2006

dîner de 11 personnes,

  1. Champagne Ruinart « R » Brut NM  
  2. Champagne Krug  1988
  3. Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1988
  4. Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1983
  5. Château Ausone 1er GCC 1966
  6. Château Latour 1er GCC 1952
  7. Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Ainé 1980
  8. Côte Rôtie L. de Vallouit 1966
  9. Château Chalon Jean Bourdy 1955
  10. Anjou Rablay Maison Prunier 1928
  11. Château Suduiraut 1955

champagne Salon et caviar samedi, 4 novembre 2006

Je vais le raconter de façon « people » pour m’en amuser (1). Ma fille cadette m’a donné en cadeau d’anniversaire un « bon pour… ». Très souvent, ces « bon pour » se perdent dans l’oubli. Celui-ci ne sera pas perdu car il s’agit d’une paire de chaussures de chez Berluti. Rendez-vous est pris au magasin, avec promesse d’un déjeuner. Création exubérante, travail de bottier, je prends deux paires dont une est mon cadeau. J’ai retenu une table. Ce sera au restaurant Pétrossian où j’ai évidemment retenu ma boîte de caviar. Nous profiterons d’une montagne de caviar Malossol, special réserve Persicus. Le caviar n’est bon que quand on en a trop. Le grain est gros, bien délié, d’un gris clair, et son attaque en bouche est d’une précision extrême. Le sel est élégant, l’iode enjôleuse. C’est un très grand caviar. Le lecteur attentif se demande sur quel vin ou quel champagne nous allons croquer ces précieux grains. Question facile ! Sur le champagne Salon 1988 bien sûr. Une cave trop chaude sans doute a fait vieillir plus vite ce grand champagne et ce n’en est que mieux. Son vineux affirmé est absolument parfait sur le caviar. L’un et l’autre se prolongent. L’accord sera encore plus beau avec un plat que j’expérimente pour la première fois, un tartare de bœuf avec du caviar Sévruga. Car la tendresse de la viande apaise le choc de confrontation du Salon et du caviar. Pendant le repas je regardais mes pieds chaussés d’un cuir à la patine inimitable. Il est des samedis matin qui ne sont pas chagrin.

(1) si j’évoque ce sujet « people », c’est que sur un forum français de vins, dès que je parle de mes aventures, c’est considéré comme de la provocation si je cite un nom prestigieux ou un vin inaccessible. Ce sujet serait considéré comme odieusement people. D’où l’allusion.

Pour le caviar regardez cet article en tapant sur "slate"

Les Chateau Chalon montent à Paris ! jeudi, 2 novembre 2006

A l’INAO, dans un hôtel particulier à la décoration luxueuse d’une autre époque, dans une salle vert et or dont le vert insistant, imprégnant, crée une atmosphère d’irréalité, les vignerons du Jura présentent leurs Château Chalon, et uniquement ce vin là, pour les années 1999, 1998 et 1997. Et puis ils se laissent aller pour remonter les années jusqu’en 1947. Une des conditions pour accéder aux plus anciens est d’avoir goûté tous les plus jeunes. Comparer les mérites de Tissot, Macle, la fruitière de Voiteur, Durand-Perron, Courbet, Grand, Bourdy et autres vignerons est sans doute d’un grand intérêt pour les professionnels qui sont venus nombreux par curiosité, devoir de savoir, soutien et amitié. Pour moi qui n’ouvrirai sans doute jamais des années aussi jeunes, c’est plus l’occasion de butiner. Et je fais bien, car en passant des années qui m’inspirent à ces vins jeunes, je me plais à les aimer. Si l’âge convient à Château Chalon, la jeunesse est loin d’être rédhibitoire. Mais un tropisme certain m’attire vers la table où Jean-François Bourdy présente les plus anciens présentés, que je connais déjà. Le Château Chalon Bourdy 1958 est très plaisant, joyeux.

Château Chalon Bourdy 1952, que j’avais déjà encensé lors de la fabuleuse dégustation de plus d’un siècle de Château Chalon me plait au-delà de tout. Il est plus aérien, moins vineux, et son élégance naturelle s’accorde à mon palais. Le Château Chalon Bourdy 1949 d’une première bouteille me paraissait un peu limité. Une seconde bouteille à l’ouverture d’une minute seulement m’apparaît beaucoup plus excitante.

celui-ci sera bu le 9 novembre

Le Château Chalon Bourdy 1955 que je vais d’ailleurs ouvrir à un dîner la semaine prochaine est toujours aussi sûr, complet, parfait. Le 

Le Château Chalon Bourdy 1947, c’est le Château Chalon parfait, impérial de construction. Mais j’avoue un petit faible pour le 1952 moins typique. Dans la hiérarchie logique, le 1947 sera devant 1952. Ce sont des vins de pur plaisir qu’un Comté de 24 mois et un Comté de 15 mois mettent en valeur avec classicisme et pertinence. C’était un exploit de faire venir à Paris autant de vignerons du Jura ensemble pour présenter leurs vins. Beaucoup de sommeliers et gens de presse sont venus. Il fallait que cette promotion de vins merveilleux eût lieu.

Pétrus 1990 et autres folies amicales mercredi, 1 novembre 2006

C’est un pavillon de banlieue à l’orée d’une forêt. Le terrain est en friche car on y refait l’allée. Dans la maison, tout respire le vin. Les cartons de vins s’amoncèlent et attendent d’être descendus en cave. Un peintre a fait de nombreux portraits de toute la famille et sur presque tous les tableaux, le sujet tient en mains un verre de vin. La cuisine étroite bruisse de mille mouvements car Laurent, qui nous invite, exécute avec minutie les recettes de son gros livre. Les effluves sont sympathiques. Laurent est cet ami que j’ai rencontré chez Marc Veyrat et que j’ai vu pleurer quand il a constaté que son vin était splendide. Un tel homme nous fera forcément une cuisine sensible.

On m’avait suggéré de ne pas apporter de vins « car il y a ce qu’il faut ». Mais j’en ai apporté, « pour le cas où ». J’ouvre mes bouteilles pendant que l’on nous sert un champagne Pol Roger 1989. La couleur est d’un jaune pur, sans trace d’ambre, la bulle est presque éteinte. On sent en le goûtant qu’il a beaucoup vieilli, sans avoir pour autant accroché ce qui fait le charme des champagnes anciens. C’est cependant un excellent champagne.

D’une bouteille de Pol Roger 1934, il ne reste que moins de la moitié. Que va donner ce champagne qui est au-delà de tout seuil de vidange ? Le champagne a une couleur de thé austère. La bulle n’existe plus et pourtant la langue est titillée par un perlant de bon aloi. Le nez est expressif et je trouve ce champagne extrêmement passionnant. Il est un témoignage encore très vivant d’un beau champagne.

Un autre champagne Pol Roger 1934 d’un meilleur niveau, d’une couleur plus claire, va accompagner un foie gras poêlé et des tranches de pomme. On ne peut pas juger du nez quand l’assiette est servie. Le champagne devient doucereux avec la pomme au goût très pur. Ce champagne élégant, civilisé, plait plus à mes convives alors que je préfère le plus blessé, plus sauvage, plus excitant.

Un magnum sans étiquette ni capsule est posé sur la table. Le vin est joyeusement doré. Le nez est expressif, dense, minéral et fruité. C’est un grand vin. En bouche, beaucoup de charme, d’expressivité, d’intensité. Personne ne trouvera qu’il s’agit d’un magnum de Chablis Grand Cru Les Clos François Raveneau 1975. Je m’en veux, car je l’ai déjà souvent bu. Une lotte au riz basmati a une sauce faite de fenouil, de réglisse et de gingembre. C’est avec cette sauce divine que le Chablis s’exprime le mieux.

La générosité de notre ami est sans borne, car arrive maintenant Pétrus 1990. La robe est belle, très dense, foncée. Le nez est assez discret mais annonciateur. En bouche, c’est comme l’hostie d’une première communion. J’avais déjà bu Pétrus 1990 au sein d’une prestigieuse verticale où il avait brillé. Ici, en situation de repas, c’est le vin tel qu’on doit le boire. La finesse d’un tapis d’orient se mesure au nombre de nœuds par mètre carré.  Ici, c’est le tapis au grain le plus fin qui puisse s’imaginer. La trame de ce vin, sa consistance, sont exceptionnelles. On sent le sérieux du merlot, la rigueur du Pomerol, mais c’est tellement élégant que je suis, comme toute la table, frappé par la grâce et la longueur de ce vin de légende. Bien sûr, en le buvant, on est fortement influencé par le fait que c’est Pétrus. Et alors ! Pourquoi pas, si cela augmente le plaisir. Le poulet de Bresse fort bon laisse la vedette au vin, car ce n’est pas tous les jours qu’on boit un tel trésor.

J’avais apporté un Chambolle-Musigny de Chonion négociant 1973, parce que je crois beaucoup à ce vin au niveau parfait dans la bouteille. Il y a autour de la table de très grands amateurs. Je voulais qu’ils partagent mes coups de cœur. Je suis ravi que le vin ait été compris. Tout le charme de la Bourgogne est là. Il y a des évocations de confiture de rose que je trouve ravissantes. Je me plais avec ces petits vins agréables, chantant un air bourguignon. Ce vin est un de mes petits régals.

Sur une côtelette d’agneau, un Beaujolais Choix de Pasquier-Desvignes 1967 est une joyeuse surprise. L’un de nos amis, un scientifique (il y en a beaucoup autour de la table), qui a donné à une époque de sa vie des cours d’œnologie, a trouvé beaujolais quand nous nous égarions en Bourgogne. C’est une belle prouesse car ce vin pinotait allégrement.

Le Chambolle-Musigny les Charmes Grivelet 1934 est d’une sensualité exceptionnelle. C’est un grand et fringant bourgogne. Sur un filet de biche aux choux le Pommard Charles Viénot 1947 que j’avais apporté fait un peu cuit, torréfié. Ce défaut est atténué par le gibier qui se plait à son contact. Mais ce vin qui avait fait un long périple jusqu’ici avait souffert du voyage après avoir, sans doute, un peu gémi en cave.

A partir de ce vin, mon attention va se brouiller, même si je suis attentif, car la profusion de bonnes choses est extrême. Le Pommard Rugiens de Bouchard Père & Fils 1966 est absolument superbe. Sa jeunesse est rassurante et ne sera pas contredite par le bambin qui suit. Le Gevrey-Chambertin Claude Dugat 1999 est joyeux mais je serais bien en peine d’en dire plus. Il accompagne les fromages, comme le Chablis Montée de Tonnerre Verget 1995.

Sachant que ces amis ont tout bu, tout connu, pour les étonner, il me fallait du gros calibre. J’avais dans ma besace un vin dont je suis amoureux fou : Côtes du Jura blanc Jean Bourdy 1942, l’année d’une des plus grandes réussites de ce vin. J’ai évidemment vibré à sa perfection excitante, car ce vin fait partie de mes recherches gustatives. Je perds toute objectivité quand je bois ce vin aux évocations sans limite.

Le Château Suduiraut 1990 est une façon certaine de bien conclure un tel repas d’anthologie, mais on n’allait pas s’arrêter là, car un thé de Brassempouy de 1989 (à Brassempouy, je ne connais que le Dame), constituait pour moi une découverte étonnante, un Bas Armagnac Cépages Nobles Boingnères 1977 rappelle que les alcools d’Armagnac comptent parmi les plus fins. Un alcool de poire fut le dernier drap qui bordera le sommeil d’une future nuit impénétrable. Tant de générosité, d’érudition sur le vin et le goût, ravissent l’âme. Il faut vite une revanche tant le feu de la passion de ces esthètes mérite d’être attisé.

un bien étrange message de Robert Parker mardi, 31 octobre 2006

Voici le message (cliquez sur le mot message avant cette parenthèse)

Si Robert Parker n’aime pas les vins du Domaine de la Romanée Conti en 2002, pourquoi pas, c’est son droit.

Mais de là à dire que l’amateur qui boit ces vins est un buveur d’étiquettes, il y a un pas que Robert Parker ne devrait pas franchir.

Il doit rester dans son rôle, suggérant au consommateur vers quels vins orienter ses achats.

Tout jugement sur le consommateur, avec un dédain évident, devrait être proscrit de sa communication.

Quand le gourou descend dans l’arène, ce n’est jamais très bon.