le réveillon de Noël dimanche, 24 décembre 2006

Descendre en cave pour choisir les vins de Noël est toujours une grande excitation. Tant de choix sont possibles. Tant de bouteilles me tendent les bras. J’essaie toujours de tenir compte aussi des bouteilles qui doivent être bues. Je ne m’attendais pas à un tir groupé d’une perfection absolue.

Sur des toasts au foie gras et du jambon pata negra, nous commençons par Château Laville Haut-Brion 1948. La bouteille n’avait pas d’étiquette. La capsule porte nettement le nom du château, et le bouchon est très lisible. Seule l’année est difficile à lire. Le 1 et le 9 sont clairs. Le troisième chiffre est plutôt un 4, et le quatrième est soit trois soit huit. J’opte pour 1948. Le niveau est très haut dans la bouteille, proche du goulot, la couleur est d’un jaune d’or, avec encore le vert de la jeunesse. Le nez est précis, charmant, très pâte de fruit d’agrumes. En bouche, le vin est d’une précision rare. L’acidité est forte. Les agrumes sont nombreux. Ce qui fascine, c’est la complexité associée à une énorme précision.

Nous passons à table, car le vin a été prévu pour le premier plat. C’est une pomme de terre à la crème de truffe et aux abondantes tranches d’une belle truffe. Le plat évoque les produits de la terre et le Laville lui donne un caractère aérien. Il me semble que je suis en train de tenir en bouche l’accord de l’année. Car tout est d’une subtilité invraisemblable. C’est la pomme de terre dans sa pureté qui conduit le Laville à étaler la structure de ses agrumes. Nous nageons dans le bonheur d’un raffinement ultime. La longueur du Laville 1948 est inextinguible.

Ma femme a réalisé l’idéal que je demande aux plus grands chefs. Le filet de biche à la tendreté idéale est cuit sans sauce, dans son sang. Le navet est pur, sans aucune saveur accessoire. Et le Château Mouton-Rothschild 1943 se fait biche quand il est bu avec la biche, et adopte une salinité intéressante quand il suit le navet. C’est un accord aussi éblouissant que le précédent. La bouteille à la jolie étiquette traditionnelle, sans les peintures qui ne commencèrent qu’en 1945 avec le fameux « V » de la victoire, avait un niveau de mi-épaule. A l’ouverture, le bouchon fort imprégné avait une acidité vinaigrée. Mais je décelais dans l’odeur un fond de velours et de douceur qui promettait que le vin serait au rendez-vous. Et il le fut d’une façon spectaculaire. Propulsé par la chair de la biche, ce vin précis, soyeux, a montré un équilibre, une définition pauillacienne parfaite qui impressionne. Il fait partie des grands Mouton que j’ai bus.

La tâche allait être plus dure pour le vin invraisemblable que j’avais choisi. Un négociant Lafite et Cie est installé à Bordeaux. Il a une succursale à Bruxelles. Et là bas, il a imprimé des étiquettes de « château Yquem » et non pas « Château d’Yquem ». Et il appelle son Yquem « grand vin ». En plus, il écrit l’année à la main « cru 1921 ». Et cette bouteille qui a perdu beaucoup de son volume du fait d’un bouchon très rétréci est un sujet d’inquiétude. La couleur est belle, le nez est très agrume. Que va-t-il donner après avoir pris l’oxygène salvateur ? Le dessert consiste en des tranches de mangue juste poêlées sur une assiette, et des quartiers de pamplemousse sur une autre. Ces goûts très purs vont révéler la perfection de cet Yquem. Il est évident que c’est Yquem, et il est tout aussi évident que c’est Yquem 1921. Il a été embouteillé par un négoce belge comme cela se faisait fréquemment. Et nous avons la pureté absolue de l’Yquem 1921, presque parfaite, tant le niveau bas n’a pas affecté sa trame très précise. Un vin à la longueur infinie, au charme d’Yquem, mis en valeur pas des goûts sans complication. Le caramel est un peu moins présent que d’habitude, car les agrumes révélés par les desserts ; sont éblouissants.

Il est impossible de classer ces trois vins tant ils sont différents. Ce qui me frappe, c’est que chacun fut la pure définition de ce qu’il devait être, même lorsque le niveau était signe de danger. Et la pureté clinique des recettes a favorisé les vins qui se complaisent de saveurs pures. L’accord le plus pur, c’est le Mouton 1943 sur la chair de la biche. Mais la pomme de terre crémée de truffe sur le Laville Haut-brion 1948, c’est d’un charme énigmatique renversant. Je n’aurais jamais parié que mes vins atteignent ces niveaux de perfection.

The wines for Christmas dimanche, 24 décembre 2006

Le moment de remonter les vins de cave est toujours excitant car on est obligé de faire des choix.

Pour le 24 (ce soir) :

Laville Haut-Brion 1952
Mouton Rothschild 1943
Yquem 1921
. Cette bouteille est vraiment particulière. Etiquette de négoce, avec
comme titre Chateau Yquem et non Chateau d’Yquem. Ensuite, négociant Lafite et Cie à Bordeaux (Gironde), mais il y a marqué aussi : Bruxelles. Et enfin, l’année 1921 est écrite à la main. Je pense que c’est vraiment Yquem 1921, mais mis en bouteille à Bruxelles par un négociant bordelais. Comme j’ai la mémoire d’Yquem 21, on va vérifier

Pour le 25 (midi) :
Champagne Mumm 1937
Laurent Perrier Grand Siècle
(très vieux)
Puligny Montrachet Ph. Meunier 1949 (il a l’air complètement madérisé, mais sur un foie gras poêlé, ça peut marcher
Vin de l’Etoile Philippe Vandelle 1967 (je suis un amoureux fou des vins de l’Etoile. ce sera sur une volaille crémée à la truffe)
Madère mis en bouteille en 1875

Je ne sais pas si ce sera bon. Mais le fait de prendre ces vins en cave, c’est déjà une partie du plaisir.

Laville Haut-Brion 1948 dimanche, 24 décembre 2006

La bouteille est sans étiquette. La capsule est bizarrement mise sur le goulot (sans doute relevée pour lire l’année). L’année est difficile à lire. J’ai commencé par lire 1952. Mais avec une loupe, j’ai déchiffré 1948.

Un nez extraordinairement intense. Nous verrons.

 

A very curious Yquem 1921 dimanche, 24 décembre 2006

The label says "grand vin".

Then, instead of writing "chateau d’Yquem", the label says : "chateau Yquem".

The picture is really Chateau d’Yquem.

The label concerns the Brussels susidiary of this "négociant", who put his name on the capsule.

 The year is hand written and requires my trust. We will see !

Conseils de modération samedi, 23 décembre 2006

Si aujourd’hui, boire et conduire sont deux exercices qui s’excluent l’un l’autre, l’idée n’était pas la même en 1935, car on considérait alors qu’un digestif, c’est fait pour digérer !

Voici un conseil qu’il ne faut plus suivre, évidemment.

 

La Turque 1999 au Royal Monceau vendredi, 22 décembre 2006

Un ami écrivain du vin avec lequel j’aime partager de belles impressions culinaires invite quelques amis avec son épouse au restaurant le Jardin du Royal Monceau. Un banquier et un vigneron vont goûter comme moi les vins apportés par mon ami. Le menu élaboré par le chef Christophe Pelé est d’une grande précision : semoule de brocolis, minute de coques râpées de truffes blanches d’Alba / noix de Saint-jacques dorées, raddichio de trévise, pistou rouge / filet de bœuf Hereford rôti, foie gras poêlé, gnocchi de betterave, parfumé de truffe noire et vinaigre de Pedro Ximenez / fromages / Bûchette noire aux amandes, fondant café, crème glacée au gingembre.

Dans cet hôtel où les décorations variées font un patchwork « à la » Garcia, le restaurant en forme de hutte conique de Samoyèdes supportée par de lourdes hallebardes napoléoniennes est un dépaysement total. On se croit embarqué dans une soucoupe extragalactique. Le champagne Dom Pérignon 1995 est le meilleur moyen pour s’enfoncer avec délices dans les confortables fauteuils. Ce qui est fascinant, c’est la montée en régime de ce champagne généreux. Il est réglé comme un feu d’artifice : on sait que tout ira crescendo. Et la coque va évidemment lui tirer des accents de pur plaisir. Sa trace en bouche, lisible, limpide, est la signature de Dom Pérignon.

Le Puligny Montrachet Domaine Leflaive 2003 a le côté rassurant de tout vin de ce remarquable domaine. On est sur un vin qui ne joue pas sur la puissance. Sa jolie expression, non encore totalement formée, est elle aussi très claire et lisible. Un beau vin de plaisir déjà agréable maintenant.

Après La Landonne 1986 d’hier, comment allais-je ressentir la Côte Rôtie La Turque Guigal 1999 ? Il y a en effet un monde générationnel et gustatif entre les deux vins. On est ici dans la fougue de la jeunesse, avec le clou de girofle, le cassis, et cette brutalité fougueuse. Mais la viande goûteuse apprivoise tout cela. Et je profite d’un vin diablement jeune mais plaisant, à des lieues de la sérénité de La Landonne 1986, mais déjà plein de charme.

J’avais goûté avec mon ami le Banyuls de l’Etoile 75ème anniversaire. Comme l’étiquette montre en très gros le chiffre 75, le reste étant illisible, nous avions fait l’erreur la première fois de croire que c’est 1975. En fait, c’est un assemblage de plusieurs années, qui montre à l’évidence qu’il y a des composantes de plus de 50 ans, qui améliorent la patine de ce vin. C’est absolument sensuel et je suis un passionné des Banyuls. Celui-ci est lourdement alcoolique, et sur la bûche au chocolat, il peut chanter à tue-tête.

Dans un restaurant assez désert puisque l’on est avant Noël, nous avons eu un choix de vins « à la française », du plus agréable plaisir.

Bonnes fêtes de Noël et meilleurs voeux jeudi, 21 décembre 2006

Une idée de fête, c’est ce magnum de Veuve Clicquot rosé 1964 entouré de deux magnifiques aiguières à champagne.

Je souhaite à tous les lecteurs de ce blog et à tous ceux avec qui j’ai partagé de grands vins, de bonnes fêtes de Noël et mes voeux de bonne et heureuse année.

Such a picture gives an image of fine dining and drinking.

I wish all the visitors of this blog, and to all the persons with whom I have shared great wines, a very happy Christmas, and a very successful new year.

difficult to find a wine which has just 100 years !

 

Noël commence très tôt avec La Landonne 1986 jeudi, 21 décembre 2006

Noël donne lieu à des dîners familiaux qui démarrent avant l’heure. Ma fille cadette vient dîner à la maison avec son futur époux. Pour une fois, c’est à moi d’adapter mes vins au programme de ma femme. Sur des toasts au foie gras, nous dégustons Haut-Brion blanc 1979. La couleur a commencé à s’ambrer légèrement. Le nez est distingué. En bouche l’acidité est forte. C’est surtout les agrumes, dont le citron, qui apparaissent. Le vin est évidemment plaisant, mais je reste un peu sur ma faim. Alors que son bouchon est impeccable et son niveau parfait, ce vin me donne l’impression d’avoir vieilli trop vite. Ses agrumes rappellent un peu ceux de l’Yquem 2002. Nous passons à table et le Haut-Brion se met à exister. Sur la coquille Saint-jacques juste poêlée, sur les poireaux saisis à la crème, et sur les racines de cerfeuil. Le vin vibre, trouve une longueur qu’il n’avait pas. C’est un Haut-Brion blanc plutôt sec et discret qui ne marquera pas ma mémoire même s’il fut bon.

Tout cela n’est pas grave, car le vin qui arrive a de la générosité pour deux. Sur des pâtes al dente et un foie gras juste saisi, la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1986 est un vin impérial. C’est « le » vin parfait. Il a tout. Sa couleur est intense et dense, son nez est chaleureux et tend les bras. Et en bouche, le velouté est exquis, rehaussé par l’apaisante saveur du foie gras traité en douceur. Ce vin est tellement simple que c’en est presque insolent. Un vin que l’on n’arrêterait pas de boire tant il est extraordinaire. C’est incroyable qu’avec ce vin on ne se pose aucune question. Il est là, il est beau, il affiche une longueur rare, et tout y est intégré, ordonnancé pour donner le plus grand des plaisirs. Quel vin ! Sur le papier, un tel accord ne paraîtrait pas évident. Il le fut car le doucereux et le velouté se combinaient sensuellement.

Pressentant sans doute qu’un liquoreux conclurait le repas, un fromage à pâte bleue bien crémeux arrive sur la table. Le Château d’Yquem 1954 est d’une couleur particulièrement foncée, évoquant un thé fort ou du sucre fondu. Le premier parfum qui s’exprime est celui de l’ananas, suivi d’agrumes et de thé. En bouche, le vin est fort, caramélisé, et les agrumes s’ouvrent quand le vin s’aère. Je sens ce vin un peu fermé, un peu poussiéreux, de faible longueur, mais Yquem étant Yquem, très expressif. Et le coup de baguette magique vient des tranches d’ananas juste poêlées sur une trace de beurre et de vinaigre balsamique, nappées d’un fin coulis de mandarine. Comme si l’on avait réveillé les instincts les plus profonds de l’Yquem il s’est mis à chanter sur l’ananas, et a trouvé une longueur qu’il n’avait pas. Magnifique Yquem qui me semble faire partie des Yquem chauffés de soleil, cueillis tard, aux accents de 1921. L’avant Noël démarre bien.