expérience inoubliable au restaurant El Bulli et un vilain désagrément samedi, 2 juin 2007

Un grand jour se prépare car un ami vigneron nous a aidés, ma femme et moi, à trouver une place au restaurant El Bulli. L’arrivée à l’aéroport de Perpignan commence par un salut au Canigou, qui de son sommet contemple des vins parmi les plus grands de mon coeur, les Rivesaltes, les Banyuls, les Maury,  vins gorgés de soleil. Nous longeons la côte extrêmement ventée jusqu’à Roses en passant par les ravissants villages de Collioure et de Cadaquès. A Roses, l’hôtel Vistabella surplombe la mer dans le même esprit que l’hôtel des Roches au Lavandou. Ici, la protection du littoral n’a pas des règles aussi strictes qu’en France et les constructions s’ajoutent de façon anarchique. L’hôtel est confortable, notre chambre est agréable. On nous dit qu’il y a un restaurant gastronomique animé par un nominé pour une étoile pour le guide Michelin. Nous prenons donc le grand menu dégustation pour vérifier cette assertion. Je m’étais promis de ne pas boire de vin, mais la lecture de la carte des vins me fait céder. Je jette mon dévolu sur  Vieux Château Certan 2000. Je suis assez subjugué par sa perfection. Plus que de dire c’est un authentique Pomerol, je dirais : c’est un authentique Bordeaux. Il a le charme que tout bordeaux devrait avoir. Elégant sans forcer, subtil, c’est un grand vin. Il n’y a pas beaucoup de bordeaux que je mettrais à ce niveau là, du fait de cette élégance sans artifice. Le menu dégustation d’un chef extrêmement talentueux oscille entre la création pour le seul fait de créer et la cuisine la plus subtilement exécutée qui soit. Nous avons longuement commenté avec lui chacune de ses préparations lorsqu’il a rejoint notre table. Ces commentaires lui ont plu. Un chef qui promet car son talent est rare, mais qui se cherche encore. Il va se trouver.

Il y aura avant le 2 juin 2007 et après le 2 juin 2007. J’ai connu des renaissances comme celle qu’occasionna un ami libanais amoureux des vins qui me dit : « connais-tu les vins d’Henri Jayer ? ». Je ne connaissais pas et j’ai pris conscience de l’abîme de mon ignorance. Avoir gâché tant d’années en passant à côté de ce qui se faisait de plus pur dans les vins de Bourgogne m’a donné une profonde culpabilité. En ce jour, savoir que j’ai attendu 64 ans avant de découvrir El Bulli me montre une erreur de même magnitude. Ce soir, c’est une seconde naissance. Cette soirée, je la vis comme la pomme de Newton. Il y a avant et après. C’est la découverte de la roue, c’est l’apparition de Léonard de Vinci ou de Picasso. Je ne pourrai plus jamais regarder la meilleure des cuisines par le monde sans penser que là-bas, dans ces terres inhospitalières, sur cette crique féerique qui s’enfonce dans des paysages lunaires, il y a un chef qui a tout vu, tout compris, tout réinventé en faisant jouer les goûts sur des registres totalement inexplorés. Il y a dans cette cuisine une prise de hauteur que je n’ai jamais rencontrée. Ferran Adria repousse toutes les limites de ce que je connaissais en matière culinaire. Il y a dès la première bouchée la sensation que l’on est embarqué dans un vaisseau extragalactique. Il serait vain de décrire ce qui est indescriptible. Tout dépasse les limites de tout ce que j’ai vécu.

Revenons un instant en arrière. Nous sommes à notre hôtel, le Vistabella parce que la vue est belle sur la mer et l’on nous suggère de prendre un taxi. Nous empruntons une route escarpée sinueuse, qui s’engage dans des paysages inviolés irréels. C’est l’Irlande, c’est lunaire, d’une beauté à couper le souffle. On distingue une crique qui protège du vent très fort qui souffle encore. Nous entrons dans une petite propriété où l’on sent que tout est soigné. Je n’arrive pas à trouver la porte d’entrée aussi mes pas me portent le long des cuisines où Ferran Adria donne ses consignes à un personnel fort jeune.

Nous entrons dans un couloir et nous sommes accueillis avec le sourire. « Voulez-vous visiter les cuisines ? ». Nous disons oui. « Attention à la marche » doit être répété des centaines de fois. Nous entrons et nous sommes photographiés avec le maître qui se demandait s’il fallait ou non qu’il soit de la photo.

On nous présente le serveur qui va accompagner notre voyage. Le sommelier est tout sourire et m’apporte le lourd livre de cave. M’attendant à une forte diversité de goût, je choisis le seul vin qui me paraît pouvoir tenir l’ensemble du repas : Champagne Salon 1982. Ce Salon 1982 est en ce moment dans sa période de plénitude absolue. Il est dans la force la plus belle qu’il ne connaîtra sans doute à nouveau que dans quelque vingt ans. Le sommelier eut cette remarque qui signe l’excellence du sens du service : « vous savez, j’ai vu votre site internet ». Serais-je reconnu en ces terres aussi reculées ? Plus tard il a montré à quelques uns de ses adjoints le champagne d’exception que j’avais choisi. Je suis particulièrement fier d’avoir commandé ce vin car à aucun moment, alors que nos papilles font les montagnes russes, le Salon 1982 n’a failli à sa tâche. Il fut exact sur toutes les saveurs, les mettant en valeur, ayant l’intelligence de toutes les situations. Ce champagne parfait a fait un parcours sans faute.

Le menu n’est pas traduit mais il me semble indispensable de le citer : cosmopolitan-mallow / aceitunas verdes sféricas-l / frutas LYO / pepitas de oro / merengue-profiteroles de remolacha y yogur / catanias saladas / corteza de cerdo con olivas negras / « corteza » de pistacho con gorgonzola / bizcocho de pistachos con mousse de leche acida / bizcocho de sésamo y miso / dacqoise de pina verde y pinones / flores de horchata / bombones de mandarina, cacahuete y curri / fondant de frambuesas con wasabi y vinagre de frambuesa / yogur de ostras con px en tempura / judion con panceta Joselito / merengue de tonica Fever-Tree con fresitas al limon / anchoa con jamon y yuba de yogur / risotto de citricos / gnoquis de polenta con café, yuba al azafran y margarita / esparragos en diferentes cocciones / won-ton liquido / topinambour con bacalao / ventresca de caballa en escabeche de pollo con cebolla y caviar de vinagre / raya / rabo de cordero con won-ton de setas / jugo de liebre / torta canarejal con frutos rotos / frutas escarchadas / cereza de oro / Morphings … Les photos de tous ces plats seront sur le blog.

Chaque moment est fascinant. Chaque texture est étudiée, et le processus d’évolution du goût en bouche est éblouissant. Je m’attendais à me laisser guider dans une excursion gustative où j’aurais l’esprit ouvert de la découverte. Je n’eus aucun besoin de me forcer tant j’allais d’émerveillement en émerveillement. Je pense n’avoir jamais participé à un dîner de cette qualité. Il n’est aucune comparaison possible avec quelque chef que ce soit. Sur trente plats, même si l’on boit lentement, il arrive un moment où le Salon tarit. Et le sommelier m’apporte un Amantillado O?ana Garvey Jerez-Manzanilla de Sanlùcar. Je le bois sur le jus de lièvre et c’est tétanisant de justesse. Pour le dessert, le sommelier m’ouvre un Dom Berenguer Solera 1918 De Muller Priorat, un grenache fort doucereux, idéal pour les desserts.

Le service est exemplaire, sobre et efficace, intervenant quand cela se justifie.

La soirée fut malheureusement assombrie par un événement fâcheux. Lorsque nous goûtions un délicieux maquereau, ma femme me fit part d’un goût fort désagréable que je ne sentais pas. Peu de temps après, prise de malaise, elle prit l’air, ne finissant pas son repas. Sa nuit fut commandée par une forte intoxication alimentaire avec vomissements. Au-delà de cet incident, je fus surpris, quand tout l’hôtel sut le lendemain matin que la dame du 115 était malade, car l’on me dit : « vous étiez à El Bulli, ça ne nous étonne pas, car c’est assez fréquent ». Je préfère imaginer que ceci n’a pas été dit. Le malaise de ma femme se prolongea la nuit suivante, ce qui est fort long. Mon étonnement se fit plus fort lorsque la masseuse de l’hôtel me dit : « il m’arrive souvent de masser des gens qui sont allés à El Bulli et qui ont vomi la nuit ».

Laissons à ce désagrément le statut d’accident, qui démontre qu’en cuisine, même les génies sont des hommes. Je tiens à conserver le souvenir de l’excellence absolue. Sur les trente services il n’y a que deux plats auxquels je n’ai pas adhéré ce qui n’est pas important. J’aurais aimé que l’on donne à chaque plat une petite fiche qui explique la volonté du Maître et les saveurs qu’il veut faire apparaître et j’aurais aimé que l’on fasse des commentaires finaux sur l’ordre choisi dans la succession des plats, car c’est un aspect fascinant de son génie. Alors que ma femme repose, mise sur le flanc par un vilain poisson ou une vilaine algue, c’est à elle que je donnerai le mot de la fin. Elle me dit : « si notre taxi avait été en retard, cela ne justifierait pas que nous critiquions El Bulli. J’ai eu un accident qui ne remet pas en cause le génie de ce cuisinier ». Je lui dis : « si je te propose de revenir très vite en ce lieu, le souhaites-tu ? ». Sa réponse fut : « j’attendrai quand même un peu ».

El Bulli – dîner – 1 samedi, 2 juin 2007

Le cocktail de bienvenue :

 

Les premières entrées :

 

la sensation d’olive est très étrange

 

on s’installe instantanément dans des gammes de goûts uniques

 

Ces bouchées sont irréelles de complexité.

 

Le cône doit être badigeonné d’un yaourt que je n’ai pas photographié

 

Ce qui ressemble à une algue ou une éponge est délicieux, et la meringue est irréelle

il y a normalement quatre de ces soucoupes mais j’ai réagi tardivement pour prendre la photo. C’est fondant, glacé, sur un lit gazeux

 

J’ai photographié la petite cuiller, car cette mesure de capacité est amusante.

 on va de surprise en surprise

El Bulli – dîner – 2 samedi, 2 juin 2007

Dans le verre, l’huître est assez étonnante. En bouche on a une représentation spatiale de l’huître.

 

Des goûts assez étranges, dont les algues

 

C’est le plat dans cette feuille d’or qui m’a le moins convaincu, car il n’y avait aucune logique de combinaison de goûts

délicieux poisson

 

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Ces deux plats sont délicieux, mais j’ai été subjugué par la texture des asperges

 

On est depuis quelques plats dans la partie la plus créative de la cuisine de Ferran Adria

 

 C’est sur ce plat que ma femme a commencé à ressentir les signes d’un malaise. Elle avait en bouche un goût de maquereau que je ne ressentais pas.

El Bulli – dîner – 3 samedi, 2 juin 2007

Ce filet de raie évoque par son dessin des aventures diaboliques. Voici le vin qui devait compenser la soudaine décrue de Salon 1982 : Amantillado O?ana Garvey Jerez-Manzanilla de Sanlùcar.

 

Quelle belle couleur !

 

A droite ce qui sera l’esquisse d’un jus de lièvre. Pas évident mon cher Watson !

 

plat éblouissant de lièvre, rehaussé par le vin.

le lièvre et le vin

 

magnifique grenache : Dom Berenguer Solera 1918 De Muller Priorat

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une fontaine de bonheur

une pipette pour la mûre 

la couleur du 1918 comparée à celle du Salon 1982

 

merveilleux dessert

la fiche de service de notre serveur

 

les mignardises

 

« Wine » Australian Gourmet Traveller jeudi, 31 mai 2007

In its issue of April/May, the magazine "Wine" has its page 40 with this title :

"Breath of Fresh Air"

This is an article made by Nick Stock, a journalist whom I have never met, but who wrote probably with the help of Sabine Schmitz  with whom I was in contact, about what is now called the "Audouze method" to open old wines and let them come back to life.

As I received in my house in the South an Australian wine lover and his family in May, there is now a bridge between my activity and this lively Australian continent.

déjeuner au Bistrot du Sommelier mercredi, 30 mai 2007

A peine réveillé, je me rends au rituel déjeuner de conscrits qui se tient au Bistrot du sommelier. Nous sommes dans le petit salon au fond de la cour ce qui permet de débrider nos propos. Je suis en charge de choisir les vins même si je n’invite pas. Connaissant bien l’ami qui invite, je laisse libre cours à mon voyage dans l’intelligente et solide carte des vins de Philippe Faure-Brac.

Le Champagne Zoémie de Sousa cuvée merveille 50% chardonnay, 40% pinot noir et 10% pinot meunier dégorgé en octobre 2005 est d’une maison d’Avize que j’aime particulièrement. Mais cette cuvée merveille ne m’émerveilla pas. Son discours est plutôt banal. Est-ce mon humeur qui n’était pas à l’apprécier ? Je ne l’exclue pas.

Le Château Laville Haut-Brion 1983 au contraire chante à mes papilles. Voilà un immense vin de Bordeaux avec un fumé délicat qui me réconcilie après le pâle 1958 que j’avais apporté au dîner chez Laurent. Ce vin blanc intensément expressif est un compagnon de folle gastronomie.

Le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1996 que Mona, jeune sommelière dont je dirai un mot, me fait sentir, a l’expression d’un bourgogne. Je hume, je réfléchis, et l’image bourguignonne ne cesse de se renforcer. Ce vin d’une subtilité infinie, est un monde en soi. Car il montre qu’il existe un autre Châteauneuf-du-Pape, plein d’un charme exquis.

J’ai une inclination particulière pour l’année 1997 pour les grands vins de Marcel Guigal. Et la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1997 ne fait pas mentir cet amour. Ce vin est absolument immense. D’emblée, il séduit le palais par un envoûtement terriblement sensuel. Et ce que j’aime de l’année 1997 c’est qu’elle est de faible puissance. Et cette Landonne chante un fado qui me prend au plus profond de mon être. Ce vin subjugue mes convives. C’est de la sensualité écorchée sous un discours politiquement mesuré. Un vin à reboire et reboire sans modération. C’est Mona qui nous suggère le Château Les Justices Sauternes 1999 et j’acquiesce car j’ai une amitié particulière pour la famille Médeville qui fait de si grands sauternes. Ce Justices est un chef d’œuvre d’équilibre joyeux. On est évidemment encore dans les limbes d’une année qui n’est pas la plus spectaculaire, mais ce vin joyeux se boit avec bonheur.

89ème dîner de wine-dinners au Grand Véfour mardi, 29 mai 2007

A peine revenu du Sud et sa mer agitée, je viens ouvrir les vins du 89ème dîner de wine-dinners au restaurant le Grand Véfour. Patrick Tamisier, facétieux sommelier à l’humour direct et sympathique sait aussi écouter, échanger, et c’est un plaisir toujours renouvelé de construire avec lui. L’opération d’ouverture se passe avec une extrême facilité. Un vin constitue une énigme renouvelée. Alors que le bouchon du Véga Sicilia Unico 1960 est sec, plein, souple et efficace, celui du Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963, enfoncé de cinq millimètres a produit dans cet espace vide une considérable poussière noire qui sent la terre, la tourbe et le sous-bois feuillu. Le vin lui-même sent la terre acide et je m’imagine que tout client qui commanderait ce vin dans un restaurant le renverrait ad patres. On sait depuis que je le raconte que ces vins reviennent à la vie et sont souvent brillants comme la suite de ce récit le montrera. Mais un tel aspect me surprend toujours, car on le comprendrait d’un vin de trente ans de plus, mais pas de cet âge là. C’est sans souci que j’ai laissé les vins pour aller saluer mes amis des Caves Legrand et pour flâner dans les jardins du Palais Royal. Je suis entré dans le magnifique écrin de la boutique de Serge Lutens où j’ai acheté le parfum Ambre Sultan, un must de ce créateur. Si je cite cette anecdote c’est en rapport avec le vin. Comme c’est la coutume, les parfumeurs ajoutent au petit paquet fort coûteux des échantillons. Peu de jours plus tard, j’essaie « Chypre rouge ». Et ce parfum a des notes prononcées de réglisse ce qui est incroyable, car mes vins de Chypre de 1845 ont une caractéristique fondamentale, c’est une note intense de réglisse. J’aime ces coïncidences, mais revenons à nos convives.

Notre table de huit a été formée par un de mes amis qui invite des clients. Je m’attends donc à ce qu’il y ait des retardataires. Aussi fais-je ouvrir en plus des vins prévus un Champagne Delamotte 1997 qui doit servir d’intermède ou d’ouverture. Le retard est effectivement au rendez-vous, si je peux oser cette image et le Delamotte joue parfaitement son rôle. 1997 est une année très réussie pour Delamotte, et ce que j’apprécie, c’est la claire définition de ce champagne. Agréable champagne de soif, il rassure par la lisibilité de son message.

Guy Martin a composé un menu qui est l’expression de sa personnalité : Pizza d’asperges vertes, crème de coque et caviar / Bouchées de crevettes « bouquet » / Langoustines juste saisies, d’autres crues assaisonnées aux fruits de la passion / Pigeon rôti au sautoir, patate douce et mangue, jus au bois sucré / Comté 16 mois / Compote et émulsion de mangues, sorbet pomelo / Café et mignardises. Certains plats sont véritablement adaptés aux vins, d’autres sont plutôt des créations personnelles où son talent s’expose sans relation réelle avec le vin. On sait que j’aime quand les chefs épurent leurs recettes au service du vin. Mais retrouver le talent de ce chef dans ce lieu chargé d’histoire est un plaisir qui ne se boude pas. Nous avons le joli salon du premier étage parfaitement calibré pour notre table de huit.

Le Champagne Dom Ruinart rosé 1986 a une couleur peau de pêche d’un charme rare. Comme il y a bien longtemps que je n’ai pas cité Laetitia Casta, il faut bien que je le fasse. Cette couleur est aussi belle que la peau de notre idole. Messieurs, en parlant d’elle, c’est de la République que je parle. La pizza complètement réinterprétée par Guy Martin est un cocktail éventail de goûts créatifs, disparates mais délicieux. Aussi, cet immense champagne de gastronomie est parfaitement à l’aise dans tous les compartiments du jeu, même lorsque Guy Martin, à l’instar de Pierre Gagnaire, repousse les limites de son talent. Ce champagne est un des plus grands rosés que je connaisse, car il sublime la notion même de rosé.

Il y a à notre table un grand amateur de Chablis. Le Chablis Grand Cru "Grenouilles" Louis Michel 1984 est subjuguant, car personne ne l’attendrait à ce niveau d’accomplissement. Il faut dire que les cinq heures d’oxygène lui ont donné de l’ampleur et un gras fort sympathique.

D’une façon assez générale, les vins de Mouton Rothschild ne laissent pas indifférent et il est de bon ton de le toiser dans les milieux de la critique du vin. Je me souviens que mes voisins de table à la dégustation des 1949 hésitaient avant de se rendre compte de la réussite extrême de Mouton 1949. Ici, le Château Mouton Rothschild 1975 est très au dessus de toute image que l’on aurait de ce vin. Là aussi l’oxygène joue un rôle crucial, épanouissant des arômes timides. Il s’agit d’un vin franc, aimable, subtil, dans le pur style de Mouton. A côté de lui le Château Grand La Lagune 1934 est une belle surprise pour mes convives, comme cela arrive souvent, car il brise tous les schémas convenus sur l’âge du vin. La majorité d’entre eux ne pouvait pas soupçonner qu’un vin de 73 ans puisse avoir une telle couleur de jeunesse et un tel allant en bouche. Les détails qui trahissent son âge sont infimes. C’est un vin fort agréable à boire qui confirme une fois de plus que 1934 est une année taillée pour une garde encore longue.

Patrick me donne à goûter le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963. J’ai dans mon verre la partie la plus pâle du vin et lorsque Patrick a fait son tour de table je lui demande de me resservir un peu « pour homogénéiser ». Cette expression fait rire l’ami qui a organisé cette table. Dès le premier nez, je sais que c’est gagné. Ce vin qui aurait été refusé à son ouverture a retrouvé sa beauté première. Très bourguignon, subtil comme pas deux, ce vin m’enchante par ses complexités sous-jacentes. Il forme un contraste particulièrement intéressant avec le Vega Sicilia Unico 1960 qui est un vin d’un ravissement absolu. Puissant, clair, droit dans ses bottes, ce vin expose directement son message et s’y tient alors que le 1963 minaude. Je deviens de plus en plus amoureux de ces Vega Sicilia Unico anciens. Vins de soleil et de plaisir premier. J’apprécie d’avoir face à moi deux tendances qui m’enchantent : le vin pur apparemment simple mais complexe sous son message franc et le vin qui se drape dans des voiles de séduction, qu’il faut déchiffrer à chaque mouvement de ses graciles épaules. La confrontation méritait d’être faite. Ce Grands Echézeaux est délicat et envoûtant.

Le plus gradé des invités de mon ami avait clairement annoncé son manque d’intérêt pour les vins du Jura, aussi me fallut-il prodiguer des conseils précis pour que le Vin Jaune Arbois Bouvret Père & Fils 1967 soit correctement apprécié. J’avais fait changer le Comté pour un plus jeune, car les 16 à 18 mois sont idéaux et je demande à chacun de mâcher ostensiblement le Comté en secrétant un excès de salive. Ensuite il s’agit de boire le moins possible du vin afin que l’alcool ne domine pas. Cela donne une autre perspective à la combinaison, qui fut agréée par le plus grand nombre.

Le Château d’Yquem 1939 a un nez qui se suffit à lui-même. Il fait partie de ces vins dont le parfum tétanise. Le plaisir du nez est si grand que le bras est paralysé et l’on n’éprouve pas le besoin de boire le vin. Les plus anciens lecteurs se souviennent sans doute de ce Suduiraut 1928 que nous avions gardé en main plus de dix minutes lorsqu’il nous fut servi en compagnie de Guy Savoy assis à notre table, tant l’odeur était paralysante. Nous sommes ici dans le même cas avec des évocations de pamplemousse, de mangue et d’ananas. Tous les fruits de la même gamme de couleur que l’or serein de ce vin sont appelés à s’exprimer dans nos narines. Je fus bien inspiré de faire orienter le dessert vers la mangue, car ce fruit merveilleusement traité fit chanter cet Yquem immense. Je n’aurais jamais soupçonné que le 1939 d’Yquem ait ce charme là. Il n’a pas la solide présence du 1955 récent, mais il a un équilibre de ses composantes qui est assez spectaculaire car ici aucun trait n’est forcé. Yquem sait jouer de son charme dans ces années moins tonitruantes.

La beauté du lieu et l’envie de parler nous poussèrent à goûter un original Rhum du Venezuela Santa Teresa (Ron Antiguo de Solera) pendant que  nous votions. Tous les vins ont eu au moins un vote à l’exception du vin d’Arbois, sans doute à cause de sa position dans le repas entre deux vedettes. L’Yquem 1939 a reçu cinq votes de premier sur huit votants, le Vega Sicilia Unico 1960 a eu deux votes de premier et le Mouton 1975 a eu un vote de premier. Le vote du consensus serait : 1 – Yquem 1939, 2 – Vega Sicilia Unico 1960, 3 – Mouton Rothschild 1975, 4 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963.

Mon vote a été : 1 – Yquem 1939, 2 – Vega Sicilia Unico 1960, 3 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963, 4 – Mouton Rothschild 1975.

Egoïstement, je serais heureux que la mise au point du menu donne l’occasion d’un échange avec le chef ou que nous fassions une analyse a posteriori pour orienter de nouvelles pistes. Car si tout fut marqué d’un grand talent, il est des goûts qui s’accordent moins naturellement avec les vins anciens. Mais le charme du lieu, l’extrême implication d’une équipe motivée par l’excellence, ont fait de ce dîner un grand dîner. La mangue avec cet éblouissant Yquem et le pigeon avec le Vega Sicilia forment des souvenirs impérissables. Ce fut un grand dîner.

dîner wine-dinners du 29 mai 2007 – les vins lundi, 28 mai 2007

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Chablis Grand Cru "Grenouilles" Louis Michel 1984

Château Mouton-Rothschild 1975

Château Grand La Lagune 1934

Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963

Vega Sicilia Unico 1960

Vin Jaune Arbois Bouvret Père & Fils 1967

Château d’Yquem 1939

 

Curieux habillage de cet Yquem 1939 qui a pourtant une capsule qui provient de l’embouteillage au château.

pause dans le Sud entre dux dîners de wine-dinners samedi, 26 mai 2007

Le cœur encore enflammé par les délicieux vins du dîner chez Laurent, je vole vite vers le Sud car un autre dîner de wine-dinners m’attend dans cinq jours. Je ne me consacre qu’à mon bateau et à un nécessaire repos, juste troublé par une Côte Rôtie La Mordorée Chapoutier 1998 que je trouve absolument charmante. Facile à vivre, facile à lire, ce vin donne un plaisir franc. Que demander de plus. Ces vins du Rhône ont une approche qui me convient.