déjeuner impromptu chez Alain Senderens mardi, 18 septembre 2007

Me trouvant dans le quartier de la Madeleine, je vais déjeuner seul au restaurant d’Alain Senderens. Seul, ça veut dire Chateldon. Les accords mets et vins supposent qu’on en partage les commentaires. Je laisserai quand même mon esprit vagabonder sur le vin que j’associerais à telle ou telle saveur. Comme c’est la saison des cèpes, la variation sur le thème du cèpe est un voyage des papilles. Et le spectre des vins possibles est immense. Cela va du Montrachet au Riesling, voire à une puissante Côte Rôtie pour l’ossue crème de cèpe. Le cabillaud est un poisson très goûteux. Sa chair m’enflamme et là aussi que de combinaisons envisageables si l’on varie les garnitures, car la ratatouille typée restreint le champ des possibles. Sagesse d’un côté, péché de l’autre, je finis par un mille-feuille à se damner. Alain Senderens a peuplé ma solitude en bavardant avec moi de gastronomie et de son monde. Sa formule connaît un succès spectaculaire. Ce qui prouve que le gourmet parisien a du talent. Car il a su plébisciter cette qualité incomparable d’un chef exemplaire heureux aujourd’hui de vivre son art avec sérénité.

 

de grands vins avec des amis au restaurant Laurent lundi, 17 septembre 2007

Un des amis présents au dîner chez Ledoyen m’invite avec un autre des convives, à déjeuner au restaurant Laurent dans le beau jardin où les feuilles de marronnier qui tombent en virevoltant sont autant de confettis qui donnent à notre table un air de fête. Patrick Lair est tout sourire, et la brigade attentive. Les vins sont déjà préparés et cela me fait tout drôle d’être spectateur alors que lorsque je rencontre ces amis, c’est plus souvent, sinon toujours, sur un programme que j’ai préparé.

Nous commençons par un « Le Montrachet » de Delagrange Bachelet 1988 (personne ne m’a encore expliqué pourquoi Montrachet s’écrit parfois précédé d’un « Le » péremptoire) à la couleur très jeune, au nez discret de belle race. En bouche le vin est charmeur. Son acidité de citron vert qui aurait épousé une liqueur de dosage est absolument séduisante. Il manque à ce vin un peu de gras et de puissance, mais c’est vraiment charmant et romantique. Sur le foie gras à peine poêlé qui est d’une fraîcheur rare, on est dans des tons d’aquarelle.

Il ne faut pas toucher au canapé sur lequel repose le foie qui  gâcherait cette harmonie en légèreté.

Les canons vont maintenant trompeter car  on nous sert l’Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998, le même que celui que j’avais fait goûter à mon hôte lors d’un réveillon dans ma maison du Sud. Ce vin est la définition du bon vin. Il est ample, riche, fruité, mâchu, goûteux et surtout il est simple. On le comprend tout de suite et on se laisse griser par cette limpidité de message qui amplifie le plaisir. On est loin des complexités de certaines cuvées sophistiquées mais on ne perd pas en finesse. Si j’osais une comparaison, ce serait la voix du regretté Pavarotti. Là où d’autres ténors sont obligés de forcer leur talent pour respecter des livrets exigeants, Pavarotti place chaque note avec une facilité incomparable. Il y a un peu de cela dans le Chave où tout est dosé, mesuré, pour le plus beau résultat.

Inutile de dire que mon pigeon est à son aise, même si son pané nuit un peu à la lisibilité, mais le canard de mes amis est peut-être encore plus adapté.

N’aimant pas être en reste, j’offre à mes amis un Riesling Shwarzhofberger Spätlese  Egon Muhler 2005 qui titre 8,5° et je commande le dessert, petite tartelette fine croustillante aux fraises des bois sur une crème légère à l’amande.

La combinaison est diabolique. Ce vin n’est normalement pas dans mes démarches car il fait un peu penser à un vin de glace perlant, dont le sucre insistant marque le final. Mais avec le dessert, c’est éclatant de sensualité. Ce sont les jeunes filles de David Hamilton jouant avec des voilages.

Le jardin du restaurant Laurent est magnifique, le service est l’un des plus engagés de la capitale. Le charme du lieu opère, la cuisine est solide et le tout est enveloppé par une chaude amitié.

déjeuner au restaurant du Sénat jeudi, 13 septembre 2007

Je suis invité à déjeuner au restaurant du Sénat par un sénateur. Les lambris sont dorés, les jardins sont ensoleillés. Tout en ce qui concerne la restauration ou la carte des vins indique que l’on joue « couleur de muraille ». Et les propos du sénateur sont du même moule. Une grande modestie, une déclaration de « petits moyens » semble destinée à faire oublier que l’on respire ici dans le plus grand luxe de la République. Nos élus doivent-ils s’excuser de faire partie de l’élite de la France quand le peuple les a choisis ? On retrouve dans ces murs splendides la crainte farouche de tout ce qui pourrait ressembler à de la réussite. Le sénateur a une intelligence  politique, connaît les rouages du monde, et le déjeuner est peuplé de traits d’esprit. Je suis chargé de choisir le vin et je prends bien garde d’éviter le vin qui me plairait, car il est politiquement incorrect. Je choisis Château Poujeaux 2001 qui est déjà bien agréable. J’ai un faible pour ce château qui a réussi spectaculairement son 1928. La cave du Sénat, que j’ai le privilège de visiter, malgré l’évidente compétence du titulaire, ressemble plus à une bibliothèque de province qu’à la caverne qui devrait abreuver les princes de nos régions. Effet de l’époque sans doute.

90ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 13 septembre 2007

Le 90ème dîner de wine-dinners se tient ce soir au restaurant Ledoyen. Les bouteilles avaient été livrées il y a trois mois et ont été redressées hier. J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins et c’est un plaisir de voir une équipe motivée, soucieuse de la perfection et concernée par l’événement qui se prépare. Patrick Simiand et Géraud Tournier ont travaillé avec le chef Christian Le Squer, et l’envie de tous de faire bien est un plaisir pour moi. Frédéric, sommelier de ce soir est complètement dans son sujet. Tout est réuni pour que notre dîner soit parfait. J’ouvre les vins, et le Châteauneuf-du-Pape blanc a une odeur camphrée qui va disparaître. Lorsque j’ouvre le Nuits 1899, je pousse un ouf de soulagement en le sentant, car c’est du vin, et du vin encore vivant. Rassuré par ces ouvertures faciles, je vais me promener dans un Paris inondé de soleil arpenté par des touristes de toutes nationalités.

Pour attendre mes convives et ne pas entamer le magnum de Krug, Géraud, sommelier de grand tact, nous offre un champagne Laurent Perrier Grand Siècle, que je trouve un peu plus dosé que ceux que j’ai bus cet été. Mais c’est fort agréable.

Les convives arrivent, de plusieurs nations : Etats-Unis, Suisse, Italie et France. Presque tous les participants sont des fidèles, à l’exception d’un invité de mes amis italiens et d’un vigneron ami, grand amateur de vins et hôte généreux, qui veut faire connaissance de nos agapes. L’américain est Bipin Desai, organisateur des verticales de Rauzan-Ségla et Canon, ainsi que du déjeuner au Carré des Feuillants, l’un des plus grands experts en vins anciens que la terre puisse compter.

Nous passons dans la magnifique salle à manger du premier étage et notre table est fort belle. Voici le menu créé par Christian Le Squer : Sardines à cru, eau de tomates à l’huile d’olives / Araignée de mer décortiquée en carapace / Concentré de Cèpes crus et cuits / Jambon Blanc, Cèpes, Parmesan aux Spaghettis / Foie de veau en persillade, jus de fruits rouges acidulé / Pithiviers brioché de Foie Gras et Cèpes et truffes / Vieux Comté / Soufflé Ananas épicé. L’élégance de cette cuisine aérienne ne fut mise en défaut qu’une fois, le foie de veau étant à contre-emploi avec le plus légendaire des vins de cette soirée, d’Henri Jayer.

Sur de délicates mises en bouche, le Magnum de Champagne Krug Vintage 1982 révèle toute sa grandeur. Un peu crémeux, opulent mais subtil, ce champagne brille par sa complexité. Le vigneron et Bipin Desai sont de redoutables amateurs, et nous avons discuté sur les mérites comparés de Salon 1982 et Krug 1982. Nos goûts différent, mais c’est tout à fait normal. L’accord avec la sardine est médusant, mais comme le dit mon ami vigneron, il est encore meilleur quand la sardine crue est enrobée de sa crème. Ce champagne de gastronomie est au sommet de son art.

Tout dans le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1990 respire le bonheur. Il est chaleureux, joyeux, puissant, parlant d’une voix à la Pavarotti. Il est comme le Krug à un possible apogée.

Le Châteauneuf-du-Pape blanc les Cansonniers  L. de Vallouit 1961 a une odeur d’une rare complexité. En bouche, c’est le plus déroutant des vins, parce que l’on n’a aucun repère. Je raffole de ses variations énigmatiques. Les cèpes sont succulents, explosent de talent. Ils accueilleraient aussi un rouge, mais l’exercice auquel ils sont confrontés est une réussite absolue. J’aime ces vins qui font explorer des pistes qui n’existent plus.

Le Château Palmer, Margaux 1959 m’avait séduit par un parfum spectaculairement franc et sympathique. Lorsqu’il est servi, il est généreux. Il est accompagné par le Château Margaux, Margaux 1934, dont le nez à l’ouverture était plus discret. A table maintenant, il est spectaculaire, tout en charme, en séduction en subtilité. L’opposition entre les deux margaux est passionnante, car on peut aimer les deux, le Palmer plus viril, plus soldat, et le Margaux beaucoup plus charmeur et féminin. Lors de l’ouverture je m’étais demandé si le 1934 n’avait pas été rebouché, mais j’hésitais, car il était très possible qu’il s’agisse d’un bouchon d’origine magnifiquement conservé. Le vigneron ami eut la même première réaction puis en vint à la même analyse : il s’agit d’une bouteille au bouchon remarquablement conservé. Le 1934 est exceptionnellement bon et préféré de presque toute la table au Palmer que j’ai personnellement adoré.

Le jambon aux spaghettis, dont un ami moquait l’intitulé par humour (venir à Ledoyen pour manger un jambon nouilles est assez original), est un plat sensationnellement bon. Et sa mise en valeur des vins est d’une rare efficacité.

Lorsque l’on sert un vin de légende, on en attend beaucoup. On me sert le Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989 et l’odeur me fait me pâmer. C’est extraordinaire de voir la précision de cet agencement d’arômes. En bouche, c’est un immense bourgogne. Mais, oserais-je le dire, on attendrait John Wayne, et c’est Mickey Rooney. Il est subtil, élégant, complexe, parfait. Mais il manque cette pincée de puissance qui chanterait en bouche. Grand vin, bien évidemment, mais jouant un petit ton au dessous. Le foie de veau ne l’a pas servi, dégageant une acidité qui entravait le vin.

La bouteille de Nuits 1899 est sans doute la plus belle de ma cave. La bouteille soufflée à la main, très dissymétrique, porte la petite étiquette de l’année : 1899 et la grande étiquette, incomplète, n’a qu’un mot : « Nuits ». Je ne connais pas beaucoup d’étiquettes où il n’y a qu’un mot et cinq lettres. Si j’aime ces bouteilles, c’est parce que l’exploration des vins anciens que je veux partager porte sur des vins de prestige, comme le Margaux 1934 ou le Palmer 1959 mais aussi sur ces inconnus que l’Histoire nous a légués. Tout à ma joie que le nez à l’ouverture ait été celui d’un vrai vin, je ne remarque pas immédiatement, malgré l’évidence, que le vin est bouchonné. Mais fort heureusement, le goût en bouche n’est pas altéré. Et la truffe joue un rôle de soutien comme les soigneurs dans le coin d’un boxeur entre les rounds. Et le vin, si l’on admet qu’il a 108 ans est un vrai vin, vrai témoignage, avec son charme, sa consistance encore solide. J’adore ces vins, car j’en admets les petites insuffisantes. 

Le parfum du Château Chalon Jean Bourdy 1934 est à se damner. A mourir comme on dit aujourd’hui. C’est la plus belle année du 20ème siècle pour les vins jaunes, et il est évident que l’âge donne à ces vins oxydatifs une rondeur particulière. L’accord avec les deux comtés séparés d’un an d’âge se fait toujours aussi naturellement. L’ami vigneron qui fait un rouge mais aussi un blanc fort prisé a plus de mal à entrer dans la logique d’un goût qu’il n’a aucune envie de produire dans sa région.

Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1918 est en fait un 1928, ce qui n’en est que mieux. Car l’expert qui avait fait le catalogue de la vente où j’ai acheté ce vin a cru lire sur le bouchon de cette bouteille sans étiquette 1918, mais une pliure de la peau du bouchon, qui s’enfle lors du débouchage, révèle un « 2 » là où  l’on lisait un « 1 ». La correction est dans le bon sens, et l’on est époustouflé par la perfection de ce sauternes à la complexité exemplaire. Il y a, à mon sens, plus de saveurs explorées et récitées dans ce vin que dans un Yquem. Je suis en extase lorsque des vins liquoreux sereins exposent autant de variété et de chatoiement. Le dessert est délicieux, accompagne bien, mais le sauternes opulent est largement capable de se diriger tout seul.

J’avais demandé aux  amis américains qui dînaient à une autre table de venir nous rejoindre en fin de repas pour finir le magnum de Krug. Par délicatesse, de craindre de modifier l’ambiance de la table, ils ont préféré nous saluer de loin.

Nous avons voté pour neuf vins et le Nuits 1899 est le seul qui n’a eu aucun vote, ce qui est triste. Il aurait mérité un lot de consolation, car il a, à mon sens, joué son rôle de bien belle façon. Mais c’est la loi des votes. Quatre vins ont été nommés premier : le Sigalas Rabaud 1928 et le Château Margaux 1934 trois fois, le Krug 1982 et le Chevalier Montrachet 1990 deux fois. Le vote du consensus serait en 1 Château Margaux 1934, en 2 Sigalas rabaud 1928, en 3 ex aequo Krug 1982 et Chevalier Montrachet 1990.

Mon vote : 1 – Sigalas Rabaud 1928, 2 – Château margaux 1934, 3 – Chevalier Montrachet Bouchard 1990, 4 – Château Chalon Bourdy 1934.

Je suis bien sûr extrêmement sensible au talent de Christian Le Squer, et je retiens le jambon, la sardine et les cèpes. Mais c’est surtout l’ambiance et la motivation de l’équipe qui créent une atmosphère amicale. C’est un réel plaisir de boire de grands vins quand on dispose de tant d’atouts. 

Les vins du dîner du 13 septembre 2007 jeudi, 13 septembre 2007

Voici les vins.

(pour voir plus grand, cliquer sur la photo)

Magnum de Champagne Krug Vintage 1982

(ce magnum est particulièrement élancé)

Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1990

Châteauneuf-du-Pape blanc les Cansonniers L. de Vallouit 1961

Château Palmer, Margaux 1959

(je devrais dire que c’est 1859, ça ferait plus chic !)

Château Margaux, Margaux 1934

Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989

la bouteille de 1989, pleine, trône auprès de ses petites soeurs, souvenirs…

Nuits 1899

sans doute la plus belle étiquette des vins de ma cave

Château Chalon Jean Bourdy 1934

Château Sigalas Rabaud Sauternes 1918

 

 

(bouteille sans étiquette)

Le joker, pour le cas où..

 

 Vosne Romanée Mugneret Gibourg 1972.

un menu d’affaires excellent à Hiramatsu mercredi, 12 septembre 2007

Un ami gastronome me dit : il faut absolument aller à Hiramatsu, leur repas d’affaires à un prix défiant toute concurrence est de grande qualité. Ayant envie de revoir cet ami et de retourner à Hiramatsu, j’accepte avec enthousiasme. La salle de restaurant est spacieuse, de couleurs gaies. On est loin de la confidentialité exiguë mais sympathique de l’Ile Saint-Louis. Attendant mon ami, je scrute la carte des vins abondante et intelligente et j’y repère une envie. Mon ami arrive avec dans sa musette un Apremont 1989. Nous le goûtons sans grande conviction. Nous n’irons pas plus loin.

Le repas d’affaires offre du choix et nous prendrons chacun une branche différente des alternatives. Un sorbet sert d’amuse-bouche, mais ce n’est pas avec du froid qu’on émoustille les papilles. La suite est infiniment plus belle. Le thon rouge en trois préparations est d’une grande finesse. Le turbot est goûteux et joyeux et le dessert, sabayon de whisky, montre une vraie science des desserts. Le service est impeccable souriant et attentionné, l’ambiance générale est très deux étoiles. On peut dire sans hésiter que c’est un sans faute  à un prix imbattable. Oui mais le vin dans tout ça ? Eh bien, j’ai jeté mon dévolu sur un Chambertin Armand Rousseau 1999. Ce domaine fait de sublimes chambertins. Le premier nez est d’une pureté extrême, et nous décidons avec le sommelier de laisser le vin s’épanouir tout seul dans le verre. C’est un vin dans sa pleine jeunesse, rassurant car on le comprend très vite. Le fruit est beau, l’amertume est discrète. Il y a un léger manque de coffre, car j’attendais que cela trompette un peu plus, mais l’élégance et la finesse ravissent le palais.

M. Hiramatsu est venu nous saluer. Il possède une quinzaine de restaurants au Japon, il s’occupe de restaurants de Paul Bocuse au Japon, et il vient tous les deux mois superviser son antenne parisienne. Il fait ici une vraie cuisine française qui fut aujourd’hui d’un niveau de deux étoiles. Une belle expérience.

coïncidence mercredi, 12 septembre 2007

Quittant Hiramatsu, je vais à l’Astrance pour réserver une table pour un dîner. Il semblerait que comme l’aimant, j’attire les coïncidences. Car à l’Astrance, je vois un couple d’américains pour qui j’avais fait un dîner de wine-dinners, qui devait être un moment important de leur voyage de noces. Et j’avais inclus Yquem 1967, de l’année de naissance de la jeune mariée. Nous nous embrassons, et je leur dis que je vais faire le lendemain un dîner à Ledoyen. Ils rient à gorge déployée en me disant : « nous allons donc nous revoir, car nous avons retenu une table pour demain soir à Ledoyen ». On défie les probabilités statistiques.

vins de Hugel et de Perrot Minot au Carré des Feuillants mardi, 11 septembre 2007

Bipin Desai cornaque un groupe d’amateurs américains qui viennent festoyer pendant une bonne semaine dans les plus beaux endroits. Ayant eu l’opportunité de faire connaître à Bipin un personnage du vin, Jean Hugel, Bipin me demanda si je voulais me joindre à son groupe pour un déjeuner au restaurant le Carré des Feuillants. L’esprit encore embrumé d’une courte nuit après ces verticales de Rauzan-Ségla et Canon, j’arrive au Carré des Feuillants, accueilli par une équipe souriante et attentive. L’apéritif se tient au sous-sol et je vois des rescapés de la veille en grande forme. Le champagne Billecart-Salmon cuvée Nicolas-François Billecart 1998 est très peu dosé, très sec, et se boit bien. Nous remontons au rez-de-chaussée pour le déjeuner dans une jolie salle aménagée pour nous. Il fallait bien nous isoler, car Jean Hugel que j’adore, ce pétulant octogénaire a le verbe haut et nourri. Ma voisine de table qui est productrice d’un groupe théâtral a l’habitude de voir jouer de grands talents. Elle est sous le charme du discours de Jean Hugel qui énonce des vérités d’une simplicité biblique, consternantes de bon sens.

L’intitulé du menu est un vrai roman : bouillon du pêcheur de perles / rouget barbet, tomate ancienne, cerises en gaspacho, huile noire d’olives, arlette aux anchois / homard bleu vapeur, royale coraillée, pince en rouleau croustillant, salade d’herbes parfumées, nougatine d’ail doux / le cèpe mariné, le chapeau poêlé, le pied en petit pâté chaud / notre poularde rôtie en cocotte, jus clair, céleri confit, petit chou au lard, (volaille d’excellence engraissée librement en Béarn) / Fougeru briard travaillé à la truffe / envie de vacherin, grosses framboises, meringue légère au Yuzu, crème fermière et Mascavo. C’est tout un programme, et chaque précision a son importance. J’ai trouvé la cuisine d’Alain Dutournier particulièrement brillante. Je dois même dire que c’est le plus accompli des repas que j’ai faits dans cet établissement où je suis assidu, démontrant une sérénité remarquable. La question qui agite les repas en ville c’est de savoir pourquoi Alain n’a pas sa troisième étoile. Il m’est arrivé d’être d’accord avec ce purgatoire mais aussi de ne pas le trouver justifié. Sur ce repas le doute n’est plus permis. La troisième étoile est atteinte brillamment avec une cuisine sincère, engagée comme son auteur, et souriante comme lui. Comme il n’existe aucune faute de service, on est de plain-pied dans l’excellence absolue.

Nous commençons par le Riesling Hugel Vendanges Tardives 1998 d’une belle couleur d’un or délicat. Le nez est discret. En bouche, et c’est une des caractéristiques des vins de Hugel, on est frappé par la pureté. Le vin est à la fois puissant et léger, ce qui est paradoxal mais réussi. Le final est assez court et poivré.

Le Riesling Hugel Vendanges Tardives 1983 est d’un jaune plus doré, très limpide, au nez discret. Le goût est résolument sec. Il est très élégant et gastronomique. Ce qui est évident là aussi, c’est la pureté. Le 1998 est plus sucré avec un sucre résiduel important. Le 1983 est élégant et bâti pour la gastronomie. Jean Hugel signale à tous une des caractéristiques de ses vins qui est de voir le sucre se fondre naturellement avec l’âge.

Alors qu’il était prévu que l’on commence par un 2002, Jean Hugel demande que sur le homard on l’oublie car ce serait un crime au profit du seul 1976. Il s’agit du Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1976. Il est d’un or profond, d’un nez discret, et ce qui frappe, c’est qu’il est devenu sec. C’est un vin délicat et extrêmement précis qui convient remarquablement au homard délicieux. J’ai la chance d’en avoir bu plusieurs exemplaires avec chaque fois le même plaisir.

Nous passons ensuite aux vins de la maison Perrot-Minot dont, je dois le confesser, je n’ai jamais bu aucun vin. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2000 a un nez discret et élégant. Le joli fruit est très distingué. Le final est très profond. Il est strict, mais plaisant. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2001 a un nez plus doucereux, velouté. Le goût est plus poivré, plus moderne. C’est moins bourguignon que le 2000 qui lui-même ne l’est pas tellement. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2003 a un nez très fin, poivré. En bouche, c’est très boisé, les tannins sont forts, il y a des évocations de poivre en grain et de clou de girofle.

Je suis bien en peine de désigner celui qui me plait le plus et je vois qu’aux deux tables de notre groupe, les avis sont partagés. J’avais tendance à préférer le 2000, puis je suis venu au 2001, et je suis revenu au 2000. Alain Dutournier qui nous a salués a aimé aussi le 2000. Les trois vins sont très poivrés. Je pense qu’il leur faudrait quelques années de plus pour vraiment les apprécier, car ils vont s’arrondir. Tels qu’ils se présentent aujourd’hui, ils manquent un peu de rondeur pour me séduire. Quelques années y pourvoiront.

Le plat de cèpes est une institution. Plat phare de ce lieu il a atteint en pleine saison de cèpes de belle qualité une maturité incontestable.

Le Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 2002 que l’on sert maintenant combine ce que j’aime, un sucre lourd, un côté très doux, tout en étant aérien. Le nez évoque le litchi mais je sais que Jean Hugel déteste qu’on décortique les composantes d’un vin. Ce vin est servi avec un Château Caillou Barsac 1989. Puisque l’occasion se présente de goûter ensemble ces deux vins que j’apprécie, mon cœur balance en direction du Caillou, plus fruité et plus profond à mon goût. Mais le Gewurztraminer, léger malgré sa puissance est un vin de grande qualité. C’est vraiment une question de préférence personnelle.

Jean Hugel est toujours un merveilleux conteur, ambassadeur des vins d’Alsace avec ses vins d’une rare pureté, j’ai découvert des vins d’un domaine qui ne m’était pas familier mais il faudra attendre quelques années de plus, et j’ai été enthousiasmé par le niveau atteint par Alain Dutournier dans une sérénité prometteuse de gloire.

Peut-on être prophète en son pays ? lundi, 10 septembre 2007

La réponse est oui !

Voici le message que j’ai reçu :

Mr Audouze,
Je voulais vous envoyer ce message pour vous remercier. Je suis amateur de vins depuis plusieurs années et je fais tout mon possible pour me faire une cave digne de ce nom. Je pensais commencer à connaître ce qu’il fallait savoir sur le vin. Hors je me trompais. Il y a de ca quelques mois, j’ai offert à une amie une bouteille de son année de naissance pour son anniversaire, une bouteille de Côtes de Beaune villages de 1974. En possédant 3 exemplaires, je décidais d’en goûter une avant de lui faire cadeau de la seconde… les niveaux étaient superbes, la couleur assez rassurante et l’état du bouchon satisfaisant. A l’ouverture le nez était joli, fin, rond et encore pleins d’arômes typiques de ces vins. Mais après une (trop) petite heure d’aération et un carafage (mal venu je crois), le goût m’a semblé passé, pas bouchonné bien au contraire, mais passé tout simplement, et je me suis dit :" dommage j’ai du la rater de quelques années à peine…" Quel erreur! Hier j’ai découvert votre site et vos bulletins… et j’ai lu, lu et relu,… et j’ai découvert tellement de choses… Ouvrir un vin ancien, ce n’est pas ouvrir un vin, ce sont deux choses sans aucun rapport. Du coup, je suis descendu chercher la troisième bouteille, je l’ai laissée debout quelques heures, puis je l’ai ouverte, 4 bonnes heures avant le repas, l’ai laissé s’aérer doucement, très doucement, en bouteille… et je me suis mis en cuisine. J’ai cherché dans ma mémoire le parfum ressenti à l’ouverture, sans re-sentir le vin, et, l’ayant trouvé, j’ai opté pour un canard poivré sur sauce aux cèpes et pieds-de-mouton. Une fois le tout préparé, j’ai servi le vin, l’ai laissé s’aérer et faire ses tours de verre un bon quart d’heure, et sur une bouchée de canard, je l’ai goûté. Et quelle surprise….. Tout y était, les arômes, les parfums, le nez, la bouche, les fruits même…. stupéfiant! Evidemment c’était un vin ancien, un autre monde, un autre façon d’être un vin, sans aucun rapport avec ce que je connais habituellement. Mais tjs est-il qu’il était subtil, agréable, élaboré et éminemment délicat. Et là j’ai compris que tout un pan du vin venait de m’apparaître. J’ai compris ce que vous voulez dire quand vous expliquez que aimer les vins ANCIENS c’est autre chose, qu’on y cherche (et trouve) autre chose que lorsque l’on boit un vin jeune, qu’il ne faut pas y venir avec la même bouche, et pas avec les mêmes accords de plats également. Tout ca m’a sauté au visage en l’espace d’une heure de dégustation. Bien souvent dans la soirée je me suis demandé si tout cela n’était pas qu’un jeu de mon esprit qui, ayant lu vos bulletins toute la matinée, s’imaginait un changement inexistant au regard de la première bouteille. Mais non, la première était "mauvaise", la deuxième superbe… et les niveaux, couleurs et bouchons étaient les mêmes. Alors s’il vous plait, rassurez-moi et dites moi que je n’ai pas rêvé : ce que vous préconisez quant à l’ouverture change tout n’est ce pas?

Merci d’avance

Cordialement

Je promets que je n’ai pas écrit ce témoignage moi-même !!! J’ai remercié son auteur. C’est tellement plaisant que je n’ai pas voulu le garder pour moi.