Californie – day one jeudi, 4 octobre 2007

Départ aux Etats-Unis pour retrouver un ami collectionneur. Le voyage débute dès Roissy, où l’on peut prendre la mesure des effets du gigantisme. Dès que l’on est enregistré après avoir serpenté dans les files d’attente, ce ne sont pas moins de huit contrôleurs qui vérifieront successivement que nous sommes bien porteurs de titres de voyage et de papiers d’identité conformes au chemin que nous suivons. Autre signe : lorsque les portes de l’avion se ferment après vérification de la présence de tous les voyageurs, il nous faudra une demi-heure avant que les roues de notre avion ne quittent le macadam. L’humanité reprendra le dessus avec notre steward, jovial, drôle même, qui égaye notre voyage par des remarques souriantes, naïves parfois mais d’une grande gentillesse.  Les repas qui sont servis dans le ciel, au lieu de prendre de la hauteur, sont d’un morne horizon. Et les vins que l’on propose, qui ont peut-être plu à l’acheteur de la compagnie aérienne pour leurs prix attractifs, sont un rempart contre la propagation de l’alcoolisme, car on n’y touche pas. Faut-il absolument manger cantine quand on est transporté par une compagnie française ?

Les formalités douanières sont conformes à leur réputation, pour montrer que l’entrée dans le paradis du  Far West se mérite. L’arrivée sur San Francisco en taxi est riche d’impressions et d’évocations. Nous entrons à l’hôtel Mandarin Oriental où le chef concierge s’adresse à moi comme si j’étais l’empereur de Chine. Il risque quelques mots en français, du meilleur chic, et tout dans l’accueil est ici feutré, policé, motivé et concerné. Notre chambre d’angle, au 39ème étage a deux fenêtres qui regardent vers le centre ville et une autre qui offre en spectacle le Golden Gate Bridge ainsi que la baie de San Francisco et Alcatras. Le luxe fait du bien.

Il faut du temps pour accorder l’heure biologique à l’heure locale. Et nous ne sommes pas aidés par une alerte au feu qui se déclenche vers 3 heures du matin. Quand on est au 39ème étage, les réflexions ne sont pas les mêmes, et l’on ne peut s’empêcher de penser au 11 septembre. Le temps de trouver ce que j’emporterais avec moi, je me retrouve dans le couloir quand l’on annonce fausse alerte. Si l’alerte avait été réelle et avait entraîné une panique, ma lenteur aurait conduit à graver mon nom sur un mémorial.

Golden Gate, Japanese Tea garden, Union Street shops, Lombard Street et ses rues serpentines, Union Square où l’on prend un café, et soudain, le ciel vrombit. Pendant trois heures, tous les avions les plus rapides de l’armée de l’air, et les antiques avions de voltige vont sillonner le ciel dans un vacarme étourdissant. Revenus dans notre chambre nous assistons à des exercices de voltige extraordinaires, en préparation d’une grande parade qui aura lieu dans quelques jours. Nous sommes aux premières loges pour contempler ce spectacle frissonnant. Voir des simulacres d’attaques de buildings pourrait paraître de mauvais goût, mais l’Amérique est ainsi faite.

Nos amis arrivent au même hôtel, où ils séjourneront avec nous, bien qu’ils habitent dans le voisinage. C’est une preuve certaine d’amitié, et une sage précaution en prévision de ce que l’on va boire.

Nous invitons nos amis à dîner au restaurant de l’hôtel Mandarin Oriental. C’est ici même que nous avions dîné il y a un peu plus d’un an avec cet ami, sur Cristal Roederer 1949 et Mouton-Rothschild 1926. Le jeune chef avait fait alors un repas admirable. Celui de ce soir marque une baisse sensible de qualité. Une huître perd son âme sur une mousse trop épicée, des coquilles Saint-Jacques sont en procédure de divorce avec la garniture trop épicée à base d’avocat (seared scallop, crab carbonara, smoked avocado). Le bœuf de Kobe japonais, traité de façon classique (Japanese Kobe beef skirt steak, sunchoke puree), est parfait. Le dessert (pear cake, buttermilk panna cotta, shiso green apple sorbet) crée une rupture gustative qui tue les vins. Et l’après dessert à base de chocolat chaud et de bière brune fait crier au secours un palais chaviré.

J’ai manqué de réactivité en ne renvoyant pas un champagne Krug Grande Cuvée trop amer et acide. Je m’en ouvris trop tard au chef sommelier qui visiblement n’avait pas envie de reprendre ce vin. Les deux grands moments furent d’une part le Corton-Charlemagne Vincent Girardin 2003 absolument délicieux, goûteux, expressif, d’une belle définition et d’une longueur appréciable. Ce vin élégant a beaucoup de qualités. L’autre fut le Clos de Vougeot Grand Cru domaine Méo Camuzet 2002, bourgogne d’un charme particulier et d’une authenticité remarquable. Ce vin accompagne le bœuf avec une fidélité exemplaire. Au moment des retrouvailles après nos agapes d’il y a cinq mois, marquées par un Mouton 1945 et un Pol Roger 1921, on ne retiendra que ces deux vins, le blanc et le rouge, au plaisir certain.

visites du blog en septembre 2007 lundi, 1 octobre 2007

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Commentaire : à une visite près, on atteignait 26.000 visites, ce qui serait seulement la 6ème performance pour le blog (record à 37.200 visites).

Le bon indicateur est celui du temps moyen par visite : 8 minutes et 2 secondes, ce qui fait que le visiteur lit les textes. C’est une bonne chose.

Merci aux visiteurs de leur intérêt.

déjeuner chez Pierre Gagnaire – les photos d’Hervé This vendredi, 21 septembre 2007

le décor lorsqu’on s’assied

je cherche un vin

le menu d’automne

les amuse bouche

le pain et le vin

gelée de bœuf au pain brûlé, boudeuses nature aux oignons, pâte de betterave rouge légèrement fumée, beaufort frais fondu au chorizo

marinière de crevettes impériales au pamplemousse, dominos de poire, noisettes fraîches, aspic de tourteau parfumé de verveine

gras de seiche déclinés, raviole de tomate, poivron vert et rouge, ventrèche de thon et supions grillés à la diable

girolles, cornes d’abondance et datte fraîches au lait de coco, glace de rainette à la tagette

tranche de bar pochée au beurre fondu, feuille d’algue kombu et cresson, bouillon de poireau aux graines d’amarante

poissons de roche : rouget au citron raidi au chardonnay, peau croustillante, lichette de saint-pierre au paprika, soupe d’étrille liée d’avoine, piments noras au fenouil, bouillabaisse glacée, chair d’aubergine violette de Florence

pour mettre en scène le cèpe … volaille gauloise blanche et homard bleu cuisinés – ail doux et gingembre –

le couteau !

fromages cuisinés : chèvre du Gers, crème d’amande, bleu d’auvergne, cœur d’artichaut maco, sirop de porto, infusion gélifiée de cumin grillé, munster fermier, citeaux monastique, navet au vinaigre de riz

les desserts Pierre Gagnaire

 

 

 

Voici ce que nous avons goûté. Un vrai spectacle.

 

entrée dans l’univers gastronomique de Pierre Gagnaire vendredi, 21 septembre 2007

La mémoire encore souriante des saveurs savoyennes, je me précipite au restaurant de Pierre Gagnaire où je retrouve pour déjeuner Hervé This, le pape de la gastronomie moléculaire. Hervé est un ami de Pierre et son complice dans certaines de ses créations. Qui, mieux que lui, pourrait me faire entrer plus profondément dans le monde créatif de Pierre Gagnaire qui a accepté de réaliser prochainement un dîner de wine-dinners ? J’ai eu la chance en effet que Pierre Gagnaire accueille favorablement l’idée, alors que son monde créatif n’est pas naturellement tourné vers les vins anciens.

Hervé et Pierre ont travaillé ensemble ce matin et lorsque j’arrive, Hervé me dit : « connais-tu l’œuf à 62° ? ». Il me décrit les écarts gustatifs entre l’œuf à 62° et l’œuf à 65°. Il avise un maître d’hôtel et lui dit : « pouvez-vous m’apporter un œuf à 65° ? ». Et Hervé prépare l’œuf et me fait constater les textures particulières du blanc comme du jaune, très différentes de ce que l’humain moyen côtoie. Nous rejoignons notre table pour commander le menu d’automne, dont l’intitulé est à peu près aussi long qu’un discours de Fidel Castro. Jugez plutôt : gelée de bœuf au pain brûlé, boudeuses nature aux oignons, pâte de betterave rouge légèrement fumée, beaufort frais fondu au chorizo / marinière de crevettes impériales au pamplemousse, dominos de poire, noisettes fraîches, aspic de tourteau parfumé de verveine / gras de seiche déclinés, raviole de tomate, poivron vert et rouge, ventrèche de thon et supions grillés à la diable / girolles, cornes d’abondance et datte fraîches au lait de coco, glace de rainette à la tagette / tranche de bar pochée au beurre fondu, feuille d’algue kombu et cresson, bouillon de poireau aux graines d’amarante / poissons de roche : rouget au citron raidi au chardonnay, peau croustillante, lichette de saint-pierre au paprika, soupe d’étrille liée d’avoine, piments noras au fenouil, bouillabaisse glacée, chair d’aubergine violette de Florence / pour mettre en scène le cèpe … volaille gauloise blanche et homard bleu cuisinés – ail doux et gingembre – / fromages cuisinés : chèvre du Gers, crème d’amande, bleu d’auvergne, cœur d’artichaut maco, sirop de porto, infusion gélifiée de cumin grillé, munster fermier, citeaux monastique, navet au vinaigre de riz / les desserts Pierre Gagnaire.

La chute de cet texte, « les desserts Pierre Gagnaire » est d’un minimalisme étonnant par rapport à l’infinie variété de ce que nous goûterons. Lorsque j’ai relu ce menu, je me suis rendu compte que tous ces intitulés se justifient, car chaque composante est une pierre d’un édifice cohérent. Hervé a commenté avec Pierre chacun de ces plats pendant la séance de travail qu’ils ont eue ce matin, aussi ai-je le cornac le plus compétent qui se puisse inventer. Ne connaissant pas le sommelier, je préfère suivre ses conseils pour pouvoir mieux comprendre son approche. Dans une proposition vaste et judicieuse, je choisis un vin que je n’ai pas l’habitude de boire, un vin blanc de pays des côtes catalanes domaine Gauby 2004. Le vin a un nez énergique qui montre une petite note de caramel. En bouche on sent un léger côté laiteux, mais aussi minéral, ardoise mouillée, salin.

Malgré l’ampleur du menu, nous recevons des petits amuse-bouche déjà complexes, comme une tuile au parmesan avec une petite saucisse, une tuile de roquette absolument délicieuse, et un wurz à l’ancienne, qui est une mousse de blanc d’œuf montée à la gentiane. A cela s’ajoutent des dés de comté et des grains de maïs. On entre de plain-pied dans un monde fou, fou, fou où les papilles se régalent. Nous avons aussi (nous n’avons toujours pas commencé le repas) une petite choucroute avec une purée de pomme de terre ludique à souhait, qui accompagne délicieusement le vin. Ça démarre bien. Hervé, croyant que je suis capable de comprendre, m’informe d’un élément essentiel : la crème mousseuse est faite au siphon.

Le premier plat est spectaculaire. La gelée de bœuf, la betterave et l’huître forment un goût hors du commun. Le vin se marie très bien à l’huître. Je commence à me sentir confiant, car la cohérence du plat en fait un compagnon certain d’un grand vin. Je pense à un champagne déjà mûr.

Les crevettes et pamplemousses ont des saveurs uniques, formant un kaléidoscope. Ça se croque bien. Ce plat irait très bien avec un vin et je pense à un Meursault. Hervé et moi faisons un contresens, car les gras de seiches déclinés selon plusieurs préparations ne sont que des appendices. Le principal du plat, c’est le thon qui est grillé et laqué. Nous étions troublés par la profusion gustative qui fait partir dans de trop nombreuses directions, mais en fait, comme nous l’explique Pierre, il faut considérer les dés de seiche comme des pauses ludique par rapport au plat. Je verrais bien un vin d’Arbois pour ce plat qu’il faut expliquer aux convives pour éviter que l’on ne s’égare.

Ayant une aversion au lait de coco que je considère comme un ennemi déclaré des vins, je ne vois aucun accord possible avec le plat de girolles. Le bar est délicieux, très doux. La graine d’amarante l’alourdit un peu et le cresson est un peu fort pour un vin ancien. En fait, il ne faut pas prendre le cresson seul mais l’incorporer dans une bouchée. Cette remarque vaut pour beaucoup d’autres plats, car il ne faut pas céder à la tentation de séparer les ingrédients mais au contraire les marier en bouche. Sur le bar, je verrais bien un bordeaux ancien.

Nous bavardons beaucoup et Hervé me dit qu’il considère Pierre comme étant dans une phase « velours », la cuisine de ce chef à l’imagination infinie se coulant dans le moule de sa propre vie, constatation que l’on a pu faire aussi pour Marc Veyrat. Je constate à ce stade que le vin blanc de Gauby se comporte bien avec les plats.

Le plat de poissons de roche est d’une subtilité extrême. Tout est composé, rien n’est dû au hasard, et je suis bien embarrassé pour définir le vin qui accompagnerait ce plat. Le fenouil me pousserait vers un vin rouge, mais les piments accepteraient un grand vin d’Alsace, même en vendanges tardives si le vin a de l’âge. Les recherches terre et mer mettent ensemble un homard et une volaille, liés entre eux par un jus qui reprend les deux. Un bourgogne ancien conviendrait à ce plat. Il faudrait faire attention au gingembre, car l’expérience montre qu’il raccourcit notre blanc. Les fromages cuisinés me semblent difficiles dans le contexte de mes repas, mais l’exercice est brillant, la gelée au cumin est superbe.

Les desserts ne peuvent pas se raconter tant il y en a. Un vieux banyuls irait très bien, à doser cependant pour éviter qu’il n’en écrase certains. Dans un dessert il y a une meringue à l’alcool de sorbier qui se prendrait sans vin mais qui est un délice.

La cuisine de Pierre Gagnaire est éblouissante, inventive et créatrice sans aucun désir de prouver. C’est l’expression d’un talent libre. Le foisonnement est sain. Avec les explications d’Hervé, ami de Pierre, c’est un privilège d’être ainsi entré dans son monde. J’ai pu constater qu’en grande partie, les plats s’adapteront aux vins anciens. Nous en ferons prochainement l’expérience. Il y aura des mises au point, car la carte de ce jour n’existera plus le jour du dîner. C’est un  beau projet qui se dessine.

un cocktail prestigieux; il a tant de succès que je m’en échappe pour aller dîner chez Guy Savoy jeudi, 20 septembre 2007

Une société financière invite des clients et prospects. Le président est un gourmet et n’envisage que le meilleur : buffet créé par Guy Savoy, vins présentés par 1855 en présence de quelques vignerons dont Alexandre de Lur Saluces. On ne résiste pas à de tels arguments. Mais je ne serai pas le seul, car une foule immense se presse sur le lieu de ce cocktail. Il est quasiment impossible de s’approcher des buffets regorgeant de subtiles nourritures car une foule même distinguée reste toujours une foule. Je demande alors à Guy Savoy qui veut retourner dans ses bases : « puis-je venir dîner ? ». La réservation est vite prise. Avant de quitter cette manifestation de prestige, je bois un délicieux champagne rosé Billecart-Salmon, puis Château Mouton-Rothschild 2001 qui semble s’épanouir, un Hermitage La Chapelle Jaboulet 1998 qui est très plaisant dans les conditions dans lesquelles je le bois. Je vais maintenant aller goûter le talent de Guy Savoy dans le calme feutré de sa belle salle à manger.

Guy me suggère le menu qui sera composé ainsi sans l’intervention de son truculent et pince sans rire adjoint. Je ne peux pas ne pas prendre les petits pois. Ce sera ensuite un quasi de veau et enfin un foie gras avec des cèpes.

Nous discutons avec Eric Mancio du vin qui conviendrait à ce curieux assemblage de saveurs et je jette mon dévolu sur un Hermitage Chave blanc 1997.

Une première bouteille est bouchonnée ce qui nous attriste. La seconde est parfaite. Le petit amuse-bouche se compose d’une crème aux champignons et d’une petite pomme de terre au goût profond. L’Hermitage chante avec le champignon. Comme il est très poivré je demande un des délicieux toasts au foie gras sur pique et l’accord est vibrant. Il y a dans le vin un goût de miel.

Malgré ma légitime appréhension, le vin arrive à mettre en valeur le petit pois, ce qui avouons-le, n’est pas évident. Il exhausse sa crudité alors qu’il se fait réservé sur l’œuf. L’Hermitage a des évocations de lait, de crème, de brioche et un fort poivre. J’avais hésité sur la carte entre le Chave et le Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe blanc 1992. Eric m’en apporte un verre. Immédiatement le Vieux Télégraphe apparaît plus ouvert, plus complexe, plus varié. Mais en y revenant on s’aperçoit que le Chave a plus de longueur et de race. Alors ? Comme souvent, il faut aimer les deux.

Je découpe la chair du quasi de veau sous les yeux de Guy qui me demande : « est-il trop ferme ? ». Je dis oui. « Est-il goûteux ? ». Je dis oui. Je fais remarquer à Guy Savoy que le chou farci qui est en garniture pourrait jouer un ton en dessous, car il monopolise le palais. Comme toujours, ce sont des remarques à la marge. Le Chateauneuf est plus rustique, le Chave est plus noble, le Chateauneuf est plus ensoleillé, le Chave est plus tendu. Le bouillon de veau est un bonheur gustatif. Le foie gras qui arrive est accompagné d’une sauce à la betterave, de copeaux de cèpes et de cèpes.

L’accord de l’Hermitage avec les cèpes est tellement éblouissant que j’en redemande une assiette pour partager ma joie avec Guy Savoy. Mais la préparation que j’ai dans l’assiette et faite pour plat ne peut être recommencée, aussi je reçois une assiette de cèpes juste poêlés. Et Guy me fait la gentillesse de venir communier avec moi sur un accord d’anthologie.

Il y a dans la salle de beaux bébés, car les rugbymen ou leurs supporteurs irlandais abondent. Le plat est comme eux, d’une grande virilité, mais l’exécution rend les saveurs prodigieuses, et le Chave produit un vrai miracle. Guy me dit que l’essence de l’accord vient de l’acidité. Je pense personnellement que l’accord vient du miel présent dans la cuisson des cèpes et dans le vin. Nous ne nous querellerons pas sur ce sujet car ce qui compte, c’est la perfection de ce que l’on goûte.

Il me faut me battre contre le souriant maître de salle pour ne pas recevoir les desserts ou mignardises. Mon combat est perdu d’avance. Quelle bonne idée que d’avoir décidé au pied levé de venir dans ce tabernacle de la grande cuisine !

déjeuner impromptu chez Alain Senderens mardi, 18 septembre 2007

Me trouvant dans le quartier de la Madeleine, je vais déjeuner seul au restaurant d’Alain Senderens. Seul, ça veut dire Chateldon. Les accords mets et vins supposent qu’on en partage les commentaires. Je laisserai quand même mon esprit vagabonder sur le vin que j’associerais à telle ou telle saveur. Comme c’est la saison des cèpes, la variation sur le thème du cèpe est un voyage des papilles. Et le spectre des vins possibles est immense. Cela va du Montrachet au Riesling, voire à une puissante Côte Rôtie pour l’ossue crème de cèpe. Le cabillaud est un poisson très goûteux. Sa chair m’enflamme et là aussi que de combinaisons envisageables si l’on varie les garnitures, car la ratatouille typée restreint le champ des possibles. Sagesse d’un côté, péché de l’autre, je finis par un mille-feuille à se damner. Alain Senderens a peuplé ma solitude en bavardant avec moi de gastronomie et de son monde. Sa formule connaît un succès spectaculaire. Ce qui prouve que le gourmet parisien a du talent. Car il a su plébisciter cette qualité incomparable d’un chef exemplaire heureux aujourd’hui de vivre son art avec sérénité.

 

de grands vins avec des amis au restaurant Laurent lundi, 17 septembre 2007

Un des amis présents au dîner chez Ledoyen m’invite avec un autre des convives, à déjeuner au restaurant Laurent dans le beau jardin où les feuilles de marronnier qui tombent en virevoltant sont autant de confettis qui donnent à notre table un air de fête. Patrick Lair est tout sourire, et la brigade attentive. Les vins sont déjà préparés et cela me fait tout drôle d’être spectateur alors que lorsque je rencontre ces amis, c’est plus souvent, sinon toujours, sur un programme que j’ai préparé.

Nous commençons par un « Le Montrachet » de Delagrange Bachelet 1988 (personne ne m’a encore expliqué pourquoi Montrachet s’écrit parfois précédé d’un « Le » péremptoire) à la couleur très jeune, au nez discret de belle race. En bouche le vin est charmeur. Son acidité de citron vert qui aurait épousé une liqueur de dosage est absolument séduisante. Il manque à ce vin un peu de gras et de puissance, mais c’est vraiment charmant et romantique. Sur le foie gras à peine poêlé qui est d’une fraîcheur rare, on est dans des tons d’aquarelle.

Il ne faut pas toucher au canapé sur lequel repose le foie qui  gâcherait cette harmonie en légèreté.

Les canons vont maintenant trompeter car  on nous sert l’Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998, le même que celui que j’avais fait goûter à mon hôte lors d’un réveillon dans ma maison du Sud. Ce vin est la définition du bon vin. Il est ample, riche, fruité, mâchu, goûteux et surtout il est simple. On le comprend tout de suite et on se laisse griser par cette limpidité de message qui amplifie le plaisir. On est loin des complexités de certaines cuvées sophistiquées mais on ne perd pas en finesse. Si j’osais une comparaison, ce serait la voix du regretté Pavarotti. Là où d’autres ténors sont obligés de forcer leur talent pour respecter des livrets exigeants, Pavarotti place chaque note avec une facilité incomparable. Il y a un peu de cela dans le Chave où tout est dosé, mesuré, pour le plus beau résultat.

Inutile de dire que mon pigeon est à son aise, même si son pané nuit un peu à la lisibilité, mais le canard de mes amis est peut-être encore plus adapté.

N’aimant pas être en reste, j’offre à mes amis un Riesling Shwarzhofberger Spätlese  Egon Muhler 2005 qui titre 8,5° et je commande le dessert, petite tartelette fine croustillante aux fraises des bois sur une crème légère à l’amande.

La combinaison est diabolique. Ce vin n’est normalement pas dans mes démarches car il fait un peu penser à un vin de glace perlant, dont le sucre insistant marque le final. Mais avec le dessert, c’est éclatant de sensualité. Ce sont les jeunes filles de David Hamilton jouant avec des voilages.

Le jardin du restaurant Laurent est magnifique, le service est l’un des plus engagés de la capitale. Le charme du lieu opère, la cuisine est solide et le tout est enveloppé par une chaude amitié.