dîner au restaurant de l’hôtel Crillon samedi, 19 avril 2008

De retour à Paris, je vais rejoindre ma fille cadette et son mari qui ont retenu une table au restaurant de l’hôtel Crillon. Nous sommes trois car ma femme est dans le sud. Mon gendre indique qu’il m’invite et saisit la carte des vins. Je pousse un « oh ! » d’admiration quand arrive un champagne Krug Clos du Mesnil 1990. Car il est difficile de chasser avec un plus gros calibre. Le champagne est purement exceptionnel. Nettement supérieur au 1983 bu la veille au Domaine de Chevalier, il a une classe, une race, une complexité qui en font la perfection absolue du champagne. Il va s’épanouir tout au long de la soirée et développer une myriade de saveurs plus raffinées les une que les autres. Il combine une grande jeunesse malgré ses presque dix-huit ans, et l’aplomb décontracté du héros à qui tout sourit. Les saveurs délicates des amuse-bouche se marient parfaitement au Krug, même un original jus de betterave, et un cromesqui de brandade de morue.

Nous passons commande de nos plats, et avec une gentillesse  charmante, le maître d’hôtel a fait rajouter une entrée, une langoustine associée à des saveurs complexes et du caviar qui fait chanter le Clos du Mesnil. Il a voulu nous faire croire que c’était une erreur de commande, mais nous avons compris la gentillesse. J’ai pris un œuf mollet dans une coque en croûte et des asperges. Ce plat est divin. Il appelle un Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1998 qui est une bombe olfactive et gustative. Ce vin tonitruant est du plaisir pur. On le boit avec une jouissance goulue et l’accord se fait naturellement, même avec les croquantes asperges vertes. Décrire l’étendue des arômes et des saveurs prendrait plus de temps que le dîner lui-même.

L’arrivée de la Côte-Rôtie La Landonne Guigal 1991 est un grand moment. Le nez est d’un raffinement généreux, et la bouche est splendide, sereine, accomplie, pour un plaisir parfait. Ce qui frappe particulièrement, c’est la sérénité. J’ai la chance de goûter un plat qui est un trésor gastronomique de première grandeur, car Jean-François Piège interprète très probablement une recette du patrimoine culinaire français. Il s’agit d’un pigeonneau désossé et recomposé fourré au foie gras. C’est d’un goût riche et raffiné, et La Landonne, absolument exceptionnelle pour cette année, est sublimée par le plat goûteux. Comme il reste un peu des deux vins, nous prenons des fromages pour mesurer à quel point le Bâtard-Montrachet est à l’aise, tandis que La Landonne se prête moins à cet exercice. J’ai pris pour dessert un échantillonnage de desserts traditionnels français qui sont traités avec talent.

Nous avons pris trois vins qui sont certainement des sommets dans leurs catégories. Le plus complexe et racé est certainement le Clos du Mesnil. Le plus joyeux en bouche, de plaisir premier, c’est le Bâtard. Mais tous les trois sont des vins parfaits. Les ors et les stucs de cette magnifique salle poussent au bonheur raffiné. David Biraud et Antoine Pétrus nous ont assisté dans le parcours de ces trois monstres sacrés. Le service est parfait. Que dire de la cuisine de Jean-François Piège ? Le mot qui s’impose est « talent ». Il a dans les mains le don de faire s’exprimer les saveurs. Il y a aussi un raffinement dans les dosages, et une esthétique des couleurs et des formes. Y aurait-il une critique à faire ? S’il y en a, c’est à la marge, et cela ne s’applique pas qu’à lui. La profusion des desserts et pré-desserts est excessive. Lorsque l’on est gourmand comme moi, on est sûr de dépasser les bornes. L’autre critique, qui procède de la même intention, est l’abondance. Jean-François est généreux et a l’attitude du premier de la classe, qui veut montrer qu’il est le meilleur sur toutes les matières du programme. Mais, se plaindra-t-on d’avoir fait un tel festin ? Je garde en tête d’abord le sublime pigeon, ensuite le Krug, le Leflaive et le Guigal, et cette atmosphère joyeuse créée par une équipe au service parfait.

dîner au Crillon – les photos samedi, 19 avril 2008

amuse-bouche

 

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Générosité du restaurant, le maître d’hôtel a préetndu s’être trompé dans la commande et a ajouté ce classique, la langoustine délicieuse,

Immense plat que cet oeuf et asperges

le pigeonneau fourré au foie gras est un plat extraordinaire qui ressuscite les recettes du passé,

 fromages pour finir les vins…

 

desserts à la française, à ne manquer sous aucun prétexte.

 

Krug Clos du Mesnil 1990 et Batard Montrachet Domaine Leflaive 1998

 

Texte sur le domaine Leflaive au dos de la bouteille.

 

Côte-Rôtie La Landonne Guigal 1991.

 

Trois bouteilles de légende dans un cadre de rêve.

dîner au Domaine de Chevalier avec des vins en « 3 » vendredi, 18 avril 2008

J’arrive chez Anne et Olivier Bernard, propriétaires de Domaine de Chevalier, pour le dîner qui est l’objet principal de mon voyage. Etant logé chez eux, j’ai le temps de prendre un repos salutaire, après les agapes de Pujols. Descendant dans la cuisine pour prendre de l’eau, je croise quelqu’un à qui je dis : « il me semble bien que je vous connais ». Tel Dom Gormas répondant à Rodrigue, il me répond : « peut-être ». C’est le sommelier qui travaille avec le traiteur Marc Demund, qui a composé le repas de ce soir, et avec lequel j’ai réalisé deux dîners au château d’Yquem.

A l’heure dite, je me rends au salon décoré avec un goût très sûr, devant une cheminée qui réchauffe les jolies femmes. Pour nous faire patienter, Olivier nous sert un champagne Besserat de Bellefon rosé non millésimé qu’il avait ouvert lors d’un repas précédent. Ce rosé sympathique me rapproche un peu plus des champagnes rosés que je prise normalement assez peu. Olivier a choisi comme thème du dîner les vins en « 3 » dont il faudra trouver la décennie à l’aveugle. Cela paraît simple, car de dix ans en dix ans, les types des vins sont très différents. L’expérience va montrer que l’on se trompe facilement. Olivier nous demande si nous sommes effrayés par le chiffre « 13 », car il a poussé la règle du final en « 3 » jusqu’au nombre des convives. Sont présents autour d’Anne et Olivier Bernard : Stephan von Neipperg et son épouse, Robert Peugeot, son épouse et une amie, Alexandre de Lur Saluces, Aude et Xavier Planty, Patrick Baseden avec qui j’avais partagé le dîner à « La Poudette », mon ami américain S. et moi.

Toujours au salon, nous buvons un Champagne Pol Roger Chardonnay 1993 très plaisant et très champagne. Olivier débouche une bouteille qui fait un petit pschitt, voire pas de pschitt du tout. C’est un champagne Krug Clos du Mesnil 1983. Malgré une bulle rare, ce champagne est d’un goût exceptionnel, d’une grande pureté de définition. Certains convives apprécient et d’autres sont hermétiques au goût des champagnes âgés. Je suis enchanté de l’exotisme de ce vin malgré un mûrissement qui me paraît supérieur à ce que j’en connais.

Nous passons à table dans la salle à manger aussi élégamment décorée, avec des tons qui réjouissent le cœur. Le menu de Marc Demund est : amuse-bouche / noix de Saint-Jacques aux endives confites / émincé de volaille et foie gras aux morilles / fromages / gratin de pamplemousses rouges. Ce fut délicat.

Découvrir les vins à l’aveugle est amusant. Mais cela monopolise les conversations, et quand on pense à trouver l’année, on analyse moins bien le vin. Cela donne aussi quelques piques acerbes sur des vins des vignerons présents. Comme au jeu de la vérité, c’est parfois brûlant, mais l’atmosphère riante et joyeuse gomme tout cela. Le Domaine de Chevalier blanc 1963 est assez acide ce qui limite un peu le plaisir, mais il faut dire que ce millésime ne l’aide pas beaucoup. Le Champagne Krug extra dry 1953 est un des nombreux cadeaux de mon ami S., qui nous aura comblés par des attentions savamment étudiées. Ce champagne est généreux, charmeur, et provient d’une année exceptionnelle que j’ai – pour une fois – immédiatement reconnue.

Le Montrachet Domaine Ramonet 1983 de mon ami américain est étonnant, car il n’a pas le caractère extraverti des montrachets. Nous sommes plusieurs, dont des vignerons, à avoir pensé qu’il s’agissait d’un bordeaux, alors qu’Alexandre de Lur Saluces, mon voisin de table, a immédiatement reconnu la Bourgogne. Comme nous étions majoritaires à nous être trompés, on conviendra que ce n’était pas facile. Mais, honte sur nous.

Le Château Margaux 1933 est d’une forte acidité. On sent le charme des margaux, mais sous un voile. A côté de lui, le Domaine de Chevalier rouge 1943 est magnifique de rondeur et de douceur. C’est lui qui a le vrai charme. Je me suis trompé de dix ans pour chacun des deux rouges et lorsqu’on m’annonce les millésimes, tout me paraît plus cohérent.

Le Château Canon-La-Gaffelière 1953 est absolument grandiose, magnifique, superbe, épanoui. L’année est évidente. C’est une année de réussite exceptionnelle en saint-émilion, comme pour le cousin La Gaffelière Naudes que j’ai eu l’occasion de boire de très nombreuses fois, avec un permanent succès. Le Château Latour 1973 est noble, meilleur que ce que l’année suggère, mais il lui manque quand même ce petit quelque chose qui n’appartient qu’aux millésimes accomplis. Là aussi l’année se trouve par déduction.

Le Domaine de Chevalier 1983 est très plaisant et j’ai hésité longtemps, alors que pour le Château La Mondotte 2003 très riche et de belle qualité, qui titre 14,5°, le choix s’impose sans variante possible.

Le Château Guiraud 1983 est un jeune sauternes fort plaisant. Le Château Guiraud 1893 étonnamment clair, offert par mon ami S. qui devait savoir, sans doute, que nous avions autour de la table le tour de table complet du capital de Château Guiraud, fait beaucoup plus jeune que son millésime, que j’ai déjà abondamment exploré en sauternes. Je suis un peu gêné de le voir si jeune, ce qui n’enlève rien au plaisir de ceux des administrateurs de Guiraud qui n’avaient jamais bu d’exemplaire ce vin du 19ème siècle. Ils apprécient la valeur du cadeau de S. qui a tapé dans le mille.

Nous passons au salon qui se remplit de volutes de cigares rares. S. a offert à Olivier un cigare de 1953 (encore une année en « 3 »), ce que je trouve assez ahurissant. On nous sert alors un champagne Cristal Roederer 1973 encore de mon ami, non inscrit sur la liste du menu. Si l’on excepte le premier rosé déjà ouvert auparavant, nous finissons d’avoir bu treize vins, chiffre terminant aussi par trois. Je mets longtemps à hésiter entre champagne blanc et rosé tant l’ambre du champagne a des accents de rose mauve. Absolument délicieux, il offre une délicatesse romantique qui clôt en beauté le voyage de nos papilles.

Classer autant de vins aussi dissemblables et une gageure,  mais je vais essayer : 1 – Château Canon-La-Gaffelière 1953, 2 – Champagne Krug extra dry 1953, 3 – champagne Krug Clos du Mesnil 1983, 4 – Domaine de Chevalier rouge 1943. Je suis sûr que les votes eussent été disparates si nous nous étions livrés à cet exercice. J’ai privilégié l’accomplissement au moment où nous les avons bus des deux rouges en pleine forme, et la race de deux grands champagnes.

Dans une ambiance enjouée, nous avons découvert des vins très originaux. Le chiffre trois qui termine chaque millésime est le chiffre du divin. C’est le qualificatif qui s’impose pour l’accueil d’Anne et Olivier Bernard.

dîner au Domaine de Chevalier – les photos vendredi, 18 avril 2008

La maison privée d’Anne et Olivier Bernard, propriétaires de Domaine de Chevalier.

La table joliment préparée.

Noix de Saint-Jacques aux endives confites.

Emincé de volaille et foie gras aux morilles.

 

Fromages et gratin de pamplemousses rouges.

Belle cuisine réalisée par l’équipe de Marc Demund.

 

Champagne Cristal Roederer 1973

 Bouchon du Domaine de Chevalier rouge 1943. La bouteille a été reconditionnée en 1994.

 Impressionnante série de bouteilles :

Champagne Pol Roger Chardonnay 1993, champagne Krug Clos du Mesnil 1983, Domaine de Chevalier blanc 1963, Champagne Krug extra dry 1953, Montrachet Domaine Ramonet 1983, Château Margaux 1933, Domaine de Chevalier rouge 1943, Château Canon-La-Gaffelière 1953, Château Latour 1973, Domaine de Chevalier 1983, Château La Mondotte 2003, Château Guiraud 1983, Château Guiraud 1893.

Le Champagne Cristal Roederer photographié ci-dessus et ne figurant pas sur la photo de groupe fut bu au moment des cigares en fin de repas au salon.

visite à Climens et déjeuner chez Claude Darroze avec un 1964 vendredi, 18 avril 2008

Je me rends au Château Climens pour rendre visite à Bérénice Lurton, la propriétaire de ce château de Barsac. Elle conduit un groupe d’anglais et je les rejoins au moment de la dégustation de vins récents. Nous commençons par Cyprès de Climens 2004, le second vin de Climens, déjà ouvert, à boire jeune, aux accents de pruneaux. Le Château Climens 2004 montre sa différence qui est très nette, surtout en ce qui concerne la longueur et l’élégance. Le Cyprès de Climens 2005 est fort sucré, moins agréable actuellement que le 2004. Le Château Climens 2005 montre ses gros muscles. Il a la puissance et un fort sucre, mais qui est compensé par une fraîcheur rare. Ce sera un grand vin. Bérénice me fait raconter aux visiteurs que mon coup de foudre pour les vins anciens est né d’un Climens 1923. Les yeux de ces amateurs anglais se mettent à pétiller au récit de mes histoires. Quand leur minibus est parti, nous allons chercher dans un recoin difficile d’accès une bouteille de Climens 1964 pour aller déjeuner au restaurant de Claude Darroze à Langon. Je suggère le menu : asperges blanches, ris de veau et dessert aux agrumes. Sur de petits amuse-bouche, nous testons le Château Climens 1964. Dès la première gorgée, ce Barsac d’un or clair au nez généreux montre un équilibre spectaculaire. Il m’évoque les pomelos. Sur une petite brouillade d’œufs aux truffes, il réagit bien. Sur une crème brûlée au foie gras, le sucre chavire le vin. Dans un petit pot, tomates et huile refusent le liquoreux. L’amertume des asperges est idéale pour amplifier la longueur du vin. Mais c’est surtout avec le ris de veau et ses champignons que le Climens 1964 est éblouissant. D’une année où Yquem n’avait pas fait de millésime, Climens a réussi à faire une petite merveille. Nous sommes particulièrement heureux et nous devisons de milliers de sujets. Sur des quartiers d’orange jaune, le Climens est plus à l’aise que sur des pamplemousses roses. Couleur sur couleur se prouve une fois de plus.

Les accords de ce repas ont montré un très grand Barsac équilibré, cohérent et structuré, qui garde une légèreté et une fraicheur qui en font comme nous l’avons vérifié, l’agréable compagnon de tout un repas.

visite à Climens et déjeuner chez Claude Darroze vendredi, 18 avril 2008

Dégustation au château des 2004 et 2005 de Château Climens et du second vin "Cyprès de Climens".

 

Le graphisme de la carte et des assiettes méritait la photo.

 

j’ai oublié de photographier les délicieuses asperges blanches. Le ris de veau fut superbe sur le Chateau Climens 1964, ainsi que ce beau dessert aux oranges et pamplemousses. C’est l’orange qui se marie le mieux.

Le bouchon du Chateau Climens 1964 s’est brisé en deux, mais le sommelier réussit à le retirer.

 

déjeuner au Saint-James et dîner à Pujols avec de grands vins jeudi, 17 avril 2008

Me rendant à Bordeaux, je vais loger à l’hôtel Saint-James à Bouliac que j’ai connu il y a plus de trente ans du temps du bouillant Jean-Marie Amat. A déjeuner, je suis raisonnable, commandant des grenouilles et un bar. La cuisine très épicée est faite de cuissons très exactes mais l’addition de saveurs contraires ne doit pas faciliter la tâche de Richard Bernard, sommelier très titré qui fut nommé entre autres meilleur sommelier de France et sommelier de l’année. Le foisonnement de Michel Portos, au-delà de son art certain, doit effrayer les vins, ce qui est dommage, car la carte des vins est spectaculaire. Le bar est submergé de poivrons, d’oignons et de copeaux de gingembre qui chavirent le palais. Je suis à l’eau, aussi Richard m’apporte un verre de Château Guiraud 2001 pour le dessert. Quand je lui ai dit que je l’avais déjà bu il y a deux jours, je le sentis triste de ne pas avoir trouvé un vin à découvrir. Ma chambre surplombe la plaine de Bordeaux et un vent soutenu fait chanter les structures métalliques de cette architecture avant-gardiste. Le parc et les vastes couloirs de la belle bâtisse sont envahis de sculptures qui évoquent les maigreurs de Giacometti et les spectres qui sortent de terre dans le clip le plus génial de Michael Jackson, Thriller. Ce n’est pas très motivant par un temps triste et pluvieux.

Je me rends à l’hostellerie de Plaisance à Saint-Emilion pour retrouver mon ami S., collectionneur américain avec lequel je vais dîner. Le propriétaire du Château des Fougères, Patrick Baseden et son épouse Corinne nous emmènent au milieu de nulle part, à Pujols, au restaurant « La Poudette », du nom de cet instrument en forme de serpette qui sert à tailler la vigne. Un couple charmant nous accueille, Frédéric Jombard aux fourneaux et Sophie Cabantous qui claudique car leur coq vient de la blesser de ses ergots. Elle souffre encore. Nous commandons du jambon d’un cochon noir avec un toast aillé et un tournedos à la sauce réduite au vin. Tout est délicieux, goûteux, respirant la France profonde qui peut faire des miracles dans la simplicité. Nous commençons par un champagne Krug Grande Cuvée assez jeune mais très signé « Krug ». Ce champagne apporte la joie. Patrick nous fait goûter le Château des Fougères, La Folie de Montesquieu Graves 2006. Corinne est la descendante de Charles-Louis de Montesquieu. Le vin a un nez très expressif, d’un bouquet généreux du fait de ses 14°. A ce stade de jeunesse, ce vin qui pulse fort est assez difficile à apprécier, mais l’on sent que quelques années de plus vont lui profiter. Le Château Haut-Brion blanc 1985 ressemble plus à mes goûts familiers, car l’âge l’a arrondi, a agencé toutes ses harmoniques et son équilibre le rend séduisant. La légère acidité est très contrôlée. C’est un grand blanc sans toutefois le petit grain de folie qui le rendrait charmeur.

La divine surprise de ce soir, c’est le Château Latour à Pomerol 1964. La couleur est d’une jeunesse rare comme le nez très pur. En bouche, il subjugue par son fruit généreux et sa jeunesse folle. Qui pourrait dire qu’il s’agit d’un 1964 ? J’avais bu avec mon ami S., qui a fourni les vins de ce soir, un magnum de Pétrus 1964 de ma cave qui était absolument sublime. Le Latour à Pomerol boxe dans cette catégorie-là, un cheveu en dessous.

Avec un sourire gourmand d’homme généreux, S. nous sert maintenant un Romanée Saint-Vivant Morey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1969. Le charme bourguignon est impressionnant. Ce vin est d’une folle séduction. Le contraste entre bordeaux et bourgogne est saisissant, et les deux me plaisent, l’un par sa trame parfaite et l’autre par sa séduction subtile. Le chef nous offre un Bas Armagnac Château de Gaube Francis Darroze 1971 fort précis.

Dans ce restaurant perdu d’une grande qualité, nous sommes allés nous encanailler comme cette jeune fille du 16ème arrondissement qui oserait s’aventurer dans le 20ème arrondissement. Impensable, non ? Sur une cuisine authentique et sincère, les vins de mon ami ont brillé plus encore. Les trois hommes de ce repas ont rendez-vous demain à dîner au Domaine de Chevalier.

De retour dans ma chambre, sorte de cube vitré qui surplombe la ville, toute les lumières de la ville forment un décor hollywoodien. Mais lorsque l’on veut dormir, les choses changent. Des six stores électriques, le seul qui ne se baisse pas, c’est celui qui est en face de mon lit. Je dresse mes valises sur des fauteuils pour faire écran, je joue avec les oreillers pour me protéger, mais rien n’y fait. Ma chambre ressemble à ce flic tortionnaire qui crie : « nous avons les moyens de vous faire parler » en aveuglant le suspect. Et malgré mes désirs d’échapper au supplice, je rumine dans ma tête éveillée tout ce que je pourrais avoir à avouer. Le plus insolent de l’histoire, c’est lorsque l’on m’apporte le petit déjeuner. Racontant mes mésaventures à cet aimable maître d’hôtel, il fait remonter les stores puis les baisse. Horreur ! Le store marche à nouveau. Le petit déjeuner est fort bon, avec des saveurs plaisantes. Lorsque je vais prendre ma douche, je pense aux gens d’un certain âge qui ont un blocage envers l’informatique et l’internet. Dans mon cas, ce sont plutôt les douches qui veulent jouer aux spas. Quand je vois tous ces robinets, toutes ces manettes et tous orifices d’où pourrait jaillir de l’eau, je guette avec angoisse le moment où de l’un de ces bulbes troués jaillirait une eau glacée que je ne pourrais stopper. Ce matin, rien de tout cela, mais le designer qui trouve sans doute vulgaires les bonnes vieilles pommes traditionnelles a inventé un tuyau en forme de gyrophare qui a fait de moi le pompier d’un jour.

déjeuner au restaurant de l’hôtel Saint James à Bouliac jeudi, 17 avril 2008

Joli petit amuse- bouche et salade de calmar

 

Deux plats très épicés. Les cuisses de grenouille sont délicieuses. Quant au plat de bar, dommage qu’il soit perdu dans une imposante montagne de saveurs très typées.

Sur la photo de ce sorbet et dés de banane on peut imaginer la trace de droite sur l’assiette comme l’encre lancée par une seiche troublée.

 

dîner à la « Poudette » à Pujols avec de grands vins jeudi, 17 avril 2008

Je vais chercher mon ami S., collectionneur américain à son hôtel, le Plaisance à Saint-Emilion. En contrebas, des vaches multicolores.

 

En attendant mon ami, je constate que dans la belle salle à manger du Plaisance, derrière une vitre, s’offrent des Pavie bien sûr, mais aussi des vins anciens respectables.

 

Jambon de cochon noir au toast aillé et belle pièce de boeuf. Cuisine de grand plaisir.

Champagne Krug Grande Cuvée non millésimé.

 

Chateau des Fougères, la Folie de Montesquieu, Graves 2006 apporté par Corinne et Patrick Baseden, propriétaires.

 

Chateau Haut-Brion blanc 1985 (les vins qui suivent, et celui-ci ont été apportés par mon ami S.)

 

Chateau Latour à Pomerol 1964 et Romanée Saint Vivant Marey Monge Domaine de la Romanée Conti 1969, deux vins sublimes.*

 

Autres vues de ce Romanée Saint-Vivant.

Bas Armagnac Chateau de Gaube Francis Darroze 1971 offert par le patron.

Au siège du champagne Salon, lancement du Salon 1997 mercredi, 16 avril 2008

Lorsque j’avais vu Didier Depond au siège du champagne Salon il y a quelques jours, c’était avant la campagne de lancement du Salon 1997. Didier m’avait demandé de ne rien dire de mes impressions sur ce champagne goûté avant l’heure. Je n’en ai rien dit. Enfin je peux parler, car à onze heures Didier reçoit un petit groupe d’amis pour découvrir ce champagne. Il y a dans ce petit cercle de dix personnes une sympathique variété d’horizons : une journaliste d’un organe local, un homme qui compte dans le comité professionnel des vins de champagne, un caviste renommé un grossiste en produits gastronomiques de luxe, un importateur de fruits, un décorateur, un avocat et l’importateur du champagne Salon et de prestigieux vins bourguignons pour le Japon.

Dans la très jolie nouvelle salle de dégustation, nous allons goûter dix vins, mais avant nous visitons les caves de Salon, où l’on dégorge devant nous les deux champagnes que nous allons goûter à table. Didier rappelle l’histoire de ce champagne et cite les années qui ont été produites, qui sont moins de quarante sur un siècle. En l’écoutant les énumérer, je me rends compte que sur plus de quarante ans, j’ai bu tout ce qui a été produit.

La dégustation commence par cinq vins clairs de 2007. Le 2007 Mesnil 1, qui pourrait entrer dans la composition du 2007, si ce millésime est produit, a un nez très pur. La bouche est très acide, le floral est très affirmé. Le 2007 Mesnil 2, qui pourrait aussi entrer dans le Salon 2007 a un nez plus rond, floral. En bouche, l’acidité est différente. Il est plus floral et plus élégant que le 1. Didier nous indique que la décision pour le 2007 n’est pas arrêtée, mais on sent qu’une voie a sa préférence. Elle est très originale et me plait beaucoup. Je ne précéderai pas son annonce. Les autres vins, sauf peut-être un, n’entreront que dans le Delamotte. L’Avize 2007 a un nez assez curieux, avec une bouche un peu plus simple. Il est plus buvable car il est moins marqué. Le Cramant 2007 est très pétillant. Il évoque les fleurs blanches. Il manque un peu de finale. Le Chouilly 2007 est un peu plus plat, plus animal.

Nous passons ensuite à cinq vins qui ont été dégorgés ce matin à neuf heures et non dosés. Le champagne Delamotte blanc de blancs est fait à base de vins de 2002. La différence avec les vins clairs de 2007 est spectaculaire, car on entre dans le monde des vrais champagnes. Le nez évoque le poivre et le caramel. Il est d’une très belle longueur. Le champagne Delamotte blanc de blancs 1999 a un joli nez floral, assez discret. En bouche il est très équilibré, toasté, fruits jaunes. Il est un peu classique mais très pur et très élégant. C’est un champagne qui mérite vraiment l’intérêt.

Le champagne Delamotte blanc de blancs 1985 a un nez superbe et raffiné. En bouche, il est beau et glorieux. Son attaque est splendide et le corps évoque le carambar et l’amande grillée. Ce beau vin a une forte minéralité.

Le champagne Salon 1997 a un nez discret mais noble, minéral et iodé. L’élégance en bouche est d’une grande évidence, et l’on entre de plain pied dans le monde de Salon. Très pur, très concentré il va évoluer. Sa trame est belle et son final affirmé, il évoque les fleurs blanches, l’iode, la pêche blanche. Il est résolument féminin, ce que Didier traduit ainsi : le 1996 est Cary Grant et le 1997 est Audrey Hepburn.

Le champagne Salon 1988 a le nez du 1988 que je connais par cœur. Le caramel est là. En bouche il est typé, fumé, avec un petit côté animal. Ce n’est pas le plus grand 1988 que j’aie bu, mais il faut rappeler qu’il n’est pas dosé.

Nous nous dirigeons vers la jolie salle à manger du premier étage où abondent les souvenirs d’Eugène Aimé Salon et des dîners prestigieux où Salon fut à l’honneur. Il fait si beau que l’apéritif au Salon 1997 est bu le long des vignes de la parcelle magique qui fait ce vin rare. Et sur des gougères et tuiles au parmesan, le 1997 commence à montrer sa personnalité. Féminin et racé, il l’est sans conteste. Mais sa personnalité va se former encore et il choisira de l’amplifier.

Le jeune chef d’un restaurant local  a réalisé un repas d’une grande qualité. Voici le menu : crème brûlée de foie gras, carpaccio de Saint-Jacques, vinaigrette légère, pressé de légumes et rouget / risotto de homard Arborio, émulsion de crustacés / Filet de veau français printanier / cœur de parmesan 36 mois / financier aux amandes effilées, concassé de pistache et coulis d’abricot. Tout est bon délicat et de goûts précis. Il fallait bien cela pour les vins remarquables de ce déjeuner.

A table, le champagne salon 1997 fait sa mue et le gamin devient adolescent. Il affirme une puissance qu’il avait cachée jusque là. Il est absolument superbe sur le rouget, précis sur la coquille crue et en opposition avec le foie gras, car l’accord ne se fait pas. Il revit avec le risotto et le homard, plat remarquable.

Le Château Latour 1990 en magnum me laisse sans voix. Ce vin est d’une perfection absolue. On ne peut pas imaginer que ce vin puisse être meilleur que ce qu’il nous offre ainsi, sans l’ombre de plus infime défaut. Le vin est parfait, combinant une race, une distinction qui le place au plus haut niveau de la hiérarchie bordelaise, mais il y rajoute une joie de vivre simple qui est confondante. Il va sans dire que dans l’échelle parkérienne, c’est un 100 qui doit couronner ce vin. Alors, avec ma bouteille rapportée de la veille du restaurant Laurent, ne vais-je pas faire une erreur en le faisant servir maintenant ? Eh bien, la nuit plus le voyage jusqu’ici lui auront fait du bien. Le vin frappe tout de suite par un fruit incroyable. C’est confondant de générosité. Et ce qui me fait un immense plaisir, c’est que l’on peut passer du Latour au Chave et inversement sans avoir le moindre sentiment qu’ils se repoussent. Ils sont opposés mais s’acceptent. Le Latour est magnifiquement noble, le Cathelin est fruité, généreux et chantant d’une voix d’enfant. Deux splendides expressions du vin rouge. En terre champenoise, c’est du bonheur. Nous revenons au Salon 1997 sur le parmesan délicieux et, signe important, le champagne ne démérite pas après le passage de ces deux rouges de compétition. Il va même jusqu’à creuser son sillon dans nos papilles pour affirmer : j’existe et je suis là.

Pour le dessert, le Champagne Salon 1976 en magnum dégorgé en cave devant nous montre une couleur dorée magnifique. Rien n’est plus beau que cet or. Je le sens alors que la bulle éclate dans le verre et ce sont des milliers de grains de cassis qui se brisent dans cette odeur. Le champagne est grand, car 1976 est grand. Mais la fatigue des papilles commence à jouer, et le plaisir s’émousse. Les cartes de visite s’échangent, les promesses de se revoir se forment. Sous le soleil qui montre enfin son nez après tant de grisailles printanières, nous avons la sensation d’avoir vécu un grand moment. Le baptême du 1997 est convaincant. Le boire sous le signe de l’amitié est un cadeau de plus.