dîner au restaurant de l’hôtel Crillonsamedi, 19 avril 2008

De retour à Paris, je vais rejoindre ma fille cadette et son mari qui ont retenu une table au restaurant de l’hôtel Crillon. Nous sommes trois car ma femme est dans le sud. Mon gendre indique qu’il m’invite et saisit la carte des vins. Je pousse un « oh ! » d’admiration quand arrive un champagne Krug Clos du Mesnil 1990. Car il est difficile de chasser avec un plus gros calibre. Le champagne est purement exceptionnel. Nettement supérieur au 1983 bu la veille au Domaine de Chevalier, il a une classe, une race, une complexité qui en font la perfection absolue du champagne. Il va s’épanouir tout au long de la soirée et développer une myriade de saveurs plus raffinées les une que les autres. Il combine une grande jeunesse malgré ses presque dix-huit ans, et l’aplomb décontracté du héros à qui tout sourit. Les saveurs délicates des amuse-bouche se marient parfaitement au Krug, même un original jus de betterave, et un cromesqui de brandade de morue.

Nous passons commande de nos plats, et avec une gentillesse  charmante, le maître d’hôtel a fait rajouter une entrée, une langoustine associée à des saveurs complexes et du caviar qui fait chanter le Clos du Mesnil. Il a voulu nous faire croire que c’était une erreur de commande, mais nous avons compris la gentillesse. J’ai pris un œuf mollet dans une coque en croûte et des asperges. Ce plat est divin. Il appelle un Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1998 qui est une bombe olfactive et gustative. Ce vin tonitruant est du plaisir pur. On le boit avec une jouissance goulue et l’accord se fait naturellement, même avec les croquantes asperges vertes. Décrire l’étendue des arômes et des saveurs prendrait plus de temps que le dîner lui-même.

L’arrivée de la Côte-Rôtie La Landonne Guigal 1991 est un grand moment. Le nez est d’un raffinement généreux, et la bouche est splendide, sereine, accomplie, pour un plaisir parfait. Ce qui frappe particulièrement, c’est la sérénité. J’ai la chance de goûter un plat qui est un trésor gastronomique de première grandeur, car Jean-François Piège interprète très probablement une recette du patrimoine culinaire français. Il s’agit d’un pigeonneau désossé et recomposé fourré au foie gras. C’est d’un goût riche et raffiné, et La Landonne, absolument exceptionnelle pour cette année, est sublimée par le plat goûteux. Comme il reste un peu des deux vins, nous prenons des fromages pour mesurer à quel point le Bâtard-Montrachet est à l’aise, tandis que La Landonne se prête moins à cet exercice. J’ai pris pour dessert un échantillonnage de desserts traditionnels français qui sont traités avec talent.

Nous avons pris trois vins qui sont certainement des sommets dans leurs catégories. Le plus complexe et racé est certainement le Clos du Mesnil. Le plus joyeux en bouche, de plaisir premier, c’est le Bâtard. Mais tous les trois sont des vins parfaits. Les ors et les stucs de cette magnifique salle poussent au bonheur raffiné. David Biraud et Antoine Pétrus nous ont assisté dans le parcours de ces trois monstres sacrés. Le service est parfait. Que dire de la cuisine de Jean-François Piège ? Le mot qui s’impose est « talent ». Il a dans les mains le don de faire s’exprimer les saveurs. Il y a aussi un raffinement dans les dosages, et une esthétique des couleurs et des formes. Y aurait-il une critique à faire ? S’il y en a, c’est à la marge, et cela ne s’applique pas qu’à lui. La profusion des desserts et pré-desserts est excessive. Lorsque l’on est gourmand comme moi, on est sûr de dépasser les bornes. L’autre critique, qui procède de la même intention, est l’abondance. Jean-François est généreux et a l’attitude du premier de la classe, qui veut montrer qu’il est le meilleur sur toutes les matières du programme. Mais, se plaindra-t-on d’avoir fait un tel festin ? Je garde en tête d’abord le sublime pigeon, ensuite le Krug, le Leflaive et le Guigal, et cette atmosphère joyeuse créée par une équipe au service parfait.