Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998 mardi, 15 avril 2008

Mon épouse adore le restaurant Laurent. Pour fêter un anniversaire de mariage dont on  ne compte plus les années, puisqu’on aime, il est tout naturel d’y aller. Dès notre arrivée, nous nous sentons bien. Toute l’équipe est souriante et aux petits soins pour nous. Connaissant tous les plats, il n’y aura pas de surprise avec les langoustines et les pieds de porc. Je choisis un Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998. Lorsque j’avais ouvert ce vin pour un réveillon dans ma maison du Sud, je savais que je commettais un infanticide, mais j’ai aimé la découverte. Lorsqu’un ami présent au réveillon en partagea un quelques mois plus tard avec moi au restaurant Laurent, ce bambin avait la saveur de l’amitié. Ici, alors que je suis seul à boire, je me rends compte qu’il faut lui appliquer la formule mitterrandienne, « il faut laisser du temps au temps ». Ce vin a tout pour lui, son fruit est immense, sa générosité est hors norme. Mais laissons-lui le temps de se domestiquer. N’ayant consommé qu’une partie de la bouteille, je la conservai pour en faire profiter les amis que je vais retrouver.

 

Deux plats "culte".

 L’Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998 bu ce soir et qui sera partagé au siège du champagne Salon avec des amis.

brunch au Kube dimanche, 13 avril 2008

Le lendemain toujours en famille, nous allons prendre un brunch dominical au Kube, un hôtel branché qui est du même groupe que le restaurant Murano.

Avant le brunch, chez ma fille, mon gendre ouvre un Dom Pérignon 1999. Un goût de bouchon nous a rebutés.

La décoration résolument moderne du Kube est très inspirante. C’est jeune, coloré, imaginatif. On se sent bien. Le service est attentionné et dégourdi. La cuisine est sommaire mais comme c’est un brunch on peut picorer ce qui nous fait plaisir. Une jeune fille belle comme une Madone vient nous proposer d’aller regarder une exposition de l’artiste qui a pendu des tableaux sur toutes les cimaises. Les futurs Warhol ont encore du travail. Je fais ouvrir un champagne Krug Grande Cuvée fort adapté à cet exercice. Tout le monde est en jean, les enfants gambadent, l’atmosphère est à la joie de vivre en famille. Quelques belles bulles sur un camembert et c’est un rayon de soleil qui prouve que partout, un essai gastronomique peut donner du bonheur au cœur.

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Dîner de famille impromptu samedi, 12 avril 2008

Dîner de famille impromptu. J’ouvre un champagne Taillevent rosé 1988 élaboré par Deutz. La couleur est d’un rose intense de grand raffinement. Le nez est avenant et en bouche, ce champagne me réconcilie avec les rosés. D’une grande pureté ce champagne élégant est très intense et charmant. L’âge lui va bien. J’ai prélevé en cave au hasard un Nuits-Saint-Georges Ed. Loiseau 1982. Au vu de l’étiquette, il n’y a pas de miracle à attendre sur un délicieux gigot à l’ail de mon épouse. Nous sentons, c’est délicieusement avenant. La couleur est clairette, et dès que nous portons ce vin à nos lèvres, mon fils et moi nous nous regardons. Qui de nous deux dira le premier que c’est sacrément beau ? Il y a dans ce vin simple un très beau fruit joyeux, et ce frisson bourguignon qui encanaille le cœur. Comment imaginer qu’un tel vin nous donne tant de plaisir ? Il ne faut pas le dire, car serions-nous crus ?

 

 

99ème dîner de wine-dinners – quelques plats vendredi, 11 avril 2008

Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, fèves et petites oignons mijotés au beurre de romarin

 

Volaille de Bresse pochée en vessie : 1° service : le suprême servi dans son bouillon, chou farci et raviole de foie gras

 

2° service : gras de cuisse au jus et abattis de volaille

Poire « William » cuite au naturel et caramélisée, mousseline et crème glacée au sirop d’orgeat.

Tout fut délicieusement délicat.

 

99ème diner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 10 avril 2008

Le 99ème diner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Son histoire est liée à celle du 100ème dîner. L’idée de faire au château de Saran le centième dîner, qui marque une date dans l’histoire de mes dîners, m’avait beaucoup excité. Le projet d’un dîner en ce haut lieu de la champagne, au propre comme au figuré, était dans l’air depuis longtemps. Un tel site pour le centième, c’était plus que tentant. Mais comme ceux des lecteurs qui ont une connaissance mathématique développée le remarqueront sans difficulté, il est d’usage que le centième apparaisse après le 99ème et non avant. La date de disponibilité du château de Saran m’ayant été communiquée, il fallait insérer dans mes programmes un dîner de plus. Plutôt que de s’embarrasser à trouver des convives je décidai d’inviter les heureux inscrits au centième. S’ajoute un couple de jeunes mariés à qui j’offrais ce cadeau. Un ami de toujours compléta la table, et nous voilà onze au restaurant Laurent.

Je viens ouvrir les vins peu avant 17 heures et le jeune sommelier qui m’assiste sent chaque vin avec un grand plaisir. Il est surtout intéressé par le Porto du 19ème siècle, car c’est sa région d’origine. Même lorsqu’ils se briseront, aucun des bouchons ne me pose réellement de problème. Aucune odeur ne me fait peur.

Chose invraisemblable qui n’arrive normalement que dans mes rêves les plus irréels, tout le monde est à l’heure à 20 heures précises. La probabilité d’une telle exactitude étant plus faible que celle d’une éclipse totale de soleil, on image à quel point je suis désemparé. Dans le beau salon d’entrée du restaurant, nous prenons l’apéritif avec un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle ancien que j’avais annoncé vers 1970. Il pourrait être plus vieux encore car sa belle couleur dorée évoque les acajous subtils et en bouche il y a un délicieux entrelacs d’agrumes et de brioches. Kaléidoscopique, ce champagne à la bulle chiche mais pétillant sur la langue montre à quel point les champagnes anciens ont une séduction redoutable. Il sert d’introduction au voyage que nous allons faire dans le monde des vins anciens. Les toasts au jambon réveillent l’envie de convaincre du champagne qui serait un partenaire idéal de gastronomie tant il a de choses à raconter.

Nous passons à table dans la belle salle en rotonde du restaurant. Je me suis mis dos à la salle et quand je vois les mâles de notre groupe tourner le cou je peux m’imaginer qu’une beauté sculpturale doit franchir l’espace. Je n’exclus pas pour certains quelques torticolis postprandiaux.

Le menu créé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon : Toasts de jambon Jabugo / Langoustine croustillante au basilic / Royale de morilles / Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, fèves et petites oignons mijotés au beurre de romarin / Volaille de Bresse pochée en vessie : 1° service : le suprême servi dans son bouillon, chou farci et raviole de foie gras / 2° service : gras de cuisse au jus et abattis de volaille / Poire « William » cuite au naturel et caramélisée, mousseline et crème glacée au sirop d’orgeat / Tartelettes au chocolat noir / Café, mignardises et chocolats. Tout ceci est d’une rare délicatesse et je ferai un commentaire à la fin de ce compte-rendu.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Cuvée Or 1976 surprend immédiatement car il forme avec le précédent un contraste incroyable. Le premier champagne était un « vieux » champagne. Celui-ci est un gamin par comparaison. Ce qui est assez extraordinaire c’est sa séduction subtile féminine au plus haut point. Il est floral de fleurs blanches, il est fruité de fruits blancs et son message délicat impose à nos lèvres son charme infini. On se complairait d’en boire à l’envi dans un Eden retrouvé. La langoustine a une chair douce presque tendre et sucrée et cela compose en bouche avec le champagne un tableau à la Vigée-Lebrun.

Le Montrachet Domaine Amiot Guy et Fils 1993 est un solide gaillard. Son message est clair comme un réveil de Diane. C’est avec la crème qui entoure les morilles qu’il s’exprime dans une continuité envoûtante. L’accord est percutant. Il le fallait bien car ce Montrachet monolithe ne fait rien pour nous dérouter : il suit sa trace gustative sans se retourner.

J’ai passé beaucoup de temps à observer les réactions des jeunes mariés car c’est pour moi riche de sens de comprendre l’entrée de jeunes palais dans un monde quasiment nouveau pour eux. Leurs rires, leurs réactions sont des signes qui m’importent car on peut entrer dans le monde des vins anciens sans grande connaissance préalable et y trouver magie et plaisir. Le carré d’agneau à la chair tendre accueille deux vins aussi disparates que possible. Le Château Carbonnieux rouge 1929 a une couleur sang de pigeon d’un jeune vin. Son nez est franc, mâle. A l’inverse le nez du Château Lafite-Rothschild 1924 est un peu rebutant et sa couleur est plus fatiguée. Mais en bouche ce n’est plus du tout la même chose. Le Carbonnieux a un message direct, franc qui ne s’embarrasse pas de fioritures. On le saisit instantanément et je dois dire que je préfère ce 1929 à tous les nombreux 1928 que j’ai déjà goûtés. Il y a une classe derrière cette pureté qui fait de ce vin un très grand vin. Et je ne suis pas sûr que beaucoup de 1961 seraient plus jeunes que lui. A l’inverse le Lafite est tout en complexité et en subtilité. Rarement Lafite n’aura exposé autant d’évocations. On comprend en « lisant » ce vin pourquoi c’est un premier grand cru classé. Une légère fatigue est là, mais elle n’entrave en rien l’exposé du message large comme un éventail. C’est un très grand vin qui s’est marié plutôt avec la peau caramélisée bien grasse qui réveillait son envie de vivre.

Une incroyable symétrie allait se produire avec les deux bourgognes. Comme dans la première série des rouges c’est le verre à ma gauche qui a le vin le plus vivant. Il s’agit maintenant de l’Echézeaux Henri Jayer 1976 au nez tonitruant, alors qu’il était le plus discret à l’ouverture. Chat matois sans doute il attendait son heure. Henri Jayer est devenu de son vivant mais encore plus après sa mort une légende de la vinification bourguignonne. Est-ce de l’auto-persuasion, toujours est-il que je trouve ce vin absolument parfait dans sa conception, son écriture et son exposé. Des bourgognes aussi précis que celui-ci, je n’en connais pas beaucoup. De plus, comme lors d’une manif, il a mis le son sur haut-parleur et nous délivre un message d’une rare richesse. A côté de lui, à droite, comme pour la série précédente, le Chambolle Musigny Domaine Grivelet 1949 fait un peu plus fatigué. Mais il cache bien son jeu. D’une des plus grandes années de la Bourgogne, il est grand, noble et sans vouloir séduire il y arrive bien. Le plat est divin, la chair blanche d’une tendreté rare, et le petit ravioli de foie gras excite le Chambolle aussi bien que la feuille de chou. Le parallélisme des deux séries de rouges est intéressant : le plus jeune est fringant, mais le plus ancien, sous son manteau de vieillesse, affiche une complexité qui force l’estime et l’affection.

Le deuxième service de la volaille est particulièrement judicieux sur l’Hermitage la Sizeranne Chapoutier 1955 qui me donne un coup de poing dans le cœur. Ce vin est étiqueté comme étant de la réserve de l’auberge  de la Truite à Locmaria-Huelgoat. Est-ce là qu’un souffle iodé de force 8 lui a donné cette puissance, je ne sais, mais je reste sans voix. Ce vin est parfait. Il est intégré, c’est-à-dire que chaque composante est ordonnée de façon logique. Il est cohérent, plein, rond, fruité et joyeux. C’est un vin de pur plaisir. Il n’y a pas de recherche de complication, et cela se boit bien, avec la joie au cœur. Les parties plus grasses de la volaille s’en complaisent. Décidément, l’année 1955 ne me réserve que de belles surprises en ce moment.

Le Château Rieussec Sauternes 1947 fait un tour de piste pour faire admirer sa robe d’un or précieux. Les mâles de notre table s’en arrêteraient de voir les Vénus qui passent. Aussi bien au nez qu’en bouche, c’est la perfection et le bonheur. On se demande en buvant ce vin s’il existe quelque part quelque chose de plus parfait. Car avec l’âge, le sucre s’intègre, se polit, et sans aucune charge excessive, il ne reste que le plaisir pur. Si le Graal devait exister, il se nicherait dans ces vins-là. Bien sûr le jeune couple se délecte comme Alice dans un pays merveilleux. J’avais un peu peur en étudiant le menu que le dessert où le sucre abonde ne s’oppose au vin car le sucre est l’ennemi des sauternes, mais la poire prise seule est un délicat compagnon.

Par contraste le Porto Ferreira Enrique Duque de Bragança 1895 est beaucoup plus alcoolique et lourd. Mais l’âge profite tellement à ces vins qui gagnent en rondeur et en équilibre que le charme est infini, ticket pour le nirvana. Les petites barquettes au chocolat me donnent des envies de roudoudou et je les lèche par le haut comme le font les enfants. Et l’aspect griotte du porto se fond dans le chocolat. C’est du plaisir gourmand.

Tout au long du repas j’ai analysé avec mes jeunes amis sur quel aspect du plat l’accord se faisait, tantôt avec la chair, tantôt avec la sauce, et quand la pointe d’asperge répondait merveilleusement à l’Hermitage c’était un moment d’extase partagée.  Le plus bel accord du repas a été celui de la crème des morilles et ses esquisses de réglisse sur le Montrachet.

Les votes sont toujours d’un grand enseignement. Nous étions onze pour dix vins et chacun des vins sans aucune exception a figuré dans les votes où l’on ne retient que les quatre premiers. Ce résultat est, on le sait, un immense encouragement pour moi. Et le fait que cinq vins sur dix ont eu au moins une place de premier montre d’une part la qualité de mes vins (l’autocongratulation est un exercice qui ne me fait pas trop peur), mais d’autre part la diversité des goûts. Le Rieussec 1947 a obtenu six places de premier, ce qui lui donne une élection présidentielle au premier tour. Quatre vins ont été cités une fois premiers : l’Hermitage Chapoutier, le Lafite 1924, le Chambolle-Musigny Grivelet 1949, et l’Echézeaux Henri Jayer 1976.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Rieussec Sauternes 1947, 2 – Echézeaux Henri Jayer 1976, 3 – Hermitage la Sizeranne Chapoutier 1955, 4 – Château Carbonnieux rouge 1929.

Mon vote, sans doute influencé par le fait qu’Olivier Bernard m’avait rappelé que je vote très souvent pour les sauternes a été : 1 – Hermitage la Sizeranne Chapoutier 1955, 2 – Echézeaux Henri Jayer 1976, 3 – Château Rieussec Sauternes 1947, 4, – Château Carbonnieux rouge 1929. Le consensus consacre les mêmes vins que mon vote, mais j’avais bien hésité d’inclure dans le mien le Porto. Lorsque je m’apprêtais à sortir, j’ai félicité Philippe Bourguignon pour la pertinence absolue des accords et pour la simplicité des plats. Il me répondit que pour un chef, simplifier un plat est ressenti comme une entrave à l’expression de son talent. Il faudra que je m’en explique avec Alain Pégouret au talent que j’admire, car je suis convaincu que la simplification d’un plat pour faire jaillir un accord pur est comme la calligraphie chinoise : c’est un art. Et je suis sûr que l’ensemble de la table a été impressionnée par le talent du chef plus dans cette simplicité que s’il adoptait une expression plus riche, plus composée mais moins proche du résultat escompté. Chaque fois qu’un chef joue ce jeu, il en sort grandi. Et l’apparente limitation du talent n’en est pas une, au contraire.

Aucun plat n’a été à contremploi, ce qui est remarquable. Tout fut en subtilité. L’engagement de Philippe Bourguignon le talent d’Alain Pégouret, l’attention constante d’un jeune sommelier engagé vers la perfection, le service, l’atmosphère, tout a contribué à notre bonheur. Si sur les cent dîners que j’aurai bientôt accomplis le restaurant Laurent, le plus fréquent de tous, figure quinze fois, ce n’est pas un hasard. C’est ici qu’une gastronomie sereine peut s’épanouir. Il ne restait à cela qu’à ajouter nos rires. Ce fut fait.

99ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 10 avril 2008

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle (vers 1970)

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin cuvée or 1976

Montrachet Domaine Amiot Guy et Fils 1993

Château Carbonnieux rouge 1929

Château Lafite-Rothschild 1924

Echézeaux Henri Jayer 1976

Chambolle Musigny Domaine Grivelet 1949

Hermitage la Sizeranne Chapoutier 1955  (réserve de l’auberge de la Truite à Locmaria Huelgoat. Et le chef n’a pas prévu de truite !!!)

Château Rieussec Sauternes 1947

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Porto Ferreira Enrique Duque de Bregança 1895

visite à ma petite fille et un beau vin samedi, 5 avril 2008

Devant me rendre avec mon épouse chez des amis, nous avons le temps de faire un petit crochet chez ma fille cadette pour aller admirer les progrès de la petite dernière. Mon gendre ouvre un champagne Jacquesson 1990 dégorgé en 2007 non dosé. Nous sommes surpris tous les deux de la discrétion du message. Le champagne n’est pas très expressif et la bulle est épaisse. En fait quand le vin s’élargit dans le verre, on voit progresser l’expression de sa personnalité. Mais nous restons un peu sur notre faim. Un risotto aux morilles étant prévu, on me fait goûter le vin qu’ils boiront ce soir : Château Trotanoy 1999. Voilà du vin ! Ce qui frappe instantanément, c’est la pureté du message. Ce vin et grand et vieillira bien.

 

 

dîner chez un ami amoureux des vins anciens samedi, 5 avril 2008

Nous arrivons chez nos amis qui avaient partagé avec nous l’impressionnante verticale de Pommard Epenots du domaine Parent il y a deux mois. Lui est un habitué de mes dîners, fanatique des vins anciens. Elle est plus raisonnable et sera hélas collée à ses fourneaux, car elle a placé la barre très haut pour réaliser des plats délicieux d’une cuisine raffinée.

Comme nous sommes en avance, Lionel m’annonce qu’il envisage de ne pas servir un Hermitage blanc Ozier 1945 car un de ses amis qui n’apprécie pas les vins anciens pourrait le rejeter. Nous le goûtons et je morigène mon ami, car ne pas boire ce vin ce soir serait un crime. Ce vin a un nez intense et en bouche, il est pénétrant. Il pourrait bien sûr conduire à des contresens, si on ne comprend pas son évolution. Mais il est intense, profond et délicieux. Les autres amis arrivent, tous des quadras actifs et dynamiques, souriants, et nous commençons par un Champagne Gosset rosé.

Je le trouve très agréable, expressif et goûteux, sans l’amertume habituelle de certains rosés. Avec les petits sablés au parmesan, c’est un bonheur. Toujours à l’apéritif, nous goûtons un Corton Charlemagne Louis Latour 1981. Le nez est extrêmement généreux, le vin est de grande qualité, même s’il n’est pas tonitruant, ce que l’année explique.

Un des amis a apporté un Hermitage blanc Chave 1983. Puissant, mais sans excès, typé, il est un excellent « faire-valoir » de l’Hermitage 1945 et l’ami qui émet souvent des réserves sur les vins anciens en convient. Le plus jeune est très rassurant et bien fait, mais le plus âgé, plus concentré, plus expressif, a une trace en bouche quasi éternelle par rapport à ce jeune Chave. Un consommé de foie gras agrémenté d’une délicieuse madeleine au foie gras et un consommé de cèpes à l’ail s’harmonisent parfaitement à ces grands blancs.

Le passage aux rouges se fait avec un Château d’Issan 1926 absolument merveilleux. Il y a dans cette année une capacité à l’envoûtement quasi irrésistible. Le vin a une couleur d’une grande jeunesse, d’un rubis profond, un nez séducteur et en bouche, c’est un festival de framboises, de grande race. Nous en jouissons. C’est alors le tour d’un magnum de Château Léoville-Las-Cases 1952. La couleur est aussi jeune, le nez est un peu moins charmeur et en bouche, c’est un Saint-Julien de belle facture. Le vin est un peu strict mais se boit avec un  grand bonheur. Sur la lotte, l’accord est judicieux.

Pour les fromages, Lionel nous sert un Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1982. Le charme bourguignon, le charme spécifique du domaine agissent redoutablement. Le côté salin est ici d’une belle évidence, et s’ajoute aux touches terriennes. Sa longueur est infinie. Sur l’un des fromages, l’accord joue magnifiquement. Je me suis amusé à expliquer comment profiter au mieux des accords vins et fromages en supprimant le pain et en salivant abondamment. Dans une atmosphère où le studieux cédait au plaisantin, ces recommandations surprirent plus d’un  par leur pertinence.

Nous essayons un stilton sur un Château Raymond Lafon 1943, délicate attention de mon ami. Le bouchon déclare « contigu d’Yquem », comme pour se rassurer. Le vin a tellement mangé son sucre qu’il est carrément sec, et son alcool ressort. Il est d’un charme énigmatique, déclinant des saveurs intrigantes, et nous offre un grand plaisir sur le très complexe et goûteux dessert de notre hôtesse. Il est cependant dans une évolution plus avancée que son année ne devrait créer.

Globalement, les vins de mon ami ont été d’une qualité remarquable, surtout les rouges. Mais c’est la générosité qui me marque le plus. Si je devais classer mes préférences, je le ferais ainsi : 1 – Château d’Issan 1926, 2 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1982, 3 – Hermitage blanc Ozier 1945, 4 – Château Raymond Lafon 1943. La qualité des discussions, la générosité de mon ami, le talent culinaire de la maîtresse de maison, je ne sais pas classer ces qualités-là.

 

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Journée des vins clairs au champagne Bollinger à Ay vendredi, 4 avril 2008

Lors du dernier Grand Tasting à la fin de l’année 2007, j’avais assisté Michel Bettane, à mon modeste niveau, pour animer des tables rondes consacrées à plusieurs domaines prestigieux. Parmi ceux-ci, le champagne Bollinger. Lorsque j’ai dit à l’œnologue que je n’étais jamais venu visiter Bollinger, celui-ci s’empressa de m’inviter à « la journée des vins clairs », où l’on goûte une quinzaine de vins qui vont entrer dans la composition du champagne Bollinger. Le jour dit, je me présente au siège de cette célèbre maison de champagne et je retrouve les coins et recoins qui avaient été filmés par Jean-Pierre Fleury pour un reportage « In Vino … » passé de nombreuses fois sur plusieurs chaînes de télévision dont TF1, où Ghislain de Montgolfier parle de son champagne et où je parle de ma cave. Ce reportage où nous étions « associés » remonte à cinq ou six ans. Nous allons nous recueillir sur la petite parcelle qui fait le rarissime Bollinger Vieilles Vignes Françaises, et c’est assez symbolique, car ce que nous voyons en terre est loin du romantisme qui existe dans le verre. Nous visitons les installations très modernes et les caves antiques avec Mathieu, l’œnologue, puis nous retrouvons en groupe de près de 70 personnes dans une grande salle. Il y a là des vignerons qui fournissent des raisins à Bollinger depuis de longues années, des journalistes et quelques amis. Nous pouvons goûter seize vins qui entrent dans l’assemblage de la Cuvée Spéciale Bollinger. Sur les seize vins il y a quinze vins clairs des vendanges 2007 et un magnum de réserve de 2003.

Aucun conseil ne nous est donné, mais il paraît logique de commencer par les chardonnays. J’indiquerai pour chacun si la maturation est faite en cuve ou en fût, et s’il s’agit d’un premier cru ou d’un grand cru. Le cépage est chardonnay, pinot noir ou pinot meunier.

L’Oger, cuve, chardonnay, Grand Cru est le premier, aussi la bouche n’est pas encore étalonnée. Il a une belle acidité, des fruits blancs, il fait très jeune (eh oui, c’est 2007). Le Vertus cuve chardonnay, Premier Cru est plus amer, moins brillant et n’a pas de fruit. L’Avize, cuve chardonnay, Grand Cru a une forte acidité, des fleurs blanches, un final trop acide. Le Cuis cuve chardonnay Premier Cru est perlant et abrupt. Le Cuis fût, chardonnay, Premier Cru est plus rond, plus doux, avec un joli final de fruits blancs. Le Mesnil, fût, chardonnay, Premier Cru est très élégant, équilibré, avec un final moins triomphant que le Cuis précédent. Le Cramant, fût, chardonnay, Grand Cru est très champagne. Il est homogène et plaisant, avec un final de champagne un peu plus sucré que le Mesnil. A la fin de cette série de chardonnays, les deux que je préfère sont le Cramant en fût et le Mesnil en fût.

Je passe ensuite aux pinots noirs : le Mareuil, cuve pinot noir Premier Cru m’étonne après les chardonnays. Il a un goût médicinal troublant. Je lui trouve un petit problème, malgré le fruit que l’on sent. Le Ay cuve pinot noir Grand Cru est chaleureux, vivant et charpenté. J’aime. Le Ay fût, pinot noir Grand Cru est déjà du champagne. Il a un beau final mais un peur court. L’Avenay, cuve pinot noir Premier Cru a une couleur plus rose et fait plus évolué. Il est floral et fruit avec un beau final bien long. Il est un peu hors norme. Le Tauxières cuve pinot noir Premier Cru a un perlant très fort. Il est très séduisant alors que je ne suis pas à l’aise avec le perlant, et malgré cela, j’aime ses jolis fruits blancs. Le Louvois fût, pinot noir, Grand Cru a une attaque très fruitée et son joli final est aussi fruité. Le Verzenay fût pinot noir Grand Cru est équilibré, avec des fruits délicats. Le final est équilibré et long. Je classe parmi les pinots noirs, dans l’ordre le Verzenay, puis le Ay en cuve et le Louvois.

La sélection des 2007 se termine sur le seul pinot meunier, le Venteuil cuve pinot meunier qui a une très forte personnalité, une bulle amère et un fruit énorme. J’aime ce vin malgré le perlant.

Lorsque l’on passe au magnum de réserve de Mesnil 2003, chardonnay Grand Cru, cela fait tout drôle, car on commence à boire du champagne. Il a une très belle personnalité, une bulle active, un goût de biscuit sec croquant, un beau final une belle acidité et sa trace est longue. Il faut maintenant passer à l’assemblage spécial cuvée 2007 qui va encore vieillir quatre ans en cave avant de se trouver dans le commerce. Ce qui frappe instantanément, c’est que ce vin assemblé, et c’est assez incroyable, a gommé tous les petits défauts que l’on pouvait trouver dans les composantes. Et c’est presque trop beau, comme si la perfection avait un peu trop discipliné ce vin. Cela va évidemment se corriger avec le temps en cave et peut-être avec l’ajout d’un peu plus de magnums de réserve, mais à ce stade, le champagne fait un peu « politiquement correct ». Il faut bien sûr saluer le travail d’œnologie qui est un art que je vénère. Je n’ai aucun doute que le vin, au moment de sa sortie, sera parfait. L’exercice de juger les vins clairs est passionnant. Il est fort probable que mes impressions n’ont aucun caractère universel, mais le plus important est de les avoir vécues.

Nous passons ensuite à table dans le cuvier où huit jolies tables ont été dressées. Je suis assis à côté de l’épouse de Ghislain de Montgolfier qui fait un discours de bienvenue joliment troussé et fort spirituel. Il va passer dans quelques semaines le flambeau à Jérôme Philipon qui lui succédera à la tête de cette prestigieuse maison de champagne.

Le menu qui est préparé par le traiteur Philippet est : salade de homard aux abricots moelleux, pignons grillés et mesclun à l’huile vierge / tournedos de filet de veau aux morilles, cannellonis de petits légumes / duo de fromages et salade / tarte à la rhubarbe, glace vanille et crème chantilly.

Le Bollinger Special Cuvée qui nous est servi est nettement plus civilisé que celui que nous avons goûté, fruit de l’assemblage des 2007. Ici, l’assemblage est fait entre 2003 et 2004 avec l’ajout de magnums de réserve de 1995. C’est vraiment le Bollinger comme on l’aime, vin agréable et surtout vin de soif, car il y a un goût de « revenez-y » particulièrement marqué. La chair du homard avec sa sauce réduite concentrée se marie merveilleusement avec ce champagne de gastronomie.

Il semble que ce soit une toute première fois que l’on goûte une création, le champagne Bollinger rosé, qui est un assemblage de 2003 et 2004. C’est un champagne très délicat, un très beau rosé et de ma part, c’est un compliment, car je ne suis normalement pas un fanatique du rosé. C’est une belle expérience et c’est bien de l’avoir tenté sur une viande malheureusement trop salée et à la sauce trop lourde. Chair et champagne eurent suffi.

Le champagne Bollinger Grande Année 1999 se présente avec un nez très minéral qui va progressivement révéler des accents de miel. En bouche il est assez curieux, car il ne donne pas l’impression d’être très homogène. Il y a du doucereux et du rêche. Il est un peu dosé pour moi. Je pense qu’il faut qu’il vieillisse plus, car on sent qu’il évolue dans le verre. Avec le brie il devient merveilleux et chaleureux. C’est un grand accord. S’il s’assemble dans le verre, on note quand même un côté assez troublant ou déroutant qui disparaîtra dans peu d’années.

Le vin surprise est comme toutes les surprises : on ne le trouve pas. J’ai commencé par dire 79 mais la bulle me paraissait trop jeune pour cette année. Avec un vigneron de la table nous en sommes venus à 1983. C’était en fait un champagne Bollinger Grande Année 1992, d’une année à fort botrytis qui a donné un vin remarquable, plus mûr que son âge. Ghislain dit qu’il est ce que le 1999 deviendra dans quelques années. C’est une année où l’on n’a pas fait de « R.D. » (récemment dégorgé). Bien évolué, charmeur et beau, il est complètement dans le style Bollinger ou selon l’expression américaine dont j’ai horreur, dans le style Bolly.

Nous nous sommes quittés dans une ambiance joyeuse et j’étais content de cette expérience sur les vins clairs, qui deviennent un miracle quand ils sont assemblés et que le temps leur a donné la grâce. Je me sentais James Bond en rentrant à Paris.