115ème dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mardi, 31 mars 2009

Le 115ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Bristol. J’ai choisi ce restaurant où j’ai déjà tenu onze de mes dîners pour rendre hommage à la troisième étoile qu’Eric Fréchon vient juste d’obtenir et a dignement méritée. Le restaurant est plein et les salles annexes sont toutes réservées, ce qui montre l’intérêt de décrocher cette étoile en temps de crise.

A 17 heures j’ouvre les bouteilles et cette opération s’effectue avec une facilité déconcertante. Il faut dire que les vins de ce soir sont particulièrement jeunes : l’âge moyen est de trente-quatre ans alors que généralement la moyenne dépasse cinquante ans. Les odeurs sont toutes belles, le vin le plus fermé, mais il s’ouvrira, est le Lafite 1964. Pour une fois j’ai mis des vins en situation de compétition. Nous verrons comment cela se passe.

Le menu composé par Eric Fréchon et mis au point avec le sommelier Marco Pelletier est : Amuse-bouche / Foie gras de canard cuit en papillote, huîtres fumées, bouillon de canard au thé vert / Oignon rosé de Roscoff, carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles / Ris de veau de lait braisé au fenouil sec, carottes au pain d’épices et citron, jus de cuisson / Poitrine de canard challandais rôtie aux épices, purée de dattes, citron et kumquat, pommes soufflées / La pomme de dix heures.

Il y a ce soir trois des fidèles parmi les fidèles, compagnons des casual Friday, un ami que je rencontre souvent aux dîners des amis d’Yquem, un couple de nouveaux adeptes et un nouvel inscrit suédois, qui lit en suédois mes récits dans la revue qui accueille mes écrits. Sur dix convives il y a cinq nouveaux, ce qui me fait plaisir car c’est un signe d’ouverture. Deux femmes illuminent notre table de leurs sourires radieux.

Les consignes habituelles sont données dans le beau hall d’entrée de l’hôtel et nous passons à table dans la salle lambrissée et tapissée de forme ovoïde d’une grande élégance. Nous commençons à boire le Champagne Pommery Brut 1947. Les quatre amuse-bouche ne sont pas encore servis, aussi le premier contact avec le champagne est-il un peu déroutant pour ceux qui n’ont pas l’habitude des champagnes anciens. Mais tout s’éclaire au contact des saveurs raffinées et agréablement complexes des petits jeux auxquels se livre Eric Fréchon. La couleur du Pommery est d’un or ambré, la bulle a disparu mais le pétillant est présent. Le goût du champagne est harmonieux, rond, centré. Il peut devenir par contraste doucereux sur l’oseille, puis sérieux sur le thon. Des quatre saveurs, l’huître est la seule qui eût appelé un champagne plus jeune.

Jeune, c’est vraiment la caractéristique du Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1990 qui malgré ses dix-neuf ans fait gamin à côté du Pommery. Nettement moins dosé que le 1947, ce Dom Ruinart est vert, sa bulle pétille fortement et sa longueur est extrême. La petite entrée ajoutée, une gelée de lentille, est absolument délicieuse et fortement goûteuse. Mais elle ne va pas du tout avec le champagne. Par aucun biais l’accord ne se fait. Et, comme cela se produit souvent, l’incompréhension entre le plat et le champagne va mettre encore plus en valeur l’accord suivant, le plus beau de la soirée.

Marier un foie gras avec des huîtres est d’une belle audace. L’exécution est parfaite. La fougue du Château Laville Haut Brion 1995 convient parfaitement, et c’est surtout la sauce, je dirais plutôt le bouillon, qui fait le trait d’union avec le vin généreux et kaléidoscopique. Nous sommes sur un sommet gastronomique.

J’ai commis l’erreur de ne pas relire le menu imprimé par le restaurant, aussi chaque convive a lu Montrachet Bouchard Père & Fils 2001 au lieu de Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001. Il est compréhensible que cette lecture ait modifié l’approche que chacun a de ce vin. Il est absolument parfait et généreux, et le plat d’oignon est une merveille d’imagination d’un grand chef. Certains convives comme ma voisine préféreront l’accord du vin blanc de Bourgogne avec l’oignon à celui du vin blanc de Bordeaux avec le foie gras. Je suis de l’autre camp. Le vin de Bouchard est joyeux, riche, opulent.

Le ris de veau est associé à deux bordeaux de 1964. C’est presqu’une première, car dans mes dîners, j’essaie d’éviter toute confrontation entre deux vins. On ne goûte pas de la même façon quand un vin est seul de sa catégorie et quand il est en comparaison. Il se trouve que les vins sont suffisamment dissemblables pour que la rivalité ne joue pas. Le Château Lafite-Rothschild 1964 est assez strict, légèrement amer, et représente un ascétisme aux antipodes du caractère lascif et séducteur du Château Mouton-Rothschild 1964 tout en velours. Avec l’ami d’Yquem, nous ne comprenons pas l’engouement de la table pour le Lafite, tant il apparaît que le Mouton est plus savoureux. Mais, comme cela arrive, les votes nous prouveront que si nous avons gustativement raison, nous avons politiquement tort.  

J’avais imprudemment annoncé qu’il existait un vin de réserve. L’ami fidèle parmi les fidèles, celui qui avait fait ouvrir son magnum de Fargues 1961 alors que nous étions déjà plus que repus lors d’un casual Friday, fait pression et insiste pour que j’ouvre le bourgogne de réserve. L’ami d’Yquem ayant apporté une bouteille d’un vin inconnu, nous aurons donc quatre vins rouges pour le canard au lieu de deux prévus.

Par une incompréhension de mes propos, Marco Pelletier fait servir le Châteauneuf du Pape Clos des Papes 1949 largement avant que le plat n’arrive. Ceci va fortement jouer sur l’appréciation du vin. Car bu seul, le vin est très décevant et m’étonne, car rien à l’ouverture ne m’avait laissé penser qu’il s’affaiblirait ainsi. Il est fatigué, plat, et il est certain que la sauce du canard changerait la donne. Et c’est ce qui se produit car dès que le plat apparaît, le vin revit et lorsque l’on boira le fond de la bouteille, ses qualités reviendront. Fugacement peut-être, mais il sera possible de les ressentir, ce qu’un autre des plus fidèles traduira en votant pour ce vin.

Le vin de réserve, le Clos de Vougeot Domaine Méo-Camuzet 1992 surprend tous les convives par sa vigueur et sa puissance. Il est généreusement bourguignon, avec une petite salinité que j’adore. C’est un vin très agréable. Le canard est excellent et une fois de plus, c’est la sauce qui se révèle magique.

C’est à mon tour d’être surpris, car je n’attendais pas une telle puissance dans la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993. Cette année de la Mouline m’a habitué à plus de réserve et là, ce vin tonitrue. C’est un vin porteur de générosité, chaleur et enthousiasme, ce qui nous ravit. Il est délicieux.

Nous voici maintenant en face du Vin inconnu 1904. Notre ami qui l’a apporté et a voulu qu’on l’ouvre, ce que j’ai fait en début de repas, nous explique qu’il a acheté une cave et que le livre de cave indique pour cette bouteille 1904, ce qui est très plausible du fait de l’état de la capsule et du bouchon, mais ne donne aucun indice sur la région. Et la forme bourguignonne de la bouteille ne dit rien de plus car on a pu embouteiller du bordeaux dans ce flacon. Je suis généralement prudent dans les évaluations à l’aveugle mais une chose est claire pour moi, c’est un bordeaux, ce dont doute un des fidèles. Mais la majorité penche pour cette solution. Après cela, il est bien présomptueux de situer le climat. J’opterais volontiers pour Pauillac quand l’ami apporteur pencherait pour Haut-Brion, ce qui ne me convainc pas. Toujours est-il que le vin est extrêmement bon, d’une couleur indiquant une vivacité encore présente, et son goût n’a pas la moindre trace d’acidité. Il est chaleureux, et la piste Pauillac me plait bien, l’année 1904 ayant produit des vins merveilleux.

Nous changeons de monde maintenant et la possibilité de comparaison existe une nouvelle fois puisque nous buvons deux Yquem. Le Château d’Yquem Sauternes 1988 est glorieux. Ne cherchons pas d’autre qualitatif, car celui-ci suffit. D’un bel or, ce vin emplit la bouche généreusement. On se sent bien tant il est parfait. Le Château d’Yquem Sauternes 1961 est très différent. Il a commencé à manger légèrement son sucre et l’on voit apparaître une note fugace de thé. La juxtaposition est intéressante, même si le resplendissant 1988 vieillit un peu le 1961 de grande élégance. La pomme de dix heures accompagne bien les deux Yquem qui, avouons-le, s’amusent tout seuls devant le miroir de leurs beautés.

Il est temps de voter et le seul vin qui n’aura pas de vote parmi les douze vins de ce dîner, c’est le Clos de Vougeot, non pas du fait de sa qualité mais parce qu’il n’a pas été imprimé sur le menu. Onze vins sur douze ont eu des votes, ce qui est remarquable, les dix vins prévus au programme ayant tous au moins un vote.

Cinq vins ont eu le privilège d’obtenir la première place dans au moins un vote : le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001 ainsi que le Château Lafite-Rothschild 1964 ont chacun trois fois la place de premier, la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993 a deux votes de premier et le Champagne Pommery Brut 1947 ainsi que le Château Mouton-Rothschild 1964 ont chacun un vote de premier.

Le vote du consensus serait celui-ci : 1 – Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001, 2 – Château Lafite-Rothschild 1964, 3 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993, 4 – Château d’Yquem Sauternes 1988.

Mon vote est : 1 – Château Mouton-Rothschild 1964, 2 – Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001, 3 – Champagne Pommery Brut 1947, 4 – Vin inconnu 1904.

Il se peut que la croyance en la présence d’un Montrachet au lieu de Chevalier-Montrachet ait influencé quelques votes de mes amis. La place de Lafite aussi haut dans les votes est une surprise, mais c’est bien ainsi car cela montre la vanité des notations ou appréciations qui se veulent absolues.  

La cuisine d’Eric Fréchon est incontestablement brillante. Le dosage des saveurs et la délicatesse des sauces sont absolument remarquables. Il y a eu deux ou trois petites imperfections dans le service des vins qui imposeront une meilleure coordination et que je sois plus précis dans mes recommandations. Les cinq nouveaux se sont bien intégrés même si l’un des plus fidèles, taquin comme à son habitude, ne fit rien pour leur rendre la tâche facile. L’ambiance riante, enjouée et taquine nous a conduits tard dans la nuit et aucun convive ne voulait quitter la table dans cette salle au confort parfait. Ce dîner, avec une ambiance amicale rare et des impromptus, voire des inconnues comme ce vin de 1904 fut un grand et beau dîner.

115ème dîner au Bristol – photos mardi, 31 mars 2009

Les vins prévus pour le dîner avant ouverture. Deux vins seront ajoutés.

Le bouchon du Clos des Papes 1949 porte encore le centre de la capsule qui est resté collé.

Les deux bouchons d’Yquem montrent le lent travail du temps : 27 ans de distance entre les deux.

Les bouchons. On remarque la capsule trouée du 1949. La belle table centrale.

Les délicats amuse-bouche

La gelée de lentille et Foie gras de canard cuit en papillote, huîtres fumées, bouillon de canard au thé vert

Oignon rosé de Roscoff, carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles

Ris de veau de lait braisé au fenouil sec, carottes au pain d’épices et citron, jus de cuisson

Poitrine de canard challandais rôtie aux épices, purée de dattes, citron et kumquat, pommes soufflées

Avant dessert et la pomme de dix heures

La table en fin de soirée

 

115ème dîner – le 31 mars 2009 – photo des vins mardi, 31 mars 2009

Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1990

Champagne Pommery Brut 1947

Château Laville Haut-Brion 1995

Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001

Château Lafite-Rothschild 1964

Château Mouton-Rothschild 1964

Chateauneuf du Pape Clos des Papes 1949

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993

Château d’Yquem Sauternes 1988

Château d’Yquem Sauternes 1961

Les Domaines Familiaux de Tradition lundi, 30 mars 2009

Chaque année, des vignerons de Bourgogne regroupés sous la bannière de « Les Domaines Familiaux de Tradition » organisent une dégustation à Paris au Pavillon Ledoyen. Cette année est consacrée aux vins de 2006 et autour de plateaux de fromages du fromager Loiseau, on peut boire non pas des 2006 mais des 1989 apportés par de nombreuses maisons.

Il y a toujours une assistance nombreuse, mais cette année il y a foule. Sommeliers, cavistes, restaurateurs, journalistes sont présents en nombre. Il y a les studieux qui font une approche systématique et les papillons, qui ne vont que sur les stands des plus grands. Et des grands vignerons, il y en a. On pourrait même dire qu’ils sont la majorité.

Imagine-t-on une autre occasion de comparer Rousseau, Mugnier, Roumier, Dujac, Méo-Camuzet, Comtes Lafon, Faiveley et tant d’autres… C’est un luxe inouï. N’ayant aucune obligation, j’ai butiné en appréciant particulièrement quelques vins.

Le Chablis Valmur domaine Raveneau 2006 est un merveilleux Chablis. Le Meursault Clos de la Barre domaine Comte Lafon 2006 a un nez d’une rare noblesse, et en bouche, c’est un festival. Le Corton Charlemagne Beonneau du Martray 2006 est conforme à sa réputation.

En ce qui concerne les rouges, le Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau 2006 est merveilleux, et le Clos Saint-Jacques Armand Rousseau 2006 a un charme subtil qui me ravit. Le Bonnes-Mares Georges Roumier 2006 est une leçon de perfection. Le Musigny J.F. Mugnier 2006 a une subtilité qui correspond à ma sensibilité. Le Clos-de-la-Roche domaine Dujac 2006 est généreux et joyeux.

Le fait de pouvoir passer de l’un à l’autre de ces vins immenses est un grand plaisir auquel s’ajoute celui de discuter avec des vignerons de talent.

Parmi les 1989 que l’on se disputait de haute lutte, j’ai eu la chance que mon bras se tende au bon moment pour le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989 d’une maturité convaincante, sur l’extraordinaire Meursault Clos de la Barre Comte Lafon 1989 que j’ai fait sentir à Eric Rousseau qui était tout proche, tant ce parfum est d’une totale perfection. Et j’ai saisi quelques gouttes du Musigny Domaine Mugnier 1989 d’une belle harmonie.

J’ai raté le Clos-de-la-Roche domaine Dujac 1989 que j’aurais aimé comparer au 1990 que je venais de boire à La Tour d’Argent. Mais il faut savoir en laisser aux autres ! Cette manifestation de grands vignerons est toujours un bonheur car ils sont accessibles et discutent avec tous les professionnels présents. L’année 2006 est d’une très grande qualité. Après 2005 qui est une hyperbole, le 2006 sera un millésime qui met en valeur toutes les qualités de subtilité de la Bourgogne. Ce fut un grand moment.

Interview sur BFM Radio dimanche, 29 mars 2009

J’ai été interviewé par Karine Vergniol et Emmanuel Rubin dans l’émission « Goûts de Luxe » qui recevaient des collectionneurs.

Cet interview est passée sur la radio le samedi 28/03/09 à 20 heures et le dimanche 29/03/09 à 10 heures.

Je suis le premier interviewé, au début de l’émission et cela dure une bonne dizaine de minutes. J’y raconte beaucoup de choses sur mes dîners, mes vins, l’ouverture des vins et ma passion.

On peut écouter en allant à cette adresse.

http://www.radiobfm.com/emission.php?id=17

On peut aussi enregistrer le podcast pour le conserver.

Bonne écoute !

Dîner d’amis samedi, 28 mars 2009

Nous allons chez des amis. A 20h30, toutes les lumières s’éteignent pour une heure, comme cela a été suggéré à la planète entière. Le cri du cœur qui s’échappe de plusieurs d’entre nous, c’est : « pas le four quand même ! ». Car le médecin qui nous accueille est un fin cordon bleu. Un champagne Deutz se boit avec plaisir.

Sur des langoustines et un rizotto de compétition, tant il est subtil, trois vins se mesurent. Un Beaumes de Venise rouge qui titre 15,5°. Il est sucré comme un Rasteau. Vient ensuite un Chateauneuf du Pape Mont-Redon 2005, d’une belle puissance, c’est le moins que l’on puisse dire. J’ai apporté une Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984. Les deux vins qui précèdent mettent en valeur la subtilité tranquille de ce grand vin. Ce qui comptait le plus, c’était les retrouvailles de vieux amis puisqu’il y a trente ans, nous étions tous des fous de squash, sport où la France brille aujourd’hui.

Un Mouton 1961 d’une remarquable subtilité vendredi, 27 mars 2009

Un ami fidèle parmi les fidèles avait fait une OPA sur les casual Fridays en organisant le dernier au restaurant de Gérard Besson. Mais suis-je propriétaire de cette nouvelle institution ? Non, bien sûr. Il avait invité l’une de ses amies qui suggéra que l’on se retrouve chez sa mère pour un casual Friday hors des sentiers battus. Nous nous retrouvons à l’heure dite – enfin, c’est vite dit, car mon ami vit en décalage horaire permanent par rapport à ses rendez-vous – au domicile de cette dame qui m’est inconnue. Dans le beau centre de Paris ce petit appartement est finement décoré avec de nombreux objets qui ont participé à la gloire créatrice des artistes français. Le lieu est plein de dévotion car le père de cette dame, appelons-la Anne, fut un immortel de l’Académie Française. Je suis accueilli par un champagne Mumm Cordon Rouge qui est particulièrement goûteux sous un message simple et direct. Immédiatement nous nous trouvons des amis communs et la discussion s’engage avec facilité. J’ai apporté deux vins en laissant à la maîtresse de maison le soin de choisir si l’un d’entre eux pourrait être ouvert au déjeuner. Lorsqu’elle voit le vin du Jura plus que soixantenaire, elle fait un petit « oh » de contentement, et comme elle a un doute sur son vin rouge, elle décide que mon vin rouge sera ouvert. Elle me fait goûter son vin que je trouve absolument délicieux, ce qui récuse ses doutes. Sur des filets de barbue et asperges accompagnés d’une mousseline aux herbes délicieuse, nous buvons un Beaune Clos des Mouches Joseph Drouhin 2004. Le vin est joliment fruité, assez opulent et comme il est en carafe, j’imagine l’année que je situe à quelque huit ans de plus. Anne a fait servir le Vega Sicilia Unico Réserve Spéciale, une combinaison de 1960, 1962 et 1972, un vin que je chéris, et sa fille s’en lèche les babines, délaissant le blanc de Bourgogne pour ce noble espagnol. Je demande que l’on boive en premier le vin d’Anne, pour éviter que le Vega Sicilia n’en efface la finesse. Il s’agit d’un Château Mouton-Rothschild 1961 servi en carafe dont nous verrons plus tard qu’il vient de demi-bouteilles. Au premier abord, le vin ne peut souffrir la comparaison avec l’espagnol, mais son nez est d’une belle délicatesse et son goût a la légendaire subtilité de Mouton. Les ris d’agneau et petites côtes d’agneau sont goûteuses. Le Vega Sicilia est puissant. Son goût s’exprime comme une fusée Ariane. Le premier étage du goût est avenant mais calme. Dès le second étage en milieu de bouche, le vin devient d’une longueur et d’une profondeur invraisemblable, comme s’il voulait laisser un sillage infini. Les deux vins sont diamétralement opposés et ce qui est un signe de la magie du vin, c’est que les deux rouges se mettent mutuellement en valeur. L’espagnol fait aimer le bordelais et inversement. Il est évident à mon palais que le Mouton est d’une plus grande race. Car il possède une divine complexité alors que le Vega Sicilia tient son charme de déclinaisons plus simples. C’est un plaisir de passer de l’un à l’autre, le Mouton qui devient de plus en plus velouté, avec une finesse de plus en plus subtile et le Vega Sicilia à la longueur extrême qui prend des tons légèrement fumés.

Une glace au caramel de chez Bertillon est un véritable régal. Le Château de Malle 1975 ne peut rien faire pour se marier avec elle. Le vin est strict et même un peu dévié. Dans une ambiance de grand raffinement, le Mouton 1961 a brillé. Il a éclairé une rencontre de qualité.  

Beaune Clos des Mouches Joseph Drouhin 2004

Vega Sicilia Unico Reserva Especial mis en bouteille en 1980 et Mouton 1961

Nostalgie et Clos de la Roche Dujac 1990 à la Tour d’Argent jeudi, 26 mars 2009

Mon père était médecin. Il soignait l’un des maîtres d’hôtel historiques de la Tour d’Argent. Il avait donc l’avantage de trouver facilement une table le soir, dans le secteur de service de Monsieur Aimé, qui nous bichonnait au-delà de toute espérance. Nous entassions les cartes postales des canards au sang, dont je dois posséder encore un grand nombre dans les numéros deux cent mille environ. Le 17 mars 2009, c’est le centenaire de la naissance de mon père. Comme c’est à mon tour d’inviter mon frère et ma sœur, je choisis le restaurant de la Tour d’Argent, et je demande la table où nous étions servis par monsieur Aimé. Etant encore en Chine le 17 mars, la table est retenue pour neuf jours plus tard. Sur un siècle, est-ce que ça compte ?

Ce qui fait plaisir, c’est que le directeur de salle se souvient de monsieur Aimé, alors que j’évoque une époque des années cinquante et du début des années soixante.

La vue sur Notre-Dame est toujours aussi majestueuse et unique. Le ballet des péniches qui amorcent un virage lourd devant l’île de la Cité est fascinant. La décoration de l’entrée dans les lieux est strictement la même, le groom dans l’ascenseur est plus jeune et habillé d’un bleu plus vif. Arrivé en avance, je consulte le livre des vins, plus épais qu’une bible. La carte est unique et les prix sont variables, certains étant avenants et d’autres repoussants. Il faut naviguer avec la pirogue de mon pifomètre pour choisir un vin plaisant qui ne me ruine pas.

Mon frère et ma sœur arrivent et nous commençons par un Champagne Heidsieck Monopole Diamant Bleu 1985. J’avais commandé le 1982 mais il n’était plus en cave. Le 1985 est un bon choix. Le champagne est agréablement ambré, sa bulle n’est pas explosive mais elle est présente, et le goût légèrement fumé est agréable. Le vin n’a pas une énorme personnalité mais il est confortable. J’ai choisi bien sûr les plats de ma jeunesse. La quenelle de brochet est une institution. Me pardonnera-t-on si je dis que j’ai trouvé ce plat exceptionnellement bon. Car le dosage de la quenelle et de sa sauce est du pur génie. Bien sûr, les milliers de lampes qui se sont allumées dans mon cerveau, ressuscitant des souvenirs défunts, jouent un rôle majeur dans ma joie. Mais le plat est réellement magique. Le champagne est un accompagnateur poli.

Le plat suivant est le canard au sang de la Tour d’Argent, qui n’est plus annoncé au sang. Nous avons demandé une sauce épicée qui noie un peu la tendreté du canard. La carte porte le numéro 1077017 ce qui nous fait mesurer l’échelle du temps. Le vin qui accompagne est un Clos de la Roche Domaine Dujac 1990. Ne le répétez surtout pas, parce que voudrais en ravir le peu qui reste, mais ce vin est un prodige. Le nez est généreux, poivré, aguicheur au-delà de tout. En bouche, c’est un fruit d’une puissance extrême mais avec l’équilibre d’un vin absolument magistralement construit. Nul ne pourrait échapper au charme de ce vin grandiose. Ce grand vin est une merveille. Je suis conquis sans la moindre réserve. Pendant ce temps, les souvenirs du temps jadis s’égrènent dans la bonhomie familiale. Je m’aperçois que mon frère et ma sœur ont mille fois plus de réponses que moi à chaque question « qui est qui ». Le magistral bourgogne se prolonge sur des fromages. Contre toute raison, puisque nous remontons le temps, je demande des crêpes flambées, vestige d’une époque où le taux de cholestérol ne figurait pas sur le tableau de bord de la gestion de santé.

J’ai lu ici et là des critiques sur La Tour d’Argent dans la période d’incertitude suivant le décès de Claude Terrail. Admettons un instant que je ne sois pas objectif. L’accueil est impeccable. Le service est une survivance de la gloire de mon père. On aimerait qu’il ait parfois l’œil de Janus, pour surveiller qu’il ne manque rien à notre plaisir, mais il est présent. La quenelle est une merveille et le canard, même s’il n’a pas la mise en évidence totale de l’expressivité de sa chair est un plat fort bon. Alors, laissez-moi rêver, car ce lieu est un tabernacle où se terrent encore quelques uns des plus beaux souvenirs de ma jeunesse.

La Tour d’Argent – les photos jeudi, 26 mars 2009

La vue exceptionnelle sur Paris. Les verres gravés de la fameuse tour.

Le champagne Heidsieck Monopole Diamant Bleu 1985 et les amuse-bouche

Encore un amuse-bouche et les légendaires quenelles de brochet

Un canard "Tour d’Argent" et le Clos de la Roche Domaine Dujac 1990

Les deux services du canard Tour d’Argent

Pure gourmandise et nostalgie que ce dessert de crèpes, et les mignardises

Le petit canard qui orne chaque table. Oserais-je confesser que ma mère avait un léger penchant pour la kleptomanie ? On peut imaginer la suite …

Dégustation annuelle des vins Henriot, Bouchard et W. Fèvre mercredi, 25 mars 2009

Chaque année le groupe de Joseph Henriot présente les vins les plus récents. En ce début 2009, ce sont les vins de 2007 qui forment l’essentiel de la dégustation. L’hôtel Intercontinental offre de plus belles surfaces que le Plaza Athénée pour contenir une foule nombreuse, car cette invitation est certainement celle qui fait le plus recette de toutes les invitations de vignerons. Même en période de crise, tout le monde est là. Il faut dire que Joseph Henriot sait y faire, car au rayon des champagnes, un Jéroboam du Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988 est une occasion à ne pas rater. Racé, fin, de belle personnalité, ce champagne est charmeur. Les Chablis de William Fèvre sont toujours excellents et le Chablis les Clos William Fèvre 2007 a mes faveurs. Au rayon des blancs, l’attrape-cœur, c’est un Corton-Charlemagne  Bouchard Père & Fils 1955 en magnum. C’est évidemment un grand vin, avec un fumé de belle structure, mais j’avoue que je préfère le Corton-Charlemagne  Bouchard Père & Fils 2007 d’une rare expressivité, plus épanoui que deux vins immenses, le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 2007 et le Montrachet Bouchard Père & Fils 2007. Ces deux vins promettent énormément, mais c’est le Corton-Charlemagne qui, à ce moment, est d’un charme fou.

Du côté des rouges, Le Corton Bouchard Père & Fils 2007 est un vin plein de charme et de structure rassurante. Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 2007 est un péché tant il est vénéneusement tentateur. Mais le Corton Bouchard Père & Fils 1966 montre que l’âge remet toutes les pendules à l’heure. Ce vin est grand. Je venais surtout pour rencontrer des personnalités du monde du vin, car il est agréable de deviser lorsque l’on tient en main un grand vin, mais céder à la tentation de vins délicieux généreusement partagés n’est pas un péché mais une reconnaissance de l’élégance des donateurs.