Dîner de wine-dinners au restaurant « Gérard Besson » mercredi, 26 février 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Gérard Besson » le 26 février 2003
Bulletin 68 – livre page 85

Les vins :
Champagne Pol Roger 1988
Côtes du Jura Château d’Arlay 1969
Pavillon blanc de château Margaux 1992
Chablis Grenouilles 1976 Domaine de la Maladière William Fèvre
Larcis Ducasse Saint Emilion 1971
Clos des Jacobins Saint Emilion 1924
Chapelle Chambertin Clair Daü 1976
Vosne Romanée Thomas Frères 1943
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1961
Château Gaudiet Loupiac 1967
Yquem 1988

Le menu, créé par Gérard Besson :
Fromage de tête de cochon au vinaigre de vin vieux
Huître spéciale pochée dans un bouillon aux noix et Xérès
Damier de chevreuil et foie gras de canard dans une gelée à la pétale de rose, brochette d’artichaut truffe
Darne de turbot poêlée, sauce marinière
Carré de veau « sous la mère » juste rôti, le jus court, salsifis à l’étuvée de truffe
Petit toast à la truffe
Filet de bœuf Salers, piqué de lard fin et cuit saignant, sauce et garniture à la financière
Stilton, gouda 4 ans, brebis
Fenouil confit, épices et condiments
Duo de tartes fines, « pomelos pommes » et « ananas »
Mignardises

Dîner de wine-dinners chez Gérard Besson mercredi, 26 février 2003

Dîner chez Gérard Besson. La mise au point du menu a été très intéressante car Gérard Besson a une grande sensibilité aux vins anciens. Ce qui m’a particulièrement plu c’est que ses idées se sont affinées au fil des jours de préparation, de nouvelles pistes s’ouvrant pour de meilleurs accords. En liaison avec le Salon des Grands Vins, France 2 voulait faire un reportage sur un collectionneur de vins. Le choix tomba sur moi, et l’équipe de tournage vint assister à l’ouverture des vins, en ayant convié Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde, et ancien participant d’un dîner de wine-dinners, à cette cérémonie. J’ai eu le plaisir d’ouvrir les bouteilles avec Philippe, ce qui fut l’occasion de quelques beaux échanges. Nous sommes allés plus vite que d’habitude, pour des impératifs de l’équipe de tournage, ce qui fait que le Chapelle Chambertin n’a pas attiré mon attention comme il aurait dû. A l’ouverture, odeur charnelle du Vosne Romanée, qui s’est progressivement estompée. Odeur parfaite du Richebourg, mais surtout du Clos des Jacobins.
Dîner de plusieurs amateurs novices, avec quatre femmes fort attentives et motivées, dont la journaliste qui a fait filmer des parties du repas. Ces images n’ont pas été reprises dans le reportage, qui se concentra surtout sur les vins d’une de mes caves. L’anonymat et la vie privée des convives auront été respectés. Un service de qualité, dont celui, absolument parfait de Gilles, sommelier de talent.
Le menu composé par Gérard Besson, ajusté plusieurs fois grâce à sa mémoire des vins : Fromage de tête de cochon au vinaigre de vin vieux, Huître spéciale pochée dans un bouillon aux noix et Xérès, Damier de chevreuil et foie gras de canard dans une gelée à la pétale de rose, brochette d’artichaut truffe, Darne de turbot poêlée, sauce marinière, Sandre farci et braisé au vin rouge de Loire, flan de grenouille, sauce genevoise, Carré de veau « sous la mère » juste rôti, le jus court, salsifis à l’étuvée de truffe, Petit toast à la truffe, Filet de bœuf Salers, piqué de lard fin et cuit saignant, sauce et garniture à la financière, Stilton, gouda 4 ans, brebis, Fenouil confit, épices et condiments, Duo de tartes fines, « pomelos pommes » et « ananas », Mignardises.
Pol Roger 1988 est un beau champagne, à la bulle moyenne, moins typé que certains colosses, mais très exact, et très représentatif du beau champagne de plaisir, servi à la bonne température. En plus des vins annoncés, j’avais envie de faire le cadeau de découvrir un Côtes du Jura Château d’Arlay 1969. Un nez envoûtant, qui n’a cessé de se renforcer tout au long du repas dans le verre conservé sur table, comme c’est la tradition à tous nos dîners : on sent et ressent l’évolution de l’odeur du verre presque vide. C’est l’occasion de belles surprises. Sur l’huître, un accord extraordinaire, plus magique encore avec le bouillon qui accompagnait l’huître.
Le Pavillon blanc de château Margaux 1992 est un Bordeaux blanc classique, solide et bien ouvert. Il trouvait sur l’artichaut et la truffe une longueur extrême. Mais la magie, comme lors de mon déjeuner avec Alain Senderens, c’était de mâcher la rose et de boire le vin. La confrontation est un pur bonheur. Quelle puissance chaleureuse que celle du Chablis Grenouilles 1976 Domaine de la Maladière. C’est juteux, plein de force. Beaucoup plus pénétrant qu’un Chablis actuel. Mais la sauce marinière ne lui convenait pas si bien.
Le Larcis Ducasse Saint Emilion 1971 est un petit chef d’oeuvre : il est tout en légèreté et en discrétion. Le message est filigrané. Alors, si on ne rêve que de puissance comme avec le Richebourg qui allait suivre, on est sur sa faim. Mais si on accepte la légèreté, on est, comme moi, particulièrement comblé par la subtilité. Sandre et Saint Emilion nagèrent de concert. Il aurait fallu filmer le visage des convives au premier contact avec le Clos des Jacobins Saint Emilion 1924. Pour beaucoup, c’était presque 50 ans de plus que le plus vieux vin qu’ils avaient déjà dégusté. Et découvrir qu’un vin si ancien peut être si bon et surtout si jeune est toujours un étonnement qui se révèle sur les visages. On peut facilement imaginer que cet éveil des consciences est un de mes plaisirs. Très beau Clos des Jacobins, goûteux, puissant, avec une longueur rare. J’avais oublié de sentir le Chapelle Chambertin Clair Daü 1976 qui était bouchonné. Avec un peu de patience on le voyait revenir à une belle présentation au fruité généreux, mais il y avait mieux à faire. Sur une viande de Salers puissante et affirmée, le coté charnel, animal, « yéti » du Vosne Romanée Thomas Frères 1943 allait créer un accord comme on en raffole : un échange d’uppercuts pour donner une émotion gustative majeure. Un convive plus patient a su attendre le réveil du Chapelle. Il renaissait.
Arrive alors la vedette de la soirée, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1961. Magnifique, sûr de lui, il est exactement ce que l’on attend, un vin de construction parfaite, doublé d’une puissance et d’un équilibre d’exception. C’est un très grand vin, de la race des géants. Une des participantes avait un rêve : boire un jour un DRC. Ce rêve s’exauçait. Le bonheur sur son visage. Philippe Faure-Brac avait annoncé à l’avance l’animalité du DRC à la caméra. Elle fut abondante. Vin de race, de force et d’extrême présence qui confirme la prouesse de cette année là.
La couleur du Château Gaudiet Loupiac 1967 était émouvante : cuivre doré. En bouche, l’évocation de tous les agrumes du monde. Sur le fenouil confit (une réussite de Gérard Besson), mais plus encore sur des fruits épicés complexes, un rebond éblouissant.
Yquem 1988 concluait dans la beauté de sa flamboyance un repas qui dépassait largement les attentes de beaucoup de convives enthousiastes. On a voté dans la bonne humeur, et trois vins ont émergé : le Vosne Romanée, le Clos des Jacobins et le Richebourg. Mon vote personnel, assez largement partagé fut, dans l’ordre : Richebourg 61, Clos des Jacobins 24, Vosne Romanée 43 et Chablis 76. Je précise bien volontiers, pour répondre à la remarque d’un lecteur avec qui je converse, que la mention de mon tiercé n’est pas faite en opposition au vote des convives. Je suis au contraire ravi de la diversité des préférences, qui montre que plusieurs vins peuvent très souvent concourir pour le titre.
Un chef de talent et amoureux des vins a réalisé des accords brillants. Ceci me conforte dans l’admiration que j’ai et veux faire partager pour les artistes que sont ces chefs. Ils nous donnent tant d’occasions de bonheur. Une soirée marquée par un vin magique et des accords réussis. Une majorité de participants ressentaient un goût de revenez-y.

Déjeuner au restaurant Issy Guinguette vendredi, 14 février 2003

Visite impromptue aux crayères d’Issy les Moulineaux pour chercher des achats récents de vins. Je visite d’immenses galeries où de grands restaurants entreposent une partie de leur cave. A voir les stocks qui sont entreposés, je me dis que celui qui me succèdera et animera wine-dinners dans 40 ans ne manquera pas de marchandise, car les invendus probables seront légion. Le sympathique propriétaire de cette multiple activité, Yves Legrand, qui ne me connaissait pas, m’invite à déjeuner. Rien n’était prévu, je me laisse guider au restaurant Issy Guinguette.
Nous commençons par le Vin d’Issy les Moulineaux le Clos des Moulineaux 1995 (production : 135 bouteilles de 50 cl). Je défie quiconque de trouver ce vin à l’aveugle. Il a des tonalités de Meursault, passagèrement des ardeurs de Bâtard. A dire vrai je le trouve extrêmement délicieux. Nous suivons par un Touraine Amboise de Nazelles de chez Rémi Gandon « Grand vin d’origine » 1970. Vin qui a une saveur que l’on comprendrait beaucoup mieux d’un 1950. Là, un vieillissement extrêmement précoce. Mais une fois que l’on a accepté l’effet de la madérisation, les saveurs multiples s’exposent en bouche, donnant sur un plat adapté des évocations du plus grand intérêt. Lorsque j’étais entré dans le bureau, dans la matinée, j’avais remarqué une bouteille au sol, au niveau très bas et au bouchon tombé flottant. J’avais dit « il faut boire cette bouteille », ce qui avait sans doute intrigué et intéressé mon hôte, plus que si j’avais dit « elle est morte ». Et ce qui est intéressant et confirme mes théories : à l’ouverture de la capsule, ce vin avait un nez sublime. J’ai dit : « méfions nous des nez trop flatteurs ». Et c’était le cas de ce Léoville Poyferré 1955. Attaque en bouche très acide, mais joliment acide, puis un désagréable retour de bouche de gibier faisandé : le vin était mort depuis peu (le médecin légiste aurait dit : quelques heures seulement de bouchon de trop flottant dans la bouteille). Voilà donc un vin mort qui donne une senteur exquise. Je suis natif du pays des fromages qui puent. Je préfére les vins qui puent à l’ouverture aux vins trop aisément chaleureux immédiatement. Nous passons ensuite à Talbot 1955. Le bouchon avait anormalement vieilli vite, ce qui est le signe d’un mauvais stockage. Un nez à peine blessé, et en bouche, certainement un Talbot au dessus des Talbot que j’ai bus, à part peut-être 1934. Une bouche ronde, soyeuse, veloutée, toute en harmonie discrète et délicate. Sur un petit salé aux lentilles, accord amusant à tenter, l’acidité de la viande aidait bien. Ensuite, un Vosne Romanée Jean Grivot 1976 gentil comme tout, avec une belle attaque en bouche, bien juteuse, puis une finale assez courte. Le clou de ce repas improvisé fut un Sauternes de 1938, année sur le bouchon, sans étiquette, que l’on a supposé être un Rayne Vigneau 1938. Teinte et arômes de caramel, de fruits confits légers comme des prunes par exemple qui se mariaient avec bonheur à un pain d’épices trempé aux fruits.
Alors que nous ne nous connaissions pas il y a seulement trois heures, nous avons évoqué des souvenirs communs dans une ambiance chaleureuse, comme les amateurs et amoureux du vin savent en créer. Nous reverrons-nous ? Sans doute. Mais grâce à cet instant inventé de rien, un jour anniversaire pour Yves Legrand de plusieurs événements importants de sa vigne et de son restaurant, nous nous sommes trouvé des affinités sur nos passions. Cela fait chaud au cœur comme un verre de Sauternes de 1938.
Ce jour fut décidément propice à des rencontres étonnantes. J’ai fait la connaissance chez Guy Savoy d’un des très grands acteurs du monde du vin. Le repas, toujours aussi grandiose sera « dithyrambé » dans le bulletin 65.

Dîner au restaurant de Ducasse à Paris dimanche, 2 février 2003

Dîner chez Ducasse. Arrivée psychédélique à l’hôtel Plaza : des photographes attendent dans le froid. Dans l’entrée, des pop stars bariolées avec des nymphettes à l’œil cocaïné. Dans le hall, une faune cosmopolite faisant plus penser à un congrès de la mafia du temps d’Al Capone qu’au rendez-vous annuel d’une congrégation religieuse. Un luxe ostentatoire frôlant l’invraisemblable. On passe le seuil du restaurant, et là, c’est le silence d’un temple à l’onction ouatée. Les couleurs sont rassurantes, le personnel glisse comme dans un ballet russe. C’est la même atmosphère que lorsqu’on entre à la bibliothèque Mazarine : on ne touche à rien tant on a le respect. D’ailleurs, pas question de prendre en main le menu. Il vous est planté comme un écran pour le lire de loin.
Un Château d’Arlay Vin Jaune 1985, car j’avais en tête mon prochain voyage dans le Jura dont on parlera dans le prochain bulletin. J’avais vérifié à l’avance que mes hôtes aimaient ce vin. Sur des truffes, je me suis de nouveau enchanté avec le vin jaune. Puis, petit clin d’œil à un vigneron ami épistolaire, Vosne Romanée Cros Parentoux Méo Camuzet 1989. Le nez est profond, et le vin est très possessif. Sur le pigeon que j’avais pris, un plus jeune Cros Parentoux eut sans doute été préférable. Le sommelier avait raison de me prévenir de sa si persistante jeunesse. J’assume mon choix.
Ducasse, c’est la grande maison. On la goûte cependant différemment selon les circonstances. Des discussions professionnelles empêchaient d’en profiter comme il convient. Et la folklorique et majestueuse cérémonie des infusions m’a fait moins d’effet. Les Saint-jacques d’une assiette voisine où j’ai picoré étaient un petit bijou.

Dîner de wine-dinners au restaurant « Apicius » jeudi, 30 janvier 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Apicius » le 30 janvier 2003
Bulletin 62 – livre page 81

Les vins :
Champagne Bollinger Grande année 1990
Coteaux du Layon Brouard négociants éleveurs 1945
Meursault Santenots Domaine Marquis d’Angerville 1990
L’Agneau Blanc, Graves sec blanc sélection Philippe de Rothschild 1948
Lafite Rothschild 1962
Château Larcis Ducasse 1er grand cru Saint-Emilion 1945
Volnay Santenots du Milieu 1er Cru Domaine des Comtes Lafon 1994
Nuits Saint Georges Pierre Olivier 1966
Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1989
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956
Château Massereau Haut Barsac René Pinsan 1947
Yquem 1988

Le menu, créé par Jean Pierre Vigato :
Parfait de foie gras à la vapeur, jus de légumes acidulé.
Compote de champignons de Paris, sabayon à la truffe blanche.
Chair de langoustine au couteau et huile d’olive.
Coquillettes façon risotto à la truffe noire.
Suprême de pigeon cuit sous le gril au beurre salé.
Pâté de gibier sauce bécasse.
Blanc manger au lait d’amande.
Gâteau de pommes « Reinette » au caramel laitier.
Mignardises.

Dîner au restaurant « Apicius » jeudi, 30 janvier 2003

Dîner chez Jean Pierre Vigato. Ouverture des vins à 16 h avec Christophe, jeune sommelier débutant et très désireux d’apprendre, dont les yeux brillaient devant tant de merveilles. Comme chaque fois, j’ai des appréhensions, tant chaque vin a une histoire unique. Le plus beau nez à l’ouverture est celui du Larcis Ducasse 45. Les plus incertains sont ceux du Grands Echézeaux 56 et du Lafite 62. Celui dont j’attends le plus beau retournement est celui du Nuits Saint-Georges 66, qui sent la poussière et va perdre cette odeur. Si je bois, vers 17h un peu des deux Sauternes, c’est surtout par gourmandise, car je suis sûr d’eux.
Le menu conçu par Jean Pierre Vigato : Parfait de foie gras à la vapeur, jus de légumes acidulé. Compote de champignons de Paris, sabayon à la truffe blanche. Chair de langoustine au couteau et huile d’olive. Coquillettes façon risotto à la truffe noire. Suprême de pigeon cuit sous le gril au beurre salé. Pâté de gibier sauce bécasse. Blanc manger au lait d’amande. Gâteau de pommes « Reinette » au caramel laitier. Mignardises.
Jean Pierre Vigato fait partie d’un groupe de quatre chefs que j’adore pour des qualités assez semblables, Alain Dutournier, David Van Laer, Patrick Pignol et lui. Il y a en eux un amour du vin, un respect des accords, et une façon de traiter les saveurs d’une façon naturelle, spontanée et chaleureuse que j’apprécie au plus haut point. Bien sûr, il y a d’autres chefs de grand talent. Mais le naturel de ces quatre chefs m’enchante. Là, Jean Pierre Vigato a fait un sans faute, signant certains plats apparemment simples d’une exécution parfaite. C’est au service du vin que l’on se place, c’est au service de la saveur pure, généreuse, et ostensible. Comme si ce plantureux programme ne suffisait pas, alors que nous parlions de truffes, un maître d’hôtel nous met sous le nez une belle grosse truffe. Réflexe déraisonnable et immédiat, je lance : »on se la fait ? ». Et nous voilà, en plein repas, nous passant comme une patène l’assiette de tranches de cette si belle truffe, et communiant de ces hosties noires, ointes d’huile et criblées de gros sel.
Une armée d’ogres et de trois jolies ogresses.
Sur un amuse bouche discret et adapté, Bollinger Grande Année 1990, champagne sûr, extrêmement équilibré, qui comble d’aise par sa facilité. Ce n’est pas à proprement parler un champagne de soif, mais ça se boit si bien. On eût aimé un magnum, tant le goût de revenez-y domine.
Le Coteaux du Layon 1945 Brouard Négociants éleveurs a une couleur dorée d’une rare beauté. Nous nous disions avec François Mauss, ce si grand expert recordman du monde de l’amende infligée pour un propos anodin (300.000 euros pour avoir critiqué les mauvais Beaujolais, c’est un record) que ce Coteaux du Layon, à l’aveugle serait perçu comme un délicieux Sauternes. L’accord avec le foie gras traité de façon si particulière était magique. Une association qui crée l’émotion : on frémit comme lors du baiser d' »Autant en emporte le Vent ».
L’Agneau blanc 1948, vin de Graves sec, sélection baron Philippe de Rothschild est un petit bijou. On sent réellement le Graves, avec une densité et une persistance rare. Le plat aux champignons et truffe blanche était tellement bien traité que l’on avait successivement deux accords merveilleux. Je me faisais peur en pensant : « si l’on part tellement en fanfare, ne prend-on pas des risques pour la suite ». Le déroulement du dîner allait balayer mes craintes. L’Agneau Blanc était vraiment réussi, noble et surpassait toute idée préconçue sur ce qu’on pouvait attendre. Sur une langoustine surprenante, toute en iode, le Meursault Santenots Domaine Marquis d’Angerville 1990 en a surpris plus d’un. Bien rond, bien typé, il permettait lui aussi un beau mariage. Le Lafite Rothschild 1962 et le Château Larcis Ducasse 1er grand Cru Saint Emilion 1945 ont été servis en même temps sur le « faux » risotto. Le Larcis Ducasse époustouflant de jeunesse avait toutes les caractéristiques de la truffe noire, et dansait avec elle dans une synchronisation parfaite. Le Lafite, plus frêle, plus fragile, plus discret cachait plus sa belle et académique structure. Le Larcis le dominait trop d’une puissance proche de celle d’un 70. Un immense vin, adapté à la truffe comme s’il était né pour elle.
Le Volnay Santenots du Milieu 1er Cru Domaine des Comtes Lafon 1994 est tout simplement un chef d’oeuvre. Une réalisation parfaite. C’est généreux, c’est rond, et c’est un vin qui veut vous séduire comme Gina Lollobrigida en Esméralda : tout est fait pour vous tenter. Et quand la chair du pigeon fond en bouche tant elle est exquise, on est sous le charme, fasciné par ce vin comme sous l’oeil du cobra. Sur un plat d’une richesse extrême, de saveurs mâles et typées, trois vins s’alignaient pour combler nos papilles : à gauche le Grands Echézeaux DRC 1956, au centre le Nuits Saint Georges Pierre Olivier 1966 et à droite l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1989. J’avais tellement peur que mon DRC 56 soit faible que je me suis fait vertement tancer. Ce vin était exceptionnel, d’une classe immense, contredisant toute idée préconçue sur son rang au sein des vins du Domaine, et toute idée convenue sur cette année si mal lotie. Ce vin merveilleux fut classé, on le verra plus tard, comme la vedette de la soirée. J’avais dit lors d’un précédent bulletin : « venez m’aider à finir ces 56 ». Ne venez plus ! Ce n’était que calomnie. J’avais un petit faible pour le Nuits Saint Georges 1966. Très Nuits, très nature, expression généreuse d’un Bourgogne riche et sans soucis. J’aime ces vins qui font saliver. A coté de ces deux merveilles, l’Hermitage, qui ferait belle figure dans plus d’un dîner, apparaissait comme un écolier qui a remis une copie où la question de cours est traitée avec une maestria signalée, mais sans cette once de folie qui entraîne la meilleure note. Très honnête Hermitage suivant un Nuits Saint Georges généreusement rond et plaisant, et un Grands Echézeaux réalisant merveilleusement l’accomplissement du rêve de la Bourgogne. Sur ce plat de sincérité, un grand moment d’harmonie.
La couleur du Château Massereau Haut Barsac 1947 René Pinsan est presque irréelle tant elle est belle. On dirait la peau de Laetitia Casta, notre pulpeuse Marianne. Une délicieuse acidité au service d’une densité de Sauternes séducteur. Dois-je le dire ? Je n’ai pas résisté. C’est le type de goût que j’aime de façon incurable. Le traitement du gâteau de pommes est exemplaire. J’ai rarement vu un dessert aux pommes plus captivant. Pierre Hermé m’a subjugué par un dessert aux pommes qui était un exercice de maîtrise d’un niveau rare. Là, c’est une pomme qui chante en bouche avec mon chouchou Yquem 1988, ce petit bébé que j’aime tant. Mais, sentiment étrange, il est tellement ce que l’on attend, de perfection, de grâce, que je succombai plus aux charmes déroutants, donc envoûtants, de vins moins attendus.
Quand il fut question de vote, il y eut une large concentration sur le premier: Grands Echézeaux DRC (Domaine de la Romanée Conti) 56. Puis, Larcis, Coteaux, et presque tous les vins ont été cités. Mon classement a différé du consensus, car je suis trop sensible au goût du Haut Barsac que j’ai mis en un. J’ai rejoint ensuite beaucoup de votes avec Grands Echézeaux, Larcis Ducasse et Nuits Saint Georges.
Jean Pierre Vigato nous a fait vivre des émotions rares, par une cuisine d’une maîtrise et d’un talent remarquables. J’ai été ému par le traitement du foie gras, du pigeon, et de la pomme. Le plus bel accord gustatif a été celui du Coteaux du Layon avec le foie gras, puis le champignon avec l’Agneau Blanc, sachant que le pigeon avec le Volnay fut une petite merveille. L’ambiance fut plus qu’amicale, animée et souriante, et chacun a pu enrichir son stock de souvenirs par des associations de goûts uniques, dans une profusion inégalée.

Dîner de wine-dinners au restaurant « le Relais d’Auteuil », « Patrick Pignol » jeudi, 16 janvier 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « le Relais d’Auteuil », « Patrick Pignol » le 16 janvier 2003
Bulletin 60

Les vins :
Champagne Besserat de Bellefon Rosé 1964
Bâtard Montrachet Delagrange Bachelet 1983
Bâtard Montrachet Antonin Rodet 1989
Château Beauséjour Montagne Saint Emilion 1959
Château Beychevelle 1959
Gevrey Chambertin Bouchard 1983
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956
La Romanée Thomas Bassot 1937
Côtes de Jura Château d’Arlay 1972
Yquem 1987
Monbazillac Château Fontvieille Réserve du Theulet 1947

Le menu, créé par Patrick Pignol :

Oeuf d’oie en coque et Chantilly à la truffe noire de Carpentras.
Diptyque violet de Méditerranée : rémoulade de cerfeuil tubéreux iodée et sa tartine d’oursin.
La noix de Saint-Jacques dans sa simplicité.
Langoustine et ris de veau croustillants aux senteurs de cardamome.
Poitrine et cuisse de pigeon servis en deux services, jus à la presse.
Comté Saint Antoine.
Gourmandise de saison (à base d’agrumes confits),
et une fin de voyage dans le Sud Ouest.

Dîner au restaurant « le Relais d’Auteuil », « Patrick Pignol » jeudi, 16 janvier 2003

A l’ouverture des vins avec Nicolas, sommelier si attentif, la plus grande générosité est celle du Montagne St Emilion 1959, et le plus bel épanouissement est la Romanée 1937. Le Monbazillac trompette de bonheur. L’évolution du nez de la Romanée étant si rapide, j’ai rebouché pour ne rouvrir que vers 20 heures. Extrême déception à l’ouverture du Richebourg, qui montrait l’état de fatigue d’un vin d’au moins trente ans de plus : jamais un bouchon de 1956 ne devrait être dans cet état là.
Tout le monde est d’une ponctualité parfaite, et, autour d’une belle table, hommes et femmes sont d’une parité jospinienne : 5 contre 5, ou 5 avec 5 selon la profession de foi d’ethnologie sociale que l’on adopte.
Le menu conçu par Patrick Pignol : oeuf d’oie en coque et Chantilly à la truffe noire de Carpentras. Diptyque violet de Méditerranée : rémoulade de cerfeuil tubéreux iodée et sa tartine d’oursin. La noix de Saint-Jacques dans sa simplicité. Langoustine et ris de veau croustillants aux senteurs de cardamome. Poitrine et cuisse de pigeon servis en deux services, jus à la presse. Comté Saint Antoine. Et les desserts n’ont pas de titre : pour l’Yquem : gourmandise de saison (à base d’agrumes confits), et une fin de voyage dans le Sud Ouest.
Nous goûtons un Besserat de Bellefon rosé 1964 que j’avais fait ouvrir vers 19 heures. Couleur de lilas en fin de floraison, pas de bulle, ce champagne est usé. J’avais hésité à le remplacer, j’aurais dû. Sur l’oeuf et la truffe, le Bâtard Montrachet Delagrange Bachelet 1983 mis en premier car à l’ouverture il était plus frêle que le 89. Divine surprise, ce Bâtard est une petite merveille. Si jeune, il est tout en finesse. Beau Bâtard avec des tas d’évocations que la truffe, mais aussi l’émulsion élargissent encore. Un des meilleurs oursins que j’aie mangé, sur un Bâtard Montrachet Antonin Rodet 1989. Quelle différence ! Ce Bâtard là semble vendangé de la veille. Tout en puissance, Bâtard absolu. On se disputa aimablement sur les deux. Une amie viticultrice mit ce 89 en premier vin de son vote, pour son goût généreux, alors que beaucoup, dont je fus, préféraient le 83 : finesse et légèreté contre puissance et jeunesse. Le débat reste ouvert. La tartine de Patrick Pignol est à l’oursin ce que celle de Michel Rostang est à la truffe.
Le Château Beauséjour, Montagne Saint-Emilion 1959 est une surprise complète : merveilleuse couleur d’une jeunesse et d’une profondeur rassurante, un nez noble, et en bouche, un accomplissement très largement au dessus de Montagne. Bien épanoui, large et réjouissant. Bien évidemment, quand le Château Beychevelle 1959 arrive, on comprend que l’on franchit une étape. Ce Beychevelle a une rondeur exceptionnelle. J’ai préféré la couleur du Beauséjour, mais la texture du Beychevelle est une réussite. A peine un petit manque de puissance par rapport aux plus grands vins de 1959. Accord excitant entre langoustine, ris de veau et ce réjouissant Beychevelle. Le Gevrey Chambertin Bouchard 1983 allait faire la ponctuation du changement de paragraphe. Bu seul, pour une petite pause, je l’ai trouvé particulièrement réussi. Jamais on ne dirait qu’il a presque vingt ans. Bien rond, chaleureux, généreux, il ravit le palais par une simplicité de bon aloi. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 fut la déception de la soirée. Ce vin a dû souffrir de stockages indélicats, avec des chaleurs excessives. Il laissait deviner les qualités qu’il aurait pu avoir, mais cela tenait plus du visage de Michael Jackson que de celui de Jean Marais. Tout allait reprendre sa place avec un magnifique La Romanée Thomas Bassot 1937, vin d’une rareté extrême. Une couleur d’une invraisemblable jeunesse, un nez d’un raffinement recherché, et en bouche, le Bourgogne dans toute sa splendeur sur un pigeon très affirmé. C’est rond, profond, intense, construit. Une petite leçon de Bourgogne. Bien évidemment, grand étonnement des convives – ils sont nombreux dans ce cas – qui ne pouvaient pas imaginer qu’un vieillard ait cette tenue et puisse être si grandiose. Ce vin est la justification de wine-dinners. Le Côtes de Jura Chateau d’Arlay 1972 a été ajouté. Petite surprise et petit cadeau à des convives que j’apprécie, mais aussi pour faire connaître ce vin si difficile à comprendre. Je l’ai trouvé plus agréable en milieu d’après-midi qu’en fin de repas. Le Comté lui va bien. Très difficile à aborder, mais au moins deux convives l’ont inclus dans leur vote. Patrick Pignol avait ajusté son dessert sur le degré de puissance du Yquem 1987 quand nous l’avons goûté à 16 heures. Très léger, aérien, il aurait presque des tonalités de Y tant la sucrosité est discrète. J’aime ces Yquem légers, car on peut faire des mariages gustatifs de rêve. Ce fut le cas avec des agrumes. Et même si ce Yquem n’a pas la persistance aromatique de ses puissants aînés, je l’aime, comme j’avais aimé ce si discret mais présent Yquem 1932. Le Monbazillac Château Fontvieille Réserve du Theulet 1947 s’est présenté dans des conditions idéales. Une couleur ambrée comme celle d’un vieux cognac, Un nez valant celui du plus raffiné des Sauternes, et en bouche cette jouissance : c’est doux, c’est chaud comme la plus aimable confiture. On est en gourmandise. Nous avons voté, et la disparité des qualités a concentré plus que de coutume les votes des participants. Les plus cités furent le 47 et le 37, les Bâtard et Beychevelle, mais aussi plusieurs autres. Mon vote personnel fut : La Romanée 1937 / Monbazillac 1947 / Beauséjour 1959 / Beychevelle 1959. J’ai mis le Montagne devant le Beychevelle, pour l’encourager.
Des convives extrêmement sympathiques, un sommelier attentif, et tout un personnel dynamique et motivé, et un Patrick Pignol toujours joyeux ayant réalisé une cuisine d’une justesse affirmée et ciselée au service du vin, tout était là pour un vrai succès. Pourtant, j’ai eu un goût un peu amer, car c’était la première fois qu’il y avait deux vins fatigués. Bien sûr les neuf autres portaient tellement de bonheur que personne ne se sentait contrarié, mais ayant eu la chance qu’en deux ans de dîners il n’y ait eu aucun rejet, j’aurais aimé continuer ce parcours sans faute. Je vais isoler tous les DRC 56 de la même provenance. Si vous avez le goût du risque, faites moi signe. On se sacrifiera ensemble pour éliminer ces rebelles. Malgré mon petit regret, ce La Romanée 1937 est un grand moment de l’histoire du vin. Il justifie les expériences auxquelles je vous convie.

Déjeuner chez Laurent mardi, 14 janvier 2003

Déjeuner chez Laurent, toujours aussi plaisant. Un Chablis Premier Cru Butteaux 1995 est extrêmement bien fait. Accompli et bien rond. Le Vosne Romanée Cros Parentoux Henri Jayer 1991 est une institution. Mais je l’ai trouvé nettement moins à mon goût que les précédents. Pourtant, un délicieux pied de porc lui allait comme un gant.

dîner de réveillon le 31 décembre 2002 mardi, 31 décembre 2002

Dîner de wine-dinners du 31 décembre 2002 au domicile de François Audouze
Bulletin 57

Jambon Jabugo et poutargue de Pau
Champagne Dry Monopole Heidsick 1952 en magnum

Terrine de foie gras mi-cuit
Château Filhot 1891
Château du Breuil Beaulieu Coteaux du Layon 1966

Pommes de terre à la crème et aux truffes à la Bruno
Château Chalon Auguste Pirou 1983

Epaule d’agneau de cinq heures sauce Gremolata
Château Léoville Las Cazes 1945
Château Margaux 1934
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956

Fromages
Côte de Beaune Villages Champy négociant 1947
Nuits Saint Georges Les Vaucrains Emile Michelot 1926

Desserts variés de chez Daloyau
Château Fayau Cadillac 1947
Château Filhot 1928

Fine champagne Domaine de la Romanée Conti 1979