Dîner de wine-dinners chez Gérard Bessonmercredi, 26 février 2003

Dîner chez Gérard Besson. La mise au point du menu a été très intéressante car Gérard Besson a une grande sensibilité aux vins anciens. Ce qui m’a particulièrement plu c’est que ses idées se sont affinées au fil des jours de préparation, de nouvelles pistes s’ouvrant pour de meilleurs accords. En liaison avec le Salon des Grands Vins, France 2 voulait faire un reportage sur un collectionneur de vins. Le choix tomba sur moi, et l’équipe de tournage vint assister à l’ouverture des vins, en ayant convié Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde, et ancien participant d’un dîner de wine-dinners, à cette cérémonie. J’ai eu le plaisir d’ouvrir les bouteilles avec Philippe, ce qui fut l’occasion de quelques beaux échanges. Nous sommes allés plus vite que d’habitude, pour des impératifs de l’équipe de tournage, ce qui fait que le Chapelle Chambertin n’a pas attiré mon attention comme il aurait dû. A l’ouverture, odeur charnelle du Vosne Romanée, qui s’est progressivement estompée. Odeur parfaite du Richebourg, mais surtout du Clos des Jacobins.
Dîner de plusieurs amateurs novices, avec quatre femmes fort attentives et motivées, dont la journaliste qui a fait filmer des parties du repas. Ces images n’ont pas été reprises dans le reportage, qui se concentra surtout sur les vins d’une de mes caves. L’anonymat et la vie privée des convives auront été respectés. Un service de qualité, dont celui, absolument parfait de Gilles, sommelier de talent.
Le menu composé par Gérard Besson, ajusté plusieurs fois grâce à sa mémoire des vins : Fromage de tête de cochon au vinaigre de vin vieux, Huître spéciale pochée dans un bouillon aux noix et Xérès, Damier de chevreuil et foie gras de canard dans une gelée à la pétale de rose, brochette d’artichaut truffe, Darne de turbot poêlée, sauce marinière, Sandre farci et braisé au vin rouge de Loire, flan de grenouille, sauce genevoise, Carré de veau « sous la mère » juste rôti, le jus court, salsifis à l’étuvée de truffe, Petit toast à la truffe, Filet de bœuf Salers, piqué de lard fin et cuit saignant, sauce et garniture à la financière, Stilton, gouda 4 ans, brebis, Fenouil confit, épices et condiments, Duo de tartes fines, « pomelos pommes » et « ananas », Mignardises.
Pol Roger 1988 est un beau champagne, à la bulle moyenne, moins typé que certains colosses, mais très exact, et très représentatif du beau champagne de plaisir, servi à la bonne température. En plus des vins annoncés, j’avais envie de faire le cadeau de découvrir un Côtes du Jura Château d’Arlay 1969. Un nez envoûtant, qui n’a cessé de se renforcer tout au long du repas dans le verre conservé sur table, comme c’est la tradition à tous nos dîners : on sent et ressent l’évolution de l’odeur du verre presque vide. C’est l’occasion de belles surprises. Sur l’huître, un accord extraordinaire, plus magique encore avec le bouillon qui accompagnait l’huître.
Le Pavillon blanc de château Margaux 1992 est un Bordeaux blanc classique, solide et bien ouvert. Il trouvait sur l’artichaut et la truffe une longueur extrême. Mais la magie, comme lors de mon déjeuner avec Alain Senderens, c’était de mâcher la rose et de boire le vin. La confrontation est un pur bonheur. Quelle puissance chaleureuse que celle du Chablis Grenouilles 1976 Domaine de la Maladière. C’est juteux, plein de force. Beaucoup plus pénétrant qu’un Chablis actuel. Mais la sauce marinière ne lui convenait pas si bien.
Le Larcis Ducasse Saint Emilion 1971 est un petit chef d’oeuvre : il est tout en légèreté et en discrétion. Le message est filigrané. Alors, si on ne rêve que de puissance comme avec le Richebourg qui allait suivre, on est sur sa faim. Mais si on accepte la légèreté, on est, comme moi, particulièrement comblé par la subtilité. Sandre et Saint Emilion nagèrent de concert. Il aurait fallu filmer le visage des convives au premier contact avec le Clos des Jacobins Saint Emilion 1924. Pour beaucoup, c’était presque 50 ans de plus que le plus vieux vin qu’ils avaient déjà dégusté. Et découvrir qu’un vin si ancien peut être si bon et surtout si jeune est toujours un étonnement qui se révèle sur les visages. On peut facilement imaginer que cet éveil des consciences est un de mes plaisirs. Très beau Clos des Jacobins, goûteux, puissant, avec une longueur rare. J’avais oublié de sentir le Chapelle Chambertin Clair Daü 1976 qui était bouchonné. Avec un peu de patience on le voyait revenir à une belle présentation au fruité généreux, mais il y avait mieux à faire. Sur une viande de Salers puissante et affirmée, le coté charnel, animal, « yéti » du Vosne Romanée Thomas Frères 1943 allait créer un accord comme on en raffole : un échange d’uppercuts pour donner une émotion gustative majeure. Un convive plus patient a su attendre le réveil du Chapelle. Il renaissait.
Arrive alors la vedette de la soirée, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1961. Magnifique, sûr de lui, il est exactement ce que l’on attend, un vin de construction parfaite, doublé d’une puissance et d’un équilibre d’exception. C’est un très grand vin, de la race des géants. Une des participantes avait un rêve : boire un jour un DRC. Ce rêve s’exauçait. Le bonheur sur son visage. Philippe Faure-Brac avait annoncé à l’avance l’animalité du DRC à la caméra. Elle fut abondante. Vin de race, de force et d’extrême présence qui confirme la prouesse de cette année là.
La couleur du Château Gaudiet Loupiac 1967 était émouvante : cuivre doré. En bouche, l’évocation de tous les agrumes du monde. Sur le fenouil confit (une réussite de Gérard Besson), mais plus encore sur des fruits épicés complexes, un rebond éblouissant.
Yquem 1988 concluait dans la beauté de sa flamboyance un repas qui dépassait largement les attentes de beaucoup de convives enthousiastes. On a voté dans la bonne humeur, et trois vins ont émergé : le Vosne Romanée, le Clos des Jacobins et le Richebourg. Mon vote personnel, assez largement partagé fut, dans l’ordre : Richebourg 61, Clos des Jacobins 24, Vosne Romanée 43 et Chablis 76. Je précise bien volontiers, pour répondre à la remarque d’un lecteur avec qui je converse, que la mention de mon tiercé n’est pas faite en opposition au vote des convives. Je suis au contraire ravi de la diversité des préférences, qui montre que plusieurs vins peuvent très souvent concourir pour le titre.
Un chef de talent et amoureux des vins a réalisé des accords brillants. Ceci me conforte dans l’admiration que j’ai et veux faire partager pour les artistes que sont ces chefs. Ils nous donnent tant d’occasions de bonheur. Une soirée marquée par un vin magique et des accords réussis. Une majorité de participants ressentaient un goût de revenez-y.