Dîner de wine-dinners au Lucas Carton jeudi, 15 mai 2003

Faire un dîner de wine-dinners à Lucas Carton est un honneur. Alain Senderens est le plus consciencieux des inlassables chercheurs. Comme l’élève qui veut réussir tous les examens, il cherche sans cesse à remettre la meilleure copie, signer le meilleur accord.

Frustré de ne pas pouvoir boire chaque vin avant de composer le plat juste il a écrit aux châteaux et domaines pour avoir la description de chaque vin. Mais un génie malin s’était fait un plaisir de lui compliquer encore la tâche : le Beaune du Château était un Corton Charlemagne, le Jurançon était un Monbazillac (mais où avais-je la tête ?), le Yquem 41 était un Rayne Vigneau 41, et même le généreux donateur d’un Yquem qui avait annoncé un 21 est venu avec un 33. Tout le monde s’était ligué contre Alain Senderens. Cela nous aura permis de vérifier la logique de certains accords, en pensant au vin pour lesquels ils étaient faits. J’y trouve un plaisir encore plus grand. Cela pimente le parcours de délices que nous avons fait, fruit du génie d’un grand compositeur de goûts.

Le menu conçu par le chef avec ses équipes attentives fut le suivant : Emincé d’avocat et tourteaux aux épices thaï et soja, Capuccino d’asperges vertes de la Durance et morilles, Langoustines royales aux vermicelles croquants, crème de coquillages et morilles. Lotte rôtie, piquée de lard demi fumé, encre de seiche au cacao, poivrons rouges grillés et confits. Canard croisé étouffé, rougail de poireaux, mangue et gingembre et pétales de rose. Foie gras des Landes rôti en cocotte, truffes noires du Périgord, pommes de terre grenaille, aulxen chemise, petits oignons, mesclun. Spéculos à la framboise, échaudé de framboises dans leur jus, fine dentelle à la framboise, glace au caillé de brebis. Tatin de mangue caramélisée au miel, glace au gingembre et citrons confits. Prodige de conception, raffinement des détails, et un Alain Senderens qui venait souvent recueillir nos avis, entouré d’une équipe extrêmement efficace et qui, point à signaler, se sentait toute entière concernée par les essais et accords que nous tentions.

A l’ouverture des bouteilles, des joies et des angoisses. Le bouchon de la Romanée Conti était surmonté de terre séchée sous une cire à la couleur rosissant largement détruite. Le bouchon devenu noir montrait ses blessures. L’odeur épouvantable, même si non insurmontable, annonçait une mort certaine. Tout le monde écarterait ce vin : un restaurant ne pourrait pas le proposer, un caviste ne pourrait pas le vendre, car la couleur du vin s’était éclaircie, la pigmentation ayant rejoint le fond de la bouteille restée verticale depuis près d’une semaine. J’annonçai donc la mort de ce vin, et j’ouvris une bouteille de Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 que j’avais prévue pour le cas où. Belle capsule, belle couleur. Sous la capsule, de la terre. Le bouchon se brise au milieu, il est noir. Son odeur est une odeur de terre. Et ce n’est pas de la terre au milieu d’autres odeurs. Non ce bouchon n’est que de la terre. Et rien d’autre. Une odeur désagréable du vin. Mais je connais ces odeurs là. Elles suggèrent un retour en vie. Par précaution, après avoir ouvert toutes les bouteilles je suis allé acheter dans l’une des boutiques du voisinage (le quartier de la Madeleine est une caverne d’Ali Baba : on pourrait subir toutes les grèves de la fonction publique en se réfugiant dans les stocks de ces nombreux temples merveilleux) une La Tâche 1972, encore une fois pour le cas où. La joie fut d’ouvrir la Bâtard Montrachet du Domaine de la Romanée Conti, bouteille portant le numéro 00000, car ce vin n’est jamais commercialisé. C’est un cadeau qui me fut fait, que mes convives méritaient. Avec Philippe le sommelier attaché à nos agapes, nous n’arrêtions pas de sentir ce mythique Bâtard, l’une des plus rares et fantastiques bouteilles qui soient. Et on ne cessait de revenir vers cette odeur merveilleuse.

J’avais battu le rappel pour qu’en ce jour de grève tout le monde soit ponctuel. Tout le monde le fut. Le repas démarre sur Y d’Yquem 1985. J’aime Y car on y lit le message des grains de raisin de ce merveilleux château, et 1985 est une belle réussite d’Y. Dès la première gorgée, on sent comme toutes les saveurs du premier plat sont décortiquées, disséquées, comme dans une chromatographie. Mais ce sont les amertumes d’asperges du second plat qui lui ont donné un coup de fouet brillant : le Y devenait fougueux, là où il n’était que représentatif. Deux accords distincts. Un des convives demanda s’il s’agissait bien du même vin !

Le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1983 est un petit bijou de précision. Bien sûr, quand on a à coté de soi le Bâtard Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 1998, c’est assez difficile de se positionner. Mais en fait pas du tout. Il y avait deux expressions brillantes, époustouflantes du génie du Bourgogne blanc qui étaient là pour offrir leurs générosités et leurs subtiles évocations. Le Corton est grand, raffiné, et nécessite de l’analyser comme il convient pour y saisir tous les messages. Le Bâtard écrase tout sur son passage : c’est un vrai Bâtard, totalement authentique, qui montre sa puissance avec une franchise rare. Boire ce vin est pour moi un aboutissement de collectionneur. C’est le vin dont on rêve. Autour de la table personne ne le connaissait puisque le Domaine n’en vend pas. Mais chacun a compris l’honneur qui nous était fait de pouvoir goûter cette rareté.

Le VieuxChâteau Certan 1966 en magnum a confirmé qu’il est une des réussites de 1966. Un nez élégant, une attaque en bouche très signée Pomerol, un bel accomplissement sur la lotte judicieusement excitée par l’encre de seiche, et une certaine absence de longueur, signe de l’année.

Philippe a eu une excellente idée, c’est de servir la Romanée Conti 1956 en premier. J’avais fait part en début de repas de l’avis de décès, et là, ce liquide clairet envoyait un message. Et ce message était lisible ! Bien sûr, il ne fallait pas attendre de boire ce que doit être une Romanée Conti. Mais c’était un breuvage passionnant, fait d’une trame alcoolique et de restes de splendeur. Un déclic m’est venu, c’est de le faire goûter sur les pétales de rose du plat. Et comme avec Alain Senderens sur un Nuits Cailles 1915 (voir bulletin 45) la Romanée Conti a ressuscité. C’est pour moi un sujet de fierté. Car je pense que même le Domaine n’aurait pas eu la patience d’attendre ce vin, car il est trop loin du message escompté. Donc voilà un vin qu’un restaurant refuserait, qu’une boutique refuserait, qu’un particulier n’attendrait pas et qui là revivait. Au point que dans les votes finaux, ce vin qui avait eu les apparences de la mort fut noté en numéro 1 deux fois, en numéro 2 une fois, en numéro 3 deux fois et en numéro 4 une fois. C’est donc 60% de la table qui le mettait dans les quatre premiers. Inespéré. J’ai pris dans l’équivalentd’un tiers de verre le fond de la bouteille qui avait l’essentiel des arômes. Nous l’avons senti avec Alain Senderens plus d’une heure après. Personne n’aurait pu dire alors que ce vin avait été si gravement blessé. Magie du vin, et expérience – objectivement extrême – unique. Presque en même temps fut servi le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953. Il avait eu le temps de se refaire une santé. Ce qui frappe, c’est le coté viande, animal, terrien de ce vin. Et on est ici dans ce que j’adore : le vin brutalise, bouscule, dérange par un message qui ne fait aucune concession. On est loin d’être dans le soyeux avec ce monstre là. Et c’est là qu’avec ce merveilleux canard, l’accord fusionnel se fait magique. Et, joli paradoxe, le Richebourg se boit en même temps que la Romanée Conti, sans que l’un ne gêne l’autre. Au contraire. La Romanée Conti met en valeur le Richebourg, et le Richebourg permet de lire la Romanée Conti. Quel travail d’équipe. Cette cohésion obligeait d’attendre avant de boire un sublime Musigny Vieilles Vignes Comte Georges de Voguë 1979, se présentant maintenant en un état de plénitude absolue. C’est évidemment le Bourgogne de classe qui rapproche des saveurs connues. On est en terrain de connaissance. Avec les DRC, on est en plein rêve. Avec le Musigny on est dans la puissance et la belle rugosité que j’aime. Je dois dire que ce 1979 est une expression rare de perfection. Il brillerait plus s’il n’avait avant lui de si redoutables raretés.

Sur un foie gras à la saveur rare, réminiscence des repas d’il y a un siècle, arrive un vin qui fait partie de ma démarche. Que n’ai-je entendu : « pourquoi un Monbazillac ? », comme si seules les plus prestigieuses appellations avaient le droit de s’exprimer. Je souhaite que l’on participe à l’histoire du vin, à tous ses âges, dans toutes ses appellations, et dans tous ses états, un vin blessé étant lui aussi un témoignage. C’est toute cette histoire que je veux faire découvrir à des esthètes qui n’ont pas la possibilité d’avoir accès à la majeure partie de ces vins. Le Monbazillac Château Le Chrisly 1965 a brillé avec une qualité surprenante sur le foie gras. Il était dix fois plus à l’aise que le Rayne-Vigneau 1941. Il est d’ailleurs assez étonnant que le Rayne Vigneau, apparu si brillant à l’ouverture, généreux, voire flamboyant se soit transformé en un vin sec au moment de le boire. La flamboyance avait disparu. Les messages se faisaient plus confidentiels. Voilà un vin que l’on aurait dû boire à l’ouverture. Sa sécheresse le mettait hors sujet par rapport au plat. Mais qu’on ne s’y trompe pas : même rugueux, c’est un grand vin aux formidables complexités.

Les petites finesses à la framboise chatouillaient un Krug rosé pétillant. J’ai eu un peu de mal à m’habituer à sa bulle si puissante (manque d’habitude de boire du champagne à ce moment du repas), mais ce Krug était très beau. Il marquait aussi une pause avant le délicieux Yquem 1933.

Merveilleux accord avec la mangue, mais le miel avait été calibré sur Yquem 1921 et non pas sur Yquem 1933, particulièrement sec. L’auteur de ce cadeau regrettait la sécheresse et je luis ai fait la même remarque que celle que j’avais faite à Alexandre de Lur Saluces à propose de Yquem 1932 si sec : c’est l’expression de Yquem sur cette année là, alors je la prends comme telle. Et j’ai adoré ce Yquem 1933 bien sec, mais couvrant une subtilité de message rare. J’adore ces Yquem suggérés.

Un américain qui dînait au Lucas Carton avait bu à lui tout seul Palmer 1961 et Hermitage la Chapelle 1961, l’un des monstres sacrés des vins de légende. Je l’ai invité à notre table ce qui m’a valu de goûter l’extraordinaire Hermitage qui justifie pleinement sa réputation. Quelle race, élégance, structure et quel épanouissement de ce 1961. Un vin de rêve. Nous nous sommes promis de nous revoir soit en Suède soit à un dîner de wine-dinners.

Les votes des quatre meilleurs vins pour chaque convive ont permis que chaque vin soit cité au moins une fois, ce qui est remarquable. Le Richebourg 1953 a été cité de nombreuses fois, et chaque fois premier. Le Bâtard et la Romanée Conti ont été le plus souvent cités ensuite. Ils furent suivis du Corton Charlemagne et du Monbazillac. Mon vote personnel fut : 1 – Richebourg DRC 1953, en 2 – Bâtard Montrachet DRC, en 3 – Romanée Conti DRC et en 4 – Yquem 1933. Ce sont donc les trois vins du Domaine, dont un flamboyant inconnu, un guerrier blessé, et un moribond qui furent le choix de tous. C’est un bien, car cela montre que l’on apprécie un vin pas seulement pour sa qualité intrinsèque, conforme à ce que l’on doit en attendre, mais aussi pour la valeur du témoignage, de l’émotion historique qu’il procure. Il y avait donc des convives de talent.

Alain Senderens avait composé avec son équipe un menu d’un équilibre grandiose. Les meilleurs accords furent, à mon goût, l’esquisse d’asperge sur le Y, l’encre de seiche sur le Vieux Château Certan, la lourdeur riche du canard sur le violent Richebourg, l’exquise suavité du foie gras sur le Monbazillac, la chair de la mangue sur le Yquem. La palme revenant au foie gras sur le Monbazillac, suivi du canard sur le Richebourg.

La soirée était si belle qu’à la fin du repas, personne ne voulait quitter la table. Tout était consommé, mais cette douce quiétude, avec une légèreté invraisemblable tant tout avait été mangé selon un rythme parfait créait un de ces plaisirs intemporels qui devrait ne jamais s’arrêter.

 

 

Dîner au restaurant de Bernard Loiseau samedi, 10 mai 2003

Dîner à Saulieu au restaurant de Bernard Loiseau, autant par envie de bien dîner que de rendre hommage à la mémoire d’un grand chef.

Un accueil absolument parfait : un sommelier passionné qui veut faire partager son amour du vin, et le fait fort joliment, des maîtres d’hôtel attentifs, qui expliquent et guident bien dans les choix. On sent une envie de vivre, une volonté d’exister sous le signe heureusement conservé du sourire si communicatif de Bernard Loiseau. En apéritif et pour accompagner les entrées, un Meursault Charmes J. M. Roulot 1993. Dès qu’il a atteint sa température, une générosité, un équilibre de vinosité remarquable. C’est un Meursault chaleureux. Ajusté aux cuisses de grenouille incontournables, mais incapable, comme n’importe quel autre vin d’ailleurs, de se marier avec les délicieuses morilles à l’œuf. Comme il s’agissait d’une sorte de pèlerinage, il fallait prendre la poularde en cocotte lutée. Cela s’imposait. Cérémonial plaisant pour le service d’une volaille parfaite, farcie de légumes et foie gras, dardée de truffes qui se sont vidées de leur empreinte enivrante en la léguant au volatile, et d’un riz aux truffes parfumé. Le tout est délicieux, et le Vosne Romanée Cros Parentoux Emmanuel Rouget 1997 trouve le terrain idéal pour s’exprimer. Que ce vin est beau ! Il a l’intensité du Cros Parentoux, le juteux de la jeunesse, et sa belle densité brille sur cette viande blanche si fondante. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a suffisamment de générosité pour se marier aussi bien avec la chair qu’avec le bouillon ou avec le riz intense. Un grand vin, qui séduit encore plus quand on voit qu’il s’inscrit bien dans la ligne du travail légendaire du Cros Parentoux de Henri Jayer.

Madame Dominique Loiseau sait trouver les mots qui conviennent. On sent dès l’entrée et pendant tout le parcours qu’elle a pris en mains avec une autorité naturelle cette grande maison. La justesse des recettes et l’ambiance chaleureuse créée par son équipe solidaire combleront les palais les plus exigeants. Ce temple de la gastronomie restera. Il fait ce qui convient.

 

 

Déjeuner au restaurant Apicius vendredi, 9 mai 2003

Déjeuner à Apicius. Accueil chaleureux, sourire d’un chef qui est heureux.

Ce que j’ai apprécié lors de ce repas, c’est la recherche précise de mise en valeur du produit (ce mot marketing est un peu froid). Jean Pierre Vigato aime faire ressortir la saveur pure dans son excellence. Des petits gris étaient accompagnés d’une sauce à l’ail aérienne, et la combinaison, lourde tant de fois, est ici magique dans sa concentration et sa légèreté. Des entrées choisies par le chef seul : c’est une dictature qui me convient à merveille.

Champagne Ruinart « R » en magnum. Ce champagne de soif est décidément bien plaisant. Une soupe de céleri s’égaie, s’ensoleille du picotement de la bulle, les petits gris glougloutent de bonheur avec ce champagne. Un homard au goût intense. Voilà de belles entrées que le Ruinart accompagne très bien. C’est ce qu’il fallait : goût qui existe mais n’envahit pas, pour que le vin de légende qui suivait arrive en majesté.

Vosne Romanée Cros Parentoux Henri Jayer 1991. C’est la légende. Le lecteur assidu (il y en a) aura déjà compris que quand j’aime, j’aime. Ce vin marque l’histoire de la Bourgogne, car son créateur a un tel amour et un tel respect du travail précis à faire tout au long de ce processus qui conduira ce breuvage absolu sur notre table que je ne peux pas boire ce vin sans émotion. Je n’ai pas l’honneur de connaître Henri Jayer, mais j’ai le privilège de boire ses vins. Cela ne me laisse jamais indifférent. Sur la fantastique pièce de bœuf, on commence par apprécier le nez du Vosne Romanée qui promet un accord précis. Le nez est intense, chaud et varié, et annonce la qualité de ce que l’on va boire. En bouche, c’est le prodigieux travail que l’on admire. On voit dans son verre Henri Jayer sillonner sa vigne derrière son lourd cheval, on le voit scruter ses vignes pour sentir la rondeur du futur grain. On a en bouche une des plus belles réussites de la Bourgogne. Je lui ai trouvé des évocations de pinède, tant le bois est parfumé. Plénitude suprême. Je profitais de chaque goutte avec la généreuse viande. Un vin magique. Ce qui m’a étonné, c’est que son message a changé tout au long de la dégustation. Il y a eu même un passage un peu faible aux deux tiers de la bouteille. Le vin s’est repris sur les fromages qui ne sont pas son milieu naturel. Etonnamment, c’est un Saint-Marcellin qui le faisait chanter, chant du cygne tant le niveau de la bouteille nous rapprochait de la mort subite de ce monument historique. Fort heureusement une jeune relève bourguignonne de grands vignerons nous promet des vins de ce calibre, comme ceux qui vont suivre, qui n’ont pas été choisis par hasard. Quel panache que ce Cros Parentoux. Apicius mérite bien, pour sa cuisine si juste, qu’on choisisse ces vins là.

A la campagne, j’apporte Clos de Vougeot Grand Cru Domaine Méo Camuzet 1992. Je pense que ce vin est celui qui m’a fait découvrir ce domaine que j’adore. C’est sans doute un des domaines qui assurent la perpétuation de l’excellence du vin de Bourgogne. Très caractéristique, très pierreux, âpre, austère, mais excitant si joliment le palais en demandant : « me reconnaissez-vous ? ». J’aime ces vins d’expression, sans aucune concession à la moindre mode.

 

 

galerie 1986 vendredi, 4 avril 2003

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 bue le 1er janvier 2007. A noter qu’elle provient d’un négoce californien !

vin blanc de Chateau Grillet 1986 bu à Londres au Gavroche (pour trouver le compte-rendu, faites la recherche sur le mot Gavroche) 

 Champagne Dom Ruinart Blanc de blancs 1986

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 27 mars 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol le 27 mars 2003
Bulletin 73

Les vins :
Champagne Perrier Jouët Belle Epoque 1985 en Magnum
Vouvray « d’origine » 1921
Gewurztraminer SGN Les Vignerons de Sigolsheim 1988
Chablis Saint-Martin Domaine Laroche 1988
Château Gruaud Larose 1934
Meursault rouge Clos de Mazeray Domaine Jacques Prieur 1988
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1988
Château d’Arlay Vin Jaune Comte R. De Laguiche 1988
Monbazillac 1er Grand cru classé Domaines de Theulet et Marsalet 1929
Château Gravelines première Cotes de Bordeaux 1945

Le menu, créé par Eric Fréchon :
Amuse bouche
Asperges et caviar
Macaronis truffés
farcis d’artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan
Langoustines du Guilvinec
poêlées aux cinq parfums, oignon et mangue à la coriandre
Poularde de Bresse
au vin d’Arbois, cuite en vessie, ravioles d’abats à la truffe noire du Vaucluse
Poitrine de canard challandais au sang
rôti aux épices, navets caramélisés à l’orange
Comté Millésimé 2000
Les tous premiers fruits rouges, quelques façons de les faire déguster

Voyage aux USA JOUR 4 lundi, 24 mars 2003

Rencontre de plusieurs amis du forum comme en savane au point d’eau : chez Sherry Lehman, invraisemblable boutique de vins qui compte 7.000 références, ce qui est énorme. Pour la première fois de ma vie, je vois une impériale de Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 2000. A 8.500 dollars, il vaut mieux avoir de bons amis pour partager. Cette impériale porte le numéro 3, sur une production de 2000 bouteilles. D’autres flacons rares s’étalent sous nos yeux. Une boutique rare, avec la profusion américaine qui met en valeur le talent de producteurs français.

Déjeuner dans un petit restaurant français à la cuisine lyonnaise, à base d’omelettes. Bien agréable et sans prétention. Dîner à l’une des brasseries de l’hôtel, où tout est faux : service qui ressemble à un guichet de la Sécurité Sociale, toasts tenant du pain d’épices, coquilles Saint-Jacques trop salées, surcuites, au caviar incertain, et tenant de l’éponge. L’adresse où l’on ne va que si l’on est forcé. Ou, comme moi, ignorant.

Réveil sur un New York pluvieux, et déjeuner avec le fondateur du forum, Jim Howaniec au restaurant La Goulue, à l’atmosphère de brasserie française, comme ont été Bofinger ou Flo, du temps de leur vraie période brasserie. Personnel très sympathique, composé de français qui sentent avec intérêt la bouteille de Château Chalon 1921 (le reste de l’autre soir) que je partage avec Jim.  Les discussions se font à un rythme lent, car Jim a eu une soirée où 10 personnes ont partagé un menu de 15 plats et 30 bouteilles jusqu’à 3 heures du matin. Ils ont goûté Lynch Bages 1989, Haut-Brion 1989, très bon mais encore jeune, et Grands Echézeaux DRC 1996 déjà bien ouvert. Jim a donc bu très peu de ce 1921 qui est son plus vieux vin. Il a pu mesurer la longueur invraisemblable de ce Château Chalon. Il a ri abondamment quand j’ai bloqué un serveur qui voulait enlever son verre vide : je voulais qu’il sente le verre vide et prenne conscience de la persistance aromatique de ce vin.

Réunion dans la grande salle à manger de l’Union League Club, un club privé très select. La dégustation est conduite par Allen Meadows, un expert en vins de Bourgogne. Il parle avec une justesse extrême, mais le propos se perd parfois dans une technique qui éloigne trop des désirs simples du palais.

Chablis les Vaillons 1er Cru René et Vincent Dauvissat 1995 – très parfumé, mais peut-être trop parfumé au début. Après s’être réchauffé dans le verre, il dégage des parfums larges et envoûtants. Pas trop caractéristique de Chablis, mais vraiment intéressant.

Puligny Montrachet Folatières Domaine Leflaive 1992 très gras, très caractéristique beau et rond, mais assez facile. Mais quand même une belle réussite

Chassagne Montrachet Ramonet 1992 1er cru Boudriotte. Quelle finesse, tout en subtilité quand le Puligny explose de sa générosité. Un très bon vin. Celui que je préfère des trois blancs.

Hautes Cotes de Nuits Jayer-Gilles 1993. Très désagréable à ce moment, et avec les fromages accompagnant, même si on imagine que provoqué par une viande, il serait agréable, du fait de son coté animal. Amertume pas assez contrôlée. Et trop moderne.

Gevrey Chambertin 1er Cru Clos St Jacques Louis Jadot 1993. Plus agréable, bien construit et bien complexe.

Musigny Joseph Drouhin 1993. Vin pas encore accompli, rugueux. Mais prometteur. Une belle structure qui apparaîtra dans quelques années.

Musigny Louis Jadot 1993. A l’inverse, remarquable, rond, accompli, généreux et extrêmement agréable. Un vin qui fait plaisir. Très beau. Le meilleur des quatre rouges.

L’assemblée se disjoint. Certains se joignent à des dîners organisés. Je me joins au groupe créé par l’initiateur de la dégustation, dans un appartement privé.

Echézeaux F & A Gros 1991. Si beau, si bien fait, si différent des vins précédents par une rondeur extrême, plus sensible au nez qu’en bouche. Un vin magnifique.

Beaucastel 1983 : ouvert trop vite et servi trop tôt. Un nez animal de gibier fatigué. Agréable sans doute, mais il faut ouvrir ces vins longtemps avant. On n’en profite pas comme il faudrait.

Richebourg DRC 1973 : un bouchon qui pue. Stockage trop chaud. Le vin renaît. L’odeur disparaît. Les qualités extrêmes se montrent, mais la blessure reste. C’est toutefois un intéressant témoignage que je garde longtemps dans mon verre.

Le généreux donateur de ces vins ayant une diction qui s’empâtait de plus en plus avait sans doute précipité le service de ses vins, pour pouvoir opérer une retraite nécessaire.

1989 Maximin BrunHauser Abstberg Auslese 133 von Schubert Mosel Riesling citronné et pas assez accompli. J’ai eu un peu de mal.

1998 Haut Brion blanc magnifique mais gâché, car présenté trop chaud, et sans la nourriture qu’il nécessiterait. Alors qu’il a le potentiel du 1994 bu peu avant, il se révèle à peine. Je n’ai même pas goûté le 1995 proposé en même temps.

1971 Wiltinger Kupp Beeren auslese Graf zu Hiensbroech très chaleureux vin bien rond. Un intéressant passage, particulièrement plein de subtilités, à la couleur déjà orangée.

Vouvray le Haut Lieu 1924 Huet était la vedette attendue. Belle bouteille ancienne et mise en bouteille récente. Le message est trop monolithique. C’est citronné, assez flatteur, mais trop simple. On n’en profite pas vraiment. Il y a même une certaine déception, tant un 1921 récent m’avait enthousiasmé.

Je reviens sur un Bonnes Mares Comte de Vogüé 1988 absolument accompli, au nez superbe et à la bouche ronde. Je reste longtemps à seulement le sentir. Grand.

Je finis sur La Conseillante 1994 que j’aime tant. Un vin délicieux.

Profusion de vins, générosité extrême, mais quel désordre dans la présentation. Les vins sont deux fois moins bons que si on s’en occupait comme il convient. On sent que c’est la profusion et la générosité qui sont surtout encouragées. On ne peut que les en remercier.

Déjeuner au restaurant Laurent vendredi, 14 mars 2003

Chez Laurent, restaurant toujours aussi rassurant par ce service adapté et cette cuisine bien sentie, Vosne-Romanée Cros Parentoux Henri Jayer 1993. Servi frais de cave, c’est le nez d’abord qui étale sa soie de haute lice. Puis le goût monte en puissance. C’est un vin très subtil, de construction élaborée rare. Il y a moins de brillance que dans les grandes Côtes Rôties. Mais il y a plus de trame, de construction d’un vin qui doit être vibrant plus qu’imposant. La démarche mérite le respect. Sur un pied de porc à la truffe et sur un ris de veau à la délicate purée, deux accords de rêve avec un vin émouvant.

Dîner de wine-dinners au restaurant « le Cinq » jeudi, 13 mars 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « le Cinq » le 13 mars 2003
Bulletin 69 – livre page 89

Apéritif :
Saint-Raphaël # 1935/1945
Les vins :
Krug Clos du Mesnil 1983
Moët & Chandon Brut impérial 1964
Châteauneuf du Pape blanc, domaine de Nalys 1979
Pétrus 1978
Gruaud Larose 1928 (cave Nicolas)
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956
Grands Echézeaux Joseph Drouhin 1959
Vin de paille Marcel Poux 1949
Lafaurie Peyraguey 1971
Château Filhot 1919

Le menu, créé par Philippe Legendre et Eric Beaumard :

Fantaisie de Morilles aux févettes et au vin jaune du Jura
Ecrevisses à la Florentine, sauce Nantua
Filet de rouget aux légumes escabèches
Darne de turbot poêlée, sauce marinière
Agneau de lait des Pyrénées à l’harissa doux
Noix de ris de veau clouté à la truffe sauce régence
Cantal vieux
Soufflé chaud au nougat

Dîner de wine-dinners au George V jeudi, 13 mars 2003

Un dîner au George V, c’est l’embarquement pour un voyage de rêve.
Ouverture des vins à 16 h. Pétrus est délicieusement Pétrus, et le Gruaud Larose 28 a un nez tellement beau et voluptueux que je referme la bouteille, qui ne sera rouverte que lorsqu’on passe à table. Les Bourgognes ont des nez prometteurs, et quand j’ouvre le Vin de Paille 1949, je deviens comme fou. Je ne tiens plus en place et je le fais sentir à tout le monde. C’est grandiose, avec des odeurs qui évoquent les saveurs de figues, de fruits confits. Je vais même en cuisine pour suggérer un autre accord que le Cantal pour que les convives puissent profiter à plein de cette merveille. Le Filhot 1919 très clair et diaphane a un nez de beau Sauternes.
Dans la luxuriance de fleurs, accès au salon Régence, pièce octogonale lambrissée du plus bel effet. Une table très « conférence internationale » où j’explique le programme et l’approche des vins anciens. Un Saint-Raphaël ancien (vers 1935/1945) aux vieux rancios est l’entrée en matière que j’ai choisie pour expliquer l’effet du temps sur tous les breuvages alcooliques : comme pour un silex qui se transforme en galet, le temps polit le vin, lui donnant plus de rondeur, de persistance aromatique et d’émotion. Nous passons ensuite à table dans cette majestueuse salle de restaurant où fleurs et pastels composent des harmonies du meilleur effet. La belle table est une symphonie de couleurs de thé et de rose isabelle. Si l’on ajoute là dessus un service des plats d’une précision rodée et les commentaires truculents et encyclopédiques d’Eric Beaumard, on a tout pour se concentrer sur la jouissance d’un repas d’exception. Seul accroc à ce moment de rêve, un jeune sommelier têtu qui voulait mêler sa vision des choses. Ce n’est toutefois pas suffisant pour entamer la joie des convives.
Le repas prévu par Philippe Legendre était le suivant : Fantaisie de Morilles aux févettes et au vin jaune du Jura, écrevisses à la florentine, sauce Nantua, filets de rouget aux légumes escabèches, Agneau de lait des Pyrénées à l’harissa doux, Noix de ris de veau clouté à la truffe sauce régence, Cantal vieux et figues, Soufflé chaud au nougat
En début de repas, Krug Clos du Mesnil 1983, c’est un instant d’émotion. Animal, brutal dans son affirmation, il s’impose au nez et en bouche comme un bison. La morille délicieuse l’arrondit délicatement. Le niveau bas du Moët & Chandon Brut impérial 1964 m’avait fait craindre une forte madérisation. Or, pas du tout : la bulle est belle, et ce champagne si contraire au Krug se révèle brillant, et se marie même mieux au plat. Je ne m’attendais pas que le Moët soit si opulent. La rage de vivre du Krug est un instant fort.
Le Châteauneuf du Pape blanc, domaine de Nalys 1979 est une découverte. C’est très rond, chaleureux, goûteux. Il y a de l’intensité et un message monolithique. On le comprend tout de suite. Eric Beaumard lui trouvait du caramel, inaperçu de tous, et, ce qui est une surprise, c’est que dans le verre vide gardé pour les odeurs, le caramel est apparu de plus en plus distinctement. Il accompagnait un Bâtard Montrachet Blain Gagnard 1984 de bien belle tenue, fort résistant pour cette année.
J’avais fait ajouter un plat de poisson pour le Pétrus 1978, afin qu’il ne soit pas en comparaison avec un vin dont il est le cadet de 50 ans. Philippe Legendre a préparé un rouget en harmonie parfaite avec le Pétrus, magnifique de maturité et de rondeur, justifiant bien la dimension noble de ce grand vin. Ce Pétrus là avait tout pour lui : la complexité de Pétrus, la marque d’une construction rigoureuse, mais aussi une aimable simplicité comme s’il voulait qu’on le comprenne. A noter – et c’est là toute la magie de la cuisine – qu’un convive qui s’extasiait sur l’accord Pétrus / rouget a voulu essayer le Châteauneuf et le rouget. Et, bien sûr, ça ne marche pas.
C’est au moment où le Gruaud Larose 1928 apparaît que mon discours introductif prend tout son sens. Les conversations s’arrêtent, le silence s’étend, et je sens que les cerveaux bouillonnent de cette pensée : « ce n’est pas possible, comment un vin de 50 ans de plus que le Pétrus peut-il être aussi jeune, aussi rond, aussi agréable, sans la moindre trace d’âge? ». C’est tout le mystère du vieillissement du vin, et toute la magie de l’année 1928. L’agneau de lait et l’harissa n’apportaient rien de plus, alors que nous allions connaître un de ces moments de pure gastronomie qui enchante au delà de toute idée : le ris de veau avec le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 formaient une communion d’une richesse unique. Ces seules cinq minutes justifiaient tout le repas et la démarche de mes dîners. Extase gustative rare. Le Grands Echézeaux Joseph Drouhin 1959 était tout aussi brillant, quoique différent, mais la vraie émotion était avec le Richebourg. Il avait un petit coté déstructuré, animal guerrier, agressif que la crème et la truffe ramenaient au bercail. Alors que le Grands Echézeaux, superbe vin, tout en rondeur affirmée était trop sage pour que la truffe l’embellisse. Deux grands Bourgognes, mais un Richebourg qui trouvait un multiplicateur dans ce plat créé par un grand chef.
Le Vin de paille Marcel Poux 1949 est une extrême rareté gustative. J’avais souhaité quelque chose de plus que le Cantal sur ce vin sublime. Il faut reconnaître que l’accord du vin de paille avec un délicieux Cantal bien adouci par l’âge était prodigieux. D’autant que le nez du vin s’était fort curieusement radouci. Il n’y avait plus le choc que je redoutais. Les figues sèches ont permis de goûter des accords triangulaires : Cantal / figue / vin de paille pris deux à deux. Et chaque duo évoque de belles saveurs. On passe de l’un à l’autre comme dans un vaudeville.
Le dessert est une merveille. Le soufflé au nougat accompagne parfaitement le Lafaurie Peyraguey 1971. Les deux s’amusent comme larrons. Mais cette jovialité a nui à ce qui devait être un instant fort de la soirée : le Château Filhot 1919 est si beau mais si discret, en retenue, que le jeune enthousiasme du Lafaurie lui a porté ombrage. Il eût fallu ne pas les boire ensemble. Les séparer d’un plat. On devinait quand même la belle noblesse de ce beau Sauternes plutôt sec et aérien.
Les votes furent très divers, et presque tous les vins ont été cités dans les quartés. Grande unanimité sur le Richebourg, le Pétrus et le vin de paille. Mon vote fut en 1 le vin de paille, en 2 le Gruaud Larose, en 3 le Richebourg, et en 4 le Grands Echézeaux que je fus le seul à nommer. Les accords les plus brillants furent d’abord et de loin le ris de veau et le Richebourg, puis le rouget et le Pétrus, la morille et le Moët, avec une mention pour le soufflé et le Lafaurie et le Cantal et vin de paille.
Des convives se sont émerveillés que l’on puisse atteindre un tel niveau de sophistication dans la recherche du goût absolu.

Déjeuner au restaurant Tan Dinh mardi, 11 mars 2003

On a parfois des instants de grand bonheur. Il existe dans le monde deux personnes qui ont bu plus de vins anciens que tous les autres amateurs. Michael Broadbent, dont le métier est de goûter les vieux vins pour Christie’s et avec qui j’ai partagé quelques rares bouteilles, et Bipin Desai qui est un amateur collectionneur. Bipin a sans doute bu cent fois plus de vins anciens que moi (j’exagère). Il est donc, en plus d’un agréable ami californien, une sorte d’idole pour moi. Déjeuner en tête à tête avec lui, c’est un cadeau du ciel. Nous le fîmes au restaurant Tan Dinh, chez Robert Vifian cet esthète si érudit dans tous les domaines du vin. Cuisine résolument asiatique, avec des épices déroutantes pour les vins, mais qui les rejoignent bien quand on s’habitue. Un Chablis Delaroche Réserve De l’Obédience 2000 très peu Chablis, mais très intéressant par un fruité bien maîtrisé et une belle longueur. Musigny Grand Cru Domaine Moine-Hudelot 1978, très beau Musigny. Servi un peu frais il est tout en plaisir de légèreté, puis quand il se réchauffe il montre un travail bien fait, en finesse plus qu’en force. J’avais apporté pour Bipin un Vin Jaune Fruitière De Pupillin 1947, issu de mes achats récents dans le Jura. On ne se lasse pas de ces vins solides qui sont la base de merveilleux accords. Un envoûtement de plus avec ces complexes Jura. Plaisir partagé avec Bipin : j’étais l’élève à la table du maître. Bipin allait à un dîner de cent ans de Romanée Conti, dont Romanée Conti 1915 ! Je me serais volontiers caché sous sa veste, en espérant que des gouttes s’égarent.