Dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 27 novembre 2003

C’est un plaisir que d’organiser un dîner au Carré des Feuillants car Alain Dutournier est un grand chef en permanente recherche de goûts nouveaux mais aussi parce que c’est un amoureux respectueux des vins. La salle redécorée est résolument moderne, avec des lithographies et tableaux qui parlent à mon goût, car Alechinski a longtemps peuplé mon bureau et ses couleurs s’inscrivent dans une démarche esthétique très actuelle.

J’ouvre les vins avec Christophe, complice d’aventures précédentes. Le nez du Margaux est grand, celui du Traminer étonnamment plaisant de richesse contenue, et nous nous disions que des amateurs peu attentifs élimineraient le Muscadet et le Charmes Chambertin, tant la pestilence initiale évoque les destins brisés. Lorsque j’ai relaté cela pendant le dîner, des convives ne comprenaient pas que l’on eut pu envisager d’éliminer de si beaux vins. Que de fois cependant des trésors de nos terroirs auront été sacrifiés à cause de cette première odeur nauséabonde qui disparaît quand on donne du temps au temps. L’ouverture de tous les vins me rassure. C’est surtout pour le Muscadet que j’avais des craintes, vite levées. Le Suduiraut 1928 est tellement transcendantal que même en l’ayant déjà maintes fois ouvert je ne peux que m’extasier de son invraisemblable perfection.

Alain Dutournier a conçu un menu fort intelligent qui s’est mis « au service » des vins, c’est à dire que chaque création est adaptée au vin qui doit créer une magie fusionnelle, pour parler comme les documents de stratégie pédagogique de l’Education Nationale. Le menu : L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines, capuccino de châtaignes et faisane à la truffe blanche d’Alba, la langoustine pimentée et rôtie, nougatine d’ail doux, réduction de muscat au piment d’Espelette et cébettes, pavé de turbot sauvage « vapeur » caviar et raifort, gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes, quartier d’agneau de lait des Pyrénées, cresson meunière, palets de céleri au jus, fourme crémeuse et coings confits, biscuit chaud fourré de mandarines en marmelade, pané au poivre de Sechuan, gelée, jus et sorbet.

Le Champagne Krug 1982 en magnum est déjà un régal pour les yeux, car cette bouteille de forme unique est d’une rare beauté. Quel champagne ! La couleur est extrêmement jeune, la bulle est racée, et en bouche, un vineux affirmé d’une délicatesse et d’un raffinement extrême. C’est un champagne de pleine maturité, à l’élégance exquise. Ce qui fut amusant, c’est de constater combien le champagne a changé sur les différents goûts qui l’ont accompagné. Seul, il est vineux et légèrement fumé au goût. Sur l’huître le vineux disparaît et la bulle domine. Sur les algues, on a l’équilibre d’un champagne délicat, où l’empreinte Krug est moins marquée, et sur une belle crème typée, le champagne reprend son vineux. Ce Krug explique à lui tout seul le sens de la démarche de nos dîners : un vin – ou un champagne – changera de registre, de magnitude,si l’accord avec le plat se réalise. Sur la truffe blanche d’Alba, ce Krug est un bonheur.

Le Traminer Trimbach 1962 est une des plus belles surprises de la soirée. Légèrement doux, il a des accents fugitifs de vendange tardive. Lançant de ci de là des évocations de pétrole comme ses cousins Riesling, il frappe par l’effet bénéfique de l’âge qui lui a permis d’atteindre des équilibres et des séductions que la jeunesse ne donnerait jamais. J’avais en bouche des saveurs de litchi. Avec la farce de la langoustine ce vin chante, mais il fait un duo avec l’une des énigmes de la soirée, le Muscadet Lagrive 1960. Je tenais beaucoup à offrir à Alain Dutournier l’occasion d’exprimer son talent sur des vins inhabituels. Ce Muscadet, largement hors des limites habituelles de consommation, et qui aurait été condamné à l’évier par son odeur d’ouverture s’est révélé un blanc sec très intéressant, de structure très simplifiée, mais formant avec le petit gâteau d’ail un accord au moins aussi passionnant que celui formé par le Traminer avec la langoustine. C’est excitant de réveiller de tels vins et de voir ce qu’ils peuvent atteindre avec l’âge.

Sur le délicat turbot le Chablis Premier Cru Butteaux François Raveneau 1997 ramène les convives dans des saveurs connues. Celui-ci est bien « nature », facile à vivre. Je lui ai trouvé des arômes de pain d’épices. Là aussi on pouvait vérifier comme le vin change selon les composantes du plat.

Le Château Margaux 1986 est une bombe. Quelle puissance ! Un vin de couleur dense opaque tant les tannins sont concentrés. Un nez qui dès l’ouverture avait une insolente présence comme une tirade de Cyrano de Bergerac, et en bouche une affirmation merveilleuse, faite surtout de puissance mais aussi de densité. Si sa trame était celle d’une cotte de maille, elle rendrait invulnérable. A coté la Romanée de Bouchard 1986 à la couleur délicieusement rose rouge faisait gaminet. Mais le gamin avait de la ressource car son odeur était l’exacte reproduction du plat de topinambour. Il chantait sur chaque composante du plat. On avait donc le seigneur Margaux d’une insolente jeunesse qui bousculait tout sur son passage et la Romanée qui collait au plat pour briller avec lui. Patinage artistique en solo pour le Margaux et patinage en couple pour la Romanée et le plat. Grâce à cette confrontation d’un soir, chacun des deux vins, si différents, nous a fait rêver. Notons que le plat était diablement savoureux.

Sur l’agneau, autre association osée : le Fleurie Bichot 1945 côtoyait un Charmes Chambertin Grivelet 1934. Ma voisine était en extase devant le Fleurie, s’émerveillant à chaque seconde que ce vin puisse être aussi brillant. Il est vrai que son état était particulièrement exemplaire. Nous nous disions, avec quelques convives, qu’à l’aveugle, nous aurions dit un grand Bourgogne de 1978. Ce qui prouve que ce vin mérite d’être encore servi dans de grands dîners. Le Charmes était encore plus brillant, l’ascétisme du Fleurie contrastant avec la généreuse rondeur d’un Charmes séducteur. Accompli comme tous les vins de cet âge, il savait recréer ce que la Bourgogne a de bon dans ces années là. Il était assez difficile de départager ces vins différents qui accompagnaient l’un et l’autre parfaitement l’agneau. On aura évidemment compris que j’ai mis ce Fleurie 1945 dans ce dîner là parce qu’il se situait juste une semaine après la date officielle du beaujolais nouveau.

Sur la fourme retravaillée par Alain Dutournier, le Château d’Yquem 1990 est à son aise. Mais c’est sur le coing confit qu’il atteint des sommets gustatifs. Immense Yquem qui promet beaucoup. Chacun se délectait de ce grand Sauternes et aussi des accords d’une subtilité rare, mais nul ne s’imaginait qu’on puisse aller tellement plus haut avec le vin suivant. Le Château Suduiraut 1928 est une vraie légende. Il a un nez à nul autre pareil. Comme lorsque nous l’avions bu chez Guy Savoy, on pouvait se contenter de le sentir. Une des convives attendit même près d’un quart d’heure avant d’y porter les lèvres, tant elle voulait profiter de la pureté de cette odeur. Entendons nous bien, Yquem au même âge que le Suduiraut va montrer sa classe naturelle et son niveau. Mais le jeune talentueux ne peut pas rivaliser aujourd’hui avec le maître. Dans les odeurs, ce Suduiraut donne un spectre quasi infini d’agrumes, de fruits jaunes et roses, et d’épices luxuriantes. En bouche, c’est l’explosion de bonheur dans les mêmes tonalités. Fortement alcoolique, cela le rend charmeur comme un grand cognac. Le dessert avait l’exacte proportion pour que le mariage comble d’aise. On comprenait – si ce n’était déjà largement fait – combien les plats ont de l’importance pour propulser le plaisir d’un vin dans d’autres dimensions. Le Suduiraut se suffisait à lui-même, tant il est complet. Mais avec la mandarine confite, il gagnait encore en attrait. Ce fut certainement le plus bel accord.

Grand plaisir personnel au moment où toute la table fait le classement de vins disparates, car dans les quartés que chacun fit, chacun de mes vins fut cité au moins une fois. Les préférences furent : 1 – Suduiraut, 2 – Charmes Chambertin ex-aequo avec Margaux 86, et 4 – le Traminer. Mon vote personnel fut : 1 – Suduiraut 1928, 2 Charmes-Chambertin 1934 , 3 – Traminer 1962, 4 – Fleurie 1945.

Alain Dutournier qui avait senti et goûté certains vins nous a fait le plaisir de nous rejoindre pour bavarder avec nous en fin de repas sur l’intérêt de ces vins anciens, qui permettent une créativité culinaire motivante. Nous l’avons complimenté sur l’extrême sensibilité de ses choix. Il aura permis à des vins de briller encore plus pour un repas qui marquera chacun des convives.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant « Le Carré des Feuillants » jeudi, 27 novembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Le Carré des Feuillants » le 27 novembre 2003
Bulletin 98

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Krug 1982 en magnum
Traminer Trimbach 1962
Muscadet Lagrive 1960
Chablis Premier Cru Butteaux François Raveneau 1997
Château Margaux 1986
La Romanée Bouchard 1986
Fleurie Richot 1945
Charmes Chambertin Grivelet 1934
Château d’Yquem 1990
Château Suduiraut 1928

Le menu mis au point par Alain Dutournier :
L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines,
Capuccino de châtaignes et faisane à la truffe blanche d’Alba,
La langoustine pimentée et rôtie, nougatine d’ail doux, réduction de muscat au piment d’Espelette et cébettes,
Pavé de turbot sauvage « vapeur » caviar et raifort,
Gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes,
Quartier d’agneau de lait des Pyrénées, cresson meunière, palets de céleri au jus,
Fourme crémeuse et coings confits,
Biscuit chaud fourré de mandarines en marmelade, pané au poivre de Sechuan, gelée, jus et sorbet.

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mercredi, 12 novembre 2003

Dîner dans la belle salle du Bristol pour un dîner de wine-dinners. Compte tenu des âges des bouteilles je ne me fais pas de souci à l’ouverture. Tous les niveaux sont parfaits. Le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti a un magnifique bouchon d’une belle texture. Il a immédiatement une belle odeur, comme ce Passion Haut-Brion. Le Cérons évoque de prometteuses saveurs.

Le bouchon du Mission adhérait mal au goulot. Eric Fréchon arrive au bon moment, quand j’ouvre la Malvoisie des Canaries 1828. Nous dérobons chacun une goutte de ce nectar et sommes saisis par la complexité extrême de cet élixir à la densité infinie. Pendant plus de deux heures j’avais encore la bouche prise de cette invraisemblable complexité.

Voici l’intelligent menu qu’Eric Fréchon et Jérôme talentueux jeune sommelier ont créé : Feuilletés d’apéritif, Tête de cochon persillée et relevée au raifort, girolles au vinaigre, toast de campagne, Araignée de mer, jus de carcasse pressée, chair et corail à la coriandre, cébette et gingembre, Lobe de foie gras de canard rôti en feuilles de figuier au miel et citron, Jeune palombe rôtie à la broche, tartine d’abats au foie gras, sauté de girolles, Lièvre de Beauce, l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert, pennes cuits au bouillonde truffe noire, Sabayon au chocolat noir Trinitarios, caramel mou effleuré d’épices, glace à l’infusion de vanille Bourbon, Friandises et chocolat.

Nous démarrons sur Bollinger grande année 1989. Belle bulle fine sur une couleur dorée. Il a déjà commencé à prendre un léger goût de fumé, signe de maturité. Il est opulent, assis, rassurant. Il fait plus vieux que son âge. Paradoxalement le Krug 1988 parait léger à coté de lui. Ciselé, on dirait un cristal de roche. Quelle joie de l’exciter par une tête de porc. Courageux mariage. Le Cérons, château du Mayne, sec que je date autour de 1960 a un nez de Sauternes ancien, avec cette délicatesse qui mêle le citron et le fruit confit. En bouche, il se retrouve Graves sec, et l’araignée simplifie son message d’un équilibre épuré rare. Voilà un vin à qui l’âge a apporté la noblesse qu’il n’avait pas. Il était Porthos. Il est devenu d’Artagnan.

Le Tokay Pinot Gris Hugel Vendanges Tardives 1985 se présente dans des conditions idéales. Il est déjà très doué naturellement, offrant des saveurs passionnantes. Mais il fait voyage avec un foie gras qui est sans doute le meilleur que j’aie jamais mangé. Alors, ce Pinot exulte, et nous fait un numéro de charme exquis. Bel Alsace qui a été mis en valeur en pleine justesse à ce moment du repas.

J’avais voulu m’amuser à mettre ensemble trois rouges de la même décennie qui ont la même racine de patronyme. Le Passion Haut-Brion 1976 a le meilleur nez des trois et de loin. En bouche, il étonne par sa réussite. Beaucoup de convives le placeront au dessus de ses deux voisins, pourtant plus gradés que lui. Le Mission Haut Brion 1971 a un premier nez fatigué. On sent une blessure dont le comportement du bouchon avait été l’indice. Mais la chair de la palombe si bien présentée a réveillé en lui ses pulsions animales. Il a fort bien épousé la palombe. Le Haut-Brion 1970 se demandait ce qu’il faisait à coté de ces deux là, le Passion qui brillait plus qu’il n’aurait dû, et le Mission qui jouait du muscle, comme un brigand de faubourg. Ayant choisi d’offrir un nez discret, il s’affirmait en bouche par une distinction de gentleman anglais. Le Passion était Alain Delon, le Mission était Arnold Schwarzenegger et le Haut Brion Sean Connery. J’ai aimé ce Haut-Brion quand d’autres préféraient Passion. Caprices de goût.

Le silence s’est fait lorsque fut dégusté sur un lièvre viril et distingué le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1981. La couleur est claire et un peu grisâtre, le nez s’habille de celui du lièvre et en bouche, l’animalité du lapin se confond avec lui. Si je devais faire une image – il m’arrive d’en faire – je dirais que ce Richebourg, ce sont les plombs qui ont terrassé l’animal. Il y a une telle fusion sensorielle que le Richebourg a acquis sur le lapin un pouvoir de vie et de mort comme les plombs du chasseur. Ce Richebourg sensuel, qui n’existe que parce que le lièvre existe fut un plaisir largement sanctionné dans les notes.

Ce qui est à signaler, c’est que l’épice qui supportait ce plat arrangeait bien le Richebourg. Mais elle convenait aussi aux trois Bordeaux : le Haut-Brion confirmait la finesse de son architecture gothique, le Mission reprenait vie et retrouvait ses couleurs, et le Passion maintenait sa performance. Cette première partie de repas, avec des vins très jeunes laissait déjà pantois tant Eric Fréchon avait créé une justesse de mariages inégalable.

Arrivaient maintenant les « vrais » vins que l’âge habille.

Le Banyuls Grand Cru Sivir (groupement de propriétaires) 1929 montre tout ce que l’ancienneté apporte au Banyuls. Tout est arrondi, calibré, pour ne retenir que le vrai message de ce vin chaleureux. C’est un brasero du coeur. J’ai toujours un peu peur quand des desserts trop imaginatifs vont dans l’excès quand mes vins de dessert très anciens attendraient des esquisses. Là, l’accord fut parfait car Eric Fréchon a su suggérer sans tomber dans la lourdeur des desserts trop typés qui se veulent talentueux. Merveilleux Banyuls.

Il fallait remonter la pendule d’un siècle pour l’élixir qui suivait. Aucun goût connu ne peut approcher la complexité sensorielle de ce vin insoupçonnable : Malvoisie des Canaries 1828. Il y a du caramel, du café, du fruit confit, de la citronnelle, de l’épice, de la vanille et du cuir qui se mettent à danser comme en un manège, chacun n’apparaissant que lorsqu’il a envie. Complexité, longueur, un moment d’énigme historique qui jalonne une vie.

Je suis assez fier, car dans les quartés des dix convives, chacun des vins a été cité au moins une fois. Le plus acclamé fut le Richebourg, cité sept fois dont six fois premier, puis la Malvoisie cité neuf fois dans le quarté, puis quasi ex aequo, le Tokay, le Passion et le Cérons Château du Mayne cités quatre ou cinq fois.

Mon choix personnel, combien difficile cette fois fut Canaries, Richebourg, Château du Mayne et Haut-Brion. J’aurais autant de mal à choisir le meilleur accord tant tous furent d’une rare perfection. Le meilleur plat fut le foie gras qui est un plat de légende. Le meilleur accord est sans doute celui du lièvre et du Richebourg. Mais l’araignée et le Cérons mérite aussi une mention. En fait, chaque accord m’a plu, car il permettait à chaque vin de se transcender. Le Cérons, s’il s’était comparé aux grands Bordeaux secs, eut fait modeste figure. Là, en situation, avec une araignée intelligente, il devint un seigneur.

C’est le secret d’une gastronomie de coeur au service du vin.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mercredi, 12 novembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol le 12 novembre 2003
Bulletin 96 – livre page 133

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Bollinger Grande Année 1989
Champagne Krug 1988
Château du Mayne Graves Supérieures sec à Cérons vers 1960
Tokay Pinot Gris Hugel Vendange Tardive 1985
Domaine la Passion Haut-Brion Graves, Allary propriétaire 1976
La Mission Haut-Brion 1971
Château Haut-Brion 1970
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1981
Banyuls Grand Cru Sivir (groupement de propriétaires à Banyuls) 1929
Malvoisie des Canaries vers 1828

Le menu mis au point par Eric Fréchon :
Feuilletés d’apéritif
Tête de cochon persillée et relevée au raifort, girolles au vinaigre, toast de campagne
Araignée de mer, jus de carcasse pressée, chair et corail à la coriandre, cébette et gingembre
Lobe de foie gras de canard rôti en feuilles de figuier au miel et citron
Jeune palombe rôtie à la broche, tartine d’abats au foie gras, sauté de girolles
Lièvre de Beauce, l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert, pennes cuits au bouillon de truffe noire
Sabayon au chocolat noir Trinitarios, caramel mou effleuré d’épices, glace à l’infusion de vanille Bourbon
Friandises et chocolat

Déjeuner à Hiramatsu jeudi, 6 novembre 2003

Un beau jour ensoleillé de novembre, je retrouve un ami à Hiramatsu où l’on change le menu d’automne. Sur la très originale carte des vins, ou dans les tiroirs cachés de Stéphane, très intelligent sommelier, nous prélevons deux petites merveilles.

Le Riesling Clos Sainte Hune de F. E. Trimbach 1976 est un Riesling invraisemblable. Il a bien sûr le nez Riesling, avec cette discrète évocation de pétrole. Mais en bouche, c’est un lingot du même or que sa robe flamboyante. Le vin est lourd, onctueux. Il a des saveurs fumées, langoureuses mais aussi énigmatiques comme un vin du Jura. D’une immense qualité et d’un plaisir rare. Sur des écrevisses, mais surtout sur des raviolis de cèpes, l’accord est brillant. C’est un Riesling de perfection.

Le Chambertin Grand Cru Armand Rousseau 1996 est un délicieux Chambertin qui va s’affirmer tout au long du repas. Il a une couleur claire, presque rose au début, puis s’assombrissant quand on aborde la deuxième partie de la bouteille. Il offre un délicat fumé, une petite amertume de jeunesse qui dénote une belle personnalité. Un très beau Chambertin d’une immense race, qui sera encore meilleur dans 20 ans mais se boit bien dès maintenant. Il a atteint des grandeurs extrêmes avec un lièvre traité presque comme à la royale de façon fort originale et mettant en valeur le coté gibier puis ensuite sur une fondante joue de bœuf avec des petits légumes troublants de douceur. Une cuisine d’une qualité de très haut niveau et d’une imagination fantastique.

Au cours de discussions passionnantes, cet ami féru d’œnologie me fit remarquer que je m’enthousiasme aussi bien pour des vins de légende que pour des vins qui – pour lui – semblent ne pas présenter un intérêt évident. Cela m’a donné l’occasion de lui préciser la voie que je suis. Je m’intéresse bien sûr aux légendes du vin comme Mouton Rothschild 1870, Romanée Conti 1945, Cheval Blanc 1947, Pétrus 1961. Mais on ne peut pas en faire son ordinaire, et les caves qui se dispersent recèlent beaucoup plus de vins de toutes origines que de vins de collection. Et j’ai un infini plaisir quand un vin blanc de table de Corse, La Sposata 1946 brilla comme un Montrachet. Quand un Bourgogne générique de Théophile Gavin 1928 s’affirme comme un grand vin, ou quand Poujeaux 1928 est une des plus belles réussites de 1928. Cela m’excite autant que de vérifier que Cheval Blanc 1947 est grand. Et, soyons honnête, sur tous les Cheval Blanc 1947 que j’ai bus, il y a eu une fois où, mis en comparaison avec tous les grands 1947, il a clairement démontré qu’il était le plus grand. Mais d’autres fois, disons-le, je connais bien des vins qui l’auraient égalé en émotion. Je ne peux évidemment pas ignorer certaines hiérarchies, mais j’ai la chance de pouvoir m’en affranchir, et trouver qu’un Cheval Blanc 1941 est grandiose, qu’un Haut-Brion 1926 est plus grand que ses frères de plus grandes années, qu’un Pommard banal de 1923 peut surpasser un Pommard de 1926 mieux né. L’important est que lors d’un repas, un vin entre en scène avec le plat qui convient, et s’exprime comme il n’a jamais pu le faire auparavant. C’est cela qui est intéressant. J’ai présenté à mes dîners des étiquettes grandioses. Mais je suis aussi fier qu’un vin apparemment petit se mette à atteindre des sommets que personne n’imaginerait. Les guides donnent des hiérarchies. J’essaie de donner du plaisir, par la maîtrise de la mise en situation, avec les grands et les petits vins.

Déjeuner dans un restaurant de quartier mardi, 28 octobre 2003

Ayant fait un pari sur un vin avec un expert en vins et l’ayant gagné, je me retrouve dans un petit bistrot de quartier à l’accueil chaleureux et à l’atmosphère qui m’enchante. Sauf à me brûler la plante des pieds au chalumeau je ne dirai pas son nom, car un endroit où l’on peut boire, de la carte, sans trop se ruiner, Meursault Clos de la Barre Comtes Lafon 1998 et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1998 est un petit trésor que j’aimerais garder confidentiel (naïf que je suis). Un restaurateur de quartier qui recevait, le jour où nous déjeunions, sa caisse assortie de la Romanée Conti 2000 ne peut être qu’un original à suivre.

La cuisine est simple mais honnête et de bon goût. Par rapport aux grandes adresses, c’est un dépaysement plaisant. Le Meursault est assez léger et s’affirme progressivement sur des langoustines. Il atteint une belle sérénité, avec ce qu’il faut de goûteux sur le beau plateau de fromages qu’on vous laisse sur table, sur le même support qu’un plateau d’huîtres. Se servir soi-même repose des découpages étiques et solennels de certaines maisons. La Tâche ! Quel beau nez séducteur de fruits noirs. Ce vin est encore dans la jeunesse la plus pure. Ouvert au dernier moment il va nous faire le numéro de l’effeuilleuse qui se découvre lentement. Quel talent. Un vin de plaisir à cet âge, où tout le fruit éclate d’un rire généreux. On est dans la gentillesse quasi naïve tant elle est simple, ce vin ne cherchant pas à compliquer le message, se contentant, par sa longueur extrême, de montrer où il est né. Il y a du Malaussène qui vient à l’esprit dans ce bonheur de quartier.

Dîner de wine-dinners au restaurant « Laurent » jeudi, 23 octobre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Laurent » le 23 octobre 2003
Bulletin 93

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Montebello « cordon noir » demi-sec, vers 1960
Champagne Dom Ruinart 1990
Bâtard Montrachet veuve Henri Moroni 1991
Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992
Château Mouton Rothschild 1978
Château Haut-Brion 1964
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1972
Nuits Saint Georges « Cailles » Domaine Morin 1961
Château de Beaucastel Chateauneuf du Pape 1986
Jurançon Château Jolys « Cuvée Jean » 1989
Château La Tour Blanche 1926
Muscat des Canaries 1828

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret
et le chef du restaurant Laurent :
Flan d’oursin dans un Capuccino
Saint-Jacques en nage forestière
Noix de ris de veau rissolée en croustille d’amandes
Pigeon à la rôtissoire, coings et petits oignons verjutés
Lièvre à la Royale, pâtes fraîches
Roquefort Carles
Craquelin aux poires ambrées, sorbet à la réglisse
Café mignardises et chocolats

Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 23 octobre 2003

Ayant encore en tête l’émerveillement de l’aventure au château de Beaune, je vais au restaurant Laurent pour ouvrir les bouteilles d’un dîner de wine-dinners. Ces bouteilles s’étaient reposées pendant une semaine. Ghislain, discret et compétent sommelier ouvre avec moi des flacons de bons niveaux et sans problème. La Tour Blanche 1926 délivre un parfum enivrant comme seuls les grands Sauternes savent le faire. Le muscat des Canaries de 1828 a des odeurs de parfum capiteux. Mes mains ont touché quelques gouttes de ce liquide dense comme du plomb fondu et sont imprégnées d’une odeur qui ne s’efface pas. Il y a des épices dans ce parfum là.

Les convives sont d’une ponctualité parfaite. Pour dix personnes, je prévois habituellement dix vins. Là il y en a douze. Le premier champagne a été ajouté, car je n’ai aucune idée de ce qu’il offrira. Je le considère donc comme hors programme. Et le vin des Canaries est le cadeau que je veux offrir à des convives qui méritent que j’encourage et récompense leur passion.

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon, mon compagnon de la veille à Beaune, avec son chef de cuisine Alain Pégouret est le suivant : flan d’oursin dans un Capuccino, Saint-Jacques en nage forestière, noix de ris de veau rissolée en croustille d’amandes, pigeon à la rôtissoire, coings et petits oignons verjutés, lièvre à la Royale, pâtes fraîches, Roquefort Carles, craquelin aux poires ambrées, sorbet à la réglisse, café, mignardises et chocolats. Choix classique, mais combien pertinent.

Le Champagne Montebello Cordon noir demi-sec Château de Mareuil (Ay) que j’ai annoncé vers 1960 est peut-être plus vieux tant les feuilles dorées et argentées du col sont devenues craquantes. Le bouchon est tout rabougri. Il ne s’agit plus de champagne, mais d’un vin, hésitant entre l’ambre et le doré, hésitant à se parer encore de quelques bulles, hésitant entre le madère et le vin. Ce vin, puisqu’on ne peut vraiment plus parler de champagne me donne l’occasion de présenter le fil conducteur de wine-dinners, qui est de rassembler lors d’un dîner des vins rares, des vins prestigieux, mais aussi des vins modestes épargnés par hasard, afin que les amateurs prennent conscience de ce que fut l’histoire du vin. Dans cet esprit, il ne s’agit pas de juger les vins mais de les comprendre puisqu’on effectue un voyage. Cet apéritif intéressant, d’une belle densité, avec une trace en bouche plaisante, illustrait bien mon propos.

Nous passons à table et le Champagne Dom Ruinart 1990 se présente sous son meilleur jour. Couleur jaune pâle, bulle intense. Ce vrai champagne très orthodoxe est complètement transformé par l’oursin délicieux. Le capuccino déshabille le champagne dont on ne conserve que la trame, comme le script d’un spectacle qui résume toute l’histoire. C’est bien, car l’accord offert est un des plus beaux de cette soirée.

Il est très rare que je choisisse des vins qui pourraient être en compétition, car ce n’est pas du tout l’objet des dîners de wine-dinners. Je m’attendais à ce que l’écart de classe et de valeur d’année entre les deux Bâtard ne crée pas de combat. Mais curieusement c’est le Bâtard Montrachet Veuve Henri Moroni 1991 qui offre de loin la meilleure association avec les coquilles Saint-Jacques, avec une exactitude d’une émotion rare. On a l’impression que le vin et le plat sont faits l’un de l’autre, ce qui émoustille le goût. Bien sûr, la structure du Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992 est plus belle. Le nez est plus racé. Mais force est de constater que le 1991 était plus harmonieux sur le plat. Il évolua vers des senteurs de pain d’épices quand le 1992 avait une belle complexité bourguignonne assez austère.

Les deux Bordeaux se présentèrent ensemble sur un ris de veau. Le Château Mouton-Rothschild 1978 étale un charme insolent quand le Château Haut-Brion 1964 est d’une structure carrée d’une solidité rare. Opposition de style au plus haut niveau. Ces deux vins donnent l’occasion de voir à quels points les goûts sont personnels, tant les préférences différent. J’étais du camp du charme casanovesque du Mouton quand d’autres penchaient vers la solidité rassurante du Haut-Brion. A noter que comme le Meursault Charmes 1846 bu la veille, le Haut-Brion ne cessait de s’améliorer dans le verre, la puissance donnant de plus en plus de générosité et de classe. Deux Bordeaux d’un magnifique niveau.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1972 offre un nez qui m’a profondément impressionné: il est plus complexe, plus brillant que ce que j’ai bu au Domaine de la Romanée Conti deux jours auparavant, si l’on excepte le Grands Echézeaux 1948 qui est d’une autre catégorie. Le vin est ici pleinement épanoui, et je trouve des complexités qui me rappellent le si brillant Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard 1947, chef d’oeuvre de complication. Le Richebourg superbe, je dirais même grandiose, nous entraîne dans des raffinements envoûtants. Il y a de l’énigme à chaque gorgée. Mais le Nuits Cailles Morin Domaine Morin Père & Fils 1961 tient bien sa place dans un registre différent. Plus rond, plus chatoyant, plus délicatement séducteur, il charme de façon redoutablement efficace. Le pigeon est évidemment le meilleur passeport pour les deux Bourgognes, aussi différents l’un de l’autre que le furent les Bordeaux.

Puis arrive Domaine Beaucastel Chateauneuf du Pape 1986. On a l’impression qu’on a tout vu, tant les quatre rouges avaient représenté une palette étendue de vins brillants, et voilà que survient, sans se presser, le caïd, le séducteur sûr de son charme, le Belmondo du vin, qui sait qu’il lui suffit de paraître pour séduire. C’est magnifiquement beau sous le message le plus simple, comme le trait d’un dessin de Picasso, qui n’a pas besoin de fioritures pour exprimer de l’art pur. Pour le producteur de cognac qui était un des convives de la table, une surprise totale tant les repères manquent. Evidemment, le lièvre à la royale chante avec Beaucastel qui a besoin d’un plat vigoureux pour montrer tout son charme. Mais j’ai quand même essayé le Richebourg sur le lièvre. Il lui a ajouté une touche de grande élégance.

Sur le roquefort, le Jurançon Château Jolys Cuvée Jean 1989 Petit Manseng m’a étonné, car je l’ai trouvé moins fringant que lors de précédentes expériences. Plus roturier que les autres vins, j’ai voulu lui trouver des charmes morganatiques, mais cela devenait de l’auto persuasion. Malgré la pertinence de l’accord on s’ennuie un peu, aussi me suis-je amusé à essayer le roquefort Carles dans sa partie la plus blanche avec le Bâtard 1992. Et c’est un essai fort excitant qui m’a bien chatouillé les papilles.

Sur le dessert, mais aussi avant qu’on le serve, le Château La Tour Blanche Sauternes 1926 offre une odeur dont on ne se lasserait jamais. Evocations d’agrumes et de fruits jaunes en marmelade, mais surtout Sauternes délicieusement typé. Un grand Sauternes que j’ai trouvé plutôt plus riche que d’habitude. Nettement plus vivant et délicieusement séduisant que le Filhot 1858 que j’avais quand même largement plus aimé que mes compagnons de table. Ce Sauternes me plait à un point que l’on peut à peine soupçonner. Je le contemplerais volontiers pendant des heures, m’enivrant de ses odeurs, et me nourrissant au goutte à goutte de son invraisemblable miel.

Vint alors le muscat des Canaries de 1828 que nous avions décidé de boire sans dessert, même si la forte glace à la vanille lui eut convenu. L’odeur qui était explosive à l’ouverture s’était faite discrète mais se réveilla vite. Des images de café torréfié, de réglisse surgissaient en le sentant. Philippe Bourguignon parla même de zan, ce qui est la signature des Chypre 1845. Ce muscat a une forte densité, une persistance aromatique éternelle. Il plombe la bouche comme le ferait un parfum. On imagine en le buvant ce que pouvait être le monde il y a 175 ans, quand Jules Verne naissait, lui qui décrirait des îles comme celle qui est à l’origine de ce vin.

Les classements des vins du dîner furent extrêmement variés. Neuf vins furent classés dans le quarté et six furent nommés en numéro 1, ce qui prouve l’étendue des vins qui furent aimés. Le consensus si l’on peut dire alla vers : La Tour Blanche 26, puis Richebourg 72, puis Nuits Cailles 61 et Mouton 78. Mon vote fut pour : La Tour Blanche 1926, Richebourg DRC 1972, Canaries 1828 et Nuits Cailles 1961.

Encore une fois une belle expérience. L’accord du capuccino d’oursin avec le Dom Ruinart fut splendide, comme la Saint-Jacques avec le Bâtard 1991. Le muscat de Canaries 1828 est un témoignage historique à la rémanence gustative infinie. Le service du restaurant Laurent fut exemplaire et Ghislain a fait un travail de sommellerie remarquable.

 

 

galerie 1976 lundi, 20 octobre 2003

Bouteille de Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1976 de la cave de Guy Savoy, bue à son restaurant, qui a démarré asse mollement est s’est animée sur un canard sauvage.

Dîner au château de Beaune mercredi, 15 octobre 2003

Après avoir gentiment devisé, nous passons à table. Il est en effet grand temps de boire enfin du vin ! Le menu composé par Jean Paul Thibert de Dijon comprend une crème de courge aux graines de sésame torréfiées, un Opéra de foie gras de canard et magret fumé, chutney de mangue au pain d’épices, un filet de sandre du Doubs aux champignons, crème de pain grillé, carré de veau de lait, pommes de terre farcies au ris de veau, fromages, gâteau de noix, crème à la vanille, compote de figue au vin rouge et truffes grises de Bourgogne. Sur cette fine cuisine dont Bernard Hervet, à ma gauche, n’arrêtait pas de me vanter les qualités, des vins d’une qualité inimaginable.

Meursault Perrières 1947. Un nez très subtil, une couleur d’un or profond. Le goût que me suggère mon voisin belge qui me dit n’avoir jamais bu de meilleur Meursault : un flan au lait. Sur le plat il se développe et devient brillant. C’est un immense Meursault.

Meursault Charmes 1846. Vin étonnant car on est subjugué par sa jeunesse. Belle couleur. Comment est-ce possible qu’il soit si bon ? Il a la typicité de Meursault qui n’est même pas estompée. Ce qui subjugue, c’est qu’il est le même, avec la même construction, que le 1947 de 101 ans son cadet. Irréel moment. Un vin grandiose, totalement vivant. C’est le plus vieux vin de la collection Bouchard. Plus le temps passe et plus ce vin se développe. Il s’améliore sans cesse pour devenir plus grand que tout. Bernard Hervet n’arrêtait pas d’en vanter la perfection, le chérissant comme si c’était son enfant.

Le Beaune Grèves Vigne de l’enfant Jésus 1947 a un nez très énigmatique de raisins confits. J’étais séparé par Bernard Hervet de Michel Bettane mais j’arrivais à entendre ses commentaires. Quel plaisir que d’écouter un homme d’une telle science. Il a vu bien avant moi ce que j’allais découvrir, il donne des perspectives historiques et des commentaires qui enrichissent la dégustation. Un vrai plaisir. Alors que j’avais déjà bu ce Beaune 1947, il fallait que je m’habitue de nouveau, là où d’autres experts étaient déjà de plain pied. Car en bouche, une structure d’une complexité invraisemblable. Une concentration rare. Un vin agressif qui ne fait pas l’ombre d’une concession. C’est du concentré de vin vinifié de façon parfaite. Une leçon d’histoire. Un vin déroutant comme je les aime. Quelle démonstration d’élégance.

Beaune Grèves Vigne de l’enfant Jésus 1865. C’est l’année légendaire de la Bourgogne. Le nez a la même trame que celui du 1947. En bouche, comment imaginer que ce soit si beau, si jeune, brillant, vivant. Il a la couleur d’un vin de 1970 et nous faisions la remarque à plusieurs, dont Michel Bettane, que nous nous tromperions à l’aveugle, sur plusieurs vins de ce soir de largement 100 ans ! Le 1947 est évidemment plus ingambe, mais quelle leçon de consistance d’un 1865 parfaitement fait. On ne peut pas imaginer à quel point ce vin est vivant et brillant. Je dirai à ce propos que lorsque Bernard Hervet me relatait ses dégustations de vins de cet âge, je mettais sur le compte de l’enthousiasme ses emphases sur la jeunesse de ces vins. Même si je le relate ici, vous pouvez vous aussi douter de ma sincérité quand je parle de leur jeunesse. C’est compréhensible, car l’étalage de cette jeunesse est irréel. Il faut noter bien sûr que ces vins sont surveillés, les bouchons sont changés quand il faut. On a l’idéal de la conservation.

Je me suis imposé de faire le classement final même si c’est difficile. Voici ce que la magie du moment m’a inspiré :1 – Meursault Charmes 1846,2 – Romanée Saint Vivant 1906, 3 – Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1865, 4 – Beaune Clos du Roi 1929, 5 – Corton Charlemagne 1952. La plus immense surprise au moment où il est apparu est celle du Beaune Clos du Roi 1929, car j’ai eu un grand choc de perfection.

Il faut évidemment remercier Bernard Hervet et son équipe d’avoir conçu un programme d’une intelligence et d’une opulence rares. Il faut remercier Joseph Henriot de son immense générosité, car il n’est pas obligé de disperser ainsi ses trésors. Mais il faut aussi avoir une pensée émue à la sagesse de la famille Bouchard d’avoir su constituer ce trésor, archive de la magie de cette immense Bourgogne.

J’ai appris que Joseph Henriot avait décidé de garder 100.000 bouteilles de 1999 année exceptionnelle pour continuer ces archives. Il faudra qu’il en garde encore, car 2003 promet de donner des merveilles.

Etre reçu à la Romanée Conti un jour et explorer le lendemain des légendes du vin du 19ème siècle. Saint Pierre a-t-il prévu d’offrir au Paradis des bonheurs plus forts que ceux-là ? ? ?