Un beau jour ensoleillé de novembre, je retrouve un ami à Hiramatsu où l’on change le menu d’automne. Sur la très originale carte des vins, ou dans les tiroirs cachés de Stéphane, très intelligent sommelier, nous prélevons deux petites merveilles.
Le Riesling Clos Sainte Hune de F. E. Trimbach 1976 est un Riesling invraisemblable. Il a bien sûr le nez Riesling, avec cette discrète évocation de pétrole. Mais en bouche, c’est un lingot du même or que sa robe flamboyante. Le vin est lourd, onctueux. Il a des saveurs fumées, langoureuses mais aussi énigmatiques comme un vin du Jura. D’une immense qualité et d’un plaisir rare. Sur des écrevisses, mais surtout sur des raviolis de cèpes, l’accord est brillant. C’est un Riesling de perfection.
Le Chambertin Grand Cru Armand Rousseau 1996 est un délicieux Chambertin qui va s’affirmer tout au long du repas. Il a une couleur claire, presque rose au début, puis s’assombrissant quand on aborde la deuxième partie de la bouteille. Il offre un délicat fumé, une petite amertume de jeunesse qui dénote une belle personnalité. Un très beau Chambertin d’une immense race, qui sera encore meilleur dans 20 ans mais se boit bien dès maintenant. Il a atteint des grandeurs extrêmes avec un lièvre traité presque comme à la royale de façon fort originale et mettant en valeur le coté gibier puis ensuite sur une fondante joue de bœuf avec des petits légumes troublants de douceur. Une cuisine d’une qualité de très haut niveau et d’une imagination fantastique.
Au cours de discussions passionnantes, cet ami féru d’œnologie me fit remarquer que je m’enthousiasme aussi bien pour des vins de légende que pour des vins qui – pour lui – semblent ne pas présenter un intérêt évident. Cela m’a donné l’occasion de lui préciser la voie que je suis. Je m’intéresse bien sûr aux légendes du vin comme Mouton Rothschild 1870, Romanée Conti 1945, Cheval Blanc 1947, Pétrus 1961. Mais on ne peut pas en faire son ordinaire, et les caves qui se dispersent recèlent beaucoup plus de vins de toutes origines que de vins de collection. Et j’ai un infini plaisir quand un vin blanc de table de Corse, La Sposata 1946 brilla comme un Montrachet. Quand un Bourgogne générique de Théophile Gavin 1928 s’affirme comme un grand vin, ou quand Poujeaux 1928 est une des plus belles réussites de 1928. Cela m’excite autant que de vérifier que Cheval Blanc 1947 est grand. Et, soyons honnête, sur tous les Cheval Blanc 1947 que j’ai bus, il y a eu une fois où, mis en comparaison avec tous les grands 1947, il a clairement démontré qu’il était le plus grand. Mais d’autres fois, disons-le, je connais bien des vins qui l’auraient égalé en émotion. Je ne peux évidemment pas ignorer certaines hiérarchies, mais j’ai la chance de pouvoir m’en affranchir, et trouver qu’un Cheval Blanc 1941 est grandiose, qu’un Haut-Brion 1926 est plus grand que ses frères de plus grandes années, qu’un Pommard banal de 1923 peut surpasser un Pommard de 1926 mieux né. L’important est que lors d’un repas, un vin entre en scène avec le plat qui convient, et s’exprime comme il n’a jamais pu le faire auparavant. C’est cela qui est intéressant. J’ai présenté à mes dîners des étiquettes grandioses. Mais je suis aussi fier qu’un vin apparemment petit se mette à atteindre des sommets que personne n’imaginerait. Les guides donnent des hiérarchies. J’essaie de donner du plaisir, par la maîtrise de la mise en situation, avec les grands et les petits vins.