Dîner au château de Beaunemercredi, 15 octobre 2003

Après avoir gentiment devisé, nous passons à table. Il est en effet grand temps de boire enfin du vin ! Le menu composé par Jean Paul Thibert de Dijon comprend une crème de courge aux graines de sésame torréfiées, un Opéra de foie gras de canard et magret fumé, chutney de mangue au pain d’épices, un filet de sandre du Doubs aux champignons, crème de pain grillé, carré de veau de lait, pommes de terre farcies au ris de veau, fromages, gâteau de noix, crème à la vanille, compote de figue au vin rouge et truffes grises de Bourgogne. Sur cette fine cuisine dont Bernard Hervet, à ma gauche, n’arrêtait pas de me vanter les qualités, des vins d’une qualité inimaginable.

Meursault Perrières 1947. Un nez très subtil, une couleur d’un or profond. Le goût que me suggère mon voisin belge qui me dit n’avoir jamais bu de meilleur Meursault : un flan au lait. Sur le plat il se développe et devient brillant. C’est un immense Meursault.

Meursault Charmes 1846. Vin étonnant car on est subjugué par sa jeunesse. Belle couleur. Comment est-ce possible qu’il soit si bon ? Il a la typicité de Meursault qui n’est même pas estompée. Ce qui subjugue, c’est qu’il est le même, avec la même construction, que le 1947 de 101 ans son cadet. Irréel moment. Un vin grandiose, totalement vivant. C’est le plus vieux vin de la collection Bouchard. Plus le temps passe et plus ce vin se développe. Il s’améliore sans cesse pour devenir plus grand que tout. Bernard Hervet n’arrêtait pas d’en vanter la perfection, le chérissant comme si c’était son enfant.

Le Beaune Grèves Vigne de l’enfant Jésus 1947 a un nez très énigmatique de raisins confits. J’étais séparé par Bernard Hervet de Michel Bettane mais j’arrivais à entendre ses commentaires. Quel plaisir que d’écouter un homme d’une telle science. Il a vu bien avant moi ce que j’allais découvrir, il donne des perspectives historiques et des commentaires qui enrichissent la dégustation. Un vrai plaisir. Alors que j’avais déjà bu ce Beaune 1947, il fallait que je m’habitue de nouveau, là où d’autres experts étaient déjà de plain pied. Car en bouche, une structure d’une complexité invraisemblable. Une concentration rare. Un vin agressif qui ne fait pas l’ombre d’une concession. C’est du concentré de vin vinifié de façon parfaite. Une leçon d’histoire. Un vin déroutant comme je les aime. Quelle démonstration d’élégance.

Beaune Grèves Vigne de l’enfant Jésus 1865. C’est l’année légendaire de la Bourgogne. Le nez a la même trame que celui du 1947. En bouche, comment imaginer que ce soit si beau, si jeune, brillant, vivant. Il a la couleur d’un vin de 1970 et nous faisions la remarque à plusieurs, dont Michel Bettane, que nous nous tromperions à l’aveugle, sur plusieurs vins de ce soir de largement 100 ans ! Le 1947 est évidemment plus ingambe, mais quelle leçon de consistance d’un 1865 parfaitement fait. On ne peut pas imaginer à quel point ce vin est vivant et brillant. Je dirai à ce propos que lorsque Bernard Hervet me relatait ses dégustations de vins de cet âge, je mettais sur le compte de l’enthousiasme ses emphases sur la jeunesse de ces vins. Même si je le relate ici, vous pouvez vous aussi douter de ma sincérité quand je parle de leur jeunesse. C’est compréhensible, car l’étalage de cette jeunesse est irréel. Il faut noter bien sûr que ces vins sont surveillés, les bouchons sont changés quand il faut. On a l’idéal de la conservation.

Je me suis imposé de faire le classement final même si c’est difficile. Voici ce que la magie du moment m’a inspiré :1 – Meursault Charmes 1846,2 – Romanée Saint Vivant 1906, 3 – Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1865, 4 – Beaune Clos du Roi 1929, 5 – Corton Charlemagne 1952. La plus immense surprise au moment où il est apparu est celle du Beaune Clos du Roi 1929, car j’ai eu un grand choc de perfection.

Il faut évidemment remercier Bernard Hervet et son équipe d’avoir conçu un programme d’une intelligence et d’une opulence rares. Il faut remercier Joseph Henriot de son immense générosité, car il n’est pas obligé de disperser ainsi ses trésors. Mais il faut aussi avoir une pensée émue à la sagesse de la famille Bouchard d’avoir su constituer ce trésor, archive de la magie de cette immense Bourgogne.

J’ai appris que Joseph Henriot avait décidé de garder 100.000 bouteilles de 1999 année exceptionnelle pour continuer ces archives. Il faudra qu’il en garde encore, car 2003 promet de donner des merveilles.

Etre reçu à la Romanée Conti un jour et explorer le lendemain des légendes du vin du 19ème siècle. Saint Pierre a-t-il prévu d’offrir au Paradis des bonheurs plus forts que ceux-là ? ? ?