déjeuner au restaurant Arpège mercredi, 21 février 2018

Alexander est néerlandais et vit à Londres. Il a assisté à deux de mes dîners. Il m’annonce qu’il vient à Paris et aimerait que je fasse connaissance de l’un de ses amis. Lorsque je lui demande en quel restaurant il aimerait déjeuner, il me répond restaurant Arpège, ce qui n’est pas le pire des endroits. Immédiatement je réserve auprès du restaurant en demandant que l’on prévienne Alain Passard de ma venue. Il faut que les vins soient à la hauteur du lieu. Alexander annonce Perrier-Jouët Belle Epoque 1982 et Amir son ami annonce Montrose 1964. J’avais envisagé d’apporter un chablis grand cru 1971 superbe, mais comme Alexander travaille dans le groupe Pernod Ricard qui possède Perrier-Jouët, je décide au dernier moment d’apporter un Perrier-Jouët Brut 1959 parce que je suis quasiment sûr qu’il ne l’a jamais bu. J’avais récupéré il y a plusieurs jours les vins d’Alexander et d’Amir à l’hôtel où loge Alexander aussi, de bon matin, c’est-à-dire à 11 heures, je me présente au restaurant pour ouvrir les vins.

La charmante personne à la réception regarde dans ses fiches et ne voit aucune réservation à mon nom ou au nom de mes amis et elle a le bon réflexe : d’autorité, elle décide de m’attribuer une table pour trois, quelles que soient les conséquences. Chapeau ! A 11 heures je n’ai qu’un vin à ouvrir, le Montrose 1964. Et voilà que je me retrouve face au pire cas possible d’ouverture d’un vin. Il convient de dire que la bouteille au bouchon d’origine a un niveau en base de goulot, ce qui est exceptionnel pour un vin de 53 ans. Je pique mon tirebouchon et il apparaît que le bouchon est collé au goulot et que le bouchon, incroyablement faible et poreux, se déchiquète dès que je tire vers le haut. Je commence donc un curetage puisque rien du bouchon ne veut monter. Après de longues minutes de tripatouillage pour extraire des miettes je me résous à utiliser un bilame. J’essaie de le planter mais, oh horreur, le bouchon baisse de deux centimètres. Ce qu’il me faut maintenant, c’est empêcher qu’il ne tombe dans le vin. Je prends ma longue mèche qui extirpe mais ne lève point. Il faut alors reprendre le curetage et après des contorsions qui ont duré vingt minutes,  toutes les miettes sont sorties sauf celles qui collent encore au verre et que je ne peux gratter, sinon elles tomberaient dans le vin. Tout est fini, le vin sent bon. Il me reste à attendre. Comme la petite salle de restaurant abrite une fourmilière qui agit en tous sens, je vais prendre une bière au café du coin.

A l’heure dite nous nous retrouvons Alexander, un peu en retard, Amir et moi. Un maître d’hôtel nous suggère de nous laisser guider, en évitant les allergies annoncées et cela donne un menu psychédélique qu’Adeline a eu la gentillesse d’écrire pour que je puisse en témoigner : tartelettes : céleri, citron, thym / carotte, rutabaga, ail / betterave, oignon sauge. Ensuite : sushi : pétale de betterave fleuri à l’huile de fleur de figuier et sa tapenade d’olive noire de Kalamata / carpaccio de coquille Saint-Jacques d’Erquy, curry et huile d’olive / chaud-froid d’œuf, œuf à la coque auquel on retire le blanc pour y déposer une mousse aérienne au vinaigre de Xérès et  quatre épices, le tout arrosé de sirop d’érable / ravioles de trois couleurs et leur consommé fumant composé de céleri, topinambour, navet et menthe / quenelle de Saint-Jacques et topinambour, émulsion au vin jaune et crème de chou rouge / falafelle : boulette de betterave, oignon, navet et noisette sur son lit de compotée d’orange, carotte et oignon fumé / bouillabaisse : sole, langoustine, encornet, homard, Saint-Jacques, jeunes pousses légumières dorées et émulsion au vin jaune, à la bisque de langoustine à la carotte et au safran /  Pithiviers de canard, truffe noire, émulsion aux foies blonds de poularde / Lotte à l’olive de Kalamata et crème de céleri sauge / pigeon grillé, sauce au thé rouge Rooibos  / mignardise, tuile de verveine, feuilletage, glaçage royal et graisse de kasha, macaron céleri vanille, caramel au miel de nos ruches, nougats poire, noisette, figue, raisin et chocolat, bouton de rose aux pommes / paris-brest et son pralin de noix / pasteïs del nata : topinambour, vanille et citron bergamote / millefeuille chocolat péruvien et huile d’argan sur son caramel d’orange.

En écrivant ce compte-rendu, je suis la preuve vivante qu’il est possible de survivre à ce maelström de générosité. Les plats sont tellement copieux que l’on croit à chaque instant qu’il n’y aura rien à la suite mais la cuisine est tellement légère et exquise que l’on repousse à chaque plat les limites du possible.

Le Champagne Perrier-Jouët Belle Epoque 1982 est d’une couleur claire assez étonnante. En bouche le vin est jeune, très jeune même. Il manque un peu de largeur mais il est encore froid, et sa structure est très élégante.

J’ai suggéré que l’on goûte ensemble les deux champagnes et on nous sert le Champagne Perrier-Jouët Brut 1959 qui est ambré, mais pas trop, avec peu de bulles mais un pétillant bien marqué. Ce champagne a tout le charme des champagnes anciens avec une complexité très supérieure à celle du 1982. Ce qui frappe Alexander c’est que les deux champagnes ont un cousinage certain et il se rappelle que nous avons bu ensemble à Londres un Moët 1911 et un Moët 1971 dont les ADN étaient spectaculairement identiques. Il en est de même pour ce 1959 et ce 1982. Au fur et à mesure des plats, le 1982 s’élargit, s’épanouit et le 1959 montre sa vivacité et sa profondeur impressionnante.

Le plat qui m’enthousiasme le plus est celui des ravioles de trois couleurs et leur consommé fumant composé de céleri, topinambour, navet et menthe. Ce plat est inouï et me donne envie de goûter le Château Montrose 1964. Ce bordeaux est spectaculaire, doté d’un velours incroyable et d’une profondeur truffée que je n’attendais pas. Il a su accompagner beaucoup de plats sans jamais changer de niveau, gardant un équilibre incroyable. Quel grand vin !

Il a fallu commander un Champagne Philipponnat Clos des Goisses Extra-Brut 2008 tant les plats se succédaient. C’est un champagne très solide, droit, carré, expressif, mais qui, du fait de son jeune âge, ne peut pas lutter avec ses grands aînés. La cuisine d’Alain Passard, qui n’était pas présent, est une cuisine inspirée, avec des goûts d’une subtilité remarquable. Le service a été attentionné et agréable. Lorsque j’ai dit que le plus grand vin du repas est le Montrose 1964 absolument parfait, Alexander a dit à Amir : « profite bien de ce compliment car fréquemment, le vainqueur pour François est un de ses vins ». Voilà un ami qui me connaît bien. Ce fut un grand déjeuner avec des vins brillants dans un restaurant talentueux.

l’incroyable bouchon du Montrose

un décor caractéristique du restaurant et un rappel bien sympathique d’Alain Senderens qui a créé la « Nouvelle Cuisine » en ce lieu.

l’invraisemblable succession de 15 plats :

la queue de lotte présentée par un serveur

j’adore la page de garde du menu

Sublime Vega Sicilia Unico 1961 mardi, 20 février 2018

J’avais prévu d’ouvrir pour mon fils Vega Sicilia Unico 1961 avant la présentation des vins de Vega Sicilia par Gonzalo Iturriaga maître de chais du domaine, car j’aurais aimé lui en parler, mais les événements en ont voulu autrement aussi est-ce seulement le lendemain de la présentation que nous allons boire ce vin à dîner. Pour être sûr de ne pas ouvrir trop tard ce grand vin, si j’étais pris au bureau trop tard, c’est à 9h30 du matin que j’ai ouvert le vin, laissé ensuite en cave à 14 degrés. Le parfum en cave est prometteur.

Ma femme a prévu des tranches de boudin blanc truffé et poivré puis une épaule d’agneau avec un gratin de pommes de terre. Pour ce vin noble j’ai prévu de grands verres Riedel qui mettent en valeur les senteurs riches du 1961. Le nez du vin est intense, poivré mais velouté et profond. En bouche, ce vin est une évidence. On ne passe pas des heures à essayer de comprendre, car il est là, évident, serein et accompli. Tout en lui respire la sérénité et il y a dans le finale une fraîcheur mentholée de très grand vin. Le vin est velouté et son parcours en bouche est d’un rythme entraînant. Avec combien de vins peut-on se sentir aussi bien ? Son équilibre fait qu’il n’a pas d’âge. Il a 56 ans mais si on disait qu’il en a 20, on ne ferait pas d’erreur. Je ne vois en France que les grands Côtes Rôties de Guigal pour avoir une telle aisance. Chaque saveur des plats améliore encore le vin, comme si c’était possible. Le boudin le rend encore plus riche et plein et l’agneau le rend plus cinglant. Chaque bouchée, chaque gorgée est un plaisir nouveau. Il est rare d’avoir aussi longtemps une sensation de plaisir gastronomique parfait.

Le dessert de pommes au four ne peut se goûter que lorsque le vin est fini et la gourmandise nous pousse à l’accompagner par le marc de rosé d’Ott 1929 toujours aussi éblouissant et déroutant, car il nous mène sur des pistes qu’aucun autre marc n’explore.

C’est le dernier dîner pour ce mois avec mon fils car il d’autres occupations dans les jours à venir. Après les dîners de bas niveaux où l’Ausone 1947 et un Krug ont brillé, nous avons fini en apothéose.

le bouchon a un peu souffert et on voit l’irrégularité du goulot qui a comprimé le bouchon sur une partie de sa hauteur

 

Présentation des vins récents du groupe Vega Sicilia mardi, 20 février 2018

Comme chaque année le maître de chais du groupe Vega Sicilia vient présenter les vins du millésime qui est mis sur le marché. Gonzalo Iturriaga parle un excellent français avec un accent espagnol prononcé. Nous sommes accueillis par l’importateur français des vins de ce groupe, la société Vins du Monde au siège de l’O.I.V. l’organisation internationale de la vigne et du vin. La salle est magnifique et l’assistance est composée de professionnels du vin, des sommeliers, restaurateurs et prescripteurs. Le service du vin pendant la dégustation sera fait par des élèves de l’école Cordon Bleu venant de tous pays, USA, Canada, Chine, etc. cornaqués par Franck Ramage le directeur de cette belle école.

Gonzalo présente le groupe repris en 1983 par la famille Alvarez qui a eu une politique dynamique d’investissements, à tel point que le volume des ventes a décuplé, représentant aujourd’hui 1,5 million de bouteilles.

Le vin blanc Oremus Mandolas Tempos Vega Sicilia 2016 est un furmint hongrois. La couleur est très claire, le nez est citronné, typiquement d’un vin très jeune, voire trop jeune. Le vin est servi très froid. Il a un joli fruit, assez sec. C’est un vin de fraîcheur. Du fait de sa jeunesse le vin est un peu simple, d’une grande pureté. Gonzalo est comme moi convaincu qu’il devrait être commercialisé avec deux ou trois ans de cave de plus.

Alion Tempos Vega Sicilia Ribeira del Duero 2013 a une belle robe foncée avec sur le cordon, la fine remontée dans le verre par capillarité, un rouge très expressif. Le nez est très précis, fin, tranchant. La bouche est fraîche, dotée d’une belle amertume. Le vin est très agréable, racé. Il ne fait pas du tout vin d’entrée de gamme. C’est une très belle surprise. Il est d’une année chaude, et se montre subtil, à la belle fraîcheur.

Le Pintia Toro Tempos Vega Sicilia 2013 a une couleur plus foncée. Le nez est plus lourd, plus épais mais quand même bien net. La bouche a une attaque suave. Il a du velours et c’est le finale qui est plus rêche. Autant Alion est immédiatement plaisant autant celui-ci doit gagner quelques années pour s’assembler un peu mieux. Ce vin frais est plus lourd, voire un peu pesant et un peu rude. Il ne s’est pas vraiment trouvé et on sent aux commentaires de Gonzalo qu’il n’en vante pas les mérites.

Le Valbuena Vega Sicilia Ribeira del Duero 2013 est assez foncé comme le Pintia. Le nez est nettement plus cohérent. Il a beaucoup de douceur et de personnalité. La bouche est élégante et harmonieuse. Je sens la fraîcheur mentholée que j’adore. Le vin est gourmand mais il est gracieux comme une ballerine. 2013 est une année classique pour ce vin dont Gonzalo est amoureux. C’est bien de le boire frais comme il est servi.

Le Vega Sicilia Unico Ribeira del Duero 2006 a une couleur plus claire que celle du Valbuena. Le nez est noble. Tout en ce vin est parfait, cohérent et il y a très nettement marquée, la fraîcheur mentholée, signature des grands Unico. C’est le dernier des millésimes commercialisés, soit douze ans après, alors que le 2008 a déjà été mis sur le marché, et il est très buvable maintenant. Il est gourmand, encensé par tous les critiques du monde qui lui ont donné les notes maximales. La fraîcheur de ce vin est extrême, avec une belle acidité et une belle râpe. On l’appréciera quand même mieux dans quelques années.

Ce qui est intéressant à constater c’est que l’on peut passer de l’Unico au Valbuena et en sens inverse sans que cela ne déprécie l’un des deux. Et paradoxalement, c’est le plus jeune qui paraît le plus mûr. Les quatre vins rouges se montrent d’une fraîcheur extrême.

Nous revenons à Oremus pour goûter les Tokaji. L’Oremus Tokaji Aszu 3 puttonyos Tempos Vega Sicilia 2011 a une jolie couleur d’un jaune clair. Le nez est fermé mais c’est dû au service très froid du vin. La bouche est claire, de belle sucrosité fraîche. Il est très agréable à cet âge, en vin doux frais. Il est gastronomique et je le verrais bien avec un poisson d’eau douce, truite ou brochet, servi avec une sauce à la crème.

L’Oremus Tokaji Aszu 5 puttonyos Tempos Vega Sicilia 2008 a une robe légèrement ambrée. Le nez est fermé mais le vin est froid. Il a une plus forte sucrosité du fait des puttonyos supplémentaires mais il a une fraîcheur remarquable. Sur ce vin je verrais un curry que Gonzalo voyait plutôt sur le 2011.

Globalement ce qui frappe dans cette dégustation c’est l’extrême fraîcheur de tous les vins et leur grande précision. Gonzalo est extrêmement motivé et nous fait partager son enthousiasme. Cette présentation est convaincante et me conforte dans ma fidélité à ce domaine.

 

dîner avec une saucisse de Morteau lundi, 19 février 2018

Après deux repas consacrés à des vins dont les bouteilles sont de bas niveaux, l’idée est de faire une respiration. Ma femme a prévu des saucisses de Morteau avec du chou. J’avoue sans fausse honte que je me damnerais pour un tel plat. J’ouvre au dernier moment un Vin de l’Etoile Bruno Vincent viticulteur 1982. L’étiquette de ce vin du Jura pourrait concourir pour le prix de l’étiquette la plus laide qui soit, car dans une sorte de coquille de noix un bateau figure une sorte de barbe, le mât une sorte de nez, une étoile un œil et une lune un autre œil ce qui fait que ce bateau pourrait être pris pour la figure d’un marin. Je ne suis pas sûr que ce fût l’intention du dessinateur mais l’effet final est assez déplaisant.

La bouteille avait perdu une partie de sa cire, dégageant une nudité partielle du haut du bouchon. La couleur à travers le verre de la bouteille est très belle et dans le verre le vin est beau, d’un jaune vert clair. Le nez est discret, sans message, et en bouche je suis incommodé par le manque de cohésion. Nous insistons mon fils et moi, mais je ne mords pas à ce vin alors que je suis un fan des vins de l’Etoile. Nous nous consolons avec la délicieuse Morteau.

L’idée me vient de donner une chance au vin sur du Comté. Et c’est fou. Ce vin imprécis, mal assemblé se transforme sur l’instant. Le Comté le ressuscite. Nous nous regardons, mon fils et moi, pour vérifier que nous avons bien la même perception. Ce vin renaît avec le Comté. Bien sûr il ne devient pas grandiose mais il est maintenant ce que j’attendais depuis le début.

Sur les autres fromages nous regardons ce que sont devenus les vins dont il reste de la veille. Le Château Rausan-Ségla 1934 s’est grandement amélioré. Il est devenu buvable sans être grand, alors qu’hier nous l’avions écarté. L’aération lui a profité. A l’inverse, le Chambolle-Musigny Les Amoureuses 1926 est fatigué faisant apparaître des notes poussiéreuses qu’il n’avait pas.

Extinction ou réveil, chaque vin suit un parcours. Cela fait partie de la magie du vin.

Dîner avec des vins de bas niveaux dimanche, 18 février 2018

Lorsque j’avais choisi les vins pour mon fils, je voulais essayer les deux Private Cuvée aux niveaux bas car j’en avais acheté plusieurs. La plus pleine a été parfaite et la plus basse bonne. J’avais pris ensuite, dans un endroit de ma cave où je range les bas niveaux le bordeaux très ancien, non répertorié dans mes fichiers et j’ai pris un Chambolle Musigny Les Amoureuses 1926 de niveau bas mais possible, au sein d’un lot de ce vin. Le bordeaux s’étant révélé meilleur que prévu, le bourgogne sera pour le dîner du lendemain.

A 17 heures, je descends en cave pour prendre d’autres vins. Dans une case il y a trois bouteilles de bas niveaux. Nous ferons donc un dîner de bas niveaux, avec l’incertitude inhérente à un tel exercice. Je commence par ouvrir le Chambolle 1926. En enlevant la capsule dont l’intérieur est très sale, l’odeur est assez vinaigrée, ce qui n’est pas bon signe. Le bouchon vient en mille morceaux avec d’extrêmes difficultés. Cela vient du goulot qui a une surépaisseur au niveau de la moitié du bouchon. Sortir le bouchon a pris plus de dix minutes. Une fois le bouchon enlevé et le goulot essuyé, les parfums sont nettement plus engageants.

J’ouvre ensuite un Rausan-Ségla Margaux 1934. Le bouchon vient aussi en de nombreux morceaux. L’odeur est plus incertaine. C’est au tour de l’Ausone 1947 au niveau bas. Son bouchon est plus ferme avec moins de déchets et le parfum me plait beaucoup. Il est donc inutile d’ouvrir la troisième bouteille que j’avais remontée, un Clos Fourtet 1955.

Le dîner sera très simple, tagliatelles et foie gras poêlé et fromages. Le bordeaux d’hier fait notre apéritif avec un peu de fromage. Le supposé Gruaud-Larose # 1890 a encore un nez de léger bouchon mais ce qui est assez surprenant, c’est que le goût du vin ne montre aucun effet du bouchon. Le vin est équilibré, avec de belles évocations de fruits rouges. Ce n’est pas un grand vin mais il tient sa place de façon très honorable. On l’aime au point de finir la bouteille sur du Salers.

Le Château Rausan-Ségla Margaux 1934 est comme torréfié, cuit, bridé. Les défauts sont mineurs, mais le vin n’exprime rien. Nous n’insistons pas car le plaisir n’est pas là, contrairement au vin de plus d’un siècle.

Le Château Ausone 1947, malgré son niveau bas, ne montre aucun défaut, au contraire. Le nez est engageant, le vin offre un joli velours mais aussi le caractère d’un grand vin. On sent la force d’un 1947 et l’expression solide d’un beau saint-émilion avec un joli goût de truffe et un beau fruit rouge. Le vin est grand et le foie gras poêlé adouci par les tagliatelles permet au vin de bien s’exprimer. Nous jouissons de ce grand vin qui – c’est étonnant – ne montre aucune blessure.

C’est le tour du Chambolle-Musigny Les Amoureuses 1926. Le nez est superbe. La couleur est claire. En bouche, c’est un magnifique bourgogne, avec une belle râpe et une expression saline très plaisante. Ce bourgogne m’enthousiasme. Il a une présence absolument claire, un alcool bien affirmé et tout ce qui fait la délicatesse de la Côte de Nuits. Ce sera mon gagnant.

Pour finir la soirée, je sers à mon fils le Marc de rosé du domaine d’Ott 1929. La bouteille est magnifique. L’alcool a une robe de couleur de pêche rose. Le nez est à 100% celui d’un marc, très sec. Et en bouche l’alcool est souple, suave, séducteur, d’une rare douceur. Il est immense.

Bien sûr, je ne passerais pas ma vie d’amateur à ne boire que des bas niveaux, mais nous avons profité de vins qui n’auraient aucunement à rougir devant des vins de bons niveaux. Ce fut le cas du deuxième Krug, de l’Ausone 1947 et du Chambolle 1926. Il faut toujours donner une chance aux vins blessés et respecter les règles d’ouverture des vins anciens.

les bouchons de gauche à droite et de haut en bas : Ausone 1947 / les deux champagnes plus le supposé Gruaud Larose #1890 / Rausan-Ségla 1934 / Les Amoureuses 1926

 

le sublime marc de rosé d’Ott 1929

Dîner à la maison avec mon fils samedi, 17 février 2018

Mon fils fait son habituel voyage en France pour gérer les sociétés qu’il dirige. Le rituel du premier dîner chez ses parents laisse peu de place à l’improvisation. Il y aura un pâté de tête, puis un poulet avec une purée à la truffe, suivi de fromages dont un camembert Jort à boîte bois, et enfin les meringues rondes saupoudrée de fines pépites de chocolat qui nous plaisent d’autant plus que leur nom originel est interdit par le politiquement correct.

L’apéritif se prend avec une bouteille de Champagne Krug Private Cuvée probablement des années 50 au niveau très bas car le court bouchon n’a pas joué son rôle sur la durée. La bouteille en verre vert ne permettait pas d’estimer la couleur du champagne aussi est-ce une belle surprise de voir un liquide à peine ambré. Le bouchon totalement rétréci ne laissait aucune possibilité de pschitt, et le champagne au parfum discret mais droit fait nettement sentir son pétillant. L’amertume est belle, la longueur est belle tant le champagne est imprégnant. Si le champagne n’est pas parfait, il a gardé une force de persuasion. Avec le pâté de tête, on se régale.

J’ai ouvert il y a moins de deux heures une bouteille illisible, sûrement du 19ème siècle compte tenu du verre de la bouteille, de l’usure de l’étiquette, de la désagrégation de la capsule et de la charpie du bouchon. C’est franchement vieux. Le niveau est à la limite entre basse épaule et vidange et ce qui m’a surpris, c’est que l’odeur à l’ouverture soit aussi sympathique. On sent un vin qui ne demande qu’à s’ouvrir.

Il va nous manquer les deux heures d’aération supplémentaire que je n’ai pu donner. Le vin servi dans le verre a une couleur acceptable. Ce n’est pas flamboyant, mais il y a quand même des ébauches de sang de pigeon. Dans le verre, on sent beaucoup plus qu’à l’ouverture un nez de bouchon, mais qui n’altère pas la bouche. Le vin est vieux, bien sûr, mais très intéressant. Je vois poindre des évocations de fruits rouges sympathiques qui confortent mon sentiment que deux heures d’aération de plus auraient transformé ce vin en un grand vin. Sur le poulet et surtout sur la purée à la truffe, le vin se tient très bien. On oublie la trace de bouchon pour ne garder que le fruit délicat. L’étiquette est illisible mais les rares lettres que l’on croit lire pourraient faire penser qu’il s’agit d’un Gruaud-Larose # 1890.

Pour le fromage, j’ouvre une deuxième bouteille de Champagne Krug Private Cuvée probablement des années 50 dont le niveau est meilleur que celui de la première bouteille. La couleur est plus claire et le champagne est plus ensoleillé que le précédent. Les amertumes d’agrumes confits sont les mêmes, mais il y a plus de joie de vivre et de soleil dans ce deuxième champagne.

Ce que j’aime en dégustant avec mon fils c’est son ouverture d’esprit pour savoir lire au-delà des brumes d’imprécisions. Tant qu’il y a un message dans des vins anciens, il convient de l’écouter si, bien sûr, le plaisir est là. Il le fut. La ‘tête’ de ‘meringue chocolatée’ s’est mangée pour elle-même puisque le sucre n’est ami d’aucun vin. Nous avons laissé une chance à des vins d’âges canoniques. Ils nous ont remercié en exhumant de belles complexités.

Premier Krug

Bordeaux du 19ème siècle

Deuxième Krug

les deux bouchons

La Saint-Valentin au restaurant l’Ecu de France jeudi, 15 février 2018

La Saint-Valentin, c’est la Saint-Valentin, ça ne se discute pas, comme la saucisse de Morteau, le lièvre à la Royale ou la crêpe Suzette : lorsque l’on est face à face, il est interdit de se dérober. C’est ma femme qui a le choix des armes et ce sera le restaurant l’Ecu de France. On pourrait penser que nous aurions une table sans difficulté mais Madame Brousse m’annonça que le restaurant est complet et me passa au téléphone son mari qui eut la bonne réaction : « on s’arrangera ». Lorsque nous nous présentons à 20 heures, le parking du restaurant est déjà bien rempli. Monsieur Brousse nous accueille et nous dit : « je vous ai attribué la table que vous aimez ». Elle est tournée vers la Marne et malgré la nuit nous voyons que le niveau de l’eau est très élevé, ayant masqué une bonne partie du jardin. La cave a été inondée, mais comme les Brousse sont habitués aux crues hivernales, les bouteilles sont à l’abri et celle que je prendrai ce soir est impeccable.

Nous nous asseyons à notre table et le menu de la Saint-Valentin est ainsi composé : amuse-bouche, homard en habit rouge / foie gras truffé au caramel de betterave, espuma de mangue / velouté de potimaron, coquille Saint-Jacques et langoustines rôties, confiture de rose, caviar de hareng / baronnade de pigeonneau truffé, beurre Suzette au piment d’Espelette / pomme d’amour confite en coque de chocolat et praline rose, glace à la rose et au litchi.

L’idée de mettre des tons de rouge ou de rose sur tous les plats est charmante. Peter Delaboss le chef, est né en Haïti et sa cuisine généreuse s’est épanouie. Il garde ses penchants exubérants mais les plats sont très cohérents, fondés sur de bons produits. Le homard enveloppé dans de fines tranches de betteraves rouges arrive un peu froid, mais le plat est bon. Le foie gras est superbe, goûteux et gourmand, les coquilles dans le velouté sont parfaites. Le pigeon est d’une chair idéale, et le foie qui l’accompagne, très différent du premier, est d’une rare gourmandise. Quant à la pomme, elle est exquise. Tout fut grand, charmant, joyeux. C’est ce qu’il faut pour une Saint-Valentin.

Avant de commencer le repas, je prends un Champagne Bollinger sans année au verre. Comme la bouteille a été ouverte il y a un certain temps, le champagne est large et très plaisant, paraissant plus vieux que son âge ce qui lui convient. Il se boit bien.

J’ai choisi un Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2010. La bouteille arrive froide et Hervé Brousse me demande si je souhaite qu’on carafe ou qu’on réchauffe le vin. Je préfère laisser faire la nature pour que le vin s’ébroue à son rythme. Le premier contact est effectivement froid. Le nez exhale d’abord l’alcool du vin et en bouche on ne reconnaît pas le domaine. Comme une rose qui s’éveille au soleil du matin, le vin va progressivement me conquérir. Je dis « me » car je suis seul à boire. Ma femme qui a un nez pertinent pour jauger les vins sans les boire, va commenter avec moi l’éclosion du vin.

La première approche est assez dure, car le vin est froid. L’alcool est sur le devant de la scène. Ensuite viennent des fruits discrets et délicats. L’amertume est marquée, annonçant que les grappes entières sont abondantes, non éraflées. Puis progressivement, on ouvre les portes de la Romanée Conti. Le sel combiné au goût de rafle, sont les premiers marqueurs du domaine et je commence à me sentir bien. Le vin prend la bonne température et comme le chef a eu l’heureuse idée de mettre de la rose dans presque tous les plats, j’attrape au vol les beaux symboles de la Romanée Conti, la rose et le sel. Je me sens de mieux en mieux et le vin s’épanouit et devient joyeux. Attention, c’est une joie très intérieure car dans ce domaine on n’extériorise pas ses sentiments. Je bois un vin d’une rare élégance et d’une rare délicatesse. C’est si élégant et raffiné que la question de l’âge ne se pose même pas. Le vin est là, à cet instant béni par le calendrier, et mon plaisir est total.

Je verse un verre pour qu’Hervé le goûte. Hervé s’empresse d’en faire goûter à son père et je vois que le verre se retrouve sur la table d’un habitué, bien connu des Brousse.

Pour finir mon vin je demande un peu de fromage avant le dessert qui exclut tout accord et un Brie fourré à la noix est un très beau compagnon des derniers verres. C’est alors qu’arrive sur ma table un verre de Château Latour 1975 servi en demi-bouteille. C’est l’ami des restaurateurs, d’une table lointaine, qui avait goûté le bourgogne. Il me renvoie la balle avec ce bordeaux. Les deux vins ne s’excluent pas, quel que soit le sens de la dégustation. Le bordeaux est plus carré, solide, concentré. Le Grands Echézeaux a la narine plus frémissante. Le bordeaux est un seigneur en arme, le bourgogne est un poète romantique. Pour ce soir, c’est le bourgogne qui pianote de rares complexités qui emporte mon cœur, mais le Latour est un beau vin, de belle charpente et de belle vibration.

Avant de partir nous allons chaudement féliciter le chef qui a réalisé un repas très sensible, généreux, au cœur innombrable. Bravo au chef et à la famille Brousse d’avoir permis que nous passions un repas de grand bonheur.

les beaux verres gravés

Déjeuner à la maison samedi, 10 février 2018

Depuis quatre jours la France s’est parée de blanc. La neige recouvre tout et le monde entier se gausse de l’incapacité de notre beau pays à s’organiser pour que la vie continue. Les municipalités sont plus promptes à verbaliser qu’à saler les réseaux routiers. Mais on se débrouille. Ma fille cadette vient déjeuner chez moi avec ses deux enfants. Il y aura des petits fours salés et du poulet. Sans aucune idée préconçue je choisis en cave une demi-bouteille et une bouteille de vins rouges.

Le Château Pichon Baron de Longueville 1970 a un très beau niveau, à la base du goulot. A l’ouverture peu avant midi, le beau bouchon vient normalement. La première odeur est un peu fermée, avec une petite pointe d’acidité.

Le Corton Bouchard Père & Fils 1964 en demi-bouteille a un niveau qui a un peu baissé mais de façon normale pour son âge. Le bouchon est très beau et bien souple. Le parfum du vin est immédiatement plaisant, réjouissant et très bourguignon. On sent déjà qu’il sera grand.

Le Château Pichon Baron de Longueville 1970 est servi presque deux heures après ouverture, ce qui a laissé peu de temps au vin pour s’épanouir. Les premières notes de ce vin sont poussiéreuses. Il y a un peu d’acidité et le vin est assez fade, sans vibration. Tout change au deuxième verre qui est servi. C’est assez incroyable car le vin offre maintenant un fruit qu’il n’avait pas auparavant. Il devient beaucoup plus généreux et son fruit me plait. Il accompagne les petits fours salés mais surtout le délicieux poulet de bien belle façon. On ne peut pas dire que c’est un grand vin car il manque de panache. Mais c’est un bon partenaire du repas. Lorsque l’année 1970 était apparue, on annonçait un très grand millésime pour les bordeaux rouges. Pendant plus de dix ans, on a attendu que ce millésime s’ouvre, et ça ne venait pas. Jamais n’ai-je entendu quelqu’un dire : « ça y est, 1970 arrive ». Il y a bien sûr quelques belles exceptions, mais on pourrait qualifier ce millésime de « rendez-vous manqué ». Nous n’avons pas boudé notre plaisir, sans cependant être émus.

Le Corton Bouchard Père & Fils 1964 en demi-bouteille est beaucoup plus avenant, chaleureux, agréable. C’est le vin bourguignon accueillant, gratifiant et souriant. Il a un peu vieilli, mais il sait offrir suffisamment de charme pour qu’on l’aime. Il y a des Cortons de Bouchard qui sont beaucoup plus riches et profonds, comme le 1934, le 1947 ou le 1959, mais celui-ci est un bon compagnon de repas impromptu.

Un test intéressant est celui du repas du soir. Le Pichon a perdu de son fruit mais a gagné en opulence. Il s’oriente plus vers la truffe et devient plus imposant. C’est manifestement un vin qui a un bel équilibre et une belle prestance auquel il manque seulement une vibration que l’année 1970 ne lui donne pas.

Le Corton est devenu plus velouté. Son velours est extrêmement plaisant. C’est un vin de charme, pas totalement parfait mais de grand plaisir. Ces deux vins pris au hasard en cave se sont révélés de bonnes pioches.

dinner with friends in restaurant Pages mercredi, 31 janvier 2018

Alain, Didier, Julien and Patrice are faithful of the academy of ancient wines and among the most generous members. The excuse to meet up is that Patrice bought a nice bottle of Yquem 1947 that we agree to finance in common. Didier takes the initiative to create a dinner around large bottles brought by everyone and his friend Sintija joins us. She has no experience of ancient wines but she will learn very quickly during this meal.

I am responsible for finding a restaurant and quite naturally the choice is that of the restaurant Pages. Didier makes sure that all the bottles reach either the restaurant or my office so that I can open them at 5 pm at the restaurant. We are so crazy that there are more than three wines per person. So I will eliminate some of them based on the results of the openings. The corks are quite difficult and break into several pieces so that the opening operation lasted an hour and a half. There are very motivating fragrances.

The Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964 of Julien has a low level. The cape that covers the cork is eaten by mold around the top of the neck. It takes me several minutes to clean around the cork so that no dirt falls into the wine. When I can grasp the cork it comes instantly because the bottom cap disc is so narrowed that it has a size of less than half of what it should. The color is unappealing, earthy and gray. On the palate champagne without bubble is flat. Drinking gives no emotion so Julien asks for a bucket so that we can empty our glasses. I’m the only one to keep my glass because I want to see how this champagne with pale accents can evolve. During the meal I could see that the platitude of the champagne disappears, that the wine is growing, but without being able to offer a sufficient emotion. But it became drinkable.

From memory and without support of a menu that would have been printed, the menu that I developed with the chef Teshi during the opening session of the wines is: amuse-bouche in five flavors including a broth, a raw fish , a piece of onion, a piece of cauliflower and another preparation that I have not memorized / Ozaki beef in carpaccio / raw scallops with a risotto / monkfish with shells and cabbage leaves / cod with a meat sauce and small potatoes / three pieces of beef, Simmental, Charolais and Wagyu, the three having had a long-ripening / just pan-fried mangoes / dessert of the day with red fruit sorbet, pomegranate seeds and caramels.

The champagne of 1964 having had a short life on our table, I open the Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959 which is one of my contributions. Under the pretty cape the cap exudes a black glue. My fingers are getting dirty quickly. When I turn the cap it breaks and the bottom gets stuck in the neck. I try to sting with my long wick but I cannot push in as the cork is dense. With a normal corkscrew I finally lift the lower part. The wine could not be in contact with the black glue. The wine served has beautiful bubbles and a magically clear color. We drink and this champagne is superb, balanced, serene, glorious like all the old Imperial Brut of Moët. He accompanies amuse-bouche who are a little too intellectual for the champagne who would like more sweet flavors. The champagne is excellent but it may be a little too classic and not enough scoundrel.

We start the series of whites. When Julien announced a Chablis Faiveley 1928, I wanted to confront him to a Chablis Faiveley 1926 that I had in cellar. The level of 1926 is low so I had taken a 1955 White Hermitage in case it would be necessary, which we will not need. Raw shells are ideal for showcasing these two whites. What strikes me right away is that these two wines have identical DNA. They have the same freshness, the same chiseled precision of the message and they differ only in volume, the 1928 being wider and the body more assertive. I had fun saying that I still prefer my wines and that the more graceful and romantic 1926 I like more but in fact both are of immense purity, the 1928 being, thanks to its year, more conquering. The performance of both wines is impressive.

Didier insisted that I open the Côtes du Rhône Brézème Domaine Pouchoulin white 1952 low and whose cork wax had been decapitated a long time ago. At the point of pointing the corkscrew the cork slipped, impossible to prevent from falling. It had to be decanted and the color was not very inviting. Served now it is drinkable but its emotion is very weak after the two chablis. Didier, defending his baby told us the esteem he has for this domaine which the 1906 he drank is a marvel. As he repeated at least ten times it was necessary to remind him that what we drink is not the 1906 but the 1952, wine rather weak.

For monkfish, it is the Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964 of Sintija which is served. His color is beautifully young. The wine is pure, merry with good acidity. It is delicious with the monkfish and it is especially the hulls that make it vibrate the most. It is a beautiful wine but I think it does not have the full panache of a Ramonet. He is tall but not dazzling.

We now go to the reds and I let serve three wines, two of 1928 and one of 1929. This is to be noted because these two years are legendary. The Château Carbonnieux red 1928 of Alain is an absolute marvel. Its color is blood red. The wine is rich and heavy, with an infinite velvet and a heavy grain of truffle and charcoal. This Carbonnieux is at the top of Bordeaux wine. It is absolutely huge. I am deeply moved.

When I have my lips on the Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 of Didier, I get a punch to the heart. Because this wine is a seduction of an unbelievable sensuality. The Carbonnieux is King François 1st commanding the troops in combat. This Côtes de Beaune is Suzanne in the bath, it is the Odalisque of Ingres, it is the absolute seduction. I am so charmed that I lose all objectivity. We are faced with the absolute seduction of Burgundy but especially of the year 1929.

The third wine that accompanies the cod that subjugates everyone by its relevance on wines is the Corton-Grancey Grand Cru Louis Latour 1928 of Patrice. After the other two, he has a lot more trouble positioning himself. If he were alone in a meal, we would be ecstatic, but after the two sacred monsters, he lacks a little vivacity and emotion. He is still rich enough. We are thrilled to taste these three wines so perfect.

For the three pieces of beef we add two more reds. Clos Vougeot Bouchard Père & Fils 1955 of Sintija creates a fascinating break. Because all of a sudden we discover a wine ‘young’ (everything is relative) and incredibly Burgundy. He has this exciting rasp of wild Burgundy wine. He is lively, active and does not leave anyone indifferent. I love it.

The Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976 of Julien is struggling to pass after the other four. Julien is sad but I think he has no reason because this Châteauneuf is good. It is very good but its message seems simple after the wines of Burgundy. For him too we can say that if he was drunk alone in a meal, as for the Corton Grancey 1928, we would feast, because it has a coherence and a nice chew that are pleasant. Meats are delicious and Simmental is the most suitable for wines because it combines firmness and intensity of taste. Wagyu would be better suited to young and rich wines.

The three sauternes are served at the same time on mangoes. I start with the Château d’Yquem 1947 which we are all co-contributors since we shared the cost. This Yquem is royal, deep, complex with myriad complexities, but above all it has a boldness, a fatness, that differentiates it from the other 1947.

The Château Suduiraut 1947 of Patrice has a color as dark as the Yquem. It is powerful and very close to the quality of the Yquem. The difference is the diabolical fat of the Yquem, while the Suduiraut is an exemplary purity and a beautiful complexity too.

After these two legends, the Château La Tour Blanche 1920 that I brought is a gringalet. Its color is much clearer than that of both 1947 and it is translucent while the other two are opaque. In the mouth he is graceful, he ate some of his sugar and he is a romantic that I love. He too would be a star if he was alone on the table.

We are a little groggy not by the alcoholic load of wines but by the conjunction of so many perfect and legendary bottles. Several times we had in front of us together perfection and eternal wines, which we would find in the same state and with the same emotion if we could taste them again in fifty years from now.

Didier would be very happy if this dinner he had initiated could be counted among my wine-dinners. It would be more logical to count it as a session of the academy for ancient wines but as I opened all the wines and as I composed the menu with the chef we can make an exception for this dinner which will be the 221st. Because of this, we have to vote.

We are six to vote for our five favorite wines among the 14 of the meal. Three wines had the honors of the first place. The Yquem was nominated four times first, the Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 once and the Brut Imperial Champagne Moët & Chandon 1959 once also. Ten wines out of fourteen were in the votes which is particularly brilliant.

The vote of consensus would be: 1 – Château d’Yquem 1947, 2 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 3 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 4 – Château Carbonnieux rouge 1928, 5 – Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959.

My vote is: 1 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 2 – Château d’Yquem 1947, 3 – Château Carbonnieux rouge 1928, 4 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 5 – Château La Tour Blanche 1920.

It could stop there, but Julien takes in his bag a bottle of a Marc de rosé Domaine d’Ott 1929, in a bottle of rare beauty which is the historic bottle of wines of the estate. On the nose, the alcohol seems strong and dry. On the palate it is of a softness and a sweetness which makes that one would drink without stopping. This marc is diabolical, I love it.

Chef Teshi made dishes that stuck perfectly to the wines. Thibaut has done an intelligent service of wines and despite the smallness of the table I was able to line up the 14 glasses of wines plus alcohol in front of my place. Apart from the champagne of the beginning, all the wines presented themselves to the best of themselves. None of us imagined such a success. It was a memorable dinner that proves that the 90-year old wines still have a lot of energy.

(pictures can be seen in the next article in French)

Dîner d’amis au restaurant Pages mercredi, 31 janvier 2018

Alain, Didier, Julien et Patrice sont des fidèles de l’académie des vins anciens et parmi les plus généreux. Le prétexte pour se retrouver est que Patrice a acheté une belle bouteille d’Yquem 1947 que nous acceptons de financer en commun. Didier prend l’initiative de nous regrouper autour de grandes bouteilles apportées par chacun et son amie Sintija se joint à nous. Elle n’a aucune expérience des vins anciens mais elle va apprendre très vite au cours de ce repas.

Je suis chargé de trouver un restaurant et assez naturellement le choix est celui du restaurant Pages. Didier fait en sorte que toutes les bouteilles parviennent soit au restaurant soit à mon bureau pour que je puisse les ouvrir dès 17 heures au restaurant. Nous sommes tellement fous qu’il y a plus de trois vins par personne. Je vais donc éliminer certaines d’entre elles en fonction des résultats des ouvertures. Les bouchons viennent assez difficilement et se brisent en plusieurs morceaux ce qui fait que l’opération d’ouverture a duré une heure et demie. Il y a des parfums très motivants.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964 de Julien a un niveau bas. La cape qui recouvre le bouchon est mangée par des moisissures tout autour du haut du goulot. Il me faut plusieurs minutes pour nettoyer le pourtour du bouchon pour qu’aucune saleté ne tombe dans le vin. Lorsque je peux saisir le bouchon il vient instantanément car le disque de bas de bouchon est tellement rétréci qu’il a une taille de moins de la moitié de ce qu’il devrait. La couleur est peu engageante, terreuse et grise. En bouche le champagne sans bulle est plat. Le boire ne procure aucune émotion aussi Julien demande un seau pour que l’on puisse vider nos verres. Je suis le seul à garder mon verre car j’ai envie de voir comment ce champagne aux accents si pâles pourra évoluer. Au cours du repas j’ai pu constater que la platitude du champagne disparaît, que le vin s’étoffe, mais sans pouvoir offrir malgré tout une émotion suffisante. Mais il est devenu buvable.

Le menu que j’ai mis au point avec le chef Teshi pendant la séance d’ouverture des vins est : amuse-bouche : bouillon de coquilles Saint-Jacques au gingembre, bonite fumée, chou-fleur rôti, Ceviche de lieu jaune, sablé parmesan et topinambour / carpaccio de bœuf wagyu Ozaki / risotto aux agrumes, radis Daïkon, carpaccio de Saint-Jacques / lotte rôtie, sauce ventrèche de porc noir de Bigorre et chou pointu / cabillaud sauce matelote et pomme de terre de Noirmoutier / dégustation de bœuf maturé ( Simmental 9 semaines, charolais 11 semaines, wagyu Ozaki 5 semaines) / mangue poêlée / pana cotta vanille, zeste de citron vert, sorbet grenade / mignardises.

Le champagne de 1964 ayant eu une courte vie sur notre table, j’ouvre le Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959 qui est l’un de mes apports. Sous la jolie cape le bouchon exsude une glu noire. Mes doigts se salissent rapidement. Lorsque je tourne le bouchon il se brise et le bas reste coincé dans le goulot. J’essaie de piquer avec ma longue mèche mais je n’arrive pas en enfoncer tant le liège est dense. Avec un tirebouchon faisant levier je lève enfin la partie basse. Le vin n’a pas pu être au contact de la glu noire. Le vin servi a de belles bulles est une couleur magiquement claire. Nous trinquons et ce champagne est superbe, équilibré, serein, glorieux comme tous les Moët Brut Impérial anciens. Il accompagne les amuse-bouche qui sont un peu trop intellectuels pour le champagne qui aimerait des saveurs plus douces. Le champagne est excellent mais il est peut-être un peu trop classique et pas assez canaille.

Nous commençons la série des blancs. Lorsque Julien avait annoncé un Chablis Faiveley 1928, j’ai eu envie de le confronter à un Chablis Faiveley 1926 que j’avais en cave. Le niveau du 1926 est bas aussi j’avais pris un Hermitage blanc 1955 de secours, dont nous n’aurons pas besoin. Les coquilles crues sont idéales pour mettre en valeur ces deux blancs. Ce qui me frappe tout de suite c’est que ces deux vins ont un ADN identique. Ils ont la même fraîcheur, la même précision ciselée du message et ils ne différent qu’en ampleur, le 1928 étant plus large et au coffre plus affirmé. Je me suis amusé à dire que je préfère toujours mes vins et que le 1926 plus gracile et plus romantique me plait plus mais en fait les deux sont d’une immense pureté, le 1928 étant, grâce à son année, plus conquérant. La prestation des deux vins est impressionnante.

Didier a tenu à ce que j’ouvre le Brézème Côtes du Rhône domaine Pouchoulin blanc 1952 au niveau bas et dont la cire du bouchon avait été décapitée il y a longtemps. Au moment de pointer le tirebouchon le bouchon a glissé, impossible à remonter. Il a fallu carafer et la couleur n’était pas très engageante. Servi maintenant il est buvable mais son émotion est bien faible après les deux chablis. Didier, défendant son bébé nous a raconté l’estime qu’il a pour ce domaine dont le 1906 qu’il a bu est une merveille. Comme il l’a répété au moins dix fois il a fallu lui rappeler que ce que nous buvons n’est pas le 1906 mais le 1952, vin effacé.

Pour la lotte, c’est le Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964 de Sintija qui est servi. Sa couleur est magnifique de jeunesse. Le vin est pur, joyeux à la belle acidité. Il est délicieux avec la lotte et c’est surtout les coques qui le font vibrer le plus. C’est un beau vin mais je trouve qu’il n’a pas totalement le panache d’un Ramonet. Il est grand mais pas éblouissant.

Nous passons maintenant aux rouges et je fais servir trois vins, deux de 1928 et un de 1929. C’est à signaler car ces deux années sont légendaires. Le Château Carbonnieux rouge 1928 d’Alain est une merveille absolue. Sa couleur est de rouge sang. Le vin est riche et pesant, avec un velours infini et un grain lourd de truffe et de charbon. Ce Carbonnieux est au sommet du vin de Bordeaux. Il est absolument immense. Je n’en reviens pas.

Lorsque je porte mes lèvres au Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 de Didier, je reçois un coup de poing au cœur. Car ce vin est d’une séduction d’une sensualité invraisemblable. Le Carbonnieux, c’était François 1er commandant les troupes au combat. Ce Côtes de Beaune, c’est Suzanne au bain, c’est l’Odalisque d’Ingres, c’est la séduction absolue. Je suis tellement sous le charme que j’en perds toute objectivité. On est face à la séduction absolue de la Bourgogne mais surtout de l’année 1929.

Le troisième vin qui accompagne le cabillaud qui subjugue tout le monde par sa pertinence sur les vins est le Corton-Grancey Grand cru Maison Louis Latour 1928 de Patrice. Après les deux autres, il a beaucoup plus de mal à se positionner. S’il était seul dans un repas, on s’extasierait, mais après les deux monstres sacrés, il manque un peu de vivacité et d’émotion. Il est quand même suffisamment riche. Nous sommes aux anges de goûter ces trois vins si parfaits.

Pour les trois morceaux de bœuf nous ajoutons deux autres rouges. Le Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955 de Sintija crée une rupture fascinante. Car tout d’un coup nous découvrons un vin ‘jeune’ (tout est relatif) et incroyablement bourguignon. Il a cette râpe excitante du vin bourguignon sauvage. Il est vif, actif et ne laisse personne indifférent. Je l’adore.

Le Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976 de Julien a du mal à passer après les quatre autres. Julien en est triste mais je crois qu’il n’a aucune raison car ce Châteauneuf est bon. Il est même très bon mais son message parait assez simple après les vins de Bourgogne. Pour lui aussi on peut dire que s’il était bu tout seul dans un repas, comme pour le Corton Grancey 1928, on s’en régalerait, car il a une cohérence et une belle mâche qui sont plaisantes. Les viandes sont délicieuses et c’est le Simmental qui est le plus adapté aux vins car il allie fermeté et intensité du goût. Le Wagyu conviendrait mieux à des vins jeunes et riches.

Les trois sauternes sont servis en même temps sur les mangues. Je commence par le Château d’Yquem 1947 dont nous sommes tous co-apporteurs puisque nous en avons partagé le coût. Cet Yquem est royal, profond, complexe avec des myriades de complexités, mais surtout il a un gras qui le différencie de l’autre 1947.

Le Château Suduiraut 1947 de Patrice a une couleur aussi foncée que l’Yquem il est puissant et très proche qualitativement de l’Yquem. La différence se fait par le gras diabolique de l’Yquem, tandis que le Suduiraut est d’une pureté expressive exemplaire et d’une belle complexité lui aussi.

Après ces deux monstres, le Château La Tour Blanche 1920 que j’ai apporté est un gringalet. Sa couleur est beaucoup plus claire que celle des deux 1947 et il est translucide alors que les deux autres sont opaques. En bouche il est gracieux, il a mangé une partie de son sucre et il est d’un romantisme que j’adore. Lui aussi serait une vedette s’il était seul sur la table.

Nous sommes un peu groggys non pas par la charge alcoolique des vins mais par la conjonction d’autant de bouteilles parfaites et légendaires. Nous avons plusieurs fois côtoyé la perfection et des vins éternels, que nous retrouverions dans le même état et avec la même émotion si nous pouvions les goûter à nouveau dans cinquante ans.

Didier serait très heureux si ce dîner dont il est à l’origine pouvait être compté parmi mes dîners de wine-dinners. Il serait plus logique de le compter comme une séance de l’académie mais comme j’ai ouvert tous les vins et comme j’ai composé le menu avec le chef on peut faire une exception pour ce dîner qui sera le 221ème. De ce fait, il faut voter.

Nous sommes six à voter pour nos cinq vins préférés parmi les 14 du repas. Trois vins ont eu les honneurs de la place de premier. L’Yquem a été nommé quatre fois premier, le Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 une fois ainsi que le Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959. Dix vins sur quatorze ont figuré dans les votes ce qui est particulièrement brillant.

Le vote du consensus serait : 1 – Château d’Yquem 1947, 2 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 3 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 4 – Château Carbonnieux rouge 1928, 5 – Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959.

Mon vote est : 1 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 2 – Château d’Yquem 1947, 3 – Château Carbonnieux rouge 1928, 4 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 5 – Château La Tour Blanche 1920.

Ça pourrait s’arrêter là, mais Julien sort de sa musette une bouteille d’un Marc de rosé Domaine d’Ott 1929, dans une bouteille d’une rare beauté qui est la bouteille historique des vins du domaine. Au nez, l’alcool paraît fort et sec. En bouche il est d’une douceur et d’une suavité qui font qu’on en boirait sans s’arrêter. Ce marc est diabolique, je l’adore.

Le chef Teshi a fait des plats qui ont collé parfaitement aux vins. Thibaut a fait un service intelligent des vins et malgré la petitesse de la table j’ai pu aligner sur trois rangées les 14 vins plus l’alcool devant ma place. A part le champagne du début, tous les vins se sont présentés au meilleur d’eux-mêmes. Aucun d’entre nous n’imaginait une telle réussite. Ce fut un dîner mémorable qui prouve que les vins antiques de 90 ans ont encore une sacrée énergie.

Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964

On remarque à quel point le bas du bouchon est rétréci

Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959

Chablis Faiveley 1928

Chablis Faiveley 1926

les bouchons des deux Faiveley. le 1926 à gauche et le 1928 à droite

Brézème Côtes du Rhône domaine Pouchoulin blanc 1952

Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964

Château Carbonnieux rouge 1928

bouchon du Carbonnieux 28 (à droite) et du Hautes Côtes de Beaune 1929 (à gauche)

Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929

Corton-Grancey Grand cru Maison Louis Latour 1928

bouchons du Corton Grancey 1928 (à droite) et du Clos Vougeot 1955 (à gauche)

Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955

magnifique bouchon de 1955

Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976

Château d’Yquem 1947

Château Suduiraut 1947

Château La Tour Blanche 1920

tous les bouchons sauf celui du 1952 tombé dans la bouteille

le Marc de rosé domaine d’Ott 1929 dans sa jolie bouteille