Dîner à la maison avec mon filssamedi, 17 février 2018

Mon fils fait son habituel voyage en France pour gérer les sociétés qu’il dirige. Le rituel du premier dîner chez ses parents laisse peu de place à l’improvisation. Il y aura un pâté de tête, puis un poulet avec une purée à la truffe, suivi de fromages dont un camembert Jort à boîte bois, et enfin les meringues rondes saupoudrée de fines pépites de chocolat qui nous plaisent d’autant plus que leur nom originel est interdit par le politiquement correct.

L’apéritif se prend avec une bouteille de Champagne Krug Private Cuvée probablement des années 50 au niveau très bas car le court bouchon n’a pas joué son rôle sur la durée. La bouteille en verre vert ne permettait pas d’estimer la couleur du champagne aussi est-ce une belle surprise de voir un liquide à peine ambré. Le bouchon totalement rétréci ne laissait aucune possibilité de pschitt, et le champagne au parfum discret mais droit fait nettement sentir son pétillant. L’amertume est belle, la longueur est belle tant le champagne est imprégnant. Si le champagne n’est pas parfait, il a gardé une force de persuasion. Avec le pâté de tête, on se régale.

J’ai ouvert il y a moins de deux heures une bouteille illisible, sûrement du 19ème siècle compte tenu du verre de la bouteille, de l’usure de l’étiquette, de la désagrégation de la capsule et de la charpie du bouchon. C’est franchement vieux. Le niveau est à la limite entre basse épaule et vidange et ce qui m’a surpris, c’est que l’odeur à l’ouverture soit aussi sympathique. On sent un vin qui ne demande qu’à s’ouvrir.

Il va nous manquer les deux heures d’aération supplémentaire que je n’ai pu donner. Le vin servi dans le verre a une couleur acceptable. Ce n’est pas flamboyant, mais il y a quand même des ébauches de sang de pigeon. Dans le verre, on sent beaucoup plus qu’à l’ouverture un nez de bouchon, mais qui n’altère pas la bouche. Le vin est vieux, bien sûr, mais très intéressant. Je vois poindre des évocations de fruits rouges sympathiques qui confortent mon sentiment que deux heures d’aération de plus auraient transformé ce vin en un grand vin. Sur le poulet et surtout sur la purée à la truffe, le vin se tient très bien. On oublie la trace de bouchon pour ne garder que le fruit délicat. L’étiquette est illisible mais les rares lettres que l’on croit lire pourraient faire penser qu’il s’agit d’un Gruaud-Larose # 1890.

Pour le fromage, j’ouvre une deuxième bouteille de Champagne Krug Private Cuvée probablement des années 50 dont le niveau est meilleur que celui de la première bouteille. La couleur est plus claire et le champagne est plus ensoleillé que le précédent. Les amertumes d’agrumes confits sont les mêmes, mais il y a plus de joie de vivre et de soleil dans ce deuxième champagne.

Ce que j’aime en dégustant avec mon fils c’est son ouverture d’esprit pour savoir lire au-delà des brumes d’imprécisions. Tant qu’il y a un message dans des vins anciens, il convient de l’écouter si, bien sûr, le plaisir est là. Il le fut. La ‘tête’ de ‘meringue chocolatée’ s’est mangée pour elle-même puisque le sucre n’est ami d’aucun vin. Nous avons laissé une chance à des vins d’âges canoniques. Ils nous ont remercié en exhumant de belles complexités.

Premier Krug

Bordeaux du 19ème siècle

Deuxième Krug

les deux bouchons