101ème dîner de wine-dinners au restautant Laurent jeudi, 15 mai 2008

Le cent-unième dîner de wine-dinners, se tient au restaurant Laurent, car l’un des convives en avait exprimé le souhait. Il ne me déplait pas que le premier dîner d’un nouveau centenaire se tienne en cet endroit. Philippe Bourguignon n’est pas là, mais tout a été mis au point avec lui. Patrick Lair et Daniel m’apportent les bouteilles pour la photo de groupe lorsque j’arrive à 17 heures pour cette cérémonie indispensable : l’ouverture des vins. Le nombre de bouchons qui se brisent en mille morceaux est particulièrement élevé. Les combats sont rudes, surtout pour le 1933. Tous les bouchons sont d’origine sauf celui de l’Yquem 1961, pourtant l’un des plus jeunes vins. La seule odeur qui m’inquiète est celle du Gruaud-Larose 1928. Malgré un niveau que j’avais annoncé très bas, le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1933 a une odeur très prometteuse.

J’ai le temps de faire quelques courses, je m’habille de frais et j’attends les convives à une table dressée pour moi dans le précieux écrin que forme le jardin de ce restaurant où les fleurs de marronniers pointent vers le ciel leurs cônes blancs de pétales tachés de rouge sang. Daniel me voyant à l’eau minérale pense sans doute que le roi est nu et ajoute sur la table une coupe de Champagne Pommery Cuvée Louise 1998. C’est du champagne, mais vraiment trop strict. C’est le bon élève, mais qui ne m’apporte pas d’émotion. Michel, le barman fidèle avec lequel j’aime échanger des impressions me trouve bien sévère, mais la suite va confirmer ma rapide analyse.

En profitant de ce bon champagne sous les frondaisons, je reçois le traditionnel SMS du plus fidèle parmi les fidèles qui m’annonce qu’il sera en retard. La seule femme de notre dîner illumine notre groupe de sa beauté, volant la vedette à ce soir printanier et primesautier. Le Champagne Charles Heidsieck Réserve Privée mis en cave en 1990 qui sert d’apéritif est absolument délicieux et tout en lui est émotion. Parmi les nombreuses évocations tendres, c’est le miel qui me marque le plus. La bouteille était dans une jolie boîte en bois individuelle, et quelqu’un avait marqué au crayon « vendange 1989 ». Je ne me souviens plus très bien de la méthode de datation de la mise en cave, mais il serait étonnant qu’il s’agisse de vins de 1989. Ce champagne, sur des rôties au thon fumé est un avant-propos guilleret de notre dîner.

Autour de la table, mon fidèle ami avocat, un autre habitué des dîners depuis le tout début, chef d’entreprise dans les services informatiques venu avec l’un de ses collaborateurs et l’un de ses clients de la grande distribution, un ami comédien passionné de vin, un caviste chinois qui est intéressé par l’extension de mes dîners vers d’autres horizons olympiques, une productrice d’émission de télévision et un très grand vigneron bourguignon ami forment un ensemble particulièrement varié qui va s’entendre, rire et s’émerveiller.

Le menu créé par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret est joliment composé : Filet de maquereau cuit au vin blanc et aux aromates, nage citronnée et mousseline moutardée / Filet épais de gros turbot façon meunière, aspics de fèves et morilles / Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, premières girolles / Ris de veau rissolé au sautoir, primeurs en aigre doux / Pigeon rôti à la broche, dariole de maïs relevée par un salmis et des haricots noirs / Fourme / Mille-feuille garni d’une mousseline aux agrumes et caramel au beurre salé / Café, mignardises et chocolats.

D’emblée, le Champagne Besserat de Bellefon réserve 1966 plante le décor : il n’a pas d’âge. D’une couleur ayant viré légèrement vers l’ambre rosé, d’un nez expressif, ce champagne semble en contrat avec ces marques de cosmétiques qui montrent des actrices dont les visages ne prennent pas une ride pendant la durée de leur contrat. Bien sûr, la bulle n’est plus aussi active mais le pétillant est intact. Et la largeur de la palette aromatique est infinie. Nous nous amusons à des travaux pratiques sur les accords mets et vins, car un joli damier qui accompagne le maquereau vibre étonnamment bien avec le champagne, suivi de la chair du maquereau, qui éveille en lui de belles vibrations citronnées alors que les akras un peu plus secs font barrage à ce breuvage. Pour beaucoup de convives qui ne s’étaient pas encore aventurés dans le monde des champagnes évolués, il s’git d’une grande surprise.

Mon voisin de table a passé sa jeunesse en Alsace, aussi pour lui, le Tokay d’Alsace Hugel 1958 fait partie, sur le papier, des vins qui ont dépassé leur date de péremption. Quelle n’est pas sa surprise devant ce vin qui fête, à deux jours près, le cinquantenaire de la cinquième république ! Il a besoin de prendre ses aises dans le verre, et dès qu’il est épanoui, il montre à la fois une jeunesse fringante et une complexité qui ne limite pas son charme. Je reconnais avec beaucoup de plaisir la signature Hugelienne de vins puissants, épanouis et convaincants. Ce marquage de famille est pour moi d’un grand confort. A côté de lui, le Corton Charlemagne Rapet Père & Fils 1961 développe des charmes différents, et l’on peut passer de l’un à l’autre vin sans qu’aucun ne se sente gêné. On est assez loin des Corton-Charlemagne d’aujourd’hui, mais il est possible de reconnaître son appellation comme le signalent l’ami avocat et le vigneron. Il manque un peu de corps en milieu de bouche, qu’il compense par sa diversité de discours. Les morilles excitent savamment les deux vins par leur mâche charnelle et la sauce du turbot met en valeur de Corton-Charlemagne en l’étirant encore. Paradoxalement, c’est le délicieux turbot qui fait un peu l’amant discret, car il n’excite réellement aucun des deux vins, se contentant de nous ravir de sa chair succulente.

A ce stade, nous avons bu deux champagnes et deux blancs dont aucun n’a montré de réel signe d’âge. Pour 20, 42, 50 et 47 ans, c’est assez spectaculaire. La série qui se présente maintenant va nous faire entrer dans le travail du temps.

Le Château Margaux, Margaux 1952 a besoin de s’étirer dans le verre, de reprendre ses formes, ce qui me conduit à une réflexion que j’étudierai : malgré une ouverture des vins quatre ou cinq heures à l’avance, il ne serait sans doute pas inutile que le vin soit servi en verres dix minutes avant que nous ne le buvions. Cela complèterait l’éclosion que certains vins nécessitent. Le Margaux est délicieusement Margaux, avec un romantisme qui est attaché indéfectiblement à ce domaine. Après quelques minutes, l’âge ne se sent plus, ce que confirme mon ami vigneron.

Ayant demandé en début de repas que l’on ne condamne pas sans preuve, mes convives ont l’extrême gentillesse de chercher tout ce que le Château Gruaud-Larose 1928 à la couleur tuilée et trouble a de bon. Mais sa cause ne peut être sauvée. Même si l’on sent parfois de belles réminiscences du roi des vins et du vin des rois, il est trop fatigué, après l’odeur vinaigrée que j’avais décelée à l’ouverture, pour qu’un réel plaisir soit au rendez-vous. La partie grasse du carré d’agneau joue l’infirmière éphémère en le titillant un peu. Seul le Margaux reste, ami de la belle chair bien franche et des champignons dorés.  

La série des deux bourgognes va être diamétralement opposée, car aucun signe d’âge n’apparaîtra. Mon ami vigneron est bien curieux de voir ce que peut donner le roturier de 1947. Le Beaune Clos des Mouches Confrérie des chevaliers du Tastevin élévé dans les caves de Joseph Drouhin, tastevinage 1952, millésime 1949, au nom plus long qu’un discours de Malraux, affiche d’emblée qu’il est de 1949 cette splendide année en Bourgogne. Sa sérénité gustative ensoleillée est un rare plaisir.

A ses côtés, le Côtes de Beaune Villages Champy Père et Fils 1947 a une couleur plus jeune encore, plus rouge vif, et sa structure en bouche étonne tout le monde. Il y a du premier cru dans ce vin qui à l’aveugle serait invariablement classé dans une appellation très supérieure. Les deux vins sont complémentaires, très bourguignons tous les deux, et nous remplissent de joie. Le ris de veau est très intelligent pour mettre en valeur les deux vins, surtout le 1949, et les petits légumes excitent le 1947 gentiment.

Au moment où l’on me sert le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1933, je sais instantanément que c’est gagné. C’est l’attaque immédiate du vin en bouche qui est d’un plaisir complet. L’image qui me vient à l’esprit, c’est celle de ces concours télévisés où il faut répondre au plus vite. Quand on a la réponse qui s’impose dans l’instant, on affiche un sourire de certitude. C’est cela que me donne ce vin. Il est très Domaine de la Romanée Conti, et malgré son niveau bas, il n’est pas torréfié ou caramélisé, défaut classique des baisses de niveau. Comme il n’est pas parfait, c’est sur sa longueur et son coffre que l’on trouve d’infimes insuffisances. Mais son attaque est si belle, si rassurante, que le plaisir l’emporte. Le pigeon est très bon, peut-être à peine trop cuit et c’est le maïs qui n’est pas un bon compagnon pour le vin.

Le Château d’Yquem 1961 est servi sur une fourme, et malgré une couleur dorée annonciatrice de beaux agrumes, c’est surtout le caramel que récite le vin, que je trouve un peu moins complet, même s’il est diablement fringant, que les précédents 1961 que j’ai bus.

Le Château Roumieu Haut-Barsac 1929 a une étiquette qui indique « réserve du restaurant Larue », ce temple perdu de la grande gastronomie d’il y a un siècle. Et la capsule indiquait la même provenance. Le vin est d’un noir inimaginable et de jeunes convives me demandent de préciser si c’est un vin blanc ! Malgré ce ton foncé, le vin décline un très joli agrume, et c’est le dessert qui l’oriente vers les tons de caramel et de réglisse. Etant sensible à ces lourds parfums je succombe à ce charme qui n’est pas antinomique de la joyeuse exubérance noble de l’Yquem, plus structuré mais plus jeune. Le sorbet et la feuille fine de chocolat dans le dessert n’aiment pas les sauternes.

Chacun complimente les choix des plats et leur exécution. Nous passons maintenant aux votes. Sur les onze vins que nous bûmes à neuf, dix d’entre eux sont entrés dans des votes, le Gruaud-Larose 1928 étant le seul recalé ce qui est logique. Cinq vins ont eu des votes de premier : l’Yquem 1961 deux fois comme le Côtes de Beaune Villages 1947 et comme le Château Margaux 1952. Ceux qui ont eu une fois un vote de premier sont le Beaune Clos des Mouches 1949, le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1933 et le Château Roumieu 1929.

Le vote de mon ami vigneron est : 1 – Côtes de Beaune Villages Champy Père et Fils 1947, 2 – Château d’Yquem 1961, 3 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1933 et 4 – Tokay d’Alsace Hugel 1958. Si je cite ce vote, c’est pour signaler qu’un vigneron prestigieux vote en premier pour un Côtes de Beaune Villages, ce qui remet quelques idées en perspective.

Le vote du consensus serait : 1 – Château d’Yquem 1961, 2 – Château Margaux 1952, 3 – Côtes de Beaune Villages Champy Père et Fils 1947, 4 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1933.

Mon vote : 1 – Château Roumieu Haut-Barsac 1929, 2 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1933, 3 – Tokay d’Alsace Hugel 1958, 4 – Champagne Besserat de Bellefon rosé réserve 1966.

Beaucoup de convives étaient nouveaux. Ce fut pour eux un grand étonnement et une découverte que la vitalité de vins que l’on penserait en fin de vie. L’analyse des accords est un exercice auquel on se livre rarement avec autant de détail. Dans une atmosphère enjouée, rieuse, aux dialogues passionnés, nous avons rendu un vibrant hommage, sur une grande cuisine, à des témoignages étonnants et précieux de l’histoire du vin.

101ème dîner au restautant Laurent – les photos jeudi, 15 mai 2008

Les vins du repas

Le menu créé par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret

Rôties au thon fumé

Filet de maquereau cuit au vin blanc et aux aromates, nage citronnée et mousseline moutardée

Filet épais de gros turbot façon meunière, aspics de fèves et morilles

(photo oubliée !)

Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, premières girolles

Ris de veau rissolé au sautoir, primeurs en aigre doux

Pigeon rôti à la broche, dariole de maïs relevée par un salmis et des haricots noirs

Fourme

Mille-feuille garni d’une mousseline aux agrumes et caramel au beurre salé

Café, mignardises et chocolats

La table en fin de repas

 

Les vins du 101ème dîner de wine-dinners jeudi, 15 mai 2008

Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1990

(sur la caisse, on lit "vendange 1989" est-ce un 1989 ?)

Champagne Besserat de Bellefon Réserve 1966

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Tokay d’Alsace Hugel 1958

Corton Charlemagne Rapet Père & Fils 1961

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Château Margaux, Margaux 1952

Château Gruaud-Larose 1928

Beaune Clos des Mouches Confrérie des chevaliers du Tastevin élevé dans les caves de Joseph Drouhin, tastevinage 1952, millésime 1949

Côtes de Beaune Villages Champy Père & Fils 1947

Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1933 (niveau bas)

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Château d’Yquem 1961

Château Roumieu Haut-Barsac 1929

 

"réserve Restaurant Larue" imprimé sur l’étiquette est aussi gravé sur la capsule.

anniversaire de mon fils – dîner surprise mardi, 13 mai 2008

Après une longue semaine de repos, je remonte du sud à Paris le jour de l’anniversaire de mon fils, pendant que ma femme continue de préparer son mariage qui se tiendra à Giens. Je demande au fêté ce qu’il compte faire le soir, et rien n’est apparemment prévu. Il me demande si je veux venir dîner chez lui et j’annonce que je resterai au calme chez moi. Ma fille aînée ayant programmé de lui faire une visite surprise, je me présente chez mon fils et ma bru qui ne s’attendaient pas à me voir. Ma fille aînée et son compagnon nous rejoignent et nous démarrons un happening culinaire très plaisant composé de plats multiethniques goûteux.

Le Château Carbonnieux blanc 2005 a toutes les notes de la gamme sur sa partition. Mais à cet âge ingrat, c’est du Schönberg plus que du Mozart. Les arômes s’entrechoquent dans des dissonances involontaires. On se sent en plein infanticide, tuant dans l’œuf un talent qui ne se révèlera que dans quelques années.

Ma bru a créé un concept qui ressortit aux revendications ouvrières, appuyée en cela par ma fille aînée. Il s’agit du vin de Ginette. Je demande aux Ginette de pardonner cet emprunt de leur prénom. Elles ne méritent pourtant pas une disgrâce de plus. Comme on boit chez moi des vins caciques et dont les poitrails rutilent de décoration, cette dissidence tend à vanter des vins prolétaires. C’est donc un Chianti Classico 2006 d’un producteur inconnu qui prend place sur la table posée dans le jardin par une nuit idyllique d’un chaud printemps. Ma première réaction est de penser que le vigneron a affiché haut et fort qu’il ne voulait pas faire du vin. Il y a du copeau, de la vanille et du poivre, mais du vin, il n’y en a pas. Et cela apparaît hautement revendiqué, comme le fait ma bru avec ses vins de Ginette. Je n’ai jamais chiqué de ma vie, mais j’imagine que les Popeye et autres marins devaient ruminer un jus de chique qui ressemble à ce que je bois.

Alors bien sûr, la Côte Rôtie Brune et Blonde Guigal 2002 peut se réjouir d’apparaître après ce mauvais brouillon. Mais je reste sur ma faim. Quand on connaît le talent que Guigal met dans ses grandes Côtes Rôties, on trouve que celle-ci pianote d’un seul doigt. Il y a une ouverture vers des horizons gustatifs qui satisfont le palais, et entrouvrent les portes du plaisir, mais il n’y a pas l’émotion que l’on pourrait avoir. Ne soyons pas trop difficiles.

Ces trois vins déploient le tapis rouge pour le vin que j’ai apporté, le champagne Jacques Selosse brut 1998. Ce champagne est comme l’apparition de la Vierge dans les Hautes Alpes. On se prendrait à fredonner « il est né le divin enfant ». Il y a des fruits roses et blancs, des pêches de vigne, et une délicatesse quasi indéfinissable. On prend conscience de la volonté du vigneron de faire ce qu’un vigneron doit faire : un vin expressif et juste. Du vrai vin. Nous sommes conscients que ce champagne profiterait de  quelques années de plus, mais son charme insistant agit. C’est un très grand champagne. Nous avons reconstruit le monde, joué au président de la république en se mettant à sa place, sport auquel on se livre de plus en plus fréquemment. Les bougies se sont soufflées sur un joli gâteau. Cette soirée impromptue est un fort moment de l’amour familial.

Montrachet DRC à l’hôtel des Roches samedi, 10 mai 2008

Mon gendre de retour des USA nous rejoint dans le sud, et nous allons tous les quatre, femme, fille, gendre et moi à l’hôtel des Roches au Lavandou. Nous sommes accueillis par Fabien Dandine, à qui je demande la carte des vins. C’est une carte intelligente, avec une stratégie de prix que j’apprécie. La conséquence, c’est que nous prenons de grands vins. Le champagne Krug 1988 que j’ai maintes fois bu est toujours aussi élégant. Il commence par des notes florales, de fleurs roses et blanches, puis récite ses gammes citronnées, et finit sur des notes de miel. C’est amusant de le voir débuter dans le romantisme pour finir dans la solidité sérieuse. De délicats amuse-bouche le font changer de personnalité avec une rare adaptabilité. Des asperges vertes et blanches, cuites et crues, avec un fin velouté et une vinaigrette tiède aux truffes font bien ressortir la noblesse du champagne. Matthias Dandine, connaissant les vins que nous prenons, a prévu un plat où cohabitent de délicieuses langoustines très pures avec de la langouste cuite pour exprimer son goût très fort. Du riz coco avec mangues, un mousseux de carottes, gingembre, achar de légumes et coriandre. Le plat goûteux et élégant fait briller le champagne.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1996 est prévu pour un quasi de veau de lait, le foie rosé, sauté de morilles et velouté, jus au parfum d’ail des Ours. Dès le premier instant, le nez plante le décor. On est dans la complexité la plus absolue, avec un éventail aromatique infini. Là aussi, on décline le floral, le mentholé, le citrique, mais aussi le beurre, la crème de lait. C’est un festival absolu. Nous sommes aux anges. Il fallait un accord de confrontation et ce qui se passe est parfait. Sur la chair pure, le Montrachet est à son aise, car il aime le combat. Mais c’est surtout avec la sauce, qui normalement est sur le territoire de chasse des rouges, que l’accord est éblouissant, donnant au Montrachet une longueur et une complexité infinies.

Matthias Dandine nous annonce qu’il a prévu des fraises des bois. La logique oriente vers un champagne rosé. Je lis la carte, et j’hésite. Matthias nous suggère d’essayer le champagne Cuvée Célébris rosé Gosset 2003. Entrer en scène après un Montrachet Domaine de la Romanée Conti, c’est une mission quasiment impossible pour ce rosé à la jolie couleur, qui n’arrive pas à capter notre intérêt.

Tout en cette soirée nous a plongés dans une ambiance de vacances. Matthias Dandine réussit une cuisine sereine, simple à lire et riche de belles saveurs. Grâce à une tarification intelligente, nous avons pu aborder des vins de première grandeur. Une bien belle soirée.

Hotel des Roches – les photos samedi, 10 mai 2008

Champagne Krug 1988

Le bouchon et la capsule

Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1996

Plat d’asperges vertes et blanches

Langoustines et langouste

Quasi de veau pour le Montrachet

Bouchon du champagne Gosset Cuvée Célébris 2003

Champagne Gosset Cuvée Célébris 2003

Dessert aux fraises des bois et des madeleines (miam miam !)

table d’hôtes d’Yvan Roux mercredi, 7 mai 2008

Dans le sud, l’ordre du jour est d’arriver à retrouver un peu de calme dans une vie quelque peu chahutée. Mais l’appel de la bonne chère est trop fort. Nous arrivons à la table d’hôte d’Yvan Roux qui nous a préparé le dîner avec son épouse. La vue de la terrasse est un spectacle dont on ne se lasse pas.

Les petits beignets d’encornets se marient délicieusement au champagne Laurent Perrier Grand Siècle qui est un rituel probablement éphémère, car la brusque hausse des cours va rendre ce champagne inaccessible.

Le homard vivant de 2,6 kilos donne un haut le cœur à ma fille qui ne veut pas voir la mort inéluctable de ce crustacé. Yvan ira le préparer à l’extérieur. La cuisson de la chair du homard est certainement l’une des plus réussies que j’aie pu goûter de cet animal, car la profondeur de la chair et sa lourdeur s’accompagnent d’une impression de légèreté, sans remise en cause de l’intensité du goût.

Les pinces viennent dans une autre assiette plantée de gousses d’ail confites. Babette avait ouvert pour elle-même un Rimauresq Côtes de Provence blanc 2006. C’est un vin blanc assez classique. L’ail lui donne un relief et une dimension qu’il n’aurait jamais sans cela.

On nous sert ensuite un saint-pierre d’un kilo, goûteux et simple à la fois, qui comble nos appétits. Des profiteroles avec une glace vanille ponctuent un grand moment de bonheur, où la mer, la cuisine exacte d’Yvan, et la décontraction de l’instant font passer un moment de grande félicité.

à Roanne, dîner sublime sur la cuisine d’un ami samedi, 3 mai 2008

Le deuxième dîner de notre groupe se tient au domicile de Raymond, et ce sera Jean-Philippe qui réalisera le repas. Après une journée d’écriture et de repos, entrecoupée d’un déjeuner léger concocté par Michel Troisgros, asperges et sole, j’arrive dans le beau parc donnant sur un étang. La maison bruisse de la préparation d’un festin. Jean-Philippe a envahi la cuisine et les alentours. Je le vois en tablier, d’un calme impressionnant, en train de régler l’ordonnancement d’une dizaine de plats. Autour on s’affaire, préparant les mille et une petites choses qui composent un grand repas. Raymond coupe de fines tranches d’un jambon espagnol, un Jabugo Sanchez Romero Carvajal, mais une armée de vautours l’empêche de remplir l’assiette. Comme la mouette de Gaston Lagaffe, chacun de nous subtilise tout ce qui se découpe. J’aime sentir les atmosphères. Je suis préposé à l’ouverture des bouteilles, mais on me scrute, on m’observe. Tout-à-coup, Evelyne met un genou à terre et me dit : « François, tu me ferais un grand plaisir si tu nous ouvrais un Mouton 1945 ». Je ris, parce que j’ai compris ce que l’on souhaite, que j’ouvre un Vega Sicilia Unico 1974 que j’ai apporté. Je fais mine de dire que je ne l’ouvrirai pas car mon vin « officiel » est un vin d’Algérie Sénéclauze 1953. J’ouvre l’espagnol en cachette et je continue d’écouter les supplications. Jean-Philippe m’explique la logique de son repas dont il résulte que le Vega est indispensable. Je fais mine de ne pas entendre. J’ouvre toutes les bouteilles.

Nous sommes sept, rejoints par le frère de Raymond, moins obsédé de vin que nous ne le sommes, qui assistera médusé à nos conversations de « mordus ». Sous une agréable terrasse d’une belle et chaude journée, nous commençons à comparer deux champagnes de Selosse.

Le Champagne « Contraste » Jacques Selosse dégorgé au début 2007 a une couleur extrêmement ambrée, qui ne correspond à aucune évolution particulière, car en bouche, le vin est jeune, pétillant, expressif. Le Champagne « Substance » Jacques Selosse dégorgé au début 2007 est moins ambré. C’est le champagne d’Anselme Selosse que je préfère, combinant charme et intellect. Il est extrêmement typé mais n’a pas encore atteint sa plage d’excellence qu’il touchera dans quelques années. Ce sont deux magnifiques champagnes, pleins de vie, de caractère, qui nous conquièrent par leur intelligence. Passant de l’un à l’autre, mon cœur penche vers le Substance. Le jambon bien gras réagit merveilleusement et les trois amuse-bouche de Jean-Philippe donnent aux champagnes des accents nouveaux. C’est d’abord une rémoulade tiède de céleri qui fait une approche prudente avec un goût multiforme que j’adore. Ensuite, un risotto qui ressemble à un échauffement du cuisinier en chef, et une huître Gillardeau avec un sabayon de camembert à la cardamome qui fait entrer de plain pied dans l’univers féerique de Jean-Philippe Durand. Alain n’en revient pas de la pertinence de l’accord avec le Substance, qui est catapulté par l’huître.

Voici le menu créé par Jean-Philippe : filet de sole, côtes de bettes à la pèche de vigne / noix de Saint-jacques, poireaux à la coriandre / ris de veau braisé, endive au cassis / veau basse température, coulis de framboise et hibiscus / bavette de trois semaines juste poêlée, mousserons de Saint-Georges / Comté trente mois, Stilton, roquefort Gabriel Coulet / raviole de mangue au pamplemousse rose, coulis mangue et fruit de la passion / glace caramel et feuilleté au chocolat (Paris-Dakar). Le dernier dessert est le seul plat qui ne soit pas créé par notre chef préféré.  

Le Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1982 est une agréable surprise. C’est un vin d’un équilibre exceptionnel. Il a le charme que ce vin devrait avoir et qu’il n’a jamais quand il est bu trop jeune. Les saveurs citronnées, un gras sympathique font de ce vin un plaisir dont nous jouissons goulûment. Il est très au dessus de toute expérience récente du même vin. La sole épouse son trajet.

Le nez du Meursault Charmes Comtes Lafon 1995 est la perfection du nez de Meursault. Puissant, il a la minéralité exacerbée, et l’odeur marquante d’ardoise mouillée. En bouche, c’est une bombe. Il est évidemment très jeune, mais cela lui va bien. Je suis ravi que ce vin que j’ai apporté se conduise aussi bien. Les deux blancs sont très dissemblables. Les noix de Saint-Jacques sont en harmonie, mais le vin accepterait un grand nombre de saveurs différentes.

Le charme d’Evelyne et l’insistance de Jean-Philippe ont agi efficacement puisque j’ai ouvert le Vega Sicilia Unico 1974. Ils ont eu raison, car le vin a un nez à tomber par terre. Il est doucereux mais profond. En bouche, on s’assoit dans la perfection comme en un canapé profond. Raymond nous dit qu’il n’a probablement pas bu de rouge aussi délicieux. Nous commençons à prendre conscience que nous vivons un moment spécial. Le vin est absolument délicieux, joyeux, simple d’apparence mais complexe. Beaucoup d’amis sont stupéfaits de sa jeunesse aussi bien de couleur que de goût. Le ris de veau épais et parfaitement saisi est exactement ce qu’il fallait pour que ce vin brille.

Le Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau 1991 est un vin d’une délicatesse extrême. Le nez subtil laisse deviner un goût charmant, délicat, complexe. Ajoutons à cela la personnalité bourguignonne et l’on obtient une séduction de première grandeur. Mais le plus extraordinaire, qui m’a quasiment mis K.O. tant le choc est incroyable, c’est que le vin et le veau paré de son coulis forment une continuité gustative inouïe. C’est l’accord parfait que l’on cherche toujours et que l’on ne rencontre que rarement. Quand on mange ou quand on boit, on a strictement la même empreinte gustative, d’une linéarité enthousiasmante. Jean-Philippe avait goûté le vin pour ajuster son coulis. Et c’est extraordinaire. Les deux vins rouges ont des ressemblances dans la perfection, mais des dissemblances dans leurs discours. L’accord du veau est confondant de transcendance.

Nous comptions dans nos têtes la somme de ces perfections et je me demandais comment les deux bordeaux rouges allaient se comporter après ce festival. Le Château Léoville Las Cases 1982 m’a fortement surpris. Je ne suis généralement pas un grand fan de ce vin, mais le 1982 est d’une réussite qui mérite d’être signalée. Généreux, opulent, bien construit, il profite à fond de son millésime. La longueur n’est pas énorme, mais le résultat global est probant. La bavette chenue est difficile à manger seule tant elle a de la bouteille. Il faut croquer les champignons pour que la viande se civilise. Et le Château Latour 1970 montre qu’il est de noble origine. Plus complet que le saint-julien, il combine force et complexité. Sa jeunesse subjugue beaucoup de convives. Ce n’est pas le plus grand Latour parmi les Latour légendaires, mais il est très bon.

Jean-Philippe m’annonce qu’au fromage, il y aura du Comté et me demande quel vin pourrait aller avec ce fromage. La démarche du sioux sur le sentier de la guerre est à peine visible, car j’avais montré à Jean-Philippe les vins de réserve que j’avais apportés. Je me fais prier, par pure coquetterie, et j’ouvre un Château Chalon, fruitière vinicole de Voiteur 1959. On ne peut pas imaginer à quel point l’exotisme de ce vin est envoûtant. Edouard, le frère de Raymond, qui assiste effaré aux digressions emphatiques sur nos pamoisons  est ravi de constater que nous jubilons sur un vin qu’il adore, mais n’a jamais approché aussi vieux. Le Château Chalon à la couleur très trouble, d’un jaune un peu pisseux, est un  véritable bonheur de dépaysement.

Le Château Rieussec 1983 a bien du mal à se frayer un chemin tant nous avons en mémoire la trace indélébile du Fargues 1971. Mais il existe, et bien. Sur le stilton, c’est un grand plaisir. Le dessert de Jean-Philippe est « le » dessert qui convient aux sauternes. Nous sommes gavés de délices.

Lorsque l’on assiste à des courses de lévriers, on est émerveillé de voir à quel point ces chiens sont taillés pour la course. Le Grand Roussillon vin doux naturel Domaine Georges Puig 1936 en demi-bouteille est taillé pour le plaisir. Café, moka, chocolat, vieux marc, il a capté toutes ces saveurs pour rendre sur le chocolat une fulgurance de plaisir.

Nous sommes saouls, non pas de vin, car j’ai vu fleurir sur la table des gobelets d’argent qui ressemblent au mien – j’aurais dû faire breveter cet accessoire – mais de bonheur et de réussite. Car aucun vin n’a déçu. Aucun vin ne nous a laissé une impression de « peut mieux faire ». Et la cuisine de Jean-Philippe a une telle intelligence des vins que nous avons succombé au charme d’un dîner qu’un seul mot peut caractériser : « parfait ». Devant un tel succès, je préfère ne pas voter pour les vins, car tous ont été au sommet des expressions de leurs appellations.

Se quitter était dur. Jean-Philippe s’étant mis au piano à queue pour verser en musique le trop plein de sentiments de ce lourd moment d’émotion, je m’assis près de lui pour qu’il me dicte les intitulés des plats. En deux jours, nous avons solidifié notre amitié, et tapissé notre cerveau de souvenirs indélébiles. Boire de grands vins avec des amateurs sensibles est ce qui se fait de mieux.

dîner chez un ami à Roanne – les plats samedi, 3 mai 2008

jambon espagnol, Jabugo Sanchez Romero Carvajal ,

rémoulade tiède de céleri

risotto (on dirait des spermatozoïdes en chasse)

huître Gillardeau avec un sabayon de camembert à la cardamome

 

filet de sole, côtes de bettes à la pèche de vigne 

noix de Saint-Jacques, poireaux à la coriandre (pas de photo hélas)

ris de veau braisé, endive au cassis

veau basse température, coulis de framboise et hibiscus

bavette de trois semaines juste poêlée, mousserons de Saint-Georges

Comté trente mois, Stilton, roquefort Gabriel Coulet

raviole de mangue au pamplemousse rose, coulis mangue et fruit de la passion

glace caramel et feuilleté au chocolat (Paris-Dakar).

dîner chez un ami à Roanne – les vins samedi, 3 mai 2008

Champagne « Contraste » Jacques Selosse dégorgé au début 2007

Champagne « Substance » Jacques Selosse dégorgé au début 2007  (j’aime beaucoup la déformation des étiquettes par l’eau du seau où flottent les glaçons)

Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1982

Meursault Charmes Comtes Lafon 1995

Vega Sicilia Unico 1974.

Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau 1991

Château Léoville Las Cases 1982

Château Latour 1970

Château Chalon, fruitière vinicole de Voiteur 1959.

Château Rieussec 1983

Grand Roussillon vin doux naturel Domaine Georges Puig 1936 en demi-bouteille

Et le tableau final