Un Salon 1990 à couper le souffle lundi, 23 juillet 2007

Toutes ces occasions de boire sont évidemment sympathiques, mais à un moment, il faut se lancer. Le prétexte de la naissance de Lise est assez facile, mais ce sont les grosses ficelles qui marchent le mieux. J’annonce donc que l’on boira Salon 1990. La voix de Lise étant joliment placée, la fatigue se lit sur les visages féminins. Il sera donc question de sushi, pour simplifier les ordonnancements. Le spécialiste local ayant choisi de s’entourer de top models pour manier le riz et livrer les commandes clients, il est assez légitime que je me dévoue pour aller passer commande. Et nul autre que moi n’ira quérir la livraison de la commande, tant la déesse aux plateaux m’envoûte. Après quelques vocalises de Lise, j’ouvre le champagne Salon 1990. Un saucisson assez viril prépare la bouche à accepter ce champagne qui me conquiert par son miel, ses teints floraux de couleur blanche, et cette longueur insistante invraisemblable. Saucisson, tapenade, olives noires, tout révèle la splendeur du champagne. Voyant avec quelle vitesse s’amorce la décrue du Salon sur le seul apéritif, je décide d’ouvrir un champagne Henri Giraud de Aÿ, champagne brut fûts de chêne 1996. Le champagne est fort bon, sert de faire valoir au Salon qui n’en devient que plus sublime, mais tient sa place, beaucoup plus ambré, plus âgé, ce qui est paradoxal, fumé et typé que le Salon. C’est surtout sur la longueur que la différence est flagrante. Un mot sur le sushi : il n’y a franchement pas de quoi pavoiser sur les accords avec le champagne. L’accord est banalement scolaire. Craignant que les sushi ne nous nourrissent guère alors qu’ils nous gavaient, nous entamons une dégustation comparative de trois camemberts, le Président, le Lanquetot et le Lepetit. Le Président s’élimine d’emblée, trop crémeux et sans virilité. Alors que pour mon gendre la question se pose encore, le match est sans appel pour moi, le Lepetit exprimant une amertume sans rivale. Avec le champagne, le plaisir est grand sans être parfait. Je pense à quelques vins du domaine de la Romanée Conti qui s’accoupleraient avec ce Lepetit pour des plaisirs salaces que seule la décence m’interdit de qualifier.

Le Salon 1990 revient en scène, et sur des petits dés de pain d’épice mouillés de jus de citron, l’accord est amusant, mais restreint le Salon. J’ai l’idée de tartiner sur des galettes de la mère Poulard de la confiture de rhubarbe, ce qui redonne de la longueur au Salon. Et quand on goûte la confiture à la rhubarbe seule, alors le Salon chante, trouvant sa vibration tout en conservant une longueur infinie.

L’instant vient de faire ce qui doit être fait. Sur un transat, sous une lune au milieu de son premier quartier qui chasse les nuages qu’elle argente, je goûte le champagne Salon 1990 seul et je me rends compte de son absolue perfection. Quelle que soit la saveur à laquelle on pense, elle est dans ce champagne. J’y vois surtout des fleurs blanches, du miel, des pamplemousse blancs, et surtout une longueur invraisemblable qui, au lieu d’être linéaire, récite un vocabulaire gustatif de plus de mille mots. Ce champagne est extraordinaire, absolument parfait. Faut-il le comparer maintenant à d’autres immenses champagnes que j’ai bus comme le récent Salon 1982 ou Pol Roger 1921 ou cet éblouissant Moët 1945 ? Que m’importe. Ce soir, ce Salon 1990 est une merveille absolue qui va peupler mes souvenirs.

 La bouteille est très jolie, d’une forme assez proche de celle d’un magnum de Perrier, et les textes sont sérigraphiés ce qui donne beaucoup d’allure à ce flacon.

 J’aime beaucoup cette photo, car au dessus de l’étiquette, on dirait un feu d’articice, et les grosses gouttes qui glissent sous le feu d’artifice forment une grappe de raisin.

Fantasmons un peu. Cette photo est l’image de la nuit, avec l’évocation très sobre d’un des plus grands champagnes du monde, et cette capsule qui se dénude comme une épaule, de façon fort suggestive…

Hello docteur Darwin lundi, 23 juillet 2007

– Hello, docteur Darwin, savez-vous dans la grande histoire de l’évolution des espèces, d’où vient le dauphin ?

– Eh bien, le dauphin provient d’un citron de Carqueiranne.

– Comment est-ce possible ?

– regardez :

 

Quelques vins bus dans le Sud dimanche, 22 juillet 2007

Les amis viennent de-ci de-là et l’on ouvre des vins jeunes ! Ainsi, un Rimauresq rosé Côtes de Provence 2006 (oui, 2006), est un très agréable rosé qui est excité par le goût des olives noires. Vin d’été, on ne lui demande pas d’avoir invité la lune, mais ce qui compte, c’est que son goût soit franc. Un Montus Madiran 1995, c’est autre chose. Voilà un vin qui a perdu toute notion de naturel. Il annonce sur l’étiquette 12,5° d’alcool, mais c’est par modestie. Le bois est outrageusement présent, et si le vin est flatteur, voire même plaisant, c’est qu’il a épousé toutes les techniques de notre époque. Ces vins ne sont pas dans ma démarche, même si je comprends que le consommateur d’aujourd’hui s’y sente à l’aise. Le Rimauresq rouge Côtes de Provence en magnum 2003 est d’une toute autre trempe. Voilà un vin sincère. Avec mon gendre, nous nous faisons la remarque que ce vin qui nous plait énormément ne peut le faire qu’ici. Transposez-le à Paris, et les analyses changeront du tout au tout. Ici, sur un agneau de Sisteron dardé d’ail, cuit quatre heures sur un lit de pommes de terre, tomates et olives noires, ce vin est une pure merveille, avec une astringence totalement à propos, mais surtout une sincérité conquérante. Chaque gorgée est un plaisir simple.

Sur des bars d’élevage, qui montrent sans conteste l’écart gustatif avec des bars de ligne, le reste du Rimauresq 2003 est suivi du Rimauresq Côtes de Provence rouge 1990. Et là, respect, on entre dans une autre catégorie. Ce vin est adorable. Il y a une virilité sauvage, une absence de concession et une pureté de ton qui classent ce vin dans les réussites les plus belles de cette région. Et c’est la démonstration sans appel de la capacité de vieillissement de ces Côtes de Provence que l’on boit beaucoup trop jeunes.

J’ai apporté chez des amis un Maury Paule de Volontat 1925. L’amie qui nous recevait avait prévu une tarte façon Tatin aux mangues. On me demanda comment j’avais pu imaginer qu’il y aurait ce dessert pour que l’accord soit aussi brillant. J’ai confessé que je pratique l’art de la divination. Allais-je avouer que c’était de la chance ?

My preferred Cheval Blanc jeudi, 19 juillet 2007

On the forum of Robert Parker, a report was made of some years of Cheval Blanc, from 1981 to 2003.

It was an occasion to check which years I have loved.

I have checked which years I have drunk of Cheval Blanc, and, from memory, here is the ranking that I would give :

 

1947 / 1959 / 1949 / 1934 / 1945 / 1941 (1) / 1990 / 1919 / 1986 / 1989 / 1961 / 1937 / 1943 / 1950 / 1960 / 1998 / 1995 / 2001 / 2004 / #1900 / 1958 / 1984

 

I give a special mention to the 1941 which bluffed us as never. This weak year performed so well that we were completely astonished.

 

Of course this ranking depends on the fact that I see in recent wines more a promise than a reality.

en blanc, Bordeaux et Loire cohabitent mercredi, 18 juillet 2007

Journée ensoleillée, mer calme, barbecue. Des olives noires bien pleines appellent un Château Laville Haut-Brion 1980. La couleur est jaune claire, comme celle d’un vin récent. Le nez du vin est tout à fait troublant. Cela sent la poudre à canon. En bouche, le vin est très citronné, très sec, presque asséchant, avec une finale courte, mais le charme de Laville est bien présent. Si on me faisait boire ce vin à l’aveugle en me demandant de trouver quel est ce 2003, je ne tiquerais pas sur l’année, car ce 1980 est irréellement jeune. Pendant que le barbecue crépite en dorant des daurades, le niveau du Laville baisse dangereusement aussi nous boirons un Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1990 sur les daurades. Instantanément, ce vin a plus de présence que le Laville. Plus dense, concentré, fumé, il a une trace insistance de réglisse. Ce vin est en dehors de toute norme. Il est à part, et les repères me manquent, mais j’aime bien. C’est manifestement un vin de gastronomie, dont le spectre de compétence me paraît très large. C’est un vin que l’on imagine vieillir avec intérêt. Belle bouteille au charme énigmatique.

les cigales chantent tout l’été mardi, 17 juillet 2007

Au bout du fil : « François, j’ai deux cigales ». Ma réponse : « d’accord, ce soir ». Nous arrivons par un soir d’été magnifique chez Yvan Roux. Voici notre table, face à la presqu’île de Giens.

Pas de Pata Negra pour le Laurent Perrier Grand Siècle. Que se passe-t-il ? Nous aurons quelques compensations. Ce sont d’abord trois petits cigalons à la chair intense, qui excitent bien le champagne. Puis une petite friture de poissons délicieux, pour lesquels le champagne est un accompagnement naturel. Ce sont ensuite de belles girelles dont la chair est très neutre, voire un peu fade. Ce sont ensuite des anémones de mer pour lesquelles je cherche encore le vin qui se marierait bien. J’ai peur qu’un Banyuls n’écrase les anémones. Est-ce plutôt un vin rouge charnu ? Il faudra essayer. Les entrées allaient-elles finir ?

Yvan nous fait goûter un essai : des œufs brouillés aux anémones. L’évidence est criante, seul un champagne peut accompagner ce goût subtil, tout en étrangeté.

Pour les cigales au goût très pur, fait d’une mâche intense et d’une fraîcheur presque mentholée, c’est un Bastor-Lamontagne, sauternes 1995 que j’ai apporté. Bu seul, ce sont le caramel et le pain d’épices qui dominent. Avec la cigale, la continuité est assez spectaculaire. Et comme avec l’Yquem d’un essai récent, ce qui frappe, c’est qu’au-delà de la continuité, le sauternes respecte la chair de la cigale qui reste présente en bouche, sans aucune altération. La mise en valeur est concluante.

Une glace vanille avec des copeaux de pain d’épices vient apaiser un festin de haut niveau. Face à une mer calme sillonnée par des hélicoptères en quête d’on ne sait quoi, sous un ciel dégagé qui miroite d’étoiles, il fait bon vivre de produits de la mer judicieusement traités.

Lynch Bages 1978, Salon 1996, Beaucastel 1990 pour fêter Lise dimanche, 15 juillet 2007

Ça y est ! La dernière de nos petits enfants vient d’arriver dans notre maison du Sud. Les parents s’installent dans leur appartement. Midi sous un vacarme de cigales est le prétexte de fêter Lise, et c’est un champagne Salon 1996 qui s’impose avec évidence. Le champagne a une forte personnalité. Il claque sur la langue et les olives noires le provoquent avec efficacité. Il va se domestiquer, c’est logique, mais il a déjà beaucoup de charme. Sur une barigoule, faite de viande d’agneau de Sisteron, de pommes de terre et artichauts, le Château Lynch Bages 1978 prend des accents du Sud. Il chanterait presque comme les cigales qui rythment les pulsations des feuilles caressées  par une brise légère. Il est beau, typé, construit et expressif, et le mariage se fait bien. Ce Lynch Bages 1978 qui coule en bouche avec facilité est un de ceux que j’aime.

Après ces vins, le ton des journalistes qui commentent l’étape de montagne du Tour de France est le plus sûr garant d’une sieste profonde. Un petit tour en mer, de l’iode plein les narines, et le calme du soir impose un Côtes de Provence Rimauresq rosé 2004. Ça chante le Sud mais je ne suis pas convaincu. Ce vin n’est pas bouchonné mais en a l’amertume. Une erreur de bouteille. Deux petits coquelets accueillent un Chateauneuf du pape, Château de Beaucastel 1990 qui est une pure merveille. Il évoque la peau du fruit de cassis, l’anis étoilé, le poivre, et séduit par la facilité apparente de son langage. C’est bon, calme, serein, accompli. Par une magnifique journée d’été, il fait bon vivre en famille.

Un homard qui épouse un champagne dimanche, 8 juillet 2007

Mon épouse préférée a accompli son devoir de grand-mère et je vais l’accueillir à l’aéroport. Le pied à peine sur la terre ferme, celle où chantent les cigales, je lui annonce que nous allons dîner chez Yvan Roux. Le contraste avec la vie parisienne est assez fort. Yvan me montre un homard de 1,5 kilo et montre à mon épouse un beau petit chapon rouge, et le dîner est lancé. Champagne Laurent-Perrier Grand Siècle avec Pata Negra, c’est le point de passage obligé.

La cuisson du homard est spectaculaire de fraîcheur et ce qui me fascine, c’est qu’Yvan, d’instinct, a trouvé la cuisson qui convient au champagne. La correspondance qui se forme est judicieuse. Les énormes pinces mériteraient un accompagnement, alors que la chair de la queue se doit d’être pure. Un sorbet à l’abricot fait respirer après la lourdeur de la chair intense. C’est une magnifique soirée de retrouvailles de notre couple de grands-parents, dans le lieu magique et amical dirigé par Yvan.

Un merveilleux Bâtard sur une viande rouge ! vendredi, 6 juillet 2007

J’écris sur un forum américain où une question récurrente est : “que buvez-vous ce vendredi soir?”. Et les membres du forum répondent assez volontiers. Ayant laissé mon épouse materner sa fille et sa petite fille, je suis bien seul dans le Sud. Une partie de tennis, un massage, une promenade endiablée en jet ski sur des vagues poussées par le mistral, une marche en forêt ont peuplé mon vendredi. Je me mets devant mon ordinateur et je vois ce message. L’idée de ne rien boire quand d’autres vont ouvrir de beaux flacons a quelque chose d’assez frustrant. Je me souviens alors que j’avais tellement aimé un Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 2002 il y a un an, j’avais demandé que l’on me réserve le solde dans la cave du restaurant de Matthias Dandine à l’Hôtel de Roches au Lavandou.

cette citation figure sur le menu de Matthias Dandine. Délicate atention.

Je réserve une table et indique que je prendrai cette bouteille, et ainsi, mon vendredi ne sera pas vide face à ceux de mes interlocuteurs américains.

Matthias me voyant arriver seul me dit en riant : « tiens, voilà l’inspecteur du guide Michelin qui vient incognito ». Je souris et Matthias me propose un coupe de champagne Comtes de Champagne de Taittinger que je trouve idéal pour étancher une belle soif. Un DJ (disc jockey) tricote une musique guimauve de bon aloi.

l’île du levant à gauche, Port Cros au centre et le cap Bénat à droite, visibles de ma table

(le Batard-Montrachet sur la ligne d’horizon, c’est une belle vision)

Je demande à Matthias de venir goûter le vin avec moi pour que nous décidions du menu. J’ai envie ce soir de créer des accords de combat, voire provocants. Assez rapidement le consensus se fait sur des langoustines avec des févettes et un concassé d’olives noires, puis sur un faux-filet aux pommes Pont-Neuf. Quand Matthias me dit qu’il ajoutera une sauce bordelaise, je n’y crois pas mais ne dis rien.

Ma table domine la mer en un soir calme et serein, précieux après tant de jours venteux. Quand on est seul, on entend les conversations et auprès de moi un groupe de six septuagénaires assez bruyants égrène les nouvelles de toutes les générations de leurs familles respectives. Leur dîner aura été un carnet mondain et je crois qu’à aucun moment ils ne se sont parlés entre eux d’un sujet qui aurait pu les intéresser. Je me concentre sur le vin et les accords. Le Bâtard Leflaive a une belle couleur jaune citron. Le nez évoque le citron et surtout une subtilité rare et une minéralité poussée. En bouche c’est le citron qui s’impose le plus à l’attaque, puis, ce qui frappe, c’est la légèreté aérienne du final mentholé.

La langoustine très bien cuite, c’est-à-dire peu, va bien avec le vin, mais c’est assez convenu. Ce qui m’excite en revanche, c’est l’olive noire qui fait battre le cœur du Bâtard. La févette est subtile, alors que la roquette ajoutée en garniture doit être ignorée.

voir cette chair et penser à un vin blanc, ce n’est pas évident.

La belle chair rouge du faux-filet crée un accord avec le vin blanc qui est à couper le souffle. Je réclame au moins dix fois de suite que Matthias vienne en prendre connaissance. Mais c’est le moment chaud du service, car les deux restaurants sont pleins. Je demande à Fabien Dandine s’il veut goûter mais il décline, laissant sa place à Sébastien, le fidèle sommelier. Sébastien s’assied à ma table et me dit que c’est la première fois qu’en plein service il s’assied à la table d’un client. Il goûte la viande, boit le vin et prend conscience de l’extase culinaire que représente cet accord. J’en jouis pendant un temps très long, découpant des petits morceaux de cette chair très ferme qui a vieilli dix jours et prenant bien soin d’ignorer tous les autres composants du plat, car il faut impérativement rester sur ce goût très pur.

C’est assez ennuyeux de dîner seul dans un restaurant, mais dans le cas d’un tel accord, cela m’a donné le temps d’en jouir en disséquant mon plaisir. C’est un de mes moments de grande joie quand j’ai trouvé l’accord pur.

Les mignardises desserrent d’un cran les ceintures, et sont opposées au blanc.

Je remonte écouter la musique en terrasse et boire abondamment de l’eau minérale, et Sébastien m’offre un Cognac Paradis de Hennessy, délicieux comme d’habitude.

Je bavarde avec Matthias qui me montre et m’offre un livre de photos de la French Riviera dans les années trente, où l’hôtel des Roches figure et il m’annonce tout de go que je suis son invité ce soir. Une telle générosité m’émeut. Ce soir le Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 2002 a été exceptionnel, mais son mariage avec le faux-filet est un grand moment de mes essais gastronomiques. Merci à Matthias d’avoir été brillant et généreux.