visite au Chateau d’Issan avec mes amis américains mardi, 24 mai 2005

Le premier rendez-vous est au Château d’Issan, élégante demeure aux douves plus romantiques que défensives. Un très ancien chai accueille aujourd’hui des concerts. Emmanuel Cruse nous reçoit, tout sourire, plein d’humour. Sous le discours amène, quelques vérités cinglent, loin de la langue de bois. Nous buvons ses paroles et son 2004 particulièrement élégant.

dîner au chateau de Beaune (Bouchard) avec un groupe d’américains dimanche, 22 mai 2005

Notre groupe d’amateurs de Bordeaux formé d’américains en majorité mais aussi de canadiens, suisses, allemands et français a ouvert son congrès annuel par un apéritif aux Caves Legrand et un dîner au restaurant Dauphin (bulletin 142). Je leur ai proposé un crochet par Beaune avant un lourd programme bordelais.
Nous arrivons à Beaune sous la pluie pour visiter les caves de la maison Bouchard Père & Fils avec Bernard Hervet qui a concocté un voyage « souterrain » passionnant. Après s’être recueillis devant des flacons légendaires et uniques datant de 150 ans, nous avons goûté les 2004 dans une cave de mûrissement d’un joli gabarit (Pierre Fulla, opus cité). Les échantillons avaient été préparés, car tirer la pipette pour vingt personnes est un exercice épuisant. Les rouges furent : Savigny lès Beaune Les Lavières, Beaune Marconnets, Volnay Clos des Chênes, et un magnifique Clos Vougeot. Les blancs de 2004 : Meursault les Clous, Meursault Perrières, Chevalier Montrachet La Cabotte d’une rare subtilité et Montrachet, le seigneur de ces vins. Même si je sens une évolution des 2004 par rapport à la visite en Bourgogne d’il y a moins de vingt jours, je continue de penser que goûter des vins de six mois est un exercice de vigneron, nécessaire pour eux, mais seulement intellectuel pour les amateurs que nous sommes. La démonstration allait en être donnée par les 2003. Car, même s’ils sont trop jeunes pour être vraiment bus, ils ont déjà tous leurs membres et annoncent clairement la dominante de leurs futures qualités.
Les rouges 2003 : Monthélie les Duresses fort agréable et plus puissant que ce que j’attendais, Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus, une icône du travail de la maison Bouchard, Volnay Caillerets « ancienne cuvée Carnot » que j’ai adoré, Nuits Saint Georges « Les Cailles » plus austère et Le Corton, un immense vin rouge.
Les blancs 2003 : Beaune Clos Saint Landry, vin simple mais de grand plaisir, Meursault Charmes dont j’ai bu l’aïeul de 156 ans de plus, le Meursault Genévrières que j’ai adoré, le Corton Charlemagne de belle structure et le Chevalier Montrachet époustouflant, meilleur vin, pour moi de ces deux séries de bambins.
Au salon du château, qui n’est pas le château historique, ancienne forteresse de Louis XI, pentagone presque parfait ponctué par cinq tours, ensemble qui fut coupé en deux, ce qui rasa l’une des tours, pour des considérations républicaines et citoyennes (il fallait casser les symboles de la monarchie). La gentilhommière où nous goûtons un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988 est de dimension humaine et élégante. Le champagne est une indispensable pause après tous ces grands vins qui criaillent leur jeunesse folle. La bouche a été tellement sollicitée qu’on goûte forcément moins précisément ce champagne que j’adore. Il est indispensable pour savourer la suite.
A table, sur la cuisine précise et intelligente de Jean Paul Thibert, nous allons participer à l’un de ces repas de légende qui vont bousculer tous les repères et toutes les idées reçues de mes amis américains. La conservation idéale des vins les rend irréellement jeunes. Aucun des vins des mêmes années d’une cave privée comme la mienne ne peut prétendre à cette fraîcheur. Le voyage en est d’autant plus déroutant et passionnant.
Le Corton Charlemagne Bouchard 1998 a un nez explosif. Il est d’une puissance redoutable. En bouche, c’est l’alezan tout fou qui ne supporte pas la longe. Ses sabots frappent le sol. Là, les saveurs se bousculent dans un crépitement de fête foraine. Dans le verre le temps va domestiquer ces jaillissements et le pur Corton Charlemagne, plutôt puissant, montre son intelligence. On est conquis mais forcé de l’oublier, car le Montrachet Bouchard 1961 accapare toute l’attention. Je vois mes américains qui vacillent. Comment un vin de 44 ans peut-il avoir cette intensité, cette jeunesse, cette expressivité sans la moindre faiblesse ? Ce Montrachet est grand, beau, intégré, rond, au message pur. Doré, il va jouer sur de multiples registres où la crème de lait se montre, puis les champignons, puis un très joli fruit doré. Sur le pâté chaud de caille, le Montrachet est éblouissant.
Le Beaune Marconnets Bouchard 1959 est la meilleure des entrées en matière pour les rouges. Le vin est explicitement bourguignon, facile à comprendre, avec une belle amertume classique. Le carré de veau de lait rôti lui va bien. Mais comme il va aussi au Montrachet, on mesure à quel point le Montrachet est grandiose.
Les deux vins rouges qui vont suivre vont dérouter non seulement mes amis qui n’ont pas un tel recul historique, mais moi aussi. Ces saveurs n’ont pas de comparaison possible tant la préservation en une cave unique joue un rôle déterminant. Le Pommard Rugiens Bouchard 1929 a une jeunesse inouïe. Le nez est d’une intensité extrême avec du fruit. Mais oui ! On dirait qu’on a mis un concentré de fruits rouges dans un vin de 1986. C’est éblouissant et très puissant. Le Beaune Cuvée Estienne Hospices de Beaune 1906 est de la même trempe, mais encore plus émouvant. Car ayant un peu moins de puissance, il est plus romantique. On éprouve avec ces deux vins la même sensation que l’égyptologue qui découvrirait un panneau dont les couleurs paraissent peintes de la veille tant elles sont fraîches. L’émotion que peut procurer un vin de 99 ans de cette verdeur est intense. J’étais un peu en avance pour attendre mes invités. Aussi, j’avais rejoint Bernard Hervet ouvrant les 1929 et les 1906 avant notre périple en caves. Le bouchon de l’une des 1906 avait une forte odeur de bouchon que le vin n’avait pas. La première gorgée d’un 1906 juste ouvert est un moment rare. Et Bernard me dit : « les américains préféreront le 1929 au 1906 ». Quelques heures plus tard, votant à mains levées, on vit effectivement une majorité de bras pour le 1929, quand le 1906 recueillait quelques approbations, dont celles de Bernard Hervet et la mienne.
J’ai trouvé que le Montrachet, goûté sur le fromage, allait mieux avec le Cîteaux, l’ami des rouges, qu’avec le Comté, qui le refermait un peu. Un vieux marc de Bourgogne du Domaine Bouchard touchait nos lèvres sans forcément en avoir la nécessité. Il y avait eu trop de vins émouvants. Il fallait que ce soit leur trace que l’on garde. Le lendemain matin, j’avais la mémoire de ce 1906, vin inénarrable. Il n’a pas l’extraordinaire qualité du Romanée Saint-Vivant 1906 que j’avais bu ici même. Mais j’évoque de tels sommets gustatifs que ce vin de Beaune mérite de figurer à mon Panthéon.
L’hôtel des Remparts a ce coté rassurant des maisons familiales de gentil confort. La douche de ma chambre baptisée avec optimisme « suite » ne recélait aucune complication comme à Saumur ou à Pauillac. De quoi dormir en paix, pour affronter de nouvelles aventures avec mes amis américains en territoire bordelais.

dîner avec un groupe d’américains au restaurant le Dauphin à Paris samedi, 21 mai 2005

Arrivant au restaurant, comme dans le Cid, par un prompt renfort, nous nous vîmes 21 en arrivant en salle. Toutes les bouteilles épargnées devenaient nécessaires. On les ouvrit. On dut refaire le plan de table. Je suis en train de découvrir les changements que doit résoudre instantanément un agent de voyage.
Je prends l’initiative de l’ordre des vins que je fais déguster un par un plutôt qu’en rafales comme font souvent mes amis. Le Sancerre Jean Max Roger 2002 est très parfumé, avec des évocations de fleurs blanches, de pêches blanches. Certains Montlouis ressemblent à ces goûts là où le bonbon acidulé n’est pas absent. J’aime beaucoup. De même que le Sélosse mit en valeur le Krug, le Sancerre rend éblouissant le Château Laville Haut-Brion 1988. Quel grand blanc. Une classe, une évocation de myriades de goûts. C’est d’une intelligence extrême. Manifestement un immense vin. Le Jurançon sec « Noblesse » Domaine Cauhapé 1999 tient plus de l’exercice de style. Les raisins surmaturés font penser à des vendanges tardives. C’est plus original que plaisant. Le Peter Michael Winery « Point Rouge » Chardonnay 2001 est imbuvable pour moi. C’est de l’alcool rustaud. Un ami le mettra premier ce qui semble indiquer que les palais américains et français ne sont pas près de s’harmoniser. Le Château La Conseillante 1994 me surprend par sa généreuse franchise. On dirait qu’il s’est libéré des caractéristiques de cette année. Il est joyeux et bien typé.
Le Château Haut-Brion 1967 est très élégant malgré des signes d’âge. Charmant, civilisé, c’est un message romantique qu’il délivre. Le Château Haut-Brion 1970 en magnum que j’avais apporté, comme La Conseillante, pour prouver à l’un des membres du forum que 1970 vaut plus que l’idée qu’il en avait, parait vingt ans plus jeune que le 1967. L’aîné a pris la robe de chambre de Montaigne tandis que le 1970 batifole, en représentant la plus exacte définition possible du Haut-Brion historique que l’on connaît.
Le Château Talbot 1966, dont le bouchon avait révélé des souffrances, est fatigué. Buvable, intéressant par le message, il est quand même décati. Le Sociando-Mallet 1990 que je voulais découvrir est bouchonné. Le Château Haut-Brion 1982 est coincé. Il n’a pas le coté brillant et généreux qu’on attend. Mon ami qui avait apporté ce 1982 est celui qui avait éreinté, dans des échanges sur le forum, le 1970. Il fut obligé de constater que le 1970 surpassait le 1982. Le Château Haut-Brion 1990 réconcilia tout le monde. D’une jeunesse insolente de facilité, c’est la définition absolue de ce qu’un vin jeune doit être. Brillant breuvage.
Le Beringer Merlot 1994 demande pour mon palais une adaptation que je ne suis pas prêt à avoir. Il est évident que mon objectivité n’existe pas. Mais cette bombe d’alcool sans vie me déplait. Le Beringer Merlot 1992 est plus civilisé. Mais le manque d’imagination me gêne. On se croit en classe de sculpture à l’Ecole des Beaux-Arts où les élèves massacrent du marbre en toute bonne conscience. Le Maya 1991, Dalla Valle Cabernet franc et Cabernet Sauvignon est une démonstration encore plus évidente. Imbuvable pour moi, il rendit encore plus époustouflante la démonstration du Harlan Estate 1994. Ce vin est un mythe aux USA. Il tient bien sa réputation. Un immense vin aux évocations puissantes mais subtiles. Si l’on admet les codes de la Californie, c’est un vin splendide. Le Maury Les Vignerons de Maury 1959 que j’avais apporté fut apprécié. Voilà des goûts que j’adore, car ça jaillit en bouche avec passion. Certains amis l’ont aussi compris.
Je fis voter près de vingt personnes selon les méthodes de mes dîners. Très grande diversité de votes, au point que les deux premiers votants désignèrent en premier les deux vins que je trouvais imbuvables. Je fis rire l’assemblée en rappelant que l’on devait voter pour des vins que l’on avait aimés ! Il y eut quand même une cohérence assez grande puisque le plus couronné fut le Haut-Brion 1990, suivi du Haut-Brion 1970, du Laville Haut-Brion 1988 et du Harlan Estate 1994.
Mon vote fut : Haut-Brion 1990, Haut-Brion 1970, Laville Haut-Brion 1988, Maury 1959.
Pour ce premier dîner, chacun fut généreux, et la soirée, sur la solide cuisine de ce restaurant chaleureux, fut agréable, riante. L’occasion de partager dans une amitié virtuelle devenue réelle des vins d’immense réputation et d’un indéniable talent.

viiste à la Romanée Conti et déjeuner sur le pouce lundi, 2 mai 2005

Visite à la Romanée Conti. Je goûte les 2004 en fût. Sont-ils en pleine fermentation malolactique ou celle-ci va-t-elle commencer ? C’est un sujet qui ne fait pas partie de mon quotidien. C’est un exercice de vigneron. Le coté perlant de certains vins limite ma capacité d’analyse. Mais est-ce important ? Là où je trouve le Richebourg joyeux, Aubert de Villaine signale la belle structure de La Tâche. Nous nous rejoignons sur un point : la Romanée Conti 2004 est diablement charmante. Même sans avoir le palais habitué à cette jeunesse de présentation, il n’est pas difficile de pronostiquer que ce sera un très grand vin.
Nous nous rendons ensuite à Flagey Echézeaux au restaurant de Carole et François Simon, qui fait face à l’église. Cuisine sympathique et fort avenante qu’accompagne un Echézeaux Coquard 1984 (le nom a deux autres rallonges, mais on me dit que seul le premier compte en cette occurrence). Nous sommes étonnés que 1984 ait cette puissance. Le vin a le coté ingrat, peu amène, de la Bourgogne qui bougonne, mais cela dénote un certain charme. Le vin attrape les senteurs du canard et cela fait un fort bel accord créé par un vin très naturel, archétypal, que j’aurais imaginé sans doute plus vieux d’au moins dix ans. Ce fut l’occasion d’étudier avec Aubert de Villaine quelques projets communs mais aussi de voir par l’exemple les sujets de gastronomie sur lesquels je pousse mes recherches.

déjeuner au restaurant Laurent avec un Cros Parantoux Henri Jayer mardi, 19 avril 2005

Chacun d’entre nous a forcément quelques tics verbaux. Vous en connaissez un quand je dis : champagne Salon suivi de « mon chouchou ». En voici un autre : restaurant Laurent, « ma cantine ». Je me retrouve à déjeuner au restaurant Laurent, où la gentillesse de Philippe Bourguignon, de Patrick Lair, de toutes les équipes, et la cuisine sereine de Alain Pégouret participent à cette impression de se sentir chez soi et créent l’envie d’y revenir. Une coupe de champagne Jacquesson extra brut 1995, d’une bouteille sans doute déjà bien aérée me ravit, plaçant ce cru au dessus de la mémoire que j’en avais. Le liquide est vineux, expressif et sensible. Au chapitre des vins, c’est « forcément », et les guillemets ont toute leur importance, un Vosne Romanée Cros Parentoux Henri Jayer 1994. Ce qui m’agace, c’est que nous fumes trois lors de ce même déjeuner à trois tables différentes, à avoir eu le même choix. Ce restaurant Laurent, repaire d’habitués, compte trop de connaisseurs. Mon invité est un écrivain du vin, et plus particulièrement des vins de Bordeaux. C’est son premier Henri Jayer. Je l’encanaille avec cette splendeur, vin pénétrant dont l’alcool s’impose d’emblée. Son charme, son brio, sa vivacité strient le palais comme une botte de Nevers. Tout dans ce vin fleure la perfection. La tête de veau caramélisée est brillante, mais plus encore avec le vin. Le pigeon à la chair tendre et émouvante a le lexique d’Henri Jayer : leurs saveurs se confondent dans un esperanto parfait. Pour profiter de ces saveurs, il faut absolument avoir l’envie de les déchiffrer. Cela décuple le plaisir.
La cuisine bourgeoise est ici poussée à son paroxysme de sécurité. On est bien, et on le reconnaît aux habitués, gens opulents ou célèbres qui ne veulent pas que la cuisine les interpelle. On doit être bien. C’est le cas.

dîner à Cordeilhan Bages mardi, 5 avril 2005

Je croyais, en accostant à Cordeillan-Bages avoir enfin trouvé le repos : un dîner à l’eau. Je m’installe à table. Je demande la carte des vins pour me prouver que je saurai résister à la tentation, et les prix des vins m’y incitent. Mais mon ange gardien, qui a mis devant chacun de mes pas dans la région bordelaise une nouvelle aventure, avait décidé que mon parcours ne serait pas fini. Je vois entrer Hidé, l’âme du restaurant parisien de Hiramatsu pour tout ce qui touche à l’accueil et aux vins, qui a quitté cette maison alors qu’il a organisé son installation dans les locaux de Faugeron. Il est accompagné de deux amies japonaises, une journaliste et une propriétaire de « bars à vins » japonais. Instinctivement je lance : « on dîne ensemble ». Hidé était le sommelier de Cordeillan-Bages quand s’est tenu l’un des volets d’une fabuleuse dégustation de trente millésimes mythiques d’Yquem. C’est Bipin Desai, l’organisateur de l’événement en 1999, qui m’a fait connaître peu après Hiramatsu et Hidé. Une coupe de Cristal Roederer 1997, élégant champagne mais un peu limité est posée avec autorité devant moi. Les barrières d’une sobriété espérée tombent, et nous associons une goûteuse anguille et un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1991 absolument délicieux qui continue de briller sur un magistral agneau de Pauillac. Le chef nous ayant préparé un œuf transparent dans un intense bouillon, c’est l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2001 qui s’impose à mon envie. Justesse absolue de l’accord. Quel magistral vin du Domaine ! Eblouissant, et largement au dessus – à mon sens – de ce qu’on pourrait imaginer d’un Echézeaux de la Romanée Conti. Un vin immense. Ce vin m’a ébloui par sa pétulante sérénité. C’est un boutonneux de quinze ans qui vous lirait du Saint-John Perse, ce gourmet de mots. Une constatation intéressante d’un essai que l’on fait rarement : je suis passé plusieurs fois du blanc au rouge puis du rouge au blanc, car l’œuf imposait – surtout par son bouillon – le vin rouge, quand certains morceaux de l’agneau cuit de trois façons attendaient le blanc. J’ai remarqué que le passage de l’un à l’autre se faisait avec une facilité rare, sans le moindre heurt. Et même, la transition du rouge vers le blanc embellissait le Corton Charlemagne, lui extirpant de nouvelles subtilités.
La cuisine de Thierry Marx est d’une maturité qui fait plaisir. L’homme est sportif. Avec Philippe Etchebest, on aurait le début d’une ligne d’avant de belle solidité. La recherche esthétique est à mon sens un peu poussée. On perd le coté roboratif pour une sophistication pas forcément nécessaire, ce qu’on retrouve dans le service, un peu gênant de vouloir être trop parfait. Mais il y a une telle volonté de bien faire qu’on applaudit des deux mains à cette étape de belle gastronomie. Le lecteur se demandera certainement pourquoi boire deux bourgognes dans le bordelais ? Il y a à cela deux raisons. La première est qu’après trois jours d’immersion avec d’immenses vins antiques et de rugueux embryons de vins, une pause gustative était nécessaire. La seconde, d’expérience, est que dans les régions viticoles, les coefficients multiplicateurs sur les cartes des vins sont moins tonitruants pour les vins des autres régions.
A l’heure où j’écris ces lignes, sur mon chemin de retour, mon ange gardien semble en train de dormir. Je vous en prie, ne le réveillez pas.

galerie 1942 samedi, 19 mars 2005

Bouteille bleue, car sans plomb, comme souvent pour les bouteilles de guerre.

Richebourg 1942 Domaine de la Romanée Conti. Sera bu le 25/01/2007 chez Jacques Le Divellec.

Salon des Grands Vins 1 jeudi, 10 mars 2005

C’est le septième numéro du Salon des Grands Vins. Cette édition 2005 va s’affirmer comme un millésime de perfection. Des vignerons de renom, dont toute la récolte est automatiquement vendue, même dans les années de crise, font goûter des pépites, des joyaux de leur production. La veille, les stands se montent, par une armée de fourmis aux gestes précis et aux fonctions attribuées. Pas question qu’un acteur sorte de son champ de compétences. Tout s’assemble. Je vais exposer des bouteilles vides, évocatrices de ce que les vignerons ont fait de plus légendaire (Romanée Conti 1929, Cheval Blanc 1947 ou Yquem 1893) mais aussi, comme c’est ma philosophie, des étrangetés qui ont survécu au temps alors qu’on ne les attendait pas (Sidi Brahim 1942, Muscadet 1960,  Fleurie 1935). Ces bouteilles ont émerveillé les amateurs, souvent débutants, car beaucoup de jeunes, avides de savoir, peuplent les allées et les stands. Deux remarques sont les plus fréquentes : « oh, elles sont vides », ce qui implique une réponse humoristique de circonstance : « vous seriez passés il y a cinq minutes, vous auriez pu goûter à Romanée Conti 1929, on vient juste de la finir ». Et l’autre, quand je signale que j’ai bu toutes les bouteilles exposées : « vous en avez de la chance ». Ma réponse surprit beaucoup : « cette chance, je l’ai construite ». En une époque où les critères de réussite sont le Bachelor, la première compagnie ou le loft, la chance semble être le seul vecteur de la prospérité.

J’arrive le premier jour 45 minutes avant que les portes ne s’ouvrent et je vois une file d’attente de plus de cinq cents mètres qui ressemble à celle qui se forme aux portes du Louvre, mais cette fois du coté musée. C’est que tout le monde aimerait bien assister à la conférence-dégustation d’Yquem qui inaugure le salon. Seuls 120 élus auront droit à ce privilège. Eux aussi ont construit leur chance.

Avec Enrico Bernardo, meilleur sommelier du Monde 2004, que j’ai souvent apprécié au Cinq, avec Georges Lepré, brillant sommelier et homme d’esprit, Pierre Lurton doit présenter trois millésimes. Il me demande d’être à ses cotés. Dans une ambiance enjouée nous allons parler tour à tour de ce vin prodigieux. Nicolas de Rabaudy, écrivain du vin, va guider la majeure partie des 27 conférences. Ici, il n’a pas beaucoup d’effort à faire, tant nous avons de belles choses à dire sur ce vin mythique. Le Yquem 1999 est lourd, chaud, fait de miel et d’abricots. Il sent le sucre. Le Yquem 1998 au nez plus fermé est nettement plus profond. Les figues, les coings, les abricots, les poires sont parmi les facettes de ce vin où je trouve un peu de sel. Le Yquem 1996 est plus floral, au nez d’agrume. Son final de zeste d’orange est un peu plus court. Pierre Lurton indique que son équipe considère le 1996 comme le plus traditionnel des trois. Il faudra que j’en discute avec eux, car à mon sens, c’est nettement le 1998, de ce que j’ai ressenti, qui est l’Yquem  qui s’inscrit dans la ligne historique. Le 1998 me fait penser aux belles années vingt, quand le 1996 plus léger m’évoque les années trente. Nous en reparlerons sur place avec ces équipes compétentes lorsque je les rencontrerai, car il sera intéressant de croiser nos repères.

La conférence suivante est tenue par Jean Pierre Perrin co-propriétaire de Beaucastel qui présente ses vins avec Michel Bettane. Je ne décrirai pas tous les vins goûtés pendant ces événements, me limitant à quelques remarques. Ici, c’est l’émouvante présentation d’un vin rare, le Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1995, vin d’une petite parcelle, dédié au père de Jean Pierre Perrin. C’est l’expression la plus belle du Chateauneuf du Pape noble. J’en ai raconté des expériences (bulletin 65 et 118). Il est très acide, voire brutal, mais fortement prometteur.

Pierre Lurton m’ayant donné une bouteille d’Yquem 1996 pour égayer mon déjeuner et Jean Pierre Perrin ayant pris avec lui une bouteille d’Hommage 1995, nous voilà arrivant à l’hôtel Meurice, Jean Pierre Perrin et moi, tels deux clochards dont les litrons dépassent de la poche. Yannick Alléno nous attendait. Une tarte aux truffes et un risotto de langoustines, tels des inspecteurs de police acharnés, ont réussi à faire avouer à l’Hommage le secret de son talent. Il vibra plus sur la langoustine que sur la truffe. L’Yquem se régala de la viande de veau pour nous faire des caresses coquines. Le chef avait goûté l’Yquem à notre arrivée pour adapter la sauce de la côte de veau à la jeunesse de ce nectar. Ce fut divin.

Je quittai Jean Pierre Perrin dans la précipitation car je devais assister Pierre Lurton pour la présentation de Cheval Blanc. Il n’avait évidemment pas besoin de moi, mais j’avais quelques anecdotes pour rappeler l’histoire du goût de ce grand vin. Le Cheval Blanc 1998 a un nez sublime. Je ne pouvais m’arrêter de le sentir, tellement captivé – comme cela m’arrive – que l’odeur magique paralyse mon bras qui voudrait me désaltérer. L’odeur m’occupa cinq bonnes minutes, me procurant un immense plaisir, la bouche rappelant que le vin est jeune, et fort grand. J’ai trouvé le Cheval des Andes 2002 en fort progrès par rapport à ce que j’avais bu.

La conférence suivante, sur les vins de cépages autochtones d’Europe, fut pour moi un moment mémorable. On m’avait demandé de figurer, plus souvent que je ne l’aurais dû, à la table des conférenciers parce que l’intervenant principal, l’âme générale de ces rencontres, ne pouvait être présent comme il l’aurait voulu. Je me suis donc trouvé près d’Olivier Poussier, premier sommelier du Monde 2000, et je tombai sous le charme de son invraisemblable érudition. Que pouvais-je ajouter à ce qui fut une immense leçon sur des vins intimes et rares caractérisés par le respect de leur origine historique. Des vins intéressants, pas toujours dans les voies gustatives que j’aime explorer, mais sans nul doute un bestiaire amoureusement constitué par Olivier.

C’est en spectateur que j’assistai à la conférence de Jean Louis Chave sur ses vins dont je suis tant amoureux. L’homme est jeune, respecte l’histoire mais affirme ses choix personnels. Tout en lui exsude la recherche de l’excellence absolue. Cet homme est un roc de volonté et c’est impressionnant. Il arrive  la fois à exprimer du sentiment, de la continuité, mais aussi cette quête du parfait qui ne le quittera jamais. Très réservé, on sent que l’on n’a pas intérêt à venir dans son pré carré. Compte tenu de son âge, il nous mènera encore vers des niveaux insoupçonnés de perfection. L’Hermitage Chave blanc 1995 est somptueux. Il est très long. C’est un vin magnifique de gastronomie. L’Hermitage rouge Chave 1998 (je ne cite pas tout ce que l’on a bu) est rond, séducteur, et malgré sa jeunesse, déjà beau. C’est sa plénitude qui me fascine.

Les organisateurs du congrès retiennent à dîner, à des tables animées par quelques producteurs, de grands vignerons, des professionnels du vin, la presse et quelques people. Michel Bettane et Thierry Desseauve vont décerner des prix pour récompenser des vignerons méritants selon des critères qu’ils ont choisis. On en lira sans doute dans la presse les nominations. Je suis à la table de Joseph Henriot avec des personnalités de tous horizons. Nous parlons de vin, de ses techniques, de son futur. Le repas est particulièrement réussi par Lenôtre pour près de 220 personnes. C’est Olivier Poussier qui surveille tous les détails.

Tant de domaines étant représentés, certains vins seront sur toutes les tables quand d’autres n’en réjouiront que deux ou trois. Nous profitons du Meursault Genévrières Bouchard Père et fils 2000 dont le gouleyant accompli fut encore développé par la présence à notre table de celui qui l’a fait. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1994 est d’une année relativement moyenne, mais il est tellement bien fait qu’on en jouit sur un plat un peu fort pour lui. Le Château Palmer 1995 est très élégant, quand le Château Cheval Blanc 1995 est tout simplement renversant. C’est un vin dont le raffinement est la caractéristique principale. Je voyais les Yquem 1997 qui passaient devant notre table pour atterrir sur celles des officiels ou des people. Mais le Château de Malle 1997  confirma une fois de plus que ce sauternes est bien construit, long et de plaisir. L’année 1997 étant grande, on profitera de ce vin bien plus tard. Magistral dîner et choix de vins. Ce n’est pas très compliqué quand on a rassemblé la fine fleur du vignoble français.

Du salon des grands vins, c’était le premier jour. Les deux autres sont palpitants. A suivre…

galerie 1943 lundi, 28 février 2005

On retrouve dans l’écusson ce qu’était la stylisation de Carlu (bouteille bue à Noël 2006)

 Pol Roger 1943, champagne mythique

 Dom Pérignon 1943, dégorgé en 1953 pour le couronnement de la reine Elizabeth II

 

Ce Clos Vougeot Léon Violand 1943 n’est pas très beau. Mais ce qui compte, c’est ce qu’on trouve dedans.

 La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943, une des plus belles La Tâche que j’ai bues.

 Clos des Lambrays 1943

Chateau Climens 1943 bu le 1 janvier 2007 à un dîner au restaurant Ledoyen est un très grand Climens. Bu avec ce Loubens 1940 très convainquant.