dîner de wine-dinners au Grand Véfour jeudi, 15 septembre 2005

Dinner held by restaurant « Le Grand Véfour » on September 15, 2005
Bulletin 152
For the friends of Bipin Desai

The wines offered by the generous friends :
Didier Depond : magnum Laurent Perrier 1976
Bipin Desai : Meursault Perrières Comtes Lafon 1996
Bernard Hervet (who could not come), Montrachet Bouchard Père & Fils 1961
Aubert de Villaine (who could not come) : La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990
Eric Platel : Côte Rôtie Guigal 1966
François Audouze : Château Chalon Bourdy & Fils 1911
Frédéric Audouze : Chevalier, Sainte Croix du Mont, coopérative de Sainte Croix du Mont, 1959

The menu created by Guy Martin and his team :
Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta
Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa
Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues
Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes
Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil
Vieux Comté
Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic

dîner de wine-dinners au Grand Véfour jeudi, 15 septembre 2005

Je dois pour la cinquième année consécutive ordonnancer le repas qui s’appelle « repas des amis de Bipin Desai ». Bipin est ce professeur de physique nucléaire américain qui organise les plus invraisemblables dégustations de la planète. On lui doit celle des 38 millésimes de Montrose (bulletin 151). Ayant réglé par téléphone ou mail tous les détails, j’ai le temps de me rendre à l’inauguration du Salon du Collectionneur au Carrousel du Louvre où les objets présentés, contrairement à la brocante de Hyères (bulletin 149), procurent des émotions esthétiques uniques. On se sent petit devant la perfection artistique de ces personnages chinois de terre dont le graphisme épuré est sorti de mains d’artistes nés il y a 1300 ans. Les éclairages, les stands intelligents, tout montre la richesse d’œuvres d’art quand on prenait le temps d’exécuter. Après avoir salué quelques amis et trempé mes lèvres dans un très expressif champagne Henriot, je rejoins le restaurant Le Grand Véfour pour vérifier que tout est prêt, et c’est le cas. Dans ce lieu porteur de l’histoire du bien manger, le petit salon en étage est le lieu idéal pour nos retrouvailles. La période des vendanges a hélas écarté de notre table des amis indispensables. On toasta largement en leur honneur, surtout quand ils avaient eu la gentillesse d’être présents par le biais d’une belle bouteille.
Guy Martin a composé un menu qui fut un beau voyage. Qu’on en juge : Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta / Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa / Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues / Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes / Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil / Comté de 18 mois / Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic.
Les amuse-bouches abondants et éclectiques se marient à ravir avec le champagne Laurent-Perrier 1976 en magnum. Bouteille d’une élégance rare par la forme effilée du flacon et le gris argenté de l’étiquette. En bouche, ce blanc de blanc est d’une subtilité particulière. Il n’est pas envahissant mais charmeur, conteur d’histoires de goûts délicats. Toute évocation de goût serait réductrice mais j’ai rêvé de fraises des bois en sentant la caresse suave des bulles sur mes lèvres conquises. La variation sur la tomate est originale.
Patrick Tamisier que je connais depuis un quart de siècle du temps où j’étais assidu à la Tour d’Argent a apporté un soin particulier aux vins. Il me fait goûter le Meursault Perrières Comtes Lafon 1996 et c’est une grenade de parfum qui explose sur mon nez. Quelle agression olfactive de pur plaisir ! Ah, c’est viril. C’est sans concession. Et en bouche la puissance est énorme. Je suis un peu gêné par le poids alcoolique de ce lourd Meursault, mais quel plaisir. Avec le foie gras judicieusement mêlé au persil, c’est une merveille. J’ai apprécié l’audace du citron japonais sur les tranches de cèpes qui donnent au Meursault une autre philosophie.
Le Montrachet 1961 Bouchard Père & Fils arrive trop froid. Etait-ce l’absence de Bernard Hervet, ce vin que j’ai tant aimé au château de Beaune était ici bien pâle, comme le tigre qui cherche des yeux son dompteur et se sent perdu s’il n’est pas là. Bien sûr, quand il s’étend, le vin montre comme il est grandiose. Comme de plus je n’ai pas trop aimé l’expression du homard qui ne me parlait pas, peut-être à cause du vin que je ne retrouvais pas, ce ne fut pas le soir de ce grand Montrachet dont j’ai relaté l’émotion unique (bulletin 143).
Le nez de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990, en un dixième de seconde, plante le décor. On ne peut pas concevoir quelque chose de plus élégant. Le raffinement est sans limite. Sur la chair du turbot, ce vin d’une noblesse immense brille d’une façon que l’on ne pourrait pas imaginer sans le verre en main. Ce vin est grand, d’une longueur extrême. Il y eut comme un silence quand chacun prit conscience de l’intensité de ce vin. Une pensée fusa pour Aubert de Villaine retenu pour des récoltes qui seront belles.
Le canard à la belle chair mais au miel un peu fort donna à la Côte Rôtie Brune et Blonde Guigal 1966 l’occasion de délivrer un message d’un charme certain. Passer derrière La Tâche, ce n’est pas un service à rendre à un vin. Mais il s’en tira fort bien dans un registre de vin plus mûr au charme ensoleillé.
Avant l’arrivée des convives j’étais allé sentir les bouchons des bouteilles ouvertes par Patrick Tamisier, et l’odeur du bouchon du Château Chalon Bourdy P&F 1911 m’avait fait vaciller d’aise. C’est immense. Didier Depond, président de Salon-Delamotte vibre comme moi à la sensualité dérangeante de ces vins extraterrestres. Servi beaucoup trop froid, il se rattrapa bien vite sur un délicieux Comté de 18 mois que j’avais préféré au 36 mois qu’on m’avait proposé. Il ne faut pas pour ces vieux vins jaunes de choc gustatif excessif. Le vin se rétablissant à une vitesse sidérale, nous avons goûté la perfection absolue du vin jaune du Jura. Et nous imaginions les nombreux mariages que ce vin suggère pour de redoutables joutes culinaires. Avis aux amateurs, car j’en ai une belle provision.
Le délicieux dessert à la figue se fiança avec un Sainte-Croix-du-Mont de coopérative, « Chevalier » 1959 à la couleur d’un bel or patiné, au nez de pain d’épices, et chaleureux en bouche comme un beau Sauternes à qui il manquerait juste un peu de longueur.
La table fut enjouée et des milliers de sujets nous entraînèrent en des discussions passionnantes. La certitude de perpétuer une amicale tradition de grande qualité éclairait nos visages. Patrick Tamisier fut attentif et amical. Guy Martin nous avait composé un très intelligent et agréable voyage exécuté d’une belle dextérité. Il y avait en chacun de nous l’envie de recommencer.

Dîner de wine-dinners au restaurant Carré des Feuillants mardi, 21 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 21 juin 2005 au restaurant Carré des Feuillants
Bulletin 149

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Ruinart Brut
Champagne Bollinger grande année 1985
« Y » d’Yquem 1985
Montrachet Guy Amiot 1992
Château Margaux 1966
Château Gruaud Larose 1918 (Faure Bethmann)
Vosne Romanée Bouchard 1971
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988
Opus One, Napa Valley California 1985
Château Filhot, Sauternes 1975
Château d’Yquem 1931

Le menu composé par Alain Dutournier
Crevette sauvage tiède dans sa « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané
Le bouillon parfumé du pêcheur de perles
Gelée d’écrevisses, foie gras et ris de veau, artichaut poivrade râpé, truffe d’été et févettes
L’asperge blanche des landes, les mousserons, et l’œuf en coque d’asperges
Turbot sauvage « vapeur », marinière de palourdes, lasagne printanière et tomates confites
Paleron de bœuf confit dans son jus, barigoule d’artichauts poivrades et carottes fanes
Jubilé de cerise burlat « façon forêt verte »

dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants mardi, 21 juin 2005

Nouveau dîner de wine-dinners au restaurant le Carré des Feuillants où, avec la sympathique brigade, nous sommes maintenant bien rôdés. Le sommelier Christophe est toujours aussi attentif et perfectionniste. Avide d’apprendre les odeurs rares qui se dégagent des bouteilles à peine ouvertes il fera, tout au long du repas, un travail remarquable. Je l’ai vu plusieurs fois s’assombrir pendant le service et je me demandais quelle remarque aurait pu l’attrister. En fait, je m’obstinais à l’appeler Rodolphe – c’était le jour de la Saint Rodolphe – ce qui ne plait pas forcément aux Christophe. Nous en avons ri après le dîner.
Pas de problème à l’ouverture. Le bouchon du Gruaud Larose 1918 est léger, colle aux parois et sortira en miettes, mais il a joué son rôle comme il convenait. La bouteille soufflée est lourde et belle. L’odeur du « Y » est moins exubérante que celle que j’attendais. Les senteurs du Margaux, du Vosne Romanée et du Grands Echézeaux sont particulièrement belles.
Un jeune entrepreneur tonique et volontaire, déjà fidèle de mes dîners, avait réuni autour de sa ravissante épouse et lui-même des amis qui partagent tous la passion des chevaux. Au moins trois possesseurs de haras et des cavaliers titrés qui allaient s’affronter aux championnats de France de saut d’obstacles. Blagueurs, décontractés, ils avaient moins de discipline pour suivre mes indications que n’en ont leurs chevaux quand ils doivent franchir d’impressionnantes constructions de bois fragiles. Les femmes toutes ravissantes et bronzées ne cessaient de quitter la table pour téter de nécessaires cigarettes. Les champs de tabac de Virginie s’en essoufflent.
Le menu composé par Alain Dutournier est un kaléidoscope de maîtrise et de complexité : Crevette sauvage tiède dans sa « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané / Le bouillon parfumé du pêcheur de perles / Gelée d’écrevisses, foie gras et ris de veau, artichaut poivrade râpé, truffe d’été et févettes / L’asperge blanche des landes, les mousserons, et l’œuf en coque d’asperges / Turbot sauvage « vapeur », marinière de palourdes, lasagne printanière et tomates confites / Paleron de bœuf confit dans son jus, barigoule d’artichauts poivrades et carottes fanes / Jubilé de cerise burlat «façon forêt verte ». La mise au point du menu s’est faite sans que nous en parlions, ce que je regrette toujours. Je suis juste intervenu pour intervertir deux plats pour la logique des vins, ce qui fut un bon choix.
Le champagne Ruinart Brut est fort agréable pour se mettre en bouche. C’est l’échauffement du coureur de cent mètres, indispensable avant le jaillissement des starting-blocks. Coulant fort bien en bouche, il nous prépare bien. Le champagne Bollinger grande année 1985 montre une structure vineuse percutante. Il annonce le ton de la suite, et la crevette lui va bien, quand les autres saveurs du plat, qui iront souvent par trois presque pour chaque assiette, l’effarouchent.
Le bouillon complexe et délicieux n’appelle pas le vin. Le « Y » d’Yquem 1985 me parait nettement moins rayonnant que le souvenir que j’en ai. Il avait capté cette année-là des grains de raisin d’Yquem et je m’attendais à ce qu’un botrytis l’ait encanaillé. Or en fait ce blanc sec, fort bon, est sérieux. Et voici soudain qu’avec la truffe d’été, il devient splendide. C’est un accord de rêve. La bouche gardera longtemps avec le Y une forte mémoire de truffe. Le foie gras et ris de veau fort goûteux dansent bien avec l’Y mais la truffe est le bon mariage.
Le Montrachet Guy Amiot 1992 est un solide Montrachet rassurant. Ce n’est sans doute pas le plus puissant, mais il est bon. Le plat est goûteux. L’asperge et l’œuf sont réellement divins. On commence par se dire que le plat ne joue pas avec le vin. Et comme en diplomatie, en trouvant les mots qui rassurent, c’est-à-dire en lustrant ses papilles dans le bon sens, on arrive à ce qu’ils se parlent.
Le château Margaux 1966 et le château Gruaud Larose 1918 (Faure Bethmann) sont associés au même plat. La chair du turbot est sublime et va évidemment bien avec les deux rouges, mais c’est la palourde et surtout le jus de palourde qui fait du « dirty dancing » avec ces vins de légende. Le Margaux 1966 a le nez archétypal du château Margaux. Il en a aussi le charme. Le Gruaud Larose joue une partition d’un niveau encore supérieur. On est en face d’un vin remarquablement épanoui, structuré, sobrement beau. Une trace élégante qui sera couronnée dans les votes. Décidément la palourde est l’amie des vins rouges car nous avions eu une expérience aussi excitante chez Patrick Pignol.
Le délicieux paleron accueille trois vins, et non des moindres. Le Vosne Romanée Bouchard Père & Fils 1971 dont le nez à l’ouverture était délicieusement bourguignon, nous a joué un insolent jeu de charme. C’est un petit Vésuve en bouche. Alors que le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988 s’en tient à son nez. Il n’y a pas de plus beau nez que ce nez là. Mais en bouche, il paresse. Il attend qu’on l’aime. Ou bien il se dit que sa puberté peut se prolonger. Le Opus One, Napa Valley California 1985 m’a surpris. Elégant, raffiné, il n’a aucune des exagérations des vins californiens. On sent qu’il n’est pas bordelais, on sent qu’il n’est pas bourguignon, et l’on succombe à son charme certain. C’est un vin bien fait, de belle race.
Les cerises, sur le papier, m’avaient laissé perplexe. En fait, astucieusement domestiquées par le talent du chef, elles s’accordent bien au château Filhot, Sauternes 1975. Le reste de l’assiette ne l’attire pas, mais croquer cette cerise ferme sur un Filhot est un bel exercice. Il faut de ces audaces quand le produit est bien traité. Je sentais que chacun s’impatientait, prêt à bousculer le Filhot tant l’Yquem était attendu. Magnifique château d’Yquem 1931 que j’ai trouvé moins sec que ce que j’imaginais. On avait en bouche une belle définition du Yquem historique où la mangue, le thé, le fruit délicatement caramélisé forment un éventail de saveurs à la persistance sans limite.
On vota bien sûr et les votes furent toujours aussi dispersés. Le Gruaud Larose 1918 fut le plus couronné, ce qui, on en conviendra, est un de mes motifs de fierté. Les plus votés ensuite furent le Vosne Romanée Bouchard 1971, le Montrachet Guy Amiot le Yquem 1931 et le Château Margaux 1966. Mon vote fut le suivant : Yquem 1931, Vosne Romanée Bouchard 1971, Gruaud Larose 1918 et Montrachet Amiot 1992.
Alain Dutournier vint nous saluer et évoquer, avec sa langue qui s’exprime d’un verbe coloré, chantant et diablement argumenté, les chemins qu’il suit pour créer des plats pour les grands vins. Il fut complimenté pour ce festival de saveurs. Ce que je voudrais signaler, car je compte bien en discuter de nouveau avec lui, c’est une remarque incidente qu’il glissa dans son propos. Il nous dit : «vous savez, quand on est entre copains et qu’on ouvre une grande bouteille, on ne fait que des plats simples. Une saveur, un point c’est tout ».
Je suis persuadé qu’il a raison, et il doit pouvoir le faire dans le cadre de ces dîners, car la démonstration de son talent n’en souffrira pas. Revenir aux racines du plat, à la saveur la plus proche du vin, c’est le cœur de ce que je souhaite. Nous sommes en effet dans un exercice très particulier où le plaisir sera magnifié si une saveur du plat colle parfaitement au vin. Alors, tous les chemins de traverse sont à éviter. La saveur primaire, voilà le secret. Et si c’est ce que fait tout naturellement Alain Dutournier, grand gourmet devant l’éternel, quand il est avec ses copains, c’est ce qui doit être fait. Les convives ont été subjugués par le brio et le talent. Ils le seront tout autant si la trame essentielle du plat les renverse de bonheur quand le vin et le plat s’enlacent de façon lascive.
Christophe fut un sommelier expert, la cuisine fut distinguée et belle de réalisation. L’ordonnateur de l’événement me téléphona le lendemain pour me faire part de la satisfaction des convives. Ce fut un grand 56ème dîner.

Dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mardi, 14 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 14 juin 2005 au restaurant de Patrick Pignol
Bulletin 147

Les vins de la collection wine-dinners

Magnum de champagne Bollinger Brut Spéciale Cuvée NM vers 1990
Chablis Premier Cru Vaucoupins Bichot 1988
Chevalier Montrachet Grand Cru Georges Deleger 1994
Château Magdeleine saint-émilion 1986
Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1919 (ME)
1/2 Pommard Réserve de Vernhes 1966
Corton Grancey Louis Latour 1970
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1980
Chateauneuf du Pape Delas 1947
Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937
Château Gilette, crème de tête 1949

Le menu créé par Patrick Pignol

Amandine de foie gras de canard, petite salade d’herbes
Tourteau et sardine de Bretagne, marinés aux agrumes et vinaigre balsamique
Pétoncles à la truffe d’été de Carpentras
« plat » de girolles de Sologne et moules de Bouchot, saisis à la minute, jus terre et mer
Ris de veau caramélisé
Pigeon de Touraine cuit en cocotte, aux épices et dragées caramélisées
Fromage de l’Aubrac, le « Laguiole »
Tagliatelles chocolat, abricots caramélisés et leur coulis aux senteurs de basilic frais

dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mardi, 14 juin 2005

C’est le restaurant de Patrick Pignol qui va accueillir un nouveau dîner de wine-dinners. J’ai mal compris ce que Patrick m’a dit. Je croyais que l’on déterminerait le menu en fonction des odeurs que l’on découvrirait à l’ouverture, or en fait le chef voulait composer le menu en fonction des arrivages et de ses approvisionnements. J’arrive pour ouvrir les vins avec un menu déjà conçu, alors que j’aurais aimé y contribuer. Je respecte cette approche, mais mon désir d’être associé à la création culinaire est inassouvi. L’ouverture des vins avec Nicolas se passe avec une facilité particulière. Le Gilette est une bombe de senteurs. On le rebouche pour calmer son exubérance. Le Pichon Comtesse a une fragrance étonnante de charme. Elle est capiteuse. Comme celle d’un Porto. Je décide là aussi de reboucher avec un bouchon neutre, avec la crainte que cette douceur ne connaisse un évanouissement. Se découvre à cette occasion une variable nouvelle que je n’ai pas encore étudiée. Comme il fait chaud, le restaurant met la climatisation à fort débit. Quelle est l’influence sur l’oxygénation des vins ouverts ? Ne va-t-on pas trop vite en les aérant ainsi ? Je n’ai remarqué aucune conséquence fâcheuse. Le menu de Patrick Pignol est à l’image de la décoration du lieu. C’est pétillant, bondissant, coloré, ludique. Associer tourteau et sardine semble un petit clin d’œil à Alain Senderens qui voudrait tranquillement travailler les recettes pour ce poisson grégaire. Associer girolle et moule de Bouchot du fait de l’harmonie des couleurs est un exercice de lutin souriant. Voici le menu : Amandine de foie gras de canard, petite salade d’herbes / Tourteau et sardine de Bretagne, marinés aux agrumes et vinaigre balsamique / Pétoncles à la truffe d’été de Carpentras / « plat » de girolles de Sologne et moules de Bouchot, saisis à la minute, jus terre et mer / Ris de veau caramélisé / Pigeon de Touraine cuit en cocotte, aux épices et dragées caramélisées / Fromage de l’Aubrac, le « Laguiole » / Tagliatelles chocolat, abricots caramélisés et leur coulis aux senteurs de basilic frais. Quel voyage ! Le magnum de champagne Bollinger Brut Spéciale Cuvée non millésimé que je situe vers 1990 est un champagne rassurant. C’est la définition exacte du champagne facile à vivre et bien construit. L’assemblage a été bien fait et l’âge aide. On a ainsi un champagne qui vaut bien des millésimés. Le phallus scarifié au foie gras baptisé amandine, célèbre et délicieuse spécialité du chef ne séduit pas le Bollinger. Ils vont donc s’ignorer, même si, à l’usage, c’est un champagne comme celui-là qui convient au fort goût du foie gras. Le Chablis Premier Cru Vaucoupins, Bichot négociant, Domaine Long Dépaquit 1988 surprend par sa belle générosité et son ouverture d’esprit. Sur le tourteau, il est aérien, élégant, délicat. Sur la sardine, il prend de l’ampleur, pèse plus lourd. Certains préfèreront l’un des accords à l’autre. J’étais plutôt dans le camp sardines. Les abondantes herbes aromatiques ne plaisaient pas trop au Bichot. Ce Chevalier Montrachet Grand Cru Georges Deleger 1994, quel vin ! Une puissance à dégommer la Grosse Bertha d’un souffle d’haleine. Et là, toute la table prend conscience de ce que peut être un grand accord. Le Chevalier saisit d’abord la truffe au lasso. Il la fait sienne, se l’approprie. Puis il séduit le pétoncle. Et c’est enfin la légère sauce iodée salée et crémée qui emporte le gros lot, signant avec le vin lourd et capiteux une de ces unions de légende. Une fois de plus un accord est grand quand il est fondé sur une saveur simple et lisible. Le Château Magdeleine saint-émilion 1986 m’avait excité à l’ouverture. Je sentais un de ces vins de pur plaisir. Quand il arrive sur table, quel bonheur ! Juteux, joyeux, dense, de belle mâche. Ah, que c’est bon de boire de ces vins là. Je guettais l’instant qui venait. Le 1919 allait-il être bon ? J’avais eu peur de ses évolutions olfactives pendant la longue période entre son ouverture et le dîner : le doucereux de l’ouverture, l’amertume qui suit, l’incertitude enfin. Tout le monde m’observe quand Nicolas me fait goûter. Mon sourire est tellement épanoui que la table s’en ressent, même sans être servie. Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1919 est grand. Son nez est invraisemblable. Il a retrouvé le nez étonnant et jugé éphémère de l’ouverture. Par certains cotés, c’est le nez riche de Cheval Blanc 1947. Et il a conservé cette extraordinaire senteur, faite de la plus belle douceur sucrée. En bouche, on sent évidemment que le vin a de l’âge. Mais c’est beau, rond, goûteux et très long. Et ce qui me fait plaisir, c’est que toute la table comprend presque immédiatement la grandeur de cet ancêtre, alors que le Magdeleine est sacrément tentateur avec sa plénitude de vin jeune. L’association de la girolle et de la moule est osée, mais plaisante. Ce qui gêne, vis-à-vis des deux vins, c’est l’abondance des épices orientales. Ce n’est pas un bon compagnonnage. De nouveau, le classicisme d’un plat sobre crée un accord enchanteur. Le ris de veau simplement présenté, ce qui ne diminue pas sa subtilité et sa pertinence accompagne magistralement un Corton Grancey Louis Latour 1970 éblouissant. Quel joli vin de bourgogne dans son ingratitude amère. Je l’ai dit bien souvent, j’aime ces provocations gustatives. Je voulais étonner quelques grands amateurs de notre table, car il y avait de solides palais, avec une curiosité. Voici une demie bouteille de Pommard Réserve de Vernhes 1966, simple vin de négoce, en format plutôt risqué, et de près de quarante ans. Il est étonnamment rond, joyeux, coloré. Un vin de plaisir, alors qu’il s’agit d’un vin d’origine toute ordinaire. Le dosage un peu appuyé de l’accompagnement du pigeon, dragée et impressions de cacao, va chatouiller les vins. Je salue la pertinence du choix car le 1947 se reconnaît dans le cacao qu’il épouse, mais on aurait aimé du mezzo voce quand on a les trompettes de la renommée. C’est l’exubérance débridée d’un chef enthousiaste. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1980 est assez intéressant. Il fut couronné des votes les plus flatteurs et je soupçonne que l’accès aux vins de ce domaine mythique, premier essai pour beaucoup, a compté dans les votes. Car La Tâche ne la joue pas facile. Il est même austère. Mais il a une telle puissance de conviction, avec une précision de structure, qu’il emporte l’adhésion. Mon cœur balance objectivement plus, puisque les deux vins sont sur le même plat, vers le Chateauneuf du Pape Delas 1947, vin de charme, rond, accompli, serein plus que joyeux. Le Chateauneuf a capté les coquetteries du plat pour se les approprier. Beau mimétisme.

Le choix du fromage sur le Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937 est d’une rare intelligence. Ce vin subjugue mon voisin tant il mêle suavité et séduction. L’année 1937 est particulièrement belle pour « le château d’en face », puisqu’on voit Yquem sur l’autre rive quand on est au Château Loubens. Le millésime est aussi bien réussi pour cet élégant Sainte Croix du Mont. Le Château Gilette, crème de tête 1949 est irréellement bon. Je ne vois pas comment un Sauternes pourrait être aussi généreusement équilibré. Tout semble être imbriqué avec la plus extrême des précisions. J’étais tellement sous le charme que j’étais persuadé que tout le monde, comme moi, le mettrait en numéro un. Je fus en fait le seul à mettre cette extase gustative au sommet des notes. Là où les approvisionnements de Patrick Pignol, mariés à son talent, s’exprimèrent de façon magistrale, ce fut sur l’abricot. L’abricot goûteux, comme il fut intelligemment traité, produit sur le Gilette une sensation unique. Quelle jouissance ! Que de fois l’abricot délivre une acidité qui occulte son charme. Là, chapeau ! Les votes furent très variés. C’est fou comme les sensations peuvent varier d’une personne à l’autre. La Tâche 1980 a reçu de loin le plus de votes de numéro un et deux vins viennent ensuite, le Pichon Comtesse 1919 et le Chateauneuf du Pape 1947. Viennent ensuite le Château Gilette 1949 et le Chevalier Montrachet 1994. Mon vote différa de ces moyennes puisque je votai ainsi : en un pour Château Gilette 1949, en deux, le Chateauneuf du Pape 1947, en trois le Pommard 1966 et en quatre La Tâche 1980. Pour une fois, nous avons aussi voté pour les plats qui ont favorisé les plus beaux accords. Sans conteste, c’est le plat de pétoncles qui eut la palme, suivi d’un peloton assez détaché mais groupé, formé du ris de veau, du pigeon et de l’amandine de foie gras, ces trois étant presque ex aequo. Que retenir de ce dîner ? Une table avec des convives passionnés et enthousiastes, quel que soit leur niveau d’expérience des vins anciens. Une belle atmosphère malgré une table de onze dont la forme rectangulaire coupe forcément en deux ou trois les groupes qui se parlent. Le couple Pignol toujours aussi attachant, joyeux tout en étant attaché à l’excellence, un sommelier Nicolas avec qui c’est un bonheur de faire ces dîners. J’ai connu des dîners où Patrick Pignol s’efforçait de simplifier ses recettes pour que le vin soit en valeur. Là, le pendule penchait plus vers les caprices créatifs, ce qui me séduit aussi, et vers le talent débridé, ce qui plait un peu moins aux vins. Mais sur l’ensemble, quel talent, quel bonheur et quel plaisir gustatif. Belle soirée enjouée, moment unique. Un chef joyeux de créer, c’est un des bonheurs de Paris.

repas à la maison avec des reliques dimanche, 12 juin 2005

J’ai toujours eu une profonde admiration pour les archéologues qui, voyant un orteil ou un tesson peuvent décrire la vie d’un individu ou le galbe d’une amphore. J’ai l’impression d’avoir joué ce jeu ce soir. Ayant constaté les dégâts causés dans ma cave par l’agonie de bouchons dont le ticket n’est plus valable, je me suis livré ce soir, avec ma fille et mon gendre, à une opération de paléontologie. Il me paraît évident qu’il faut au plus vite inventorier les risques de perdre quelques bouteilles légendaires.
Cherchant en cave des flacons à problèmes, blessés et de niveaux bas, voici ce qui se passa.
Le champagne Mumm Cordon Rouge 1937 a une étiquette comme neuve, protégée qu’elle était par un papier. La capsule paraît rouillée. Le bouchon se cisaille à l’ouverture. Pas de bulle. Le liquide a une couleur grisée qui est un très mauvais signe. Malgré tout, comme un ciel pommelé, le vin délivre quelques coins de ciel bleu qui nous enchantent, l’intellect jouant son rôle. Le Pouilly Fuissé Faye et Cie négociant à Beaune 1943 a plus de ressource et fut l’une des vedettes de cette soirée. Objectivement madérisé, le vin conserve de l’élégance. Il se iode avec des crevettes roses, et s’arrondit avec des fromages. Un vin de grand plaisir. Plaisir d’archéologue sans doute mais plaisir.
Ce ne fut pas le cas du château Latour 1907 dont le bouchon s’était rétréci sans prendre la moindre couleur. Parfaitement lisible, c’est un bouchon d’origine. Là, hélas, pas de question, le vin est mort.
Le Château Léoville Poyferré 1948 a un meilleur niveau et se montre grand sur un turbot accompagné de fenouil et courgettes. Excellent vin dont le goût me persuada que j’y reconnaissais 1948, avec un petit quelque chose de château Margaux par un coté très ensoleillé, plus souriant que Saint-Julien.
J’ai longtemps hésité sur l’année du vin suivant, mais en recoupant avec les étiquettes, les capsules, et ce que je pus lire, c’est sans conteste un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1919. Je lisais très bien le 1, le 9 et le 9, et l’on pouvait hésiter entre 1 et 4 pour le troisième chiffre. Mais la comparaison avec des bouteilles de ma cave des mêmes périodes montra sans ambiguïté que c’était 1919. Le goût aussi. Mon gendre essaya de lui trouver quelque chose, avec un enthousiasme qui n’appartient qu’aux jeunes. Je sentis ici ou là deux ou trois flashes d’existence. Mais le vin était mort. Sans rémission possible.
Lassé de ces expériences de cryptographie, j’ouvris un Tokaji Oremus Aszu 6 puttonyos 1981. J’aurais mieux fait de m’abstenir car ce jus sucré n’était pas inspiré et je trompais mon désespoir dans un verre de Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979 qui combla mes papilles tristes. Je suis triste quand je signe des constats de décès.
Je le précise pour qu’il n’y ait pas de mauvaise interprétation, dans mes dîners, je choisis des bouteilles de beaux niveaux, ce qui justifie le taux aussi élevé de réussite (plus de 99%) si l’on accepte évidemment quelques naturelles fatigues.
Là, dans ces expériences chez moi, ce sont des bouteilles que je choisis pour leur niveau bas, car la mortalité inéluctable existe dans ma cave du fait du nombre élevé de bouteilles anciennes. Ce soir, le Pouilly Fuissé fut grand, suivi du Léoville Poyferré 1948 et du champagne Mumm 1937. Les autres bouteilles, mêmes si elles sont légendaires sur le papier : un Latour 1907 et une DRC 1919, ne valaient rien. Pas de regret, sauf de n’avoir pas géré à temps ce patrimoine. Encore un nouveau round pour me persuader des mérites de l’Académie à lancer rapidement. Il faut éviter à beaucoup de caves de se retrouver dans de telles situations.

galerie 1933 jeudi, 9 juin 2005

J’aime ces bouteilles qui sont des énigmes, même si je n’ai pas toujours le temps de les résoudre. Il s’agit ici d’un Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1933.

Ce qui est amusant, c’est qu’on met "grand vin de Bourgogne", comme on mettrait pour n’importe quel vin. On indique "Propriété du Comte de Villaine". Le bandeau vertical dit "vin d’origine", et la pastille rouge dit "garanti".

Que c’est amusant !

J’aimerais bien savoir si la salle de ventes aux enchères où j’ai acheté cette bouteille a bien fourni ces explications. Car il s’agit d’un étiquetage de négoce. mais qui avait le droit de le faire ?

Quelle énigme !

 Cos d’Estournel 1933 à l’étiquette bien neuve !

Echézeaux J. Faiveley 1933

repas de famille avec des reliques samedi, 4 juin 2005

J’ai créé wine-dinners pour qu’on boive mes vins. C’est un combat contre la montre, car je me suis enfermé dans une logique quasi insoluble : je ne veux pas vendre mes vins, car ce sont mes enfants : j’aurais l’impression de les trahir si je m’en séparais. Mais ma passion me pousse à en acheter et continuer à en acheter à un rythme largement supérieur à ce qui est consommé à la maison ou en dîners, ce qui représente pourtant un volume respectable. Il faut absolument que l’Académie des Vins Anciens se fasse, car la mortalité est par nature trop forte dans ma cave. Dans les dîners, j’ai généralement des bouteilles de belle conservation. Un dîner en famille est au contraire l’occasion d’ouvrir les bouteilles qui me font peur. C’est ainsi que j’avais ouvert une Romanée Conti 1929 de niveau bas qui n’est jamais revenue à la vie (bulletin 89). Au moment où j’écris ces lignes, je viens d’ouvrir des bouteilles, et le verdict sera ce soir. Un magnum d’Ausone 1955, bouteille mythique s’il en est, est vraiment au bas de l’épaule. Le bouchon est noir et gras. Le vin pue gravement. J’ai cru sentir des retours à la vie, mais je n’y crois pas. A cet instant, je l’estime morte. On verra. Un Richebourg 1929 de bas niveau est de provenance inconnue (magnifique étiquette d’un négociant sans indication de domaine). Il a un nez torréfié. Qu’en sera-t-il ? Que vais-je ouvrir d’autre ? Je demande à mon fils de venir inspecter avec moi. Je vois un Cérons Clos du Barrail 1943 dont le bouchon a glissé dans la bouteille. Là, pas de question, c’est fini. Je repère une bouteille de Château Margaux 1947 en mi/bas d’épaule. Je l’ouvre. Là, j’ai espoir. Une bouteille d’un Côtes de Beaune Villages A. Bichot 1947 est basse aussi. Faible espoir, mais espoir. Mon fils me demande : « qu’est-ce qu’il y a dans ce sac plastique ? ». J’ouvre un vilain sac plastique d’un supermarché de second niveau. Dedans, un autre sac plastique. Je vois une bouteille de Château Lafite-Rothschild 1869 de beau niveau. Il faut vraiment faire l’Académie.
Après avoir écrit ces lignes, j’ai quand même carafé le reste du Cérons, car l’odeur me parut sympathique, sans trace de bouchon.
Le dîner commence. Nous ouvrons un champagne Vilmart & Cie de Rilly-lès-Reims 1945, bouteille couleuse et basse. La couleur est d’un joli doré, et, surprise immense, la bulle est active. Oui, active. En bouche, pas la moindre trace de madérisation. C’est un vrai et joli champagne dont la blessure se remarque dans l’acidité de fin de bouche. Ce champagne est bon, au point que le Bollinger Grande Année 1985 ne le met pas sur la touche. L’élégant Bollinger de belle personnalité fait une suite logique et non un repoussoir. Sur un foie gras, la trace intense du champagne le plus jeune apparaît encore plus belle.
Le Cérons Clos du Barrail 1943 est imbuvable. Inutile d’insister. Le Montrachet Robert Gibourg 1992 de beau niveau est sans doute l’un des plus puissants que j’aie bus. Lourd comme le plomb, à la trace intense, il donne des évocations de beurre mais aussi de pâtes de fruits. Un magnifique Montrachet.
Le Château Ausone 1955 en magnum est une des plus grandes surprises de ma vie. En le condamnant à l’ouverture, j’étais sûr de moi. Or voilà un vin qui se montre sans défaut, très saint-émilion, très Ausone, avec une belle puissance et un goût convenable. Mes enfants ont plus aimé que moi, car je trouvais malgré tout qu’il avait à tout instant le goût qu’ont les lies, ces lies que je bois (ou mange) avec confiance quand d’autres n’osent pas. Constatant qu’on me demandait sans cesse d’en resservir, je vis qu’il fut apprécié. Il était bon.
Le Château Margaux 1947 est resplendissant. Charmeur comme l’est Margaux, ensorceleur, joyeux, chantant, c’est un grand Margaux auquel je n’ai pas trouvé de défaut. Il était entre mi et basse épaule. Le temps n’avait pas encore fait son œuvre de flétrissure. Il fut grand. Le Richebourg 1929 de provenance inconnue aurait pu nous intéresser s’il n’y avait que lui. Mais comme les flacons ouverts étaient nombreux, il ne suscita pas d’envie particulière, alors que le Côtes de Beaune Villages A. Bichot 1947 avait un joli goût de soif. Buvable, et plus que buvable, il est fort agréable. Beau témoignage d’une année où la Bourgogne est grande.
Je retiens de cette expérience quelques conclusions provisoires, futures pistes de réflexion. La première est qu’il est urgent que j’inventorie mes caves, pour que j’agisse plus vite que le temps. Comme mes enfants semblent se plaire à ces expériences, profitons-en. Etre traité au Margaux 1947, on connaît de pires punitions. La seconde est que je prétendais être capable de prévoir ce que sera un vin cinq heures avant son service, et cet Ausone 1955 m’a piégé. Il ne faut donc jamais conclure trop tôt. La troisième idée concerne l’Académie. J’avais l’idée de créer au sein de l’Académie une section qui s’appellerait : « le club des bas niveaux », où des collectionneurs mettraient en commun des bouteilles basses qu’il faut boire. Fondée sur une appréciation réaliste des apports, cette section permettrait de consommer des bouteilles rares qui dorment en cave et vont mourir. Ce dîner m’a donné envie d’accélérer et de pousser l’idée pour qu’elle prenne corps.
Mon classement des vins de ce dîner est : 1 – Margaux 1947, 2 – Montrachet Robert Gibourg 1992, 3 – Bollinger Grande Année 1985, 4 – Côtes de Beaune Villages Bichot 1947.