un bel italien avec des amis samedi, 7 octobre 2006

L’ami qui avait accosté devant ma maison du Sud en catamaran, vient dîner chez moi à Paris avec d’autres amis. J’ouvre un champagne Moët & Chandon Brut Impérial sans année vers 1990. Je suis impressionné par lé douceur et l’équilibre que ce champagne a pris avec l’âge. Voici un champagne qu’il faudrait oublier quinze ans en cave pour le boire au sommet de son art. C’est doux, délicat, rassurant, avec une petite pointe de fruit confit. Ayant anticipé l’ordre des champagnes, je deviens inquiet pour le second, tant ce Moët est charmeur. Mais le champagne Charles Heidsieck, mis en cave en 1996 va faire bonne figure. Plus jeune d’aspect, plus sec, à la bulle puissante, il expose une autre version tout aussi sympathique du champagne. Plus austère, plus scolaire mais agréable sur les deux foies gras, l’un nature et l’autre en terrine sous une croûte de pain d’épices, avec une gelée de fleur d’hibiscus.

Nous essayons sur ce même plat un Sauvignon blanc Württemberg Schnaitmann 2004 qui titre 13° dont je n’ai absolument aucune idée de l’origine. Comment était-il en cave ? Le vin est assurément très jeune, jeune puceau imberbe. Un goût de citron, de pomme, de litchi, et une naïveté qui n’est pas déplaisante. C’est assez anecdotique.

Sur une joue de bœuf aux carottes qui me remet en mémoire l’excellente joue que réalisait Benoît Groult à Amphiclès il y a bien longtemps, trois vins vont être bus à l’aveugle, avec une imagination de découvertes qui nous fait voyager dans beaucoup de régions fort étrangères pour ces vins. Le Château Lafite-Rothschild 1965 a très étonnamment une couleur trouble. Le nez est expressif. On sent la trame très dense d’un grand vin, mais, avouons-le, c’est un « Shadow Cabinet ». Ce n’est pas le Lafite tel qu’il pourrait l’être.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956 m’avait – une fois encore – montré un bouchon noir et gras. Mais les odeurs promettaient de belles choses. Sa couleur est claire, d’un rouge grenat. En bouche, j’ai rarement bu un vin avec autant de fruits rouges. Ce sont des groseilles, des prunes qui envahissent la bouche. Le résultat est assez probant, même si on ne peut ignorer une fatigue de l’âge.

A l’aveugle, c’est de loin le Gattinara Casa vinicola Luigi Nervi & Figlio  Italie 1964 qui est le plus flatteur. Il a un beau rouge bien vivant, un nez franc, et son goût simple, au discours clair est très plaisant. Bien sûr quand les vins s’épanouissent dans le verre, c’est le Grands Echézeaux qui livre la plus belle complexité bourguignonne. Mais ce petit vin italien m’a bien plu, comme à l’ensemble de mes amis. Sur les fromages, c’est le Grands Echézeaux qui vibrait le plus.

Le vrai choc, c’est Château Climens 1966. Car avec les rouges, on a besoin de réfléchir pour trouver ce qui reste de leur race initiale, car ces vins ne sont pas toujours au mieux de leur forme. Alors qu’avec ce Climens, tout est clair comme lorsqu’un professeur de mathématiques donne la clef d’un problème sur lequel on a bataillé. Quel immense plaisir que ce grand Barsac que j’adore ! Sur une délicieuse tarte Tatin, c’est l’accord parfait.

dîner de wine-dinners au Pré Catelan mercredi, 27 septembre 2006

Le 76ème dîner de wine-dinners se tient une nouvelle fois au restaurant le Pré Catelan. Je viens ouvrir les bouteilles vers 16h30 et je suis aidé par un sympathique jeune homme que je considère comme un sommelier. Je lui fais sentir les vins que j’ouvre, je donne mes consignes de température de stockage avant le dîner. Il s’intéresse. It est efficace. Lorsque nous revêtirons nos costumes de scène, mon costume cravate d’un côté, son vêtement de fonction de l’autre, je constaterai avec une amusante surprise que c’est le voiturier. S’il a l’amour du vin, je suis heureux qu’il ait eu ce plaisir. Le nez le plus surprenant de toutes les bouteilles ouvertes c’est le « Graves supérieures » que je situe dans les années trente. Un ami sommelier qui savait que j’étais là, venu bavarder avec moi pendant les ouvertures, en convient : ce nez appartiendrait à un Suduiraut ou un Rayne-Vigneau qu’on ne serait pas autrement surpris.

Embarras parisiens ou coquetterie féminine, les arrivées à ce dîner ne furent pas synchrones, ce qui est embarrassant. La beauté de ma voisine me fera accepter son arrivée tardive avec un sourire béat. Elle annonce que si nous sommes sept à table, la promesse d’un huitième convive l’accompagnera dans ce repas. Lorsqu’il aura l’âge de comprendre, saura-t-il qu’un vin de plus de 110 ans son aîné aura peut-être parfumé le cocon douillet dans lequel il se forme ? J’explique les consignes d’usage et nous passons à table, sous la jolie rotonde qui forme une excroissance dans le joli bois qui entoure ce palais, cette petite folie champêtre.

Le menu préparé par Olivier Poussier et Frédéric Anton est fait de plats du menu, quasiment inchangés. Les adaptations n’ont concerné que le dessert délicieux, fait spécialement pour le vin le plus vieux. Voici ce que nous avons mangé, marqué par le talent de Frédéric Anton :  étrille préparée en coque, fine gelée de corail et caviar, soupe au parfum de fenouil / Girolles, juste poêlées, fine purée de céleri à la cannelle, petites fleurs de capucine et d’ail en tempura / Sole, cuite au naturel, glacée d’un jus de soja épicé, poêlée de germes de soja, mangue fraîche légèrement acidulée / Ris de veau cuit en casserole, petites girolles aux herbes fraîches / Agneau, le filet cuit à la plancha, pané de poivre noir et sauge, pomme de terre farcie d’un fondant de l’agneau épicé, jus gras / Bleu de Termignon, fourme d’Ambert, bleu des Causses / Fine tartelette aux mirabelles.

Le Champagne Dom Pérignon 1993 est un vrai Dom Pérignon, un des plus sages de sa génération. L’un des convives est en admiration devant ce champagne délicat au parfum intense et suivra son évolution olfactive pendant toute la soirée, avec des étonnements de pleine admiration. L’étrille fait chanter le champagne en l’excitant sournoisement.

Le Puligny Montrachet Les Chalumeaux Jean Pascal & Fils 1976 montre à cette assemblée qui compte de très fins palais, dont un professionnel du jugement des vins, combien l’âge embellit les vins de ce calibre. Ce Puligny est franc, généreux, doré dans sa gaieté, et ses composantes se sont gentiment ordonnées pour un plaisir naturel. Les girolles sont un compagnon de jeu idéal pour le Puligny, qui gagne de la longueur avec cette saveur fort lourde, dont le sucré délicat prolonge sa rigueur.

Le Gewurztraminer Hugel Réserve Personnelle 1983 a un nez époustouflant. On pourrait se contenter de son seul parfum, enivrant. En bouche, c’est un kaléidoscope remuant. Quel brio, quelle complexité, quel talent ! Ce vin est remarquablement construit, racé, et donne de l’Alsace la plus belle image qui soit. Sa jeunesse explose. La chair absolument goûteuse de la sole aurait suffi pour ce vin. La sauce trop vinaigrée obscurcit le paysage, et les petites complications latérales n’ajoutent rien. Ce plat eût dû être simplifié pour accompagner un Gewurztraminer de ce talent.

Ah, que le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 ressemble à ce que j’aime de ce domaine. Comme souvent, voilà un vin qui ne veut pas séduire. C’est une danseuse de java, qui ne séduit pas mais conquiert. Alors, d’aucuns lui trouve de l’olive, du thé, de la câpre. Je lui trouve cette trace salée qui est comme une signature du domaine. On pourrait ne pas être sensible à un vin déroutant qui reste une énigme. Toute la table l’a adoré. Manquant d’objectivité, accro aux vins de ce domaine, j’ai succombé au charme de cette danseuse, belle inconnue qui me snobe mais s’empare de mon âme.

Les deux Bordeaux rouges sont servis ensemble. Le Château Gazin Pomerol 1953 a une couleur d’une franche jeunesse, un nez précis et dans la pure définition du Pomerol. Il offre en bouche un confort absolu. J’aime Gazin, j’aime 1953, je suis donc à mon aise.

Le Château Cantenac-Brown, Cantenac 1934 ne met pas du tout à l’aise, car il va surprendre au-delà de l’imaginable. Il va montrer à quel point un vin peut se transformer dans le verre. Le premier contact est vieillot, légèrement acide, fatigué. Sentant ce qui va se produire, j’alerte mes convives. Et nous allons assister à une résurrection invraisemblable. Que tout le monde à la table soit conquis par un vin qui aurait été immédiatement condamné par tout juge, est une surprise de taille. Il fallait avoir cette humilité, que je recommande toujours, pour ne pas former un jugement trop hâtif. Cette erreur aurait eu pour conséquence de passer à côté d’un vin splendide, qui fut bien apprécié dans les votes.

Les connaisseurs de vins de la table ont eu la même surprise que moi : comment le Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930 peut-il être aussi authentiquement sauternais. Il ne suggère pas, il impose cette puissance liquoreuse au charme rare.

Chacun se plait tellement avec le Jauberts que le Barsac illisible vers années 1890 / 1900 sera beaucoup moins perçu. J’ai lu sur le bouchon Château de Ruomieu. L’année, vers 1890, est confirmée par le goût. C’est un vin émouvant, que je fus seul à couronner de votes, car tout le monde avait en tête le goût du Jauberts, si surprenant. Et la compréhension des sauternes qui ont « mangé » leur sucre est plus difficile.

Lorsque je prends en cave des vins en supplément, pour couvrir une défaillance, j’aime me faire plaisir. Ne sachant pas ce que donnerait le Barsac, j’ai pris un vin doux : un Rancio Caves de Maury vers 1945 ou avant. Cette bouteille banale d’un litre cernée d’étoiles gravées dans le verre, a tant de charme, que j’ai décidé de l’ouvrir, malgré l’absence de besoin. Il fallait qu’elle fût bue sur un gâteau au chocolat. L’accord de ce rancio avec le gâteau au chocolat devrait être inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Comment décrire ce moment de pure folie où l’on ne sait pas si la griotte vient du vin ou de la tarte ? C’est de la jouissance pure, fondée sur des goûts naturels, sensuels, proches du divin.

Nous étions sept présents à voter pour neuf vins. Huit vins sur neuf ont eu droit à au moins un vote. Quatre vins eurent droit à un vote de premier : le Grands Echézeaux, le plus couronné, trois fois, le Cantenac Brown 1934 deux fois, le Jauberts vers 1930 une fois, ainsi que le Château Ruomieu vers 1890 une fois. Le vote du consensus serait : Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930, Château Cantenac-Brown, Cantenac 1934 et Château Gazin Pomerol 1953.

Mon vote : Château Ruomieu, Barsac, vers 1890, Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930, Rancio Caves de Maury vers 1945, Gewurztraminer Hugel Réserve Personnelle 1983. Mon vote ne contient que des blancs ou des liquoreux, ce qui n’enlève rien à la valeur des rouges.

Le service du Pré Catelan est toujours aussi précis, l’équipe animée par Jean-Jacques Chauveau étant particulièrement motivée. Il serait sans doute souhaitable que certains plats soient « revisités » pour tenir compte de l’âge des vins, qui supportent moins bien la générosité gustative. Mais Frédéric Anton a tant de justesse dans ses recettes que cette remarque est à la marge. Nous avons passé une soirée remarquable, sur des saveurs d’une belle justesse et des vins aux énigmes invraisemblables. La palme absolue des accords revient au Rancio associé au délicieux dessert au chocolat. Gourmands de tous les pays, unissez-vous !

de beaux bourgognes au restaurant Laurent mercredi, 20 septembre 2006

De merveilleux bourgognes de 1947 et autres années

Un ami de mon fils souhaitait partager avec moi une belle bouteille. Nous prenons date. Je pense à apporter aussi une bouteille.  En la choisissant, je décide d’inviter d’autres amis pour avoir un éventail de vins plus large.

Nous allons déjeuner au restaurant Laurent, et j’ai fait ouvrir les bouteilles à l’avance par Patrick Lair. Nous sommes cinq à table, et nous commençons par une demi-bouteille de Chassagne Montrachet rouge Charles Viénot 1947. Le nez est extrêmement bourguignon, viril, tendance animale. On peut avoir deux approches : on décide que ce vin est passé, et on l’oublie. Ou l’on a la tolérance d’accepter une légère acidité (qui va d’ailleurs disparaître), et on a un bourgogne viril, râpeux, terriblement bourguignon.

Sur un foie gras poêlé absolument délicieux, le Corton Jacques Bouchard 1957 me surprend par sa jeunesse folle. Et le Viénot 1947 sert de faire-valoir à ce beau bourgogne au message clair, qui laisse le négociant en vins de notre table (l’ami de mon fils) quasiment pantois : comment trouver dans un tel vin une grille d’analyse qui s’inspire de la grille d’analyse des vins qu’il juge au quotidien. Ce que relève mon ami, c’est surtout la jeunesse de ce vin, qui le trouble. De mon côté, je suis très surpris qu’un 1957, d’une année ingrate, puisse atteindre ce niveau là.

Les pieds de porc sont le plat le plus confortable qui soit. Sa sécurité gustative autoriserait toutes les audaces avec les vins (un blanc serait très tentant).

Le Corton du Roy Faiveley probable 1947 (car il a perdu sa collerette d’année) a un nez resplendissant. C’est la pourpre cardinalice. En bouche le premier contact est tellement chaleureux que je me mets à penser à 1929. Un tel charme ne peut appartenir qu’à 1929. Mais dans le merveilleux jardin du restaurant Laurent dont nous profitons pour une des dernières fois de l’année, la température relativement fraîche va limiter l’ardeur de ce Corton qui redevient plus probablement un 1947, mais le doute subsiste, car la chaleur gustative de ce vin est du calibre de 1929. Lorsque je ferai en fin de repas une nouvelle analyse de tous les vins que nous avons bus, c’est la générosité, la spontanéité de ce Corton qui le placera nettement au dessus des autres vins. On sent des fruits rouges, du jus chaud et vivifiant dans ce vin chaleureux à la longueur très remarquable pour un vin de plus de cinquante ans.

L’apport de l’ami de mon fils, La Romanée, du Château de Vosne Romanée 1966 a une couleur très troublée qui résulte sans doute du voyage depuis Bordeaux. Le nez est un peu acide. En bouche c’est assez joli, mais très « en dedans ». On peut penser qu’avec quelques heures de plus d’ouverture, ce vin aurait développé son message. Ici il se contente d’un texte simplifié, annonciateur quand même du potentiel qu’il aurait pu exprimer.

Dans un repas aussi amical et enjoué, je peux prendre des risques plus grands pour le choix des vins. Sur un saint-nectaire, la  demi-bouteille de Pontet Canet 1924 est morte, sans qu’il soit envisageable de lui trouver le moindre rayon de soleil. En revanche, la demi-bouteille de Gruaud Larose 1922, même si elle ne fait plus partie des vins acceptables, indique, sous ses blessures, qu’il aurait été un jour un vin de grande  valeur.

Pour nous consoler de ces deux bouteilles qui ont dépassé depuis longtemps la validité de leur ticket, le Château Salins, Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941 séduit toute la table sur un soufflé aux pêches. Sa couleur est d’un or joyeux, son nez est discret, mais élégant. Il évoque le coing. En bouche, c’est délicatement liquoreux, avec des évocations de pêche, de fruits blancs, d’agrumes légers. Il est presque sec dans son doucereux. Sa longueur est prudente, mais son plaisir est immense. Dénicher des vins inconnus qui se montrent sous un tel jour est un plaisir certain.

Ce repas m’a donné l’envie de faire ainsi de temps à autre une table amicale où l’on ouvrirait des bouteilles représentant plus de risques, soit pour ne plus prolonger une inutile agonie, soit pour leur permettre de déployer leurs ailes d’anges.

dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 7 septembre 2006

Après la longue pause estivale, dîner au restaurant Taillevent est certainement le meilleur moyen d’arriver à retrouver le Paris qu’on aime. Car la pollution très nette, les voies urbaines coupées en deux par la Delanoëisation, engorgées et bloquées d’un côté et désespérément vides de l’autre, ce n’est pas un accueil digne de la Ville Lumière. J’arrive à 16h30 pour ouvrir les bouteilles. Je suis accueilli par un Jean-Claude Vrinat rayonnant mais toujours modeste, car le guide Zagat vient de le confirmer au rang de numéro un parmi tous les restaurants. Il va s’échapper peu après pour recevoir cet honneur.

Tout a été préparé par Alexandre, jeune aide-sommelier qui contemple avec envie les vins que nous allons boire ce soir. Les bouchons sont généralement très sains, sauf celui du Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963 qui sent classiquement la terre de la cave de la Romanée Conti dans sa partie supérieure. Il est mangé de terre sur une moitié, l’autre étant noire et relativement peu grasse, aspect que l’on comprendrait mieux d’un vin de trente ans de plus. Quelques odeurs sont fatiguées mais ne sont pas inquiétantes, car l’oxygène va jouer son rôle de Docteur Miracle.

La table a été composée par un des plus fidèles convives des dîners de wine-dinners. Il s’agit de membres de sa famille qui veulent honorer un futur gendre de mon ami. Je découvre avec curiosité que nous serons neuf mâles et j’apprendrai que les épouses se sont regroupées à l’Angle, le deuxième restaurant de Taillevent. Les couples se reformeront dans quelques heures, à Taillevent, autour d’un verre.

Le menu composé par l’équipe de Jean-Claude Vrinat est le suivant : Amuse bouche / Rémoulade de tourteaux aux fines herbes / Raviolis aux champignons du moment / Poulette de Bresse à la broche, beurre d’herbes (premier service) / Poulette de Bresse à la broche, beurre d’herbes (second service, la cuisse) / Fourme d’Ambert à la cuillère / Gelée d’agrumes, œuf-neige à la mangue. Belle intelligence culinaire dans une stricte orthodoxie.

Le Champagne Bollinger Grande Année 1985 à la magnifique couleur d’un jaune à peine doré, à la bulle active, affiche sur des gougères un goût de fruits à peine confits. Ce champagne porte son âge avec élégance. Sur un merveilleux et complexe velouté aux tons et saveurs d’automne, le Bollinger prend un caractère citronné, s’anime et rajeunit. Trois convives ont une analyse inverse et trouvent qu’il s’arrondit. Le Bollinger « GA » 1985, moins pétulant que le « RD » (récemment dégorgé) du même âge, est rassurant, charmant, très plaisant.

Une jolie présentation de tourteaux accueille deux vins de 1959 un Niersteiner Königskerze Rheinessen 1959 et un Puligny-Montrachet Henri Boillot 1959. Ce sont deux vins qui ont dépassé depuis longtemps leur période de maturité. C’est pourquoi j’explique comment aborder ces vins pour lesquels les repères des vins actuels ne comptent plus. Le Puligny est absolument délicieux, légèrement doucereux et livre « entre les lignes » un message de Puligny. Avec la chair du tourteau, l’accord est naturel. La crème auréolée d’un pointillé « à la Robuchon » n’est pas l’amie des blancs, mais elle passe assez bien avec le vin allemand qu’une petite amertume gêne à peine. La très belle complexité faite de mangue, de rhubarbe, et surtout de morilles a du charme à revendre. Dès qu’on arrive à la deuxième moitié de la bouteille, l’amertume disparait complètement, ce qui embellit définitivement ce beau vin germanique.

Les champignons ont un goût très affirmé. Le Château Mouton-Rothschild 1950 à la couleur très foncée a un nez fortement acide qui me fait grimacer. Mais en bouche, si on accepte cette acidité sensible, on sent tout le velouté délicieux de ce vin que je considère comme très beau. Mon ami fait grise mine de façon insistante, aussi je fais ouvrir le Château Ausone 1975 que j’avais en réserve. Mais je continue à défendre Mouton. Et j’ai raison ! Car son final en bouche est pur et magistral. Quand l’oxygène a joué son rôle dans le verre, le vin devient parfait, beau, velouté, délicieux. L’accord est évidemment possible, mais les champignons envahissent trop l’espace du vin.

Le Château Ausone 1975 sera servi avec le Chassagne Montrachet Rouge Boudriottes 1972, Marcel Toinet sur le premier service du poulet de Bresse. Cette cohabitation impromptue est intéressante. L’Ausone a une élégance et une qualité de construction qui impressionnent. Mais le Chassagne rouge a une séduction éblouissante. Lorsque j’avais mis au point les vins pour le dîner de mon ami, il avait fait la moue pour ce vin qu’il jugeait bien ordinaire. Un Chassagne rouge, qu’est-ce que ça peut donner ? Or le fantassin joue les généraux. Charmeur, envoûtant, je l’ai trouvé remarquable de jeunesse et d’expression bourguignonne. Les deux vins ne rivalisent pas, montrant deux facettes éclairantes de la magie des rouges.

La page suivante de ce dîner allait nous faire monter d’un étage. Le Grands-Echézeaux, Domaine de la Romanée Conti 1963 au bouchon si vilain montre toute la complexité de la belle Bourgogne. Sans séquelles des impuretés odorantes qu’il avait à l’ouverture, je lui ai trouvé un petit côté salin que j’aime bien chez les vins du Domaine. Et la divine surprise est venue de l’Aloxe Corton 1947. Je dis à l’un de mes voisins : « c’est un vin comme cela qui justifie toute ma démarche de collectionneur ». Car ce vin de négoce ayant perdu son étiquette, une main malhabile avait confectionné une naïve étiquette avec ces seules mentions : « Aloxe Corton 1947 ». J’avais ainsi acheté chat en poche. Et voici que ce vin est éblouissant. Le Grands Echézeaux a une couleur d’un rubis fatigué alors que l’Aloxe offre un rouge sang d’une jeunesse insolente. En bouche il jubile de perfection. Toute la table vacille, car aucun convive hormis mon fidèle ami ne peut imaginer qu’un 1947 ait cette verve là.

La fourme parfaite avec un pruneau fourré va donner de la noblesse au Château Loubens Sainte Croix du Mont 1928. Nous sommes aux anges. Le Loubens est expressif, chaleureux, d’une couleur divinement dorée. Mais ce vin est très simple. Et le Château d’Yquem 1983 montre encore plus l’écart qu’il peut y avoir entre leurs deux structures. Ce 1983 est au sommet de son art, complexe, épanoui, de pur plaisir. Il est aidé par un dessert merveilleux, véritable propulseur de l’Yquem.

La séance des votes allait être passionnante, car pour beaucoup de convives, ces vins sont d’un monde nouveau. Ma fierté est de constater que neuf vins sur dix ont figuré dans les quartés des neuf votants. Seul le Mouton 1950 est resté sur le bord des votes, à cause de cette acidité que l’on n’arrive à ignorer qu’avec un expérience déjà certaine. Cinq vins sur dix ont bénéficié d’un vote de premier, ce qui est une autre fierté. La plus grande fierté est que l’Aloxe Corton 1947 soit le plus couronné avec quatre votes de premier, l’Yquem 1983 a eu deux votes de premier, le Grands Echézeaux, le Chassagne Montrachet et le Puligny Montracet recueillant chacun un vote de premier. Le vote du consensus serait : Aloxe Corton 1947, Yquem 1983, Puligny-Montrachet Henri Boillot 1959, Grands-Echézeaux, Domaine de la Romanée Conti 1963. Mon vote a été : Aloxe Corton 1947, Chassagne Montrachet Rouge Boudriottes 1972, Marcel Toinet, Yquem 1983, Champagne Bollinger Grande Année 1985.

Le service de Taillevent est légendaire. Il fut exceptionnel ce soir. Si l’on veut analyser ce que l’on pourrait améliorer, je vois deux pistes. La première est de faire remplir les verres à l’avance pour certains vins, avant d’être mis sur table, car on a vu que le Niersteiner et le Mouton se sont nettement améliorés dans la deuxième partie de la bouteille. Sept à huit minutes d’épanouissement dans le verre leur aurait fait du bien. M’en étant ouvert à Jean-Claude Vrinat, celui-ci m’a suggéré de le définir dès la séance d’ouverture des vins. Le deuxième sujet d’amélioration serait que le chef vienne sentir les vins une heure avant de passer à table. On pourrait ajuster des sauces ou des condiments à ce que l’on constate. Car la belle cuisine de Taillevent aurait été encore plus émouvante avec un ou deux ajustements. Faire un repas au restaurant Taillevent est un régal. Réaliser un tel repas avec une équipe aussi réceptive, attentive et motivée est un vrai plaisir.

dîner au restaurant Taillevent jeudi, 7 septembre 2006

Les vins de la collection wine-dinners

Champagne Bollinger Grande Année 1985

Niersteiner Königskerze Rheinessen 1959

Puligny-Montrachet Henri Boillot 1959

Château Mouton-Rothschild 1950

Château Ausone 1975

Chassagne Montrachet Rouge Boudriottes 1972, Marcel Toinet

Grands-Echézeaux, Domaine de la Romanée Conti 1963

Aloxe Corton 1947

Château Loubens Sainte Croix du Mont 1928

Château d’Yquem 1983

Le menu créé par l’équipe de Jean-Claude Vrinat

Amuse bouche

Rémoulade de tourteaux aux fines herbes

Raviolis aux champignons du moment

Poulette de Bresse à la broche, beurre d’herbes (premier service)

Poulette de Bresse à la broche, beurre d’herbes (second service, la cuisse)

Fourme d’Ambert à la cuillère

Gelée d’agrumes, oeuf-neige à la mangue

D’immenses vins à l’hôtel des Roches (à nouveau !) mercredi, 9 août 2006

Aller de nouveau à l’hôtel des Roches à Aiguebelle pourrait paraître obsessionnel. Ça l’est. Je voulais que Jean-Philippe Durand, notre ami cuisinier amateur, connaisse la cuisine de Mathias Dandine. Occasion de rassembler nos enfants. Le chasseur à l’entrée est constant : il est hors sujet. Commençant par dire qu’il n’y a plus de place et voyant de nouveau mon œil courroucé, il prend les clés de la voiture, l’air las. Dès qu’on a pénétré dans l’enceinte de l’hôtel, c’est un ravissement. Notre table regarde les îles du Levant et de Port-Cros, et la lune apparait dans toute sa plénitude, rose comme un homard amoureux. Reflets de lune argentés sur une mer légèrement agitée, vins délicats, cuisine rassurante, tout ici est bonheur.

Le champagne Moët & Chandon 1999 m’avait déjà séduit par une belle personnalité, et celui-ci n’y faillit pas. L’amuse-bouche est une crème de fenouil qui chatouille le Moët. La tartine de truffe d’été appelle un champagne Krug Grande Cuvée. La tartine est croquante et goûteuse. Le champagne fait un flop, car il n’a absolument pas le charme qu’on peut attendre d’un Krug. Il faut sans doute lui laisser quelques années pour qu’il s’arrondisse, mais je n’en suis pas sûr. Par contraste, le Moët brille.

La brandade de morue à la truffe d’été en deuxième amuse-bouche est plaisante. Mais comme au précédent essai, je préférerais une version plus virile, plus villageoise de ce plat.

Des langoustes juste grillées à la sauce vierge arrivent en peloton serré pour faire la haie d’honneur au Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 2002. La cuisson de la langouste est superbe, la chair prodigieuse. Il faut bien cette expressivité pour balancer l’immense persuasion de ce blanc que j’adore. Quel beau vin, puissant, vaste, opulent, remplissant le palais de joie pure. Ce vin est grandiose. Il lui faut des chairs typées comme celle-ci pour qu’il y ait jeu égal. Un beau moment de plaisir culinaire.

A notre arrivée, on nous avait présenté une montagne de sel dont la couleur et la taille faisaient penser à un bébé phoque. On me demande si le fait de manger un loup de plus de trois kilos nous tente. C’est le type de question qui n’a qu’une seule réponse. Car devant ses invités, comment dire non, si en plus on désire ce poisson ? J’avais trouvé dans la carte des vins la réponse à ce gros gabarit de poisson : Vieux Château Certan, Pomerol, 1990. L’accord avec le loup en croûte de sel est divin. Le vin s’exprime totalement. Toutes ses subtilités de Pomerol sont magnifiées par la chair du loup. Vin immense, chair goûteuse. Une précision extrême.

C’est sur les girolles que l’on peut vérifier la magnitude du talent de Jean-Philippe Durand. Car les girolles de Mathias Dandine sont bonnes. Mais la même poêlée réalisée la veille avait un goût transcendant par rapport à celle-là. Ce n’est pas une critique du talent de ce sympathique et généreux chef qui va progresser lorsqu’il aura cette maison bien en mains. C’est uniquement la reconnaissance d’un don de Jean-Philippe qui le place très près du niveau des restaurateurs trois étoiles que j’aime. Les cuissons des langoustes et du loup ont été brillantes. Cette remarque n’entache pas mon jugement sur ce chef chez qui je reviendrai avec plaisir.

Les girolles appelaient un vin. Ce fut Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée-Conti 1997. Un immense bonheur. Un vin direct, franc, généreux, subtil, bien assis dans cette année qui ne commet pas l’erreur d’éblouir. Un grand moment avec les girolles.

L’excès de mignardises aux parfums trop variés est passé comme une lettre à la poste avec un joli Comtes de Champagne Taittinger 1997 à la bonne humeur communicative de pure soif qui conclut ce repas splendide et montra que le Krug que nous avons eu a un problème.

C’est difficile de classer des vins aussi dissemblables. Malgré l’amour immodéré que j’ai pour le Bâtard-Montrachet, je donnerai ce soir la palme au Vieux Château Certan 1990 éblouissant, complice d’un loup idéal pour le révéler. Ensuite le Bâtard et le Romanée Saint-Vivant. Tant de bons vins sur de belles chairs merveilleusement traitées, c’est de la joie pure.

Le Monde 2 du 24 juin samedi, 24 juin 2006

Dans le supplément du Monde du 24 juin, un suplément vin (poupée russe !).

A l’avant dernière page, un article de Nicolas de Rabaudy, avec un titre délicieux :

L’homme qui parlait à l’épaule des bouteilles

"Ah, la funeste manipulation! En extrayant avec une prudence de Sioux des nobles crus le bouchon flétri d’une bouteille de chateau Margaux 1900,un chef d’oeuvre de l’appellation,François Audouze, collectionneur de vins ancien, 5000 références dans sa cave,la laisse tomber et le vin si precieux , agé de 102 ans,se repand sur le sol, et voilà notre oenophile effondre, à quatre patte sur le carrelage, lapant le Margaux comme le chien de Lalou Bize-Leroy,la langue active, dans le cellier de la Romanée Conti ( l’histoire est authentique): le flacon brisé de Margaux 1900 figure en couverture des "carnets d’un collectionneur de vins anciens" (Michalon éditeur, 2004 ).
C’est l’une des aventures tragi-comiques vécues par François Audouze, polytechnicien à 20 ans, devenu un industriel de l’acier, aujourd’hui à la retraite occupée par l’approche, la connaissance, la sauvegarde des vins anciens, ces bouteilles perdues dans nos caves, agonisantes, coulantes, aux etiquette abimées, quelquefois sublimes en bouche, que le collectionneur-dégustateur entend faire vivre dans le verre pour le plaisisr des papilles, simplement.
Car, parmi ces vins porteurs d’un age respectable, souvent plus vieux que ceux qui les boivent, dont la plupart finissent dans l’évier, il y a des joyaux, des incunables de la viticulture française, porteurs de surprises, d’émotions, d’émerveillement . Audouze, probablement le citoyen français qui savoure le plus de flacons de jadis, cite ses plus fascinantes trouvailles : Riesling 1945, Montrachet 1864, Meursault 1846, Yquem 1900, Haut Brion 1926 (dégusté au moins 20 fois, un véritable miracle pour le premier cru de Graves).
Afin de faire sortir des caves ces vins aux niveaux bas, de couleurs souvent étranges, Audouze vient de créer l’Académie des Vins Anciens dont les 4 sessions annuelles à l’Hôtel de Crillon réunissent, telle une société secrète, une cinquantaine d’amoureux des rouges ou blancs d’autrefois, des dégustateurs au fin palais, wine enthousiastes de la viticulture du passé. Chacun apporte son flacon, offert aux académiciens, le don est une valeur sacrée de l’oenophilie.
Ainsi,lors de la dernière réunion, en janvier 2006, les flacons les plus appréciés furent : le Riesling Hugel 1915, le chateau Latour 1955, le Grand Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 1942, le chateau Suduiraut 1945, le domaine de Chevalier rouge 1924, le chateau Gilette sec 1958, le chateau Fiçgeac 1925, le chateau d’Yquem 1937, le Bouzy de Delamotte 1933 et le chateau La Mission Haut-brion 1955, entre autres nectars de rêve.
La dégustation ne s’est pas déroulée à l’aveugle et l’on n’a servi que du pain, des fromages et de l’eau. Pour le repas de gala, voir les diners de François Audouze : 10 convives seulement, rassemblés dans un grand restaurant.
Assis à côté de Jean Hugel, le patriarche de la légendaire maidon alsacienne de Riquewihr, Aubert de Villaine co propriétaire du domaine de la Romanée-Conti, découvre, bouleversé, le Grand Echézeaux 1942, élaboré pendant la guerre par des femmes, les hommes sont au front." Je suis stupéfait de la bonne tenue de ce vin, élévé dans des conditions quasi héroïques, sans moyens, sans barriques de qualité , confie le Bourguignon de sa voix douce, évoquant la pureté, la plénitude, l’élégance du beau pinot noir qui a traversé le temps. Les grands terroirs parlent toujours: ils dépassent les hommes."
Réflexion similaire pour le Tokay pinot gris 1865 dont Jean Hugel dit qu’il a vécu 3 guerres indemne. Ces 2 viticulteurs qui font honneur à la Francede la civilisation de vin sont des militants de l’Académie, ou l’on offre une nouvelle chance à ces bouteilles tombées dans l’oubli qui racontent l’histoire de nos vignobles."Les vins anciens, si on sait les ouvrir avec d’infinies précautions, sont toujours plus jeunes qu’on l’imagine, souligne François Audouze qui met 2 heures pour extraire un bouchon récalcitrant. Le vin a besoin d’oxygène pour s’éveiller au monde." Et se livrer aux hommes.

Nicolas de Rabaudy

DRC les pieds dans l’eau vendredi, 23 juin 2006

Nous avons pris nos quartiers d’été avec l’apparente intention de faire diète. Mais il faut se ménager des espaces de liberté, excuses à la gourmandise.

Mathias Dandine avait obtenu une étoile dans un joli petit restaurant coincé dans une étroite et escarpée rue piétonne de Bormes-les-Mimosas. Ambition, goût du challenge, voici qu’il décide en décembre dernier de reprendre la restauration de l’hôtel des Roches au Lavandou. Il devenait indispensable que nous allions vérifier si la greffe avait pris.

L’hôtel des Roches jouit d’une implantation unique sur l’eau, un peu comme Eden Roc, et l’on a une jolie vue sur les îles du Levant et Port Cros. Voulant jouer tropézien, le lieu accueille façon plutôt branchée. C’est plus Dior Haute Couture que Raimu accoudé à son comptoir. La décoration s’améliore, et le site incite au farniente. A l’étage du restaurant, on est tout sourire. Mathias et son frère sont prévenants. Sébastien, l’agréable et facétieux sommelier se souvient de nos habitudes ou manies.

Nous commençons par un champagne Amour de Deutz 1995 de belle couleur dans son flacon transparent. Assez expressif, à la bulle forte, il est plutôt joli en bouche, mais je trouve qu’il joue un peu en dedans, comme l’équipe de France de football, qui à l’heure où j’écris ces lignes, juste après les matches du premier tour, n’est pas encore éliminée, sans un but de trop. Plus le temps passe, plus le champagne s’ouvre et devient joyeux. Comme je suis marqué par des champagnes très expressifs, je ne mords pas trop, mais cet Amour mérite de l’intérêt.

J’ai suggéré à notre table que l’on commence par un risotto de truffes d’été pour accompagner le vin que j’ai choisi : Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 1987. Le plat est délicieux, le toast de truffe étant d’une justesse absolue. Et avec ces saveurs, le Corton-Charlemagne chante. C’est un vin immense. Et mes amis comprennent pourquoi je disais que le champagne était un peu coincé, car ce vin blanc est totalement débridé. Une exubérance rare, qui renvoie toute réserve sur l’année 1987 dans ses dix-huit mètres. Des notes citronnées mêlées de miel, des évocations d’amandes et de noix, et cette élégance propre à ce domaine délicat. Un vin résolument grand, où la subtilité se dévoile d’autant plus que la puissance est retenue.

Le homard thermidor est goûteux mais doit pouvoir encore se travailler. J’ai décidé de lui associer un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1997. Là aussi, c’est la délicatesse qui prime sur la force. Toutes les caractéristiques d’un grand vin expressif sont réunies. Un léger voile qui écorne une partie du message ne gênera pas suffisamment pour qu’on éprouve moins de plaisir. Ce vin joyeusement juteux est d’un plaisir franc et sincère. Et le homard lui va bien. Le cochon de lait d’une autre partie de la table fut jugé fort approprié à ce grand bourgogne.

On nous offrit un Comtes de Champagne Taittinger 1997 fort agréable en fin de repas, après des mignardises qui demanderont au moins un marathon pour retrouver le tour de taille que l’on avait en entrant. Ce champagne n’est pas très compliqué, mais de belle soif.

Matthias Dandine a un magnifique outil de travail pour développer son élégante cuisine. Sébastien est souriant, le service est attentionné. C’est une adresse dont on reparlera.

de grands vins pour des fiançailles dimanche, 18 juin 2006

Ma fille cadette se fiance. Occasion de se rencontrer pour deux familles, et occasion de sortir de bons vins. Mon futur gendre et ma fille reçoivent le premier soir. Nous recevons le lendemain midi. La motivation de Guillaume et Agathe est assez visible, car nous serons reçus de façon royale.

Voici le menu : Toasts au foie gras / Foie de lotte et coulis d’orange / Carpaccio de gambas, gelée de riesling pamplemousse / Ravioli langoustine ricotta et épinard / Crumble d’agneau aux fèves / Comté et gruyère de Savoie / Macarons Pierre Hermé rose, pamplemousse américano, chocolat passion / 2000 feuilles Pierre Hermé. Les services d’un chef ont été loués pour la circonstance.

Le champagne Laurent-Perrier en magnum est très agréable. Très équilibré, joyeux, il me surprend positivement, car je n’attendais pas le non millésimé à ce niveau. Le champagne Krug 1990 en magnum se présente en un flacon d’une rare beauté. Cet écrin renferme un champagne qui est un vrai bijou. Je l’avais goûté dans des dégustations comparatives où il avait montré son talent. En situation de repas, avec le foie de lotte, ce champagne est éblouissant. Il est tellement complexe que je suis obligé de choisir parmi toutes les images qui me viennent. Je retiens les fleurs blanches et roses, les fruits délicats comme des cerises jaunes. Ce champagne floral et fruité est romantique. Il forme un vrai contraste avec le champagne Salon 1985 que nous avions bu aussi en famille il y a moins d’une semaine. Le Salon me semble plus viril, plus conquérant, quand le Krug me paraît plus féminin, charmeur. Ces deux champagnes sont deux expressions assez opposées qui me plaisent tout autant. Je suis sûr que demain, le Krug pourrait me montrer un autre visage, tant il a de facettes à sa séduction.

Le Riesling "Hengst" Josmeyer cuvée de la St martin 1998 est extrêmement agréable et bien construit. Vin facile à boire. Mais le Chablis Grand Cru les Clos de René et Vincent Dauvissat 1998 a trop d’intelligence. Ce Chablis est magique. Il a tous les bons côtés du Chablis, sans n’en avoir aucun qui soit mauvais. Toute la table de onze parents de deux familles a été émerveillée par la qualité de ce grand Chablis. C’est son expressivité tranquille qui m’a marqué.

Le Château Ausone 1975 est un grand Ausone. Etions-nous de bonne humeur pour juger autant de vins à de tels niveaux ? Non, je crois que cet Ausone est particulièrement réussi. Subtilité, charme, distinction. Il fallait avoir le palais disposé à analyser les détails pour aimer l’Ausone, car à côté de lui, c’est un empereur qui entre en scène. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 est spectaculaire. Que c’est bon, que c’est simple, que c’est naturellement délicieux. On dirait Jean Marais à vingt ans quand il sourit : c’est un ange si naturellement beau. La Mouline, c’est ça : il lui suffit de sourire, et l’on dit : c’est beau.

Ce qui me fait plaisir, c’est qu’en quittant un instant la Mouline pour revenir à Ausone, le bordeaux n’est pas écrasé. Il montre toute sa fragile beauté, fragile étant ici comme la beauté d’Anne, l’héroïne des Visiteurs du soir, qui brûle d’amour pour Gilles. La Mouline, c’est plutôt Jean-Paul Belmondo et sa gouaille de chouchou des dames. Deux grands vins, La Mouline immédiatement porteur de plaisir pur, et Ausone, conteur de madrigal, d’une séduction raffinée.

Le Vin jaune Château d’Arlay 1987 vit son bonheur avec le Comté. Découverte pour certains membres de « l’autre » famille. Le Château d’Yquem 1991 est assez effacé. Mais il le devient encore plus avec les desserts de Pierre Hermé qui sont des concentrés de plomb fondu. De ses macarons, ce qui impressionne le plus, c’est la texture. Elle est divine. Les parfums sont assez forts, ce qui gêne un peu. Le 2000 feuilles est « immangeable » tant il est riche. Personne n’a pu finir sa portion prédécoupée. Il a fallu prendre un rhum pour balancer la lourdeur de ce dessert, pendant que l’Yquem 1991 se taisait.

Mon futur gendre a manifestement mis la barre très haut en ce qui concerne les vins, dont émergent pour moi d’abord le Krug 1990, ensuite la Mouline 2000 et le Chablis Dauvissat. Mais j’hésite entre les deux vins, la position du Krug n’étant pas discutable.

Le lendemain midi, nous remettons le couvert, cette fois-ci chez nous. Certains veulent éviter de boire, car il fait une chaleur de milieu d’été, alors que nous n’y sommes pas. Le menu de mon épouse est le suivant : Toasts au foie gras / Crème de foie gras en pot / Joue de porc confite et sa sauce au thé, pomme de terre duchesse / Stilton / Tarte Tatin.

Le champagne Dom Pérignon 1996 servi sous le catalpa est absolument brillant. Participant à un jury de champagnes pour un magazine connu, j’avais, comme mes collègues, classé ce Dom Pérignon en premier des 1996. Il est magique. Beaucoup moins complexe que le Krug 1990, il étonne par sa générosité, sa facilité de langage. C’est un champagne qui a un goût de revenez-y.

Ma fille aînée ayant un fort penchant pour les vins faciles, boudant les Pétrus pour leur préférer le Languedoc, nous avons commencé, pour qu’elle ait à boire, par un double magnum de Saint-Chinian, les vignerons de Roueïre 1998. La bouteille dissymétrique, pour faire antique, est décorée d’une étiquette en étain, ceinte de rubans rouges. Et, pour qu’il n’y ait aucune méprise, il est inscrit « étain véritable », sur une contre-étiquette elle-même en étain. J’avais ouvert le vin 20 heures à l’avance, et carafé plus de quatre heures. Le résultat est un vin extrêmement agréable qui a plu au clan qui s’est créé autour de ma fille aînée des adorateurs des vins de pays. C’est un vin très agréable, auquel il manque bien sûr un vrai final. Mais ça se boit avec plaisir.

Le magnum de Château Margaux 1970 est évidemment d’une autre trempe et mon fils aura apprécié son extrême personnalité. Il a du charme, et l’âge lui va bien. Très élégant, subtil, assez flatteur, il plait à ceux qui ne sont pas de la secte de Saint-Chinian, mais je sens des transfuges, qui apparaissent, sans même que je sois obligé de donner des primes de match. J’avais choisi 1970 pour mon futur gendre. Au tour de l’année de ma fille.

Le choc que me fait Pétrus 1974 est fort. Je savais que Pétrus avait réussi cette année difficile, mais j’ai l’impression que c’est le plus grand Pétrus 1974 de tous ceux que j’ai bus. Et quelle structure ! Il est intense. Quand Margaux est galant, poussant l’escarpolette d’une demoiselle délurée de Fragonard, Pétrus occupe le terrain du palais, selon une stratégie à la Masséna, l’enfant chéri de la victoire. Mon fils adore la subtilité du Margaux. J’adore la franchise gavée de complexité du Pétrus. Deux grands vins très complémentaires.

Rien ne volera la vedette à Château d’Yquem 1988, car la tarte Tatin a décidé de l’épouser, de le mettre en valeur. C’est un grand Yquem, comme je le vérifie à chaque fois.

Bagues, cadeaux, anecdotes enfantines, rien ne manquait à la réussite d’une fête familiale ponctuée de vins exemplaires.

dîner de wine-dinners à la Grande Cascade jeudi, 15 juin 2006

En juin, la tentation est grande de faire un dîner de wine-dinners au restaurant de la Grande Cascade. Dans cette petite bonbonnière logée dans un parc aux arbres centenaires, notre table donne sur le jardin, et nous aurons, presque pendant tout le dîner, une vision d’un beau soir annonçant l’été, oubliant les nuages d’un ciel porteur d’ondées. Je suis venu à 17 heures pour ouvrir les vins, accueilli par une belle et attentive Noémie, apprentie sommelière qui promet beaucoup. Pour quatre bouteilles je rencontrerai des bouchons qui partent en charpie, avec des combats difficiles comme avec ce Smith Haut Lafitte au bouchon indéfectiblement collé au verre. Le niveau de ce vin est exemplaire, dans le goulot, ce qui est rare pour un 1949. A l’inverse, le Gruaud Larose 1928 a un niveau de basse épaule et son nez est acide. Tout cela ne me paraît pas trop grave (j’ai tort). L’odeur du Filhot 1924 est magnifique, comme celles des deux blancs secs.

Du fait de la Delanoëisation des transports urbains, la ponctualité n’est pas le fort de cette 73ème promotion des dîners de wine-dinners. Mais la proportion de jolies femmes interdit tout commentaire. Comme il fait beau, deviser devant l’entrée est un plaisir. Des convives se reconnaissent. Il y a pour ce dernier dîner de l’année scolaire une majorité d’habitués, ce qui me réjouit.

Le menu, créé par M. Menut et Richard Mebkhout est le suivant : Gressins et allumettes / Feuilleté de bulots, jus au naturel / Truffes d’été cuites et crues en marmelade / Pavé de bar saisi à la plancha, épinards au beurre noisette / Longe de veau en cocotte, poêlée de girolles nature, un jus gras / Stilton et rôtie de fruits secs / Compotée d’agrumes et crumble, meringue vanillée, cappuccino au lait de poule. Le chef a magnifiquement épuré ses plats pour qu’ils soient au service du vin, sans que cela enlève à leur intérêt strictement gustatif.

Le Champagne Besserat de Bellefon non millésimé arrive un peu chaud, ce qui gêne pour les deux premières gorgées. C’est un champagne assez simple, au message linéaire, que le jambon espagnol titille gentiment. C’est une mise en condition, un échauffement. La partie commence vraiment avec le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1985 dégorgé en 1999 qui est une véritable splendeur. Ce champagne est d’une élégance extraordinaire. J’y vois des roses, des fleurs. Chacun autour de la table rivalise d’évocations colorées et plaisantes. Je viens de goûter il y a peu de jours le champagne Salon 1985. Ces deux champagnes sont délicieux. Très opposés, ils ont chacun leur place. Le Dom Pérignon est charmeur et délicat. Sur le bulot, c’est un rêve. Mais surtout sur la mousse très virile, il se met à chanter. L’accord est beau.

Le Château Bouscaut blanc 1953 à la couleur irréellement jeune accompagne le Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964 d’un or majestueux autour de la truffe  d’été. Ce fut certainement le moment le plus intense de la soirée. Le Chassagne a tant de charme que chacun y succombe instantanément, alors que dans mon silence intérieur, je trouve au moins autant d’atouts à ce Bordeaux d’une précision rare. Quel grand bordeaux blanc ! Sa trace citronnée excite agréablement la pomme de terre presque crue et croquante. Le Chassagne est à l’aise avec la truffe toute en suggestion fragile et virginale. Lourd, expressif, il chante comme Luis Mariano une ode à sa belle. Tout à cet instant est magique, le plat suggestif en nuances, le bordeaux subtil et d’une trame expressive, et le Chassagne conquérant, Fanfan la Tulipe de l’instant.

Le Château Smith Haut-Lafitte Graves Martillac 1949 est renversant. Sa couleur est d’une jeunesse rare, son nez raconte des milliers de poésies. Et en bouche, quelle belle personnalité. C’est certainement le Smith Haut-Lafitte le plus intelligent que j’aie jamais bu. A côté, le pauvre Château Gruaud Larose Sarget 1928 au nez désagréable nous fait vinaigre. Si une lueur s’allume, elle s’éteint aussitôt. Le vin est mort. La gloire du 1949 permet de l’oublier. L’accord sur la chair du turbot seule est d’une grande justesse. L’épinard se mange séparément, et il a la politesse de ne pas biaiser le palais.

A la table, un ami au verbe péremptoire va acclamer le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 quand il va décapiter le Vosne Romanée Leroy 1959. C’est un peu excessif. Le Vosne Romanée porte évidemment des traces de fatigue qui le handicapent. Mais contrairement au Gruaud Larose, il a gardé quelque chose à dire, à demi-mot. Le nez du Richebourg est sauvage, cheval fougueux indompté. Il est salin, de fruits rouges écrasés. En bouche, tout le domaine de la Romanée Conti se rappelle à ma mémoire. Et tout le monde aime ce vin splendide que vante le vigneron bourguignon de notre table, le jugeant immense (il le classera premier de son vote). C’est un vin du domaine particulièrement émouvant, qui remet le curseur de la DRC au niveau d’excellence qu’il ne doit plus quitter dans ma mémoire, après les hésitations que j’ai connues dans le récent déjeuner familial avec deux vins fatigués.

Le Château de Fargues 1989 sur un  stilton au goût parfait, c’est tellement facile, sans complication. C’est incroyable de constater que le plaisir est immédiat, sans complexe, pur. Ce vin emplit la bouche de bonheur simple. Ce vin, c’est le vote des congés payés en 1936, c’est un dimanche au bord de l’eau, c’est la mélodie du bonheur. Il est d’une puissance rare, d’une force inébranlable. Un sauternes parfait de prime jeunesse.

C’est un vrai délice de pouvoir faire suivre le généreux Fargues par Château Filhot 1924 d’une qualité rare. Très peu botrytisé, il décline une myriade de sensations exotiques fines. On reconnait immédiatement la parenté directe avec le Filhot 1858 que j’avais bu au château de Beaune, à l’initiative de Bouchard Père & Fils. La filiation (comme son nom l’indique) est spectaculaire. Une tranche fine d’orange et sa peau confites forment avec le Filhot un accord miraculeux. L’extase est là. C’est du plaisir pur.

Les classements me plaisent, car sur ces dix vins dont un mort et un fatigué, sept vins vont être dans les votes (de quatre vins seulement pour chaque convive), et six vins vont recueillir un vote de premier. Ça, c’est spectaculaire. Les plus présents dans les votes sont d’abord le Chassagne Montrachet puis le Dom Pérignon. Les plus votés en place de numéro un sont le Filhot 1928 avec trois places de premier et le Fargues 1989 avec trois votes de premier. Ce fut, ce soir, surtout le couronnement des vins blancs.

Mon vote, qu’un fidèle convive fit à l’identique est : 1 – Château Filhot 1924, 2 – Smith Haut-Lafitte 1947, 3 – Dom Pérignon Oenothèque 1985, 4 – Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964.

Trois accords magistraux : la truffe blanche et surtout sa pomme de terre sur les deux blancs magnifiques, la tranche confite d’orange sur le Filhot 1924 et le crémeux Stilton sur le Fargues 1989. Mais la mousse forte sur le Dom Pérignon a beaucoup de charme aussi.

La forme de la table, trop étirée, n’encourage pas les discussions de groupe, ce qui n’empêcha pas les rires de fuser, dans une ambiance chaudement amicale. Cela me tente de définir un format de table comme j’ai défini un format de dîner. Ce 73ème dîner avec Filhot 1924 et Smith Haut-Lafitte 1949 fut un des plus plaisants.