78ème dîner de wine-dinners au restaurant l’Astrance mercredi, 15 novembre 2006

Le 78ème dîner de wine-dinners est vraiment très spécial. Je cherchais une occasion pour faire un dîner au restaurant l’Astrance, car j’ai une sympathie très forte pour le talent de Pascal Barbot et l’intelligence de Christophe Rohat. Il fallait une table qui ne dépasse pas huit convives. Il y a quelques semaines, un ami m’appelle et me demande : « je voudrais faire regretter à un ami de vivre au Chili et pas à Paris. Il faut que tu fasses un dîner tellement extraordinaire qu’il ait des remords de repartir chez lui ». Je cherche un niveau de dîner dont il se souviendrait toute sa vie. Je parle à peine à deux ou trois autres amis de ce projet, et la table est vite formée. Je suis heureux que ce dîner s’organise aussi vite. Aussi, je décide d’ajouter deux bouteilles au programme pour récompenser leur fidélité. Nous nous embarquons dans le grandiose.

Je suis venu déjeuner un mois à l’avance à l’Astrance pour travailler avec Pascal Barbot sur l’adéquation de sa cuisine aux besoins des vins anciens. Nous mettons au point les grandes tendances du menu dans une ambiance studieuse et sympathique.

Le jour dit, j’arrive à 16h30 pour ouvrir les bouteilles, et Pascal, Christophe, et l’attentif Alexandre, sommelier qui avait participé au service, lors du précédent dîner avec une Romanée Conti, vont assister à l’ouverture, sentir les vins, ce qui va nous permettre de changer radicalement le plat qui accompagne le Cheval Blanc 1947. Tous les bouchons viennent entiers, les odeurs très variables n’indiquent aucun risque majeur. Tout se présente bien.

Le menu créé par Pascal Barbot et Christophe Rohat est d’une extrême sensibilité.  Huître au naturel, Caviar / Galette de champignons de Paris, foie gras mariné au verjus, huile de noisette / Rouget, fondue de trévise aux câpres / Quasi de veau grillé, poireau et soja / Pigeon cuit au sautoir, jus de cuisson, potiron / Foie gras chaud, zestes d’agrumes / Stilton crémeux / Mangue tiède et pamplemousse tiède et coing / Madeleines.

Nous sommes tous fébriles, car nous connaissons le programme des vins. Le Champagne Dom Pérignon 1966 est d’un or intense. Sa bulle est très active. Le parfum est envoûtant, et en bouche, c’est d’une intensité et surtout d’une longueur quasi insoupçonnable. Un convive dira qu’il le préfère sans plat. Il est vrai que sa longueur est plus belle quand on le boit seul. Mais l’huître lui fait développer une autre personnalité, et le champignon de Paris tire de lui des accents romantiques. Ces trois situations permettent de voir à quel point ce Dom Pérignon est un vin de gastronomie.

Le Château Lafleur Pétrus 1945 a une couleur qui nous stupéfie. Le rouge est beau, intense, d’un jeune vin. Il est très peu pomerol. Un convive dit Pauillac. En fait les caractéristiques de pomerol se révèlent quand le vin s’épanouit. C’est un grand vin, mais les choses sont difficiles pour lui à côté de Château Latour 1947. J’ai bu de grands Latour, mais je crois volontiers que celui-ci est le plus grand. Sa perfection est impressionnante. Il ressemble au Bordeaux parfait. Une onctuosité, une intégration de toutes les saveurs, une lisibilité parfaite. C’est un vin quasi intemporel. Le vin parfait au bon moment. Avec le côté aérien et romantique des grands bordeaux. Les deux vins ont nagé de jolie façon avec le rouget à la chair très adaptée au pomerol. La trévise était moins à son affaire.

Le vin qui suit est un de mes deux cadeaux, une des légendes absolues de l’histoire du vin : Château Cheval Blanc 1947. J’avais beaucoup d’anxiété. Ce vin allait-il être conforme à sa légende ? Le niveau dans la bouteille était à mi-épaule. Le vin a une couleur d’un rouge de sang en train de sécher, d’une densité extrême. Le nez est sublime, et la légendaire évocation de Porto est là. Plus au nez qu’en bouche. Et  quand on boit, c’est un embarquement vers l’infini. Ce vin n’a aucun équivalent. Pas de repère bordelais. On est conquis par sa densité. Il impressionne, et le quasi de veau était bien le bon choix, décidé seulement à l’ouverture cinq heures avant. Ce vin est grand, dense. J’ai bu quatre fois Cheval Blanc 1947 auparavant. Il est très probable que celui-ci est le premier ou le deuxième des cinq.

Sur le pigeon, je demande à Alexandre, attentif et efficace, de servir d’abord le Vosne Romanée producteur inconnu 1934, pour boire chaque vin séparément. Mais quand je constate qu’il a commencé à servir la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1967, je le laisse faire.

Le 1934 a été mis dans ce dîner car je souhaite qu’il y ait toujours un fantassin dans des dîners de grands vins. Etiquette de négoce sans indication de vigneron, ce 1934 est de la plèbe. Mais quel bonheur ! Tout en lui est simple, calme, serein, et complètement équilibré. C’est beaucoup plus franc et convivial que les bordeaux. Il n’y a pas l’astringence titillante de certains bourgognes. Ici le message est d’une lisibilité totale. Un ami qui suit mes commentaires savait que j’avais l’intention que ce roturier soit dans mon quarté. Je lui trouvais donc de belles qualités. Mais il y a trop de légendes dans ce dîner. La tâche sera rude. Quand je trempe mes lèvres au vin de la Romanée Conti, je pousse un ouf de soulagement, car j’attendais une bonne Romanée Conti après deux ou trois expériences frustrantes. C’est une grande Romanée Conti, totalement conforme à ce que Romanée Conti doit être. L’année est considérée au Domaine comme délicate. Mais c’est dans ces années là que la Romanée Conti montre son talent. La couleur est assez pâle, le nez est d’une complexité rare, et en bouche, toute l’énigme que doit représenter ce vin est affichée. Les dégustateurs qui auscultent chaque épice d’un vin pourraient couvrir des pages entières pour décrire tout ce que ce vin délivre. C’est impressionnant, mais c’est surtout émouvant. J’y vois de jolis fruits rouges frais, des escarpolettes que l’on pousse en chantant, une partie de cache-cache dans les bosquets du jardin du château de Versailles. Mon bonheur est à son comble, car ouvrir Cheval Blanc conforme à sa légende et la Romanée Conti qui donne tout ce qu’elle doit exprimer, c’est une réussite merveilleuse.

Mes convives se demandent vers quels sommets nous allons voyager. Pour tous, l’irréalité de ce que nous vivons est plus enivrante que le vin. La salle le sent aussi car les regards sont insistants autour de nous. Christophe fait disposer les bouteilles vides sur un guéridon visible de tous. Ça en jette !

Arrive alors un de ces accords qui clouent sur place. Qu’un plat et un vin puissent se multiplier avec tant de force est presque insoutenable. Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999 est une bombe aromatique. Mon voisin chilien n’en revient pas. Tout ce qu’on peut imaginer dans le registre des agrumes et des épices est là, avec une puissance dévastatrice. Et le foie gras dompte toute cette fougue pour créer une suavité diabolique. Le dosage de la sauce aux zestes est l’une des créations les plus réussies que j’aie jamais goûtées.

Bon, on pourrait se dire que ça suffit maintenant. Non, il n’y a pas de limite à l’irréel. Le Château Climens 1929 est servi, et je suis prêt à m’évanouir. C’est le sauternes le plus éblouissant que l’on puisse imaginer. Le Château d’Yquem 1929 est un immense vin. Sa couleur est celle d’un vin de grande race. Mais il provient d’un rebouchage récent, quand le Climens 1929 n’a jamais été  rebouché. Et la différence est sensible. Mon amour des vins anciens est né le jour où j’ai goûté Climens 1923. Avec ce Climens 1929, c’est la perfection la plus inimaginable du sauternes. J’avais demandé des petites assiettes séparées pour la mangue poêlée en dés et les tranches pelées de pamplemousse. Pascal y a ajouté une assiette de coing. L’accord des dés de mangue avec le Climens 1929 est tellement fort que j’appelle en urgence Pascal bien qu’il soit en plein travail. Il constate que cet accord est d’une pureté académique et d’une jouissance sensorielle unique.

Mon deuxième cadeau, c’est le plus grand vin de ma vie : Vin de Chypre 1845. Je l’ai bu de très nombreuses fois, aussi, je n’ai pas la même surprise que mes hôtes subjugués. Le nez de ce vin est un parfum où se mêlent les épices riches et la réglisse. Ce parfum précis est rare. En bouche c’est du bonheur en lingot liquide. Magique, infini, complexe et raffiné, c’est le plaisir pur. Pascal, très passionné par cette expérience, nous apporte une petite crème légère à la réglisse qui s’amuse avec le Chypre.

Nous allons voter, alors que nous n’avons encore fait le plein de surprises. Pour huit votants, cinq vins ont eu l’honneur d’être classés premier, ce qui, compte tenu des vins en compétition, est particulièrement remarquable. Le chouchou de mes chouchous, le Chypre 1845 a été plébiscité, puisqu’il a eu droit à quatre votes de premier, sans le mien ! Dom Pérignon 1966, Cheval Blanc 1947, Romanée Conti 1967 et Climens 1929 ont eu chacun un vote de premier. Peut-on imaginer, dans un dîner où l’on vote pour quatre vins, qu’Yquem 1929 et Lafleur Pétrus 1945 n’aient recueilli aucun vote. C’est inimaginable. C’est renversant. Et c’est pour moi le signe le plus tangible du caractère exceptionnel de ce dîner. Le vote du consensus serait le suivant : Chypre 1845, Cheval Blanc 1947, Romanée Conti 1967 et Climens 1929 (quelle liste !). Mon vote a été : 1- Château Climens 1929, 2 – Romanée Conti 1967, 3 – Château Latour 1947, 4 – Château Cheval Blanc 1947. Je n’ai pas mis dans mon vote le Chypre 1845 car je le connais trop. Ce sont les sublimes surprises que j’ai couronnées. Quelle brochette de vins historiques !

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un américain avec qui je converse sur des forums avait réservé une table pour dîner avec son épouse. Il m’avait indiqué qu’il apporterait un Bourbon de 1900. C’était le prétexte à faire une troisième surprise.

Le Bourbon whiskey, Boone & knoll Kentucky 1900 est particulièrement éblouissant. Il y a toujours cet effet de l’âge, comme pour les grands cognacs qui vieillissent si bien. Les saveurs s’assemblent, s’imbriquent, et le résultat est d’un charme fou. Magnifique breuvage long, typé comme un Bourbon habillé en dandy. Pour répondre à cette générosité, j’ai apporté la plus belle bouteille que j’ai acquise de la cave du Duc de Windsor. La bouteille est carrée à sa base, et les parois verticales se courbent en haut pour rejoindre le goulot. Sur un écu, le sceau du Duc de Windsor est frappé dans la cire. L’étiquette manuscrite indique : the finest scotch whisky, very great age, John Dewar and sons ltd, Perth rs. Tout me laisse penser que c’est un whisky qui doit dater de 1860 environ. Le whisky sent la tourbe de façon intense. Son nez ne serait pas fade s’il était comparé à des tourbés de notre époque. Mais il n’est plus flamboyant comme il a dû l’être. Ce qui compte, c’est l’échange des générosités. Le Bourbon a gagné. Vive le Bourbon.

Que dire de ce dîner ? Il représente pour moi quelque chose de fort, car on ne prélève pas en cave tous ces flacons historiques sans une grande émotion. Quand on trouve des convives, qui plus est des amis, qui savent apprécier ces vins, même si certains sont inconnus pour eux, la joie est encore plus belle. Quand on sait que chacun des vins était exact au rendez-vous et s’est montré sous son plus beau jour, c’est une satisfaction. Et quand un chef créatif et une équipe attentive réalisent des accords parfaits, alors, on se dit qu’une belle page de la gastronomie la plus fine a été lue ou écrite ce soir par huit amoureux des vins.

les vins de wine-dinners à l’Astrance mercredi, 15 novembre 2006

Les vins :

dans l’ordre : Climens 1929, Yquem 1929, Montrachet DRC 1999, Romanée Conti 1967, Vosne Romanée 1934, Cheval Blanc 1947, Lafleur-Pétrus 1945, Latour 1947, Dom Pérignon 1966, Chypre 1845, whisky cave du duc de Windsor vers 1860.

L’année du Cheval Blanc n’est pas facile à lire. Mais c’est 1947, et un "vrai" 1947.

Un Latour 1947 à la sensibilité unique :

Le Vosne-Romanée, à l’étiquette standard d’un négociant caviste, est ici entouré de Romanée-Conti 1967 et Cheval Blanc 1947. Quel voisinage !

Le goût le plus brillant, cotoyant un champagne de rêve :

Le whisky de la cave du duc de Windsor :

 

Climens 1929 et Yquem 1929 mercredi, 15 novembre 2006

Boire au même repas Yquem 1929 et Climens 1929 est un bonheur rare.

Climens 1929 a été le vin nommé premier dans mon vote. Quand on sait qu’il y avait une Romanée Conti, Cheval Blanc 1947 et Yquem 1929, ainsi que mon chouchou des chouchous, le vin de Chypre 1845, on mesure la perfection de ce vin.

Demain, « mon dîner du siècle à moi » mardi, 14 novembre 2006

Tomorrow, I will have a dinner of only 8 people, as I want to have a significant pour of the wines which come from my cellar (and what works for me will work for every guest ).

Here are the wines and the reasons why I have put them in a dinner :

Dom Pérignon 1966, because this year is probably the best that I have drunk of Dom

Latour 1947, because I want to try

Lafleur Pétrus 1945, because I want to see what it is. The experiences with this wine are not very numerous for me

Cheval Blanc 1947, because it is the legend, and I have added this bottle after everyone had registered. This is my gift, and, what a gift.

Vosne Romanée 1934, producer unknown, because in every dinner that I organise, I want that there is a "foot soldier" which is included. I trust in this bottle, and I would not be surprised if it were ranked very well, which is a way for me to keep cool and not stuck to the adoration of labels.

Romanée Conti DRC 1967, because a dinner without a Romanée Conti is not a dinner 

Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999, because I could be thirsty at that time 

Climens 1929, because it is certainly one of the greatest Sauternes ever

Yquem 1929, because Climens could need a companion

Cyprus Commandaria 1845, because it is the best taste ever in my life. This is the second gift, added after the table was fully registered.

That could be finished, but an American man and his wife who hesitated to register for this dinner will have a dinner in the same restaurant, l’Astrance, one of the best in Paris.
And he will bring, to share with us, a 1900 whisky. So, it could happen that I take a 19th century whisky coming from the cellar of Duke of Windsor (but magnified by the time in my cellar ), just to compare the two very old whiskies.

So, I am preparing myself for an event which could be one of my own century dinners.

( I made this an announcement with a funny tone. It’s just because I am excited. I count the hours !)

un bien étrange message de Robert Parker mardi, 31 octobre 2006

Voici le message (cliquez sur le mot message avant cette parenthèse)

Si Robert Parker n’aime pas les vins du Domaine de la Romanée Conti en 2002, pourquoi pas, c’est son droit.

Mais de là à dire que l’amateur qui boit ces vins est un buveur d’étiquettes, il y a un pas que Robert Parker ne devrait pas franchir.

Il doit rester dans son rôle, suggérant au consommateur vers quels vins orienter ses achats.

Tout jugement sur le consommateur, avec un dédain évident, devrait être proscrit de sa communication.

Quand le gourou descend dans l’arène, ce n’est jamais très bon.

La Mairie de Paris va-t-elle vendre ses billets de 500 € ? mardi, 24 octobre 2006

La Mairie de Paris a décidé, quelques mois avant les élections présidentielles que boire du Pétrus ou de la Romanée Conti n’était pas très républicain.

Ce n’est pas l’image républicaine et socialiste qu’elle veut donner au monde.

En vendant les bouteilles achetées pendant l’ère Tibéri à des prix qui sont vingt fois les prix d’achat, le maire actuel a montré l’excellence de la gestion précédente, puisque aucun placement ne peut approcher de près ou de loin ces rendements.

Mais le plus triste pour moi, c’est que cet ostracisme à l’égard des plus symboliques de nos grands vins, produits en France par des mains françaises, est strictement le même que celui qui condamne les billets de 500 €.

En France, un billet de 500 € est un animal suspect, très sûrement associé au commerce de la drogue ou de la chair peu fraîche des trottoirs.

Pétrus et Romanée Conti sont comme les billets de 500 €. La morale actuelle bien pensante doit les exclure.

Est-ce vraiment une conquête citoyenne ? Du fauxcuïsme oui.

Le dîner avec les vins de Massandra lundi, 16 octobre 2006

Sur le forum de Robert Parker, des affinités se nouent, poussant à des rencontres où le vin qui réchauffe  nos veines n’a rien de virtuel. On me propose de déguster des vins de Massandra, rarissimes vins de Crimée. Je n’hésite pas une seconde.

J’arrive dans un petit patelin près de Namur au restaurant l’Air du temps, où un jeune asiatique (mais est-il si jeune que cela) compose une cuisine d’un raffinement délicat. Ayant une bonne connaissance des vins, comme j’ai pu le vérifier en échangeant quelques mots avec lui, il avait décidé de composer sa cuisine au dernier moment, lorsqu’il pourrait sentir les vins ouverts. Sa cuisine se veut zen. Elle fut d’une subtilité rare.

Le menu : Les mises en bouche apéritives (nombreuses et variées) / Queue de Langoustine bretonne sur une mousseline de choux fleur et caviar / Filet de Saint pierre, gel de palourdes et Meijiki, hollandaise mousseuse /  Bar de ligne cuit sur peau, jus d’olives noires, chair de pamplemousse rose / Noix de saint jacques, une raidie, l’autre saisie, foie gras poêlé, mousse de châtaignes, fenouil croquant / Du ris de veau, sur une purée citronnée, voile de poivron  / Aiguillette de pigeonneau de Waret, deux textures de consommé, pois frais et girolles / Composition de poire et fourme d’Ambert, balsamique de cassis / Figues rôtie à la menthe, compote de coing, pain d’épices et réduction de porto. Tout ceci fut d’un raffinement aérien et d’une sensibilité extrême. L’épouse du chef, une femme dont la douce beauté vient d’une paix intérieure, nous a présenté les énoncés des plats. Bien souvent, un serveur peu attentif et soucieux de sa mémoire ânonne un texte quasi inaudible. Ici, je me plais à écouter le discours mélodieux ressemblant à un chant d’amour, tant cette femme semble éperdument amoureuse du talent de son mari.

Etant arrivé avant tout le monde j’ai eu le temps d’ouvrir presque tous les vins pour qu’ils prennent une oxygénation suffisante. Je ne connaissais personne, je n’y avais aucune autorité, mais je l’ai prise.

trois petites tomates

Le champagne Jacquesson 1996 en magnum est un extra brut dégorgé au premier trimestre 2006. Sa couleur est déjà très ambrée. Un amuse-bouche au fruit de la passion et soja permet de découvrir sa belle bulle. Trois tomates traitées comme en un tableau villageois de Jérôme Bosch mettent en valeur son goût très pur. Potiron et huître font apparaître comme il est peu dosé Un œuf et confit de courge finissent d’exposer la finesse de ce champagne.

Le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1985 a depuis longtemps cessé de m’étonner tant je me plais à le déguster. Une magnifique combinaison d’acidité et de gras excite le palais quand on sait donner au vin la température qui le met en valeur. Ce vin puissant, de caractère, dispose d’une persistance aromatique peu commune.

Le Château Grillet cuvée renaissance 1976 est très fumé. On sent la pierre à fusil. Ce vin très typé m’envoûte. J’écris sur mon petit carnet de notes : « c’est soufflant de perfection ». Il est immense sur le Saint-pierre. Longueur, concentration, équilibre, tout y est.

Le Montrachet « réserve du château » Bouchard Père & Fils 1988 a une étonnante couleur ambrée pour son âge. Après le remarquable 1985 que j’ai bu il y a seulement trois jours, on ne peut pas être laudatif pour ce Montrachet manquant de souffle et de faible longueur.

J’avais proposé de venir avec une bouteille. En fait, j’en avais cinq, ce qui autorise à en prendre d’incertaines. Je déclare un peu trop vite que le Chassagne Montrachet blanc Soualle & Baillencourt vers 1930 est abîmé et qu’il faut le laisser de côté. Je vide même mon verre dans un seau. Quand un convive plus patient me dit de réessayer, je me sers au plus vite. Décidément, il m’arrive à moi aussi de condamner trop vite ! Le vin avait perdu cette désagréable trace glycérinée et devenait propret. J’avais trouvé du madère, du sherry, de la noix, de l’amontillado, et voilà qu’il y avait du Chassagne ! Et je me mets à fondre de bonheur sur l’accord de ce vin blanc avec une mousse de châtaigne de pur raffinement.

A propos de Chassagne, mais rouge cette fois, le Chassagne Montrachet rouge « réserve » Jean Lamy vers 1959/1961 présente sur la coquille Saint-jacques tout le talent de ce que peut-être la Bourgogne absolue. Je suis aux anges quand je reconnais ce message.

Le Château Beychevelle 1931 avait un bas niveau dans la bouteille. Il paraît acide mais surtout salé, ce qui affadit son message. Le Château Petit Gravet Saint-émilion 1934 sur le ris de veau est magnifique de velouté. Très doux, très équilibré, c’est un vin de grande maîtrise sur le ris, que le contraste avec le 1931 met largement en valeur. Mes convives s’extasient. Est-ce pour me faire plaisir de l’avoir apporté ? J’ai cru déceler que le vin leur plaisait.

Le Château Lafite Rothschild 1955 au beau niveau dans la bouteille a une très jolie robe et un nez bien dessiné. Le Château La Conseillante 1955 a un nez magique. Le Lafite est possible sur le pigeon mais c’est La Conseillante qui ramasse la mise, tant il est brillant.

Il n’en va pas de même du Château Latour 1967 qui a un goût de civette selon mes voisins. Il est plutôt tout simplement bouchonné pour moi. Il est âcre en bouche. Le Lafite ne tourne pas à plein régime, le Latour est au ralenti avec un final qui me dérange. Seul La Conseillante offre ce qu’on peut attendre d’un grand Bordeaux d’une année que j’adore.

Le Picardon vin de liqueur 17° distillé à Saint-Céré dans le Lot vers 1950 fait partie de ces curiosités que j’ai amassées au fil des âges. Le définir précisément, je ne sais pas le faire. Il est assez sec, exprime son alcool et ressemble à un cognac léger plutôt qu’à un vin doucereux. C’est une plaisante expérience car on découvre toujours des saveurs inconnues. Et c’était une bonne introduction pour affronter des saveurs infiniment plus énigmatiques.

Il faut d’abord expliquer en en faisant une version courte, qu’un tsar a voulu reconstituer sur les terres de Crimée tous les vins qu’il aimait, implantant les cépages et cherchant à recréer les plus beaux vins du monde. Après cela, l’histoire se romance. Qu’en est-il de ces vins versés dans la mer Noire qui la colorèrent d’un rouge sang révolutionnaire, de ces vins murés dans des caves pour ne pas être pillés par de méchants barbares ? Et la découverte impromptue de ces bouteilles rares qu’on retrouve identifiées, datées, reconnues et mises en vente par Sotheby’s à Londres. Il faut aux vins mystérieux une pincée de rêve. Lorsqu’en plus les goûts sont ceux des mille et une nuits, sur son tapis volant, on est prêt à tout croire.

Le Massandra muscat rose Gurzuf 1939 a un nez invraisemblable de plantes médicinales et de macaron à la framboise. Ajoutons à cela un nez de thé au fruit. En bouche, c’est très troublant. Il y a des évocations de confitures de mûres raffinées.

Le Massandra Tokaj Al Danil 1923 est un Pinot gris. Il a le nez exact d’un tokay.  En bouche, c’est du rêve. Je plane. Ces deux vins sont totalement exceptionnels. Dans le tokay, il y a du litchi, de la poire. Le muscat rose a un équilibre inouï. Il est rond, sucré. Le tokay fait plus muté, plus déstructuré, mais il bouge tellement en bouche qu’il fascine.

Le Massandra Pedro Ximenez 1945 a un nez de caoutchouc. Il n’est pas très net en bouche et son message s’estompe. Il ressemble à un porto assez amer marqué par l’alcool. La sucrosité n’est pas très élégante. Ce n’est pas assez structuré à mon goût.

Le Massandra Cahors (cabots) Ayu Dag 1933 est de couleur rouge. Son nez fait penser au tokay, mais en plus sec. Ce vin déroutant est sublime.

Sachant qu’il y aurait des Massandra et un Beychevelle 1931, j’ai voulu faire un petit clin d’œil avec ce Malaga Scholtz Hermanos réserve Lagrima 1931. Il est de la même race que le Pedro Ximenez. Son nez de café est très dense. J’aime beaucoup ce vin plus lourd que les Massandra.

Le Cahors 1933 est très grand, fruité de fruits frais, le muscat rose sent la mûre, le Malaga plus viril évoque le caramel et le café.

Chose fort rare, la moitié de ces gens, dont je ne connaissais aucun, avaient apporté mon livre pour que je le dédicace. Ils connaissaient mes aventures, mes théories et se réjouissaient de mes anecdotes. Je quittai ce groupe de solides buveurs, joyeux, plaisantins, en me demandant quels vins j’avais préférés sur cette cuisine si subtile. Je me risquai pour moi-même à un classement : 1 – Massandra muscat rose Gurzuf 1939 – 2 – Chassagne Montrachet rouge « réserve » Jean Lamy vers 1959/1961– 3 – Massandra Cahors (cabots) Ayu Dag 1933 – 4 – Château Grillet cuvée renaissance 1976 – 5 – Malaga Scholtz Hermanos réserve Lagrima 1931.

La Belgique est un pays où l’on aime le bon vin.

L’auberge les Morainières à Jongieux avec des vins de rêve vendredi, 13 octobre 2006

Le lendemain, huit personnes se retrouvent à l’auberge les Morainières à Jongieux. La route qui fait se rejoindre le lac d’Annecy et le lac du Bourget traverse de magnifiques contrées. L’auberge est plantée sur une pente raide où les vignes ont les couleurs les plus belles : du vert encore, beaucoup de jaune, un peu de rouge, voire du rouge sang. La vue est magnifique, le Rhône louvoie paresseusement, attendant en aval de grossir son débit. Les convives partagent tous d’écrire sur un même forum sur le vin. Une solidarité est née entre eux lorsqu’une méchante cabale a agité le site. Ils sont heureux de faire connaissance, car peu d’entre eux se sont déjà vus. Cette connivence va se transformer en amitié. Chacun a été généreux, la palme revenant au régional de l’étape, qui nous a régalés de vins de gros calibres.

Un jeune couple tient cette auberge éloignée de tout. Il faut vite qu’ils obtiennent une étoile – nous écrirons tous au guide qui fait référence – pour couronner un talent et un courage remarquables. Chacun venant avec plus de vins que nous ne pourrons boire, nous sélectionnons ce qui sera bu et avec Jean-Philippe, le cornac de Veyrier du Lac, je décide de l’ordre d’entrée en scène.

La Roussette Marestel Dupasquier 1995 est le vin local, puisque ses vignes nous enserrent presque. Aussi aura-t-il l’honneur d’ouvrir les festivités. On sent les grains surmaturés. Il y a une très belle profondeur, un léger fumé. Quand il s’épanouit dans le verre, on a même des fruits confits.

Le champagne Dom Pérignon 1992 accompagne une délicieuse crème aux champignons et brioche de girolles. Le champagne attaque la bouche sobrement, avec la noblesse de Dom Pérignon. Puis, installé en bouche, il souffre d’un évident manque de coffre. La crème beurrée l’anime, mais cette année de Dom Pérignon est essoufflée.

Sur un foie gras très pur présenté sur une ardoise avec un persil plat caramélisé, le Grain Doux de Marie-Thérèse Chappaz, vin du Valais 2005 plait beaucoup à mes convives. Ils en font de beaux compliments. Je leur confesse que ce type de goûts est hors de portée pour moi. J’ai un blocage mental pour ces vins doux. En revanche, je n’arrête pas de glousser, je m’agite sur mon siège, tant le champagne « Substance » de Jacques Selosse, vin de mélange de plusieurs millésimes, composé ici en 2003 et qui titre 12,5° convient à mon palais. Il ne se décrit pas, il est éblouissant de profondeur, de race, de personnalité, d’expressivité. Je suis absolument sous son charme. C’est un immense champagne.

La langoustine juste saisie est d’une grande délicatesse. Le Montrachet Domaine Ramonet 1985 est impérial. Son nez me suffirait tant le parfum est captivant, dense, sensuel. En bouche, la longueur est infinie, la concentration pèse lourd sur la langue. Ce vin intense, imposant est une leçon de chose. Il y a du citron vert, puis, quand le vin s’épanouit, de la réglisse. Ce vin de grande concentration appartient à la perfection bourguignonne.

L’omble chevalier est goûteux et cuit audacieusement, ce qui lui convient. Trois vins très différents vont être bus ensemble. Le Chinon Varennes du Grand Clos, Charles Joquet 1990 provient de vignes pré phylloxériques.  Il a une belle attaque, expressive comme jamais on ne l’attendrait d’un Chinon. On est stupéfait devant cette précision et cette profondeur. Hélas, le final ne suit pas le rythme. Il délivre une vilaine trace animale qui gâche un peu le plaisir. Cela ne diminue pas la valeur absolue de ce grand vin. Le Cos d’Estournel 1986 a déjà vingt ans. Mais sa couleur est celle d’un enfant de cinq ans. Et en bouche, comment est-ce possible qu’il ait tant de jeunesse ? On se dit qu’il eût été opportun de le garder encore dix ans de plus. On sent quand même comme il sera grand. Je regarde les têtes lorsque l’on goûte le Château La Gaffelière-Naudes 1953. Ce vin est venu en voiture de Paris. Il a louvoyé sur les routes sinueuses de Savoie et n’a pas eu toute sa dose d’oxygène. Aussi le premier contact est rude. Fort heureusement il s’ébroue vite, et délivre enfin ce message de joie, de plénitude, de rondeur que je lui connais. Il est absolument magnifique et j’ai eu la joie que toute la table le comprît.

La chair du cerf est, une fois de plus, délicatement révélée, montrant la sensibilité romantique de ce jeune chef. La Mondeuse Arbin de Charles Trosset 1990 est un vin qui m’épate, car je n’attendrais jamais ce niveau. Je le trouve extrêmement floral, aux épices astucieusement dosées. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1989 est un monument. Je vois notre généreux ami qui s’agite sur son siège. Il rêvait d’ouvrir une Turque. Je l’y encourage. Aussi, une Côte Rôtie La Turque Guigal 1990 vint s’ajouter à ce festin. La première attaque de la Turque, c’est la brutalité. La Turque fonce, quand la Mouline affiche une fraîcheur fabuleuse. Avec un peu de temps, puisque la Turque est juste ouverte, le 1990 s’épanouit. Il étale son boisé, quand le 1989 est rond, fruité et beau. Nous avions eu La Landonne hier soir, voici la Mouline et La Turque ce midi (si l’on peut dire midi, car le lever de table se fit à l’heure où les bêtes rentrent à l’étable), quel florilège des plus beaux vins de cette région du Rhône ! Celui qui coule en bas sait-il qu’il va lécher bientôt des terres qui produisent parmi les plus grands vins du monde ?

Les desserts seront désassortis, soit aux pommes, soit au chocolat. Vous avez dit chocolat ? C’est un appel à l’un de mes vins de réserve. Il va venir. Nous avons en face de nous trois vins : un Ruster Rültander Ausbruch autrichien 1991 qui titre 12°, un « a » ambre, Christophe Abbet, vin du Valais 1997 et Château d’Yquem 1976. L’Ausbruch a une acidité spectaculaire. Il est séduisant au possible. Une fois de plus, j’ai du mal avec le vin du Valais et je ne m’y attarde pas. Ce n’est pas le vin qui est déficient, c’est mon palais qui n’est pas accueillant. Aussi je me concentre pour essayer de comprendre cet Ausbruch diablement tentateur. Mais quand quelqu’un dit qu’il surpasse Yquem, je réagis. Car Yquem, c’est Yquem, et nous verrons bien quand les verres auront donné de la respiration à chacun des deux vins que la concentration d’Yquem et sa structure sont conformes à sa légende. L’année 1976 est belle pour Yquem.

Le Maury La Coume du Roy de Madame de Volontat 1932 est l’ami du chocolat. Ce vin délicieusement arrondi a une trace pérenne en bouche. Il conclut ce repas comme un précieux bonbon.

Quel serait mon classement ? Montrachet 1985 très en avance, suivi par le champagne de Jacques Selosse. Je mettrais la Mouline 1989 puis La Gaffelières 1953. Des amis suggèrent d’inverser l’ordre du troisième et du quatrième. Peu importe. Il y avait tant de grands vins.

L’atmosphère du repas fut magique. Une communion d’idées, d’attitudes nous a tous marqués. Point besoin de juger, d’analyser les vins, de montrer sa science. La volonté de tous était de communier. Noël Dupasquier et le maire de Jongieux nous ont rejoints en fin de repas. Nous sommes allés chez Noël Dupasquier faire le plein de nos coffres avec quelques uns de ses vins. L’un des convives étant de Roanne, le petit groupe devrait se retrouver bientôt autour d’une table de cette cité où l’on compte des étoilés, et promesse fut faite de se retrouver aussi à Paris pour un repas de vins anciens. Nous avions tous le sourire aux lèvres et l’esprit chargé de souvenirs tant le partage généreux entre amateurs forge les amitiés.