dîner de wine-dinners au Pré Catelanmercredi, 27 septembre 2006

Le 76ème dîner de wine-dinners se tient une nouvelle fois au restaurant le Pré Catelan. Je viens ouvrir les bouteilles vers 16h30 et je suis aidé par un sympathique jeune homme que je considère comme un sommelier. Je lui fais sentir les vins que j’ouvre, je donne mes consignes de température de stockage avant le dîner. Il s’intéresse. It est efficace. Lorsque nous revêtirons nos costumes de scène, mon costume cravate d’un côté, son vêtement de fonction de l’autre, je constaterai avec une amusante surprise que c’est le voiturier. S’il a l’amour du vin, je suis heureux qu’il ait eu ce plaisir. Le nez le plus surprenant de toutes les bouteilles ouvertes c’est le « Graves supérieures » que je situe dans les années trente. Un ami sommelier qui savait que j’étais là, venu bavarder avec moi pendant les ouvertures, en convient : ce nez appartiendrait à un Suduiraut ou un Rayne-Vigneau qu’on ne serait pas autrement surpris.

Embarras parisiens ou coquetterie féminine, les arrivées à ce dîner ne furent pas synchrones, ce qui est embarrassant. La beauté de ma voisine me fera accepter son arrivée tardive avec un sourire béat. Elle annonce que si nous sommes sept à table, la promesse d’un huitième convive l’accompagnera dans ce repas. Lorsqu’il aura l’âge de comprendre, saura-t-il qu’un vin de plus de 110 ans son aîné aura peut-être parfumé le cocon douillet dans lequel il se forme ? J’explique les consignes d’usage et nous passons à table, sous la jolie rotonde qui forme une excroissance dans le joli bois qui entoure ce palais, cette petite folie champêtre.

Le menu préparé par Olivier Poussier et Frédéric Anton est fait de plats du menu, quasiment inchangés. Les adaptations n’ont concerné que le dessert délicieux, fait spécialement pour le vin le plus vieux. Voici ce que nous avons mangé, marqué par le talent de Frédéric Anton :  étrille préparée en coque, fine gelée de corail et caviar, soupe au parfum de fenouil / Girolles, juste poêlées, fine purée de céleri à la cannelle, petites fleurs de capucine et d’ail en tempura / Sole, cuite au naturel, glacée d’un jus de soja épicé, poêlée de germes de soja, mangue fraîche légèrement acidulée / Ris de veau cuit en casserole, petites girolles aux herbes fraîches / Agneau, le filet cuit à la plancha, pané de poivre noir et sauge, pomme de terre farcie d’un fondant de l’agneau épicé, jus gras / Bleu de Termignon, fourme d’Ambert, bleu des Causses / Fine tartelette aux mirabelles.

Le Champagne Dom Pérignon 1993 est un vrai Dom Pérignon, un des plus sages de sa génération. L’un des convives est en admiration devant ce champagne délicat au parfum intense et suivra son évolution olfactive pendant toute la soirée, avec des étonnements de pleine admiration. L’étrille fait chanter le champagne en l’excitant sournoisement.

Le Puligny Montrachet Les Chalumeaux Jean Pascal & Fils 1976 montre à cette assemblée qui compte de très fins palais, dont un professionnel du jugement des vins, combien l’âge embellit les vins de ce calibre. Ce Puligny est franc, généreux, doré dans sa gaieté, et ses composantes se sont gentiment ordonnées pour un plaisir naturel. Les girolles sont un compagnon de jeu idéal pour le Puligny, qui gagne de la longueur avec cette saveur fort lourde, dont le sucré délicat prolonge sa rigueur.

Le Gewurztraminer Hugel Réserve Personnelle 1983 a un nez époustouflant. On pourrait se contenter de son seul parfum, enivrant. En bouche, c’est un kaléidoscope remuant. Quel brio, quelle complexité, quel talent ! Ce vin est remarquablement construit, racé, et donne de l’Alsace la plus belle image qui soit. Sa jeunesse explose. La chair absolument goûteuse de la sole aurait suffi pour ce vin. La sauce trop vinaigrée obscurcit le paysage, et les petites complications latérales n’ajoutent rien. Ce plat eût dû être simplifié pour accompagner un Gewurztraminer de ce talent.

Ah, que le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 ressemble à ce que j’aime de ce domaine. Comme souvent, voilà un vin qui ne veut pas séduire. C’est une danseuse de java, qui ne séduit pas mais conquiert. Alors, d’aucuns lui trouve de l’olive, du thé, de la câpre. Je lui trouve cette trace salée qui est comme une signature du domaine. On pourrait ne pas être sensible à un vin déroutant qui reste une énigme. Toute la table l’a adoré. Manquant d’objectivité, accro aux vins de ce domaine, j’ai succombé au charme de cette danseuse, belle inconnue qui me snobe mais s’empare de mon âme.

Les deux Bordeaux rouges sont servis ensemble. Le Château Gazin Pomerol 1953 a une couleur d’une franche jeunesse, un nez précis et dans la pure définition du Pomerol. Il offre en bouche un confort absolu. J’aime Gazin, j’aime 1953, je suis donc à mon aise.

Le Château Cantenac-Brown, Cantenac 1934 ne met pas du tout à l’aise, car il va surprendre au-delà de l’imaginable. Il va montrer à quel point un vin peut se transformer dans le verre. Le premier contact est vieillot, légèrement acide, fatigué. Sentant ce qui va se produire, j’alerte mes convives. Et nous allons assister à une résurrection invraisemblable. Que tout le monde à la table soit conquis par un vin qui aurait été immédiatement condamné par tout juge, est une surprise de taille. Il fallait avoir cette humilité, que je recommande toujours, pour ne pas former un jugement trop hâtif. Cette erreur aurait eu pour conséquence de passer à côté d’un vin splendide, qui fut bien apprécié dans les votes.

Les connaisseurs de vins de la table ont eu la même surprise que moi : comment le Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930 peut-il être aussi authentiquement sauternais. Il ne suggère pas, il impose cette puissance liquoreuse au charme rare.

Chacun se plait tellement avec le Jauberts que le Barsac illisible vers années 1890 / 1900 sera beaucoup moins perçu. J’ai lu sur le bouchon Château de Ruomieu. L’année, vers 1890, est confirmée par le goût. C’est un vin émouvant, que je fus seul à couronner de votes, car tout le monde avait en tête le goût du Jauberts, si surprenant. Et la compréhension des sauternes qui ont « mangé » leur sucre est plus difficile.

Lorsque je prends en cave des vins en supplément, pour couvrir une défaillance, j’aime me faire plaisir. Ne sachant pas ce que donnerait le Barsac, j’ai pris un vin doux : un Rancio Caves de Maury vers 1945 ou avant. Cette bouteille banale d’un litre cernée d’étoiles gravées dans le verre, a tant de charme, que j’ai décidé de l’ouvrir, malgré l’absence de besoin. Il fallait qu’elle fût bue sur un gâteau au chocolat. L’accord de ce rancio avec le gâteau au chocolat devrait être inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Comment décrire ce moment de pure folie où l’on ne sait pas si la griotte vient du vin ou de la tarte ? C’est de la jouissance pure, fondée sur des goûts naturels, sensuels, proches du divin.

Nous étions sept présents à voter pour neuf vins. Huit vins sur neuf ont eu droit à au moins un vote. Quatre vins eurent droit à un vote de premier : le Grands Echézeaux, le plus couronné, trois fois, le Cantenac Brown 1934 deux fois, le Jauberts vers 1930 une fois, ainsi que le Château Ruomieu vers 1890 une fois. Le vote du consensus serait : Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930, Château Cantenac-Brown, Cantenac 1934 et Château Gazin Pomerol 1953.

Mon vote : Château Ruomieu, Barsac, vers 1890, Château des Jauberts, Grand vin du Marquis de Pontac, Graves supérieures, vers 1930, Rancio Caves de Maury vers 1945, Gewurztraminer Hugel Réserve Personnelle 1983. Mon vote ne contient que des blancs ou des liquoreux, ce qui n’enlève rien à la valeur des rouges.

Le service du Pré Catelan est toujours aussi précis, l’équipe animée par Jean-Jacques Chauveau étant particulièrement motivée. Il serait sans doute souhaitable que certains plats soient « revisités » pour tenir compte de l’âge des vins, qui supportent moins bien la générosité gustative. Mais Frédéric Anton a tant de justesse dans ses recettes que cette remarque est à la marge. Nous avons passé une soirée remarquable, sur des saveurs d’une belle justesse et des vins aux énigmes invraisemblables. La palme absolue des accords revient au Rancio associé au délicieux dessert au chocolat. Gourmands de tous les pays, unissez-vous !