Angélus 1989 et Cheval Blanc 1990 dans de beaux accordsmercredi, 4 octobre 2006

Notre groupe de conscrits se réunit une fois de plus dans un des grands cercles parisiens. Un champagne Mumm 1985 montre à quel point l’âge embellit les champagnes quand ils savent ne pas vieillir. Une bulle active, un parfum de fleurs exotiques, et ce goût rare de liqueur de vieux fruits rouges qui enchante le palais. Nous passons à table, et voyant le menu composé à deux options par plat (c’est ça ou ça), je suggère que l’on prenne le saucisson de Lyon et le mignon de veau. Je ne suis pas celui qui invite, mais comme souvent, on me charge du choix des vins.

Le Château Carbonnieux blanc 2002 forme un couple avec le saucisson de Lyon d’un érotisme qui fait de Pauline Réage la rédactrice d’une histoire d’eau de rose plutôt que d’une histoire d’ô.

Le caractère citronné, les agrumes secs du Carbonnieux jouent avec facilité sur la pistache du saucisson de Lyon qui a la chance d’avoir pour compère une pomme de terre intelligente.

Sur le mignon de veau, la sauce à peine groseillée, dosée d’un sucre délicat, se marie en un accord Lucullien avec le Château Angélus 1989. La légère sucrosité du vin est intégralement répétée par la sauce. C’est une symbiose magique. Le vin est éblouissant de sérénité, épanoui, avec ce côté doucereux que la sauce met en valeur. On reconnait bien sûr le Saint-émilion dont je viens il y a peu de goûter 20 millésimes, mais ici, c’est la force de l’union qui transcende le vin.

Le Château Cheval blanc 1990 est un vin qui impose le respect. Tout en lui appelle le recueillement. Le nez n’est pas imposant mais annonce une structure d’une trame noble. En bouche, ça démarre comme un bobsleigh : les premiers mètres sont tranquilles. Mais quand la vitesse est acquise, accrochez-vous ! Ce qui frappe dans ce vin, c’est une main de fer dans un gant de velours. Ce vin est d’une sérénité inébranlable. On peut dire tout ce qu’on veut, reconnaître sa densité extrême, il est là, serein, puissant, au bois joliment mesuré. C’est un immense vin. Le saint-nectaire et le reblochon surent se faire discrets pour qu’on s’extasie sans contrainte devant ce vin d’une race inégalable.

Sur un gâteau aux noix, un champagne Laurent Perrier rosé brut sans année est un compagnon reposant de fin de repas. On pourrait se dire que l’on a inscrit le mot fin à cette belle aventure. Mais un de nos conscrits, alors que la table avait diminué de moitié, tant des sexagénaires peuvent être encore indispensables à leurs affaires en cours, déclara qu’il avait soif. Un Château d’Yquem 1987 répondit à sa question. Arrivé un peu chaud sur la table, il a transporté le petit cercle que nous formions dans un nième ciel de félicité. Je crois qu’on ne peut pas s’imaginer à quel point cet Yquem est parfait. Il y a en lui de l’abricot sec, du caramel, distillés avec intelligence. Pas une gorgée qui ne soit synonyme de plaisir parfait.

Nous sommes conscrits, donc cacochymes, mais qu’est-ce qu’on boit bien !