Plusieurs repas et vins dans le Sud samedi, 10 juillet 2004

Retour dans le Sud. On m’annonce un plat d’encornets fourrés à la perche et farcis. J’ai l’intuition d’un château Mouton-Rothschild 1987. L’accord fut splendide. Une odeur de fleurs exotiques blanches. Une attaque de bois, de bois de jonque. Une belle présence en bouche où le fruit a disparu, gommé par le bois intense. Une expression de grande séduction.

Le soir même sur deux gigots d’agneaux de Sisteron, un Minervois Château Villerambert Julien 1995 qui titre 12°5. Le nez est prometteur, et l’attaque est particulièrement élégante. Il y a peu de temps j’avais goûté des minervois où la technique dominait (bulletin 111). Là c’est le joli terroir qui s’expose. Un goût de terre sèche obscurcit le message et le raccourcit. Mais on ne peut pas demander à un minervois une longueur qu’il n’a pas. J’ai globalement largement apprécié ce beau vin qui servait d’exact faire valoir à une grande surprise.

Le Château Ausone 1992 est une immense surprise. Sa couleur est d’un vif rubis rouge sang. Son nez a une complexité remarquable et une élégance extrême. En bouche c’est aussi l’élégance et la complexité qui dominent. Jamais un vin de 1992 ne devrait délivrer des messages d’une telle puissance conquérante. On est là dans la grande subtilité. Je suis impressionné par ce Ausone dont le message est très clair, fait d’évident charme distingué. On est dans le grand plaisir. Ceci m’a permis de comparer les deux vins bus à deux repas successifs. Le Mouton est manifestement élevé pour séduire. Il joue de son bois comme de biceps. Le Ausone a un charme naturel de séduction. Mouton 87, c’est Burt Lancaster en pirate, Ausone 92 c’est Fred Astaire dansant avec Cyd Charisse. Alors que je suis un inconditionnel de Mouton, j’ai succombé aux charmes diablement plus envoûtants du Ausone, sans doute l’un de mes meilleurs, bien que cette année soit généralement jugée si petite.

A propos d’envoûtement, on devrait interdire la vente des vins de Mas Amiel. Nous avons bu sur une tarte aux abricots et un dessert au chocolat un Mas Amiel 15 ans d’âge que j’ai dû acheter il y a plus de cinq ans. C’est invraisemblable de plaisir total. On succombe. On a une jouissance incommensurable. Ma femme qui ne boit jamais de vin en a repris deux fois. A proscrire absolument tant c’est bon, car la dépendance vous guette.

Un nouveau petit enfant, premier petit fils, vient agrandir la famille. Loin de mon fils resté à Paris, je décide de fêter cette naissance avec des vins locaux, rares du fait de leur millésime. Après un Charles Heidsieck mis en cave en 1997 toujours vertement bon et expressif, j’ouvre un Rimauresq, Côtes de Provence 1983. Ce vin a un nez d’une rare élégance, et en bouche c’est le charme le plus pur. Parfaitement adapté au climat du moment, ce vin qui n’a bien sûr pas les longueurs des grands Bordeaux ou bourgognes ne cède en rien sur le terrain de l’expressivité et de la séduction. C’est un vin de joie, adapté à l’instant, et qui montre à quel point ces vins vieillissent avec une élégance exceptionnelle.

Un Bandol Domaine des Baguiers 1989 a plus encore la typicité régionale. C’est beaucoup plus sauvage, viril, agressif mais noblement agressif, et la force de persuasion alcoolique est immense. Un vin plus brutal, mais sincère, complètement opposé au charme assis et accompli du Rimauresq. Ces vins doivent être un signe pour que notre petit Félix devienne un jour un gourmet, s’appuyant sur les vins de notre si belle France, riche d’invention dans toutes ses régions.

Je reçois un américain avec qui j’échange par internet sur un forum dédié aux vins. Recevoir un correspondant encore virtuel, c’est comme ouvrir une bouteille d’un vin inconnu. Tout peut arriver. Ce jeune professeur de guitare new-yorkais se révéla un hôte fort agréable, comme je pouvais le souhaiter. Dans la préparation du repas, puisque je suis dans le Sud, il fallait l’intéresser plus par les choix gastronomiques que par les valeurs des vins. C’est l’ordonnancement des saveurs qui devait exciter son intérêt.

Sur un jambon corse fumé sur du bois de châtaigner, un champagne Pommery 1987 se montra fort élégant. Il a déjà pris un petit goût toasté et fumé et sa rondeur le rend particulièrement charmant. Si des olives se marient assez bien, c’est incontestablement le jambon typé qui lui sied le mieux.

Sur un saumon fumé fourré d’oeufs de saumon et de tarama, un Château d’Epiré, Anjou 1994 donne un accord parfait. Le coté légèrement doux de l’Anjou flatte le saumon et le tarama fait ressortir la saveur citronnée du vin produisant des passages incessants du sucré au sec. C’est kaléidoscopique. Nous avons repris sur une épaule d’agneau largement aillée un Ausone 1992 meilleur encore que la bouteille précédente, ce qui n’est pas peu dire, suivi d’un Clos des Papes, Chateauneuf du Pape 1979. Un vin lourd et alcoolique qui fait penser au Porto. Rond, souple, doux, d’une séduction rare. Un vin de pur plaisir par son accomplissement généreux.

Manquant sans doute d’originalité, ou gagné par l’addiction, j’ouvris à nouveau le vin le plus démoniaque, un Maury Mas Amiel 15 ans d’âge. Sur du Cantal vieux, un vrai bonheur. De nouveau sur une tarte aux abricots, l’accord se fait mais se fait seulement. Puis sur une divine mousse au chocolat, on succombe de plaisir.

C’est la succession des saveurs qui m’intéressait le plus en cette occasion pour que Chris, mon hôte américain, puisse comprendre pourquoi les français passent du temps à table : parce que c’est bon.

La formule de ces recherches d’accords inspira un nouveau déjeuner où je recevais quelques amis dont le sommelier avec qui j’avais partagé le Pétrus 1979 qu’il avait gagné à une tombola, au restaurant le Bistrot du Sommelier (bulletin 107). Ce brillant sommelier était venu à Bandol pour y goûter des vins. L’occasion était trop belle de lui tendre quelques pièges. Il eut la gentillesse d’y tomber.

Le Clos Val Bruyère, un Cassis de 2002, conseil d’un caviste local, est un gentil vin blanc tout floral de fleurs virginales. Belle mise en soif que des olives excitaient avec bonheur. Le Rimauresq, Côtes de Provence blanc 2003 est largement plus typé. On est dans les fruits blancs avec une affirmation de personnalité très nette. C’est un vin mâle, quand le Cassis est une frêle jeune fille.

Sur un gigot d’agneau aux pommes de terre et soupçons de tomates, La Courtade, Côtes de Provence 2001 de Porquerolles affiche une belle personnalité moderne. Il y a du bois, mais bien intégré. C’est charmeur, tendance actuelle, mais ça tient la route.

Le Moulin des Costes, domaine Bunan, Bandol 1991 est tout le contraire et c’est un vin qui m’excite. J’aime les vins qui m’interpellent et ce vin, sans une once de bois visible, joue dans la séduction diaphane. Il y a de l’amer, mais pas trop, de l’alcool, mais pas trop, du doux, mais pas trop. Un vin en évocations subtiles que l’âge a transformé ce qui explique qu’à l’aveugle il ne fut pas découvert, comme son successeur le Domaine de Terrebrune Bandol 1990. Il a le bois de La Courtade, sa puissance, et le charme d’un Bandol parfaitement mûr. C’est un vin de charme, facile à saisir. Il a même attrapé l’animalité de certains vieux bourgognes qui s’alliait bien à la viande. Tous mes convives préférèrent soit La Courtade soit Terrebrune. Je fus le seul à préférer Moulin des Costes, vin d’énigme qui parle à mon palais. Un fermier résidant à Bandol se flagella de ne pas avoir reconnu ces deux vins qui font partie des meilleurs Bandol qu’il n’ait jamais bus.

Mon ami ayant apporté un Bredell’s Cape Vintage Reserve 1998 Stellenbosch titrant 20°, nous goûtâmes ce faux Porto au goût de bois macéré, mariné dans l’alcool, flirtant avec les pruneaux et les griottes. C’est plaisant à boire mais s’éloigne grandement de la subtilité des Maury bus récemment.

Grandes discussions sur le vin, rires nombreux sur les réponses les plus folles aux vins à découvrir, la tablée fut joyeuse pour un fort plaisant repas, aux vins puisés dans la région.

Le lendemain, un Chambertin grand cru Camus Père & Fils 1989 fut une agréable piqûre de rappel pour se souvenir que la complexité bourguignonne est d’une séduction redoutable. Un Chambertin, c’est quand même très bon !

Peu de temps après, les motifs de festoyer ne manquant pas, j’ouvris un Cristal Roederer 1996. J’avais en tête une récente dégustation chez Christie’s de champagne de Roederer où le Cristal de cette même année n’avait pas été le plus brillant des vins présentés (bulletin 82). Or voici que je succombe à son charme. Le nez est joli, léger, et la bulle est fine. Le premier contact en bouche, c’est l’image des grains de cassis que j’écrasais goulûment dans ma bouche lorsque j’étais enfant. Cette sensation persistait, puis d’autres s’imposaient : des fleurs blanches, des groseilles à maquereau. Puis la nectarine et enfin l’impression qui n’allait plus me quitter : la pamplemousse rose. Ce champagne changeait d’aspect mais avec une constante : l’atmosphère des photos de David Hamilton. Les fruits suggérés étaient de délicates Lolitas.

Ce champagne allait faire gravement de l’ombre à deux beautés locales. Le rosé de Bandol Domaine Tempier 2003 s’éteignait en bouche avant même d’y avoir pénétré, et le Domaine d’Ott rosé 2003, manifestement plus formé n’éveillait pas pour autant mon intérêt qui ne se marqua que sur un blanc, Rimauresq 2003 d’une belle personnalité sauvage et expressive. L’esprit cet été allait vers l’exploration des vins de la région, en situation de repas. Les délices de ces vins du Sud jalonnent avec bonheur un été radieux.

galerie 1959 vendredi, 9 juillet 2004

Beaune Clos du Roi Louis Latour 1959, d’une immense année de Bourgogne.

Puligny-Montrachet "les Pucelles" Veuve Genin 1959 à la belle couleur. A été bu le 25/01/2007 chez Jacques Le Divellec. Voir au compte-rendu à cette date.

Cet Ardalya 1959 de Damoy, "marque déposée" est une énigme, car il n’existe rien sur le web qui puisse l’expliquer. Il a été bu quand je l’ai apporté chez Jean-Philippe Durand le 20/05/06. Voir ce compte-rendu à cette date ou recherchez sur Ardalya.

 Chateau Lynch Bages 1959, très grande réussite de ce vin.

 Chateau d’Yquem 1959

 Chateau Palmer 1959 bue en 2005 à l’académie des vins anciens.

déjeuner au restaurant du Polo de Bagatelle lundi, 5 juillet 2004

Par une autre belle journée d’été parisien, déjeuner au restaurant du Polo de Bagatelle. La place grouille de gardes du corps et autres gorilles. On se demande quel est ce G7 ou G8 réunissant pour le moins des chefs d’Etat. C’est en fait un défilé de mode de Christian Dior qui se prépare. Quelques femmes girafes non encore prêtes attireront notre regard. Notre table nous attend le long de la pelouse. La cuisine, que je suppose faite par Dalloyau, est fort convenable et le dos de bar a de l’expression. Nous sommes un groupe de solides blagueurs, les partenaires du récent Ambroisie (bulletin 110). J’invite et je choisis les vins. Le champagne Dom Ruinart blanc de blancs 1990 est très rassurant. C’est le bon champagne bien réussi. Il se boit avec bonheur. J’aurais aimé des coupes plus raffinées que ces coupes trop ordinaires qui ne mettent pas en valeur le goût comme il convient. Dans la carte des vins un peu juste j’avais quand même repéré deux ou trois pépites, dont deux vins annoncés mais manquants. Je fus heureux de trouver deux vins de Joseph Drouhin qui réparaient fort opportunément l’impression du fade Pouilly-Fuissé récent. Le Meursault Perrières Joseph Drouhin 1997 a une attaque particulièrement agréable. Il a un peu oublié d’être typé, mais il joue dans l’amabilité. C’est le beau bourgogne blanc généreux qui accompagne fort agréablement un foie gras bien goûteux.

Quand arrive le dos de bar à la peau craquante et la chair savoureuse, je demande à mon voisin de table qui a commandé le même plat d’essayer la chair du poisson sur le Meursault et sur le rouge qui suit. Le poisson devient plus subtil avec le Beaune Clos des Mouches Joseph Drouhin 1996. Ce vin a lui aussi, comme le champagne et le blanc, choisi de jouer dans un registre très rassurant. Il est rond, aimable, gouleyant et procure un plaisir sans une once de complication. Le maître d’hôtel nous propose des fraises des bois sans accompagnement car je leur associe un nouveau Dom Ruinart 1990. L’accord est tout simplement magique. C’est comme si nous créions nous-mêmes en bouche notre propre champagne rosé. Un mélange au goût extrêmement raffiné. J’ai refusé le café pour garder le plus longtemps possible cette saveur rare.

Nous pensions que les hordes de paparazzi qui attendaient à la porte venaient recueillir nos souvenirs gastronomiques. Nous sommes sortis de ce joli domaine superbement ignorés.

Dîner au restaurant les Pins Penchés samedi, 3 juillet 2004

Je repars dans mon Sud ensoleillé et par une journée aux lourdes clartés, un vin rouge du Mas de Daumas Gassac 1999 flatte fort agréablement mes papilles. Il y a du bois, un bois typé, une belle mâche. Le fruit est un peu anesthésié par le bois, mais plus le vin s’ouvre et plus la dimension du plaisir s’affirme en bouche. Au soleil, dans le calme de la nature, ce vin est tout à fait adapté. C’est de « la belle » ouvrage, comme on disait autrefois.  Et sur une tourte au saumon, un bonheur.

Le restaurant les Pins Penchés, au Pradet près de Toulon, a migré de Carqueiranne pour s’installer dans une superbe propriété qui domine la mer, joliment installée dans les pins, les palmiers et les platanes. Un lieu de plaisir. La cuisine a moins d’imagination que le site, mais elle est acceptable. Au milieu d’une carte de vins aux prix le plus souvent aberrants, je trouve deux perles, deux bourgognes de grand plaisir. Le Corton Charlemagne Capitain – Gagnerot 2001 a une belle couleur et le nez profond des Cortons. En bouche, qu’il emplit de façon fort opulente, on a de belles variations sur d’innombrables suggestions. C’est un vin vraiment bien fait. Et je suis particulièrement surpris qu’il se tienne aussi bien quand mon palais a encore le souvenir vivace des merveilles de la maison Bouchard. Le Corton Renardes Grand Cru Capitain – Gagnerot 1998 est aussi un bien agréable bourgogne avec de la longueur, du soyeux et une belle présence au palais. On lui trouve un léger manque de finition, lié à une petite faiblesse de structure, mais le bilan de ce vin est extrêmement positif. Ces deux vins du même domaine ne font pas du tout pâle figure. Ce fut une agréable découverte par un magique soirée d’été comme on les savoure avec un infini bonheur.

Visite à la Romanée Conti dimanche, 27 juin 2004

Le lendemain matin suivant la féerique dégustation des vins de Bouchard au château de Beaune, j’imaginais mal quitter la région sans aller me recueillir sur les plus belles vignes de cette si belle région. Je me rends sur les terres du Domaine de la Romanée Conti, et j’annonce ma présence au Domaine.

Déjeuner impromptu avec les dirigeants du Domaine. On ouvre un Vosne Romanée Premier Cru Domaine de la Romanée Conti 1999. Un nez soyeux, rond, agréablement velouté qui signe un vin déjà formé. La bouche est moins affirmée, mais il y a un coté flatteur qui n’existait pas avec beaucoup de vins de Bouchard plus stricts. Un bien agréable vin qui va s’affirmer de belle façon dans quatre ou cinq ans. Je goûte aussi le Bâtard Montrachet DRC 2002, au nez de pétrole et excitant. Au goût le vin est assez léger, aqueux, mais va mûrir. Ce n’est pas puissant, mais c’est extrêmement plaisant. Le lecteur sait bien sûr que le Bâtard ne sort jamais des limites du domaine, puisqu’il n’est pas commercialisé. Il sait aussi que j’en suis amoureux fou.

Nous allons déjeuner à Gevrey-Chambertin munis d’une bouteille sans aucun repère qui me permît de deviner. Un délicieux fromage de tête réveille à peine un Pouilly-Fuissé Joseph Drouhin 2002 sans intérêt à ce moment là : on ne peut pas avoir dégusté tant de Corton Charlemagne et autres Montrachet et avoir le palais qui réagisse à ce vin sans discours. Sur un beau rumsteck le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1957 trouve un terrain d’expression. Ce vin est animal, guerrier, c’est le sioux dissimulé derrière des bosquets, car dès qu’on croit avoir découvert la trace d’une saveur il en propose une autre. C’est la définition parfaite du bourgogne qui se cache, disant à son dégustateur : compte jusqu’à vin, et trouve mon secret. J’aime ces bourgognes qui délivrent leurs messages sous forme codée. C’est magiquement captivant comme l’énigme du sphinx. Discussions sur l’histoire qui nous entraîneraient fort loin si les agendas ne nous rappelaient à l’ordre. Agréable moment impromptu de chaude complicité.

Dîner au château de Beaune Bouchard samedi, 26 juin 2004

Nous avons ensuite participé à un dîner que seule la maison Bouchard est capable d’organiser, sans équivalent dans le monde. Le repas consistait en foie gras de canard sur toast de pain d’épices et chutney d’ananas, sandre sauce dieppoise, volaille de Bresse aux morilles. Repas de haute qualité.

Chablis Grand Cru les Clos William Fèvre 1998 : belle minéralité. On commence à sentir le miel et le champignon. Très grand équilibre. Un beau Chablis.

Montrachet 1953 : couleur d’or. Magnifique. Un vin d’équilibre. Nez de beurre. Extraordinaire vin, gras dans le verre. Un accomplissement absolu. Il montre les dimensions galactiques qu’atteint le bourgogne blanc extrême (à prononcer façon Salvador Dali).

Meursault Charmes 1858 : couleur d’airain. Nez de beurre discret. Goût fabuleux. Complètement équilibré. Un vin de magie totale. Il renforce par sa présence la perfection du Montrachet. Dans ce Meursault il y a du citron vert, de la groseille à maquereau, c’est magique, et comme pour le 1846 déjà bu ici même, plus le vin s’installe dans le verre et plus il s’améliore, devenant grandiose

Le Corton 1947 : un nez merveilleux de grande jeunesse. Il y a des cotés fumés qui rappellent Cheval Blanc 1947. C’est un vin géant, velouté qui a des évocations de cigare ou de porto. Envoûtant

Fleurie Poncié 1929 : un nez de calvados. Sous-bois, forêt. On sent les légumes. Après quelques gorgées, mais surtout après que Bernard Hervet nous a livré la solution de ce vin bu à l’aveugle, on retrouve le goût de beaujolais. Jeune et magnifique. Quel témoignage !

La Romanée 1865 : le nez est fumé. La couleur est incroyable de belle jeunesse. Des goûts de champignon, un équilibre hors du commun. Ce vin est invraisemblable, le graal de tout amateur. Car l’année 1865 est la plus fantastique des années pour les bourgognes rouges, surpassant toutes les autres.

C’est un privilège unique que d’avoir accès à de tels flacons qui montrent que l’on savait faire du vin au milieu du dix-neuvième siècle, quand aucune technique moderne n’existait.

Le lecteur assidu de ces bulletins pourrait ne plus s’émouvoir de lire les noms de ces vieux flacons. Mais c’est une chance invraisemblable qui m’a été donnée de pouvoir mettre mes lèvres sur des vins incroyablement vivants après cent quarante ans d’existence. 1865 c’est l’année de la parution de Alice aux Pays des Merveilles, c’est l’année de la première de Tristan et Yseult de Richard Wagner, c’est la fin de la guerre de Sécession. Et des vins faits cette année là sont encore brillants ? Le vin ancien est un monde de fascination et de pur plaisir.

Visite de la maison Bouchard Père & Fils samedi, 26 juin 2004

Notre groupe de trois du déjeuner chez Marc Meneau devait se rendre ensuite au château de Beaune où nous devions participer à un repas de légende. Je parlerai ici de la visite en cave.

La cave de la maison Bouchard Père & Fils est spectaculaire. Elle est immense, et d’une température idéale pour une bonne conservation. Nous avons un aperçu de la partie de la cave où mûrissent les vins les plus anciens et nous goûtons les 2003 en barrique : Beaune Grèves Vignes de l’Enfant Jésus : tout est en fruit. Exceptionnel. C’est un 1947 selon les professionnels. 13°8 ce qui est fort. Une confiture de mûres. Le Corton : le nez est moins de fruit, plus adulte. 13°5. Grande élégance. Ça sent le raisin rabougri. C’est beau. Il va devenir grandiose. Le Nuits « les Cailles » cher à mon cœur dans sa version 1915, couleur noire d’encre, vin fou un peu perlant, très fruits noirs. Un bonheur de fruits. On peut le boire déjà ! Vosne Romanée les Suchots : on quitte le fruit. C’est plus domestiqué. Le fruit existant est fusionné à l’alcool. Difficile à juger pour moi car il n’est pas encore formé. Bonnes Mares : nez élégant, beau vin qui va bien vieillir. Très beau.

 Les blancs maintenant avec le Meursault Genévrières nez très Meursault de pierre à fusil bonbon acidulé, amylique. Chevalier Montrachet : le nez est superbe. Légèrement perlant, le vin est malgré tout accompli, royal. Montrachet nez superbe, jeune, bien agréable. Un peu difficile à juger, mais extrêmement prometteur. Corton Charlemagne : nez aussi superbe, de fruits, d’agrumes. En bouche promet d’être grandiose. Vert encore mais déjà immense.

Comme je me livre exceptionnellement à ces découvertes de cave je note mes impressions premières. Il me manque la perspective historique des millésimes pour pouvoir comparer, ce que je fais beaucoup plus naturellement pour les vins anciens où je suis plus à mon aise. Il me montre à quel point il faut une expérience de nombreux millésimes successifs bus jeunes pour étalonner son palais et prédire les évolutions futures. C’est l’apanage des spécialistes. Certains vins sont déjà chaleureux. Voilà une année, 2003, qu’il faudra suivre !

Nous étions donc à Beaune, au château, où notre hôte de Bouchard, après la dégustation en cave de vins de 2003 en barrique (bulletin 115), nous dirigea dans le jardin du château de Beaune vers une cave datant du 15ème siècle aux formes d’un charme fou. Une rangée impressionnante de bouteilles nous attendait et voici ce que m’inspira cet apéritif organisé. Les notes sont prises en style télégraphique.

La série des rouges commence par Volnay Chevret 2002. Joli nez, très sec. Un peu amer. Un fruit prometteur, de cerises et de mûres. Volnay Taillepieds 2002 : nez de beaujolais, avec sa banane, il y a plus de fruit. Les tannins sont secs. Vin ingrat et amer. Volnay Clos des Chênes 2002 : nez discret, bouche plus équilibrée. Le bois est présent. Il y a de la densité. Il est assez austère mais prometteur. Il vieillira bien. Volnay Caillerets « ancienne cuvée Carnot » 2002 : nez de viande. Beau nez. Plus flatteur, il est plus complexe sur un fond de viande. Très frais. Difficile de hiérarchiser, car le Caillerets est meilleur, mais à mon goût le Clos des Chênes vieillira mieux. Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 2002 : très fruité. Il y a de la prune. Il est rassurant. C’est de la soie. Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1999 : nez généreux, accompli. Un peu d’amertume en fond de scène. C’est déjà très rond, mais amer. Il sent la peau de raisin. Il va merveilleusement vieillir. Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1995 : en vieillissant, il se simplifie un peu. Le fruit est beau mais un peu simple. A attendre. Il est quand même intéressant, même s’il est un peu en ce moment dans un âge ingrat. Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1990 : le nez de viande est ingrat, mais c’est aussi peut-être mon nez qui sature. En bouche le vin est rond, opulent, flatteur, charmant. Ceci est du vin. Le fruit est un peu rôti, mais j’aime. Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1964 en magnum. Le nez est cuit. En bouche, c’est bon. On sent curieusement du thé et de la prune. Il eut fallu attendre une heure pour qu’il déploie tout son talent.

Selon la tradition Bouchard on suit avec les blancs. Meursault Perrières 2002. Nez flatteur. En bouche c’est beau. C’est un vin de plaisir. Il est un peu beurré, avec une belle acidité. J’ai noté encore une fois pour ce vin : vin de pur plaisir. Chevalier Montrachet 2002 : ça sent le vin ! Il est accompli. En bouche il est rond, vivant. Citronné il est aussi complexe et long. Un vin magique. Chevalier Montrachet La Cabotte 2002. Le nez est plus fermé. C’est plus ésotérique que le précédent. Il est plus glycériné. Il se livre moins. Un goût de pèche au vin. Il a une complexité qui promet. Montrachet 2002 : il a un nez unique qui est fabuleux. Le vin est très vert, évoque la pomme verte. Une promesse énorme. Compte tenu de sa verdeur, il est très difficile de reconnaître Montrachet. Mais c’est un vin plein d’avenir, un vin à suivre.

Corton-Charlemagne 2002 : nez de grande concentration mais discret. Complexe. En bouche c’est fabuleux. C’est beau, grand, et donne un vrai plaisir. Corton-Charlemagne 2000 : bon vin blanc, mais attendu. C’et bien, c’est beau, mais c’est assez classique. Puis, il développe des complexités farouches. C’et un vin que je vois éclater de beauté dans vingt ans. Corton-Charlemagne 1996 : très citron vert. Il y a du gras, de l’opulent. Ça c’est un Corton ! Corton-Charlemagne 1990 : nez de pétrole. Là, tout est Corton. C’est un vin de pur plaisir, maintenant, sans la moindre question. Corton-Charlemagne 1964 : nez de fruits, de champignons, de fleurs. Le nez est magique. En bouche, c’est rond, équilibré, fumé. Très fumé, très fruits confits. Il a un joli bois. Le Corton complexe que l’on aime.

Malgré la densité de l’écriture, le lecteur attentif aura mesuré l’invraisemblable concentration de vins de qualité soumis à notre examen. Une expérience rare.

Déjeuner au restaurant de Marc Meneau samedi, 26 juin 2004

Je  fais étape peu après à Saint Père sous Vézelay au restaurant de Marc Meneau, L’Espérance. Je m’y rendais de façon régulière depuis une trentaine d’années. Je retrouve mon ami américain et un ami allemand grand amateur de vins. Ma présence n’était pas prévue car j’avais un autre itinéraire, mais sachant où ils étaient, j’annonce ma venue. Les commandes sont passées avant que j’arrive et mes amis frappent très fort. Aussi bien au plan de la nourriture qu’au choix des vins. J’ai le plaisir d’être accueilli par des « bonjour M. Audouze », car je retrouve une jeune sommelière et un maître d’hôtel que j’ai pratiqués en d’autres lieux. Plaisir aussi de retrouver la grande cuisine de Marc Meneau, élégamment présentée par Françoise son épouse, heureuse de la faire découvrir ou redécouvrir à des partisans. Le retour au niveau de trois étoiles se fait dans une bonne humeur particulièrement sympathique. Le turbot cuit sous croûte est très expressif, la poularde est magique, et les petites entrées sont élégantes. Tout cela est vraiment de la belle cuisine pour un grand repas, que méritent les vins choisis. Le Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 1999 a une couleur d’un or citronné intense. En bouche, je passe par plusieurs sensations. Car à la première gorgée, c’est l’alcool et la puissance qui dominent. Puis l’élégance apparaît. Le vin a de l’opulence, il envahit, il a de la mâche. Et en même temps il est subtil, il esquisse, il suggère. C’est définitivement un grand Montrachet.

Le Gevrey-Chambertin les Cazetières Domaine Leroy 1955 a un nez de Pomerol, une couleur de Pomerol et un goût de Pomerol. Ceci déclaré, il a tout ce que j’aime de l’année 1955 en Bourgogne, dont cet émouvant Latricières Chambertin de Pierre Bourrée (bulletins 38 et 107). Il a un coté un peu cuit, mais délicieusement énigmatique. Ce vin raconte une histoire et me séduit follement car il délivre des messages que l’on n’attend pas. Le Corton Renardes Domaine Leroy 1964 est infiniment plus bourgogne, avec l’accomplissement assis de l’année 1964. On a toutes les caractéristiques de la Bourgogne avec cette belle amertume et cette déstructuration animale.