Tain L’Hermitage mardi, 15 juin 2004

Le soir même, j’atterris à Tain l’Hermitage à l’hôtel de Jean Marc Reynaud. A sa fort aimable table on ouvre un Hermitage des Caves de Tain l’Hermitage blanc Nobles Rives 1995. C’est très Hermitage, donc très direct. Il y a de la profondeur, du charme, et ce message envahissant qui a autant de finesse qu’un char d’assaut sur la place Tien An Men. Par contraste, l’Hermitage la Chapelle de Jaboulet rouge 1991 me réconcilie –  j’en avais besoin, car je le boudais un peu – par sa finesse. Magnifique rouge généreux, accompli, en pleine possession de ses moyens. Un merveilleux La Chapelle bien fait, servi juste quand il le fallait.

Déjeuner aux Foudres de Bacchus mardi, 15 juin 2004

Je me rends aux Foudres de Bacchus à Gentilly où l’excellent Jacques Fillot possède une cave très éclectique et un restaurant où l’on mange fort aimablement. La cave est un petit bijou de séduction, appuyée sur une approche traditionnelle rassurante. On boit en cave Hermitage Le Chevalier de Sterimberg blanc 1997 dont la belle couleur est un peu fumée. Le nez est riche. En bouche du gras, du beurré. Belle construction bien saine. A table Corton Charlemagne Pierre Marey 2001. C’est un magnifique Corton très caractéristique. Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’après le Coche-Dury récent si fantastique, il fait vraiment bonne figure. C’est un magnifique Corton Charlemagne chatoyant et expressif. Une belle réussite.

J’avais aussi choisi en cave pour le repas une Côte Rôtie la Mouline Guigal 1998. C’est un bambin. Mais quel vin ! Il a une attaque franche comme les Mouline, un message direct et bien senti, et en finale un bois parfumé comme des bois tropicaux. Dans quelques années ce vin sera le diable, achetant leurs âmes aux dévots subjugués.

Déjeuner au restaurant d’Hélène Darroze lundi, 14 juin 2004

Je m’étais rendu au restaurant d’Hélène Darroze le jour où elle avait obtenu sa deuxième étoile qui fit grand bruit. Un photographe mitraillait alors trois talentueuses cuisinières pour un article sur les femmes au fourneau. Il était temps de revisiter l’endroit et j’ai senti des progrès sensibles. Des petites améliorations à trouver encore viendront asseoir cette deuxième étoile que son talent justifiera. La cuisine a gardé les attaches familiales de sa région et cette fidélité est un bien. La liste des vins comporte des prix irrationnels. Les prix des plats du menu sont plus que musclés. Le passage à l’euro a désinhibé les cartes des restaurants qui affichent maintenant des montants qui eussent fait hurler si on avait lu les chiffres exprimés en francs.

Il aurait fallu filmer la moue dubitative du sommelier lorsque j’ai commandé Cos d’Estournel 1971. Elle confirme l’image ancrée dans l’inconscient collectif de l’âge limite d’un vin. Sur un carpaccio de petits pois au foie gras cru et pigeon, ce Cos montre effectivement quelques signes d’âge que n’avait pas le Haut-Brion 1971 bu en bordelais. Mais notre table d’habitués des vins de cette période trouvait facilement toute la beauté du témoignage : un nez élégant, un goût plutôt puissant, légèrement alcoolique, et une belle intensité. Malgré quelques amertumes passagères, très plaisant.

Sur un délicieux turbot aux palourdes discrètes, le Château La Conseillante 1993 se comporte très bien. A l’ouverture, on sent bien que c’est un 1993, avec une sécheresse évidente et une absence de brio. Mais la chair du turbot joue son rôle et j’ai pu profiter de quelques instants de belle émotion.

La décoration du lieu est particulièrement ingrate. On envie parfois l’atmosphère moins crispée de l’étage du dessous. Le personnel est légèrement coincé mais professionnel et se libère un peu quand tout semble se mettre en place. On sent une envie de bien faire qui mérite des encouragements. La cuisine a de l’imagination. Il faut aller chez Tan Dinh pour ses vins splendides et soutenir le courage de cette Hélène Darroze ambitieuse.

Déjeuner au restaurant thaïlandais Bayan dimanche, 13 juin 2004

Un ami, convive du dernier dîner de wine-dinners m’invite au restaurant thaïlandais Bayan, à la cuisine fort construite et bien inspirée où un parcours de dégustation impromptu doit se dérouler avec de sympathiques cavistes. Même si les codes de saveurs de cette cuisine sont assez inhabituels, on sent une démarche esthétisante de bel intérêt. Seuls les desserts m’ont totalement dérouté. Le palais manque alors totalement de repères ! Un Sancerre les Monts Damnés François Cotat 1997 ressemble à tout sauf à un Sancerre. Mais le travail est bien fait. La cuvée A360 P d’Ostertag 2000 que j’avais déjà bue chez Guy Savoy est un vin délicieux vraiment bien construit. Vin de grand plaisir. Le Meursault Poruzots Domaine Latour-Giraud premier cru 1997 était handicapé par la mémoire du Coche Dury. Bon Meursault mais sans panache. Le Sancerre Edmond Vatan rouge 2002 m’a laissé perplexe car j’ai cherché vainement la plus petite trace de plaisir. Le château Le Pin Beausoleil, bordeaux supérieur de 13,5° Pauchot Leriche 2001 était présenté par son jeune propriétaire. On sent le travail sérieux, mais je préfèrerais un jeu d’acteur un peu plus calme. Un peu moins Michel Serrault, même s’il est brillant, et un peu plus Michael Longsdale.

Sympathique groupe joliment dissipé de joyeux convives, intéressante confrontation avec une cuisine qui eut la sagesse de ne pas anesthésier la bouche avec ses imprégnantes épices, et vins divers dont je ne retiendrai que l’Ostertag.

Déjeuner au restaurant Tan-Dinh jeudi, 10 juin 2004

Déjeuner au restaurant Tan-Dinh. Je viens à l’improviste dans ce temple de l’amour du vin. Robert Vifian n’est pas là et le lieu est désert. Sans doute les manifestations qui paralysent le quartier. La carte des vins est extraordinaire. Tout ce qu’un esthète du vin rêve d’avoir est là. Et les clients ont du talent, car les nombreuses années rayées sont souvent les meilleures. Je choisis l’exception, un Corton-Charlemagne Coche-Dury 1999. C’est le vin qui me semble le mieux correspondre à ce que j’attends d’une subtile cuisine vietnamienne. Nous commenterons souvent les accords avec Freddy Vifian. La bouteille arrive chaude, et même avec un passage en seau la première gorgée est bien grasse. Le pétrole, la pierre à fusil, le métal excitent avec une belle agressivité fort opportunément les papilles. Un ravioli amer et délicat provoque le vin avec génie. On est moins en phase avec les beignets de langoustines forts bons mais trop évidents pour inquiéter le Corton-Charlemagne. C’est une troisième entrée à base d’une herbe que madame Vifian nommera « Shiso » ou « pérille » qui intriguera le Coche-Dury au point de lui faire chanter le plus beau chant du jour. C’est un peu comme un limonaire lorsqu’il a trouvé son exacte partition. Ce lourd meuble de foire est pataud mais peut devenir orchestre de Vienne quand il est inspiré. On en était là avec l’herbe folle. Accord inoubliable.

Il est intéressant de constater que le bar appelle un vin rouge quand le cabillaud comme on le traite ici appelle un vin blanc. Mais à ce moment, le Corton Charlemagne se sent mieux avec le bar, plus reposant, qu’avec le cabillaud qui aguiche, mais sans franc succès.

Je trouve anormal qu’un restaurant aussi subtil et à la carte des vins d’une telle intelligence ne fasse pas table comble en permanence. Gastronomes parisiens, sachez ce qu’il faut faire.

Que dire de ce Coche Dury ? C’est un vin immense qui fait appel à un code de valeurs d’un élitisme œnologique absolu. Pas un gramme de charme dans ce vin qui joue la pureté, l’orthodoxie, la formidable définition du Corton-Charlemagne. Il sera bien difficile de boire du vin après ce chef d’œuvre.

Déjeuner à Fargues mardi, 8 juin 2004

Déjeuner privé en bordelais au cœur de vignobles chargés d’histoire. A l’apéritif Fargues 1997. Le nez est d’agrumes et en bouche, après avoir accueilli les pamplemousses et les fruits bruns, c’est le coté confit qui frappe. Mais surtout, caractéristique si belle, où tout Yquem me revient en mémoire, c’est cette unique impression de croquer les grains de raisin qui survient quand on « mâche » cet élégant Sauternes. Fringant à l’apéritif il se referme quand il est juxtaposé à des coquilles Saint-Jacques crues au zeste de citron vert. Il a trop de force pour le mollusque.

Un indispensable bouillon vient clarifier les papilles pour accueillir Château Lafite-Rothschild 1945. La bouteille a le millésime gravé dans le verre. Le niveau est exemplaire. La couleur est rubis, celle d’une belle rose profondément odorante. Le vin est continûment trouble, ce qui n’altère pas le goût. Un canard accompagne idéalement ce vin de majesté. A chaque service en verre le vin devient plus intense, son goût se précise, se densifie, s’extériorise. Le vin devient de plus en plus grand. Voilà pourquoi il ne faut pas carafer, car en homogénéisant on perdrait la perfection de la fin de bouteille.

Elle restera ce jour là purement conceptuelle car nous ne finirons pas : Fargues 1952 arrive. Couleur discrètement dorée de peau de pêche. Le vin sent le pamplemousse rose, et je ne peux cacher ma joie quand je vois qu’on apporte un dessert dont le thème est ce même fruit. L’accord sera parfait. Fargues 1952 est un athlète bien ossu. Il est chaleureux, puissant. Il n’a pas en bouche une longueur extrême mais il satisfait largement d’un plaisir premier. C’est un beau et grand Sauternes comme il doit l’être, plein de plaisir souriant. En ces longues journées d’un presque été, les vignes ont des grappes qui sont encore de timides promesses. Et le bordelais respire la joie de vivre.

galerie 1961 mardi, 8 juin 2004

jolie bouteille d’un Puligny Montrachet Duchesne 1961.

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 Chambertin Edouard Jantot 1961

 Sancerre Clos St Martin 1961

Chateau d’Yquem 1961 bu le 9 mars 2006 au chateau d’Yquem en même temps qu’Yquem 1861 de ma cave (voir ce récit d’un dîner fabuleux).

Chateau Cheval Blanc 1961, bouteille exceptionnelle, un des grands vins de 1961.

 Chateau Palmer 1961, bu en même temps que le 1959 à une séance de l’académie des vins anciens.

Nouveau voyage à Bordeaux lundi, 7 juin 2004

Nouveau voyage à Bordeaux. Je persiste et signe : la gare Montparnasse est laide. On connaît des pays peu démocratiques où l’on cherche à contenir toute velléité de culture. En ce lieu, il s’agit d’extirper toute forme de beauté. Je me perds moins dans les rues de Bordeaux où la prolifération des tramways me pèse moins.

Le château Smith Haut Lafitte a des bâtiments d’une architecture originale où les charpentes apparentes en bois ont une importance inhabituelle. C’est étrange mais l’endroit a d’une façon générale un esthétisme de bon aloi. Les Sources de Caudalie ont un niveau d’hôtellerie de classe internationale. La merveilleuse chartreuse à la splendide façade d’un pur 17ème, demeure privée des propriétaires qui l’ont restaurée et aménagée avec un goût raffiné accueille un groupe d’espagnols. Parmi eux, le jeune propriétaire des fabuleux jardins botaniques d’Elche. Dans la cuisine rustique on goûte les blancs de Smith Haut Lafitte. Le 1998 est puissant, technique, imposant. Par comparaison, le 2002 est frais, discret, citronné, de belle intelligence.

Nous dînons au lavoir et par une merveilleuse soirée d’une des plus longues journées de l’année un couple de paons vient saluer le soleil se couchant sur les vignes. Le blanc de 2001 a beaucoup de charme. C’est l’archétype du Graves blanc bien fait, qui miroite de tous ses parfums. Je le déguste sur une viande confite de canard bien dégraissée.

Le Smith Haut Lafitte rouge 1961 de la cave de Florence et Daniel Cathiard se présente avec un nez d’une délicatesse et d’une finesse rares. Ce n’est pas le 1961 qui arrive en fanfare. C’est un 1961 tout en charme. En bouche le message est simple, discret, sans ajoute inutile. Et la synthèse est belle, signe d’un vin de grand plaisir. Un dos de cabillaud me ravit car il l’accompagne avec une subtilité certaine.

Les propriétaires de cet ensemble, dont l’esprit d’entreprise est justement récompensé, ont une saine ambition. Ils peuvent être fiers de ce lieu de charme où se combinent le culte du corps, le culte du bien vivre et le culte du vin. Un original vin blanc doux de Cahors apporté par un jeune sommelier plein de talent glisse en bouche sans histoire. Des discussions se poursuivent ensuite fort tard avec des amis retrouvés sur place, au rythme réglé par un vieux Rhum Clément de bon confort.

Déjeuner à la boutique Pétrossian samedi, 5 juin 2004

La boutique Pétrossian est un discret pilier de l’épicerie de luxe. Dégustation de divers caviars fort instructive.  Beaux produits, tentations, compétence. Le restaurant est fort avenant et on y mange bien, sans être obligé de passer par la case caviar. Les cœurs de saumon sont d’une tendreté remarquable et la cuisson des poissons est exacte. Le maître d’hôtel fait participer au dessert à une expérience bien étrange de dissection des saveurs et des appétences qui vaut le détour. C’est surprenant mais digne d’intérêt. On voit l’influence de l’anis ou de la réglisse sur l’acceptation de certains goûts. Si la recherche gustative est poussée, la carte des vins est restée à l’écart. Elle est plus le fait du hasard et de l’histoire que de vrais choix. Mais on peut quand même y faire de bonnes pioches. A coté du Taittinger maison relativement impersonnel, le Deutz 1996 combine fort agréablement l’apaisement de la soif et une belle personnalité. Et je fais ouvrir un Filhot 1983 de fort belle couleur orangée qui crée des agressions surprenantes mais possibles sur les chairs des poissons. Délicieux Sauternes frais et assez léger qui contrastait radicalement avec un Fargues 1986 bu la veille. Bu à l’aveugle, je me sentais en terrain connu. Mais la structure lourde du Fargues m’avait conduit sur d’autres pistes : Lafaurie-Peyrraguey, alors que j’aurais dû reconnaître ce cousinage caractéristique de la famille Yquem. Sans doute déjà plus formé que le Yquem 1986, ce Sauternes a une trame dense, un poids de plomb. Grand Sauternes très éloigné du Filhot. Lequel faut-il préférer ? Je ne saurais le dire. J’aurais plutôt tendance à « préférer » les deux, le Filhot délicieusement féminin et le mâle Fargues puissant comme un taureau. Le Filhot était déjà orangé, acajou, quand le Fargues était encore de couleur citron. Deux expressions contrastées et vivantes de cette splendide appellation.

Déjeuner en famille vendredi, 4 juin 2004

Un déjeuner par un beau soleil dans un jardin fleuri de banlieue. Il est des jours où l’on a envie de jouir des plaisirs de la vie, quand on se sent environné de problèmes plus graves. L’envie de profiter est encore plus forte. Un champagne Taillevent rosé 1988 qui est en fait un Deutz rosé 1988. Une couleur saumon, cœur de prune, une bulle à peine assagie, et ce merveilleux goût vineux fait d’intensité, d’expression et de charme. On est rempli de ces saveurs imprégnantes. Sur un foie gras juste poêlé trempé d’épices, l’accord est excitant au possible.

J’avais ouvert le Château Palmer 1964 plus de trois heures avant. Beaucoup de professionnels du vin ont du mal à imaginer et accepter que la surface de quelques centimètres carrés d’une bouteille gardée droite permette à l’oxygène d’influencer l’ensemble de la bouteille. Or ce Palmer 1964 à l’ouverture d’un beau bouchon bien sain fait fatigué, usé. Et au moment du service c’est un vin pimpant, joyeux qui s’exprime dans les verres. Un nez chaleureux, une couleur sombre mais vivante, et en bouche sur un agneau particulièrement expressif, c’est un enchantement de la plus grande qualité. La discrète sauce de la viande marquée par un appareillage de tomate subtilement acide influence le goût. Elle excite le vin dont l’amertume devient palpitante. Sans ce choc, le vin serait sans doute de son année, c’est-à-dire assez sec, assez expressif mais « en dedans ». Là, le vin est éblouissant. On ne dira jamais assez comme un vin doit être associé à un plat, car ce Palmer 1964, qui ne ferait pas lever beaucoup de sourcils dans des dégustations verticales était à ce moment un petit chef d’œuvre de plaisir gustatif, passionnant par la confrontation sans concession avec une légère sauce acide. Il faut savoir, à ce moment là, oublier les guides, les hiérarchies, et ne retenir que la prestation brillante d’un Palmer 1964, véritable réussite de Palmer, qui donne un accord de rêve. Sur un Cantal fort vieux bien gras et encore tendre le mariage se faisait aussi très bien.

Il y avait bien sûr l’envie d’apprécier les vins de ce repas mais aussi des provocations gustatives d’un niveau rare de complexité et de jouissance.