Dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 9 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 09 juin 2005 au restaurant Taillevent
Bulletin 146

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Pommery 1988
Rully Premier Cru Suremain 1984
Château Mouton Rothschild 1975
Château Gruaud-Larose 1928
Aloxe Corton Pierre Olivier négociant 1966
Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos Zisser Domaine Klipfel 1976
Château d’Yquem 1983
Ermitage de Consolation, Banyuls « Hors d’âge »

Le menu créé par Alain Solivérès
Amuse-bouche
Langoustines rôties, barigoule d’artichauts au pistou
Chausson feuilleté de ris de veau
Pigeon farci, roquette et pignons de pin
Foie gras de canard de Chalosse confit
Crêpes craquantes, pêche rôtie a la verveine

dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 9 juin 2005

Un nouveau dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Les bouteilles sont apportées une semaine à l’avance et redressées debout en cave la veille de leur ouverture. Le jeune sommelier Aurélien, en poste depuis six mois dans cette prestigieuse maison va assister à l’ouverture, qui est toujours un prétexte à raconter des histoires de vins et de bouchons. Jean-Claude Vrinat et Valérie viennent me saluer dans le local que l’on a apprêté pour cette cérémonie d’ouverture, clef de beaucoup de plaisirs de boire. Le Gruaud Larose, un Sarget, a un niveau très élevé pour un 1928. Serait-ce un vin rebouché ? La capsule est ancienne, et le bouchon est d’origine, très noir sur la partie supérieure, et bien souple dans sa deuxième moitié. L’odeur est saine. Deux senteurs sont étonnantes de puissance : celle du Rully blanc et celle du Gewurztraminer. Je rebouche vite le Gewurztraminer tant je le sens comme un cheval fougueux. Je ne veux pas qu’il se fatigue trop vite. Le Chambertin est mon champion de ce soir, celui que je veux voir gagner. Je lui trouve un parfum qui me rassure.
Le menu a été créé par Alain Solivérès en liaison avec Marco Pelletier, subtil sommelier : Amuse-bouche / Langoustines rôties, barigoule d’artichauts au pistou / Chausson feuilleté de ris de veau / Pigeon farci, roquette et pignons de pin / Foie gras de canard de Chalosse confit / Crêpes craquantes, pêche rôtie a la verveine. Je suis content des mises au point que nous avons faites, car ce fut un travail d’équipe. J’ai mis en pratique un ordonnancement à l’ancienne qui veut que le foie gras succède aux viandes, comme me l’avait rappelé Jean Frédéric Hugel. Ce fut un bon choix.
Les convives sont quatre couples d’amis d’enfance rassemblés par l’un d’entre eux. C’est un grand bonheur quand on peut être sérieux au moment où l’on découvre un vin ou la subtilité d’un accord et volontiers chahuteur quand on chambre gentiment un ou une amie. Les rires fusèrent fort à notre table jubilatoire.
Le magnum de champagne Pommery 1988 me laissa le temps de donner les consignes de voyage. Il est de bon ton aujourd’hui de vilipender le libéralisme, synonyme, nous clame-t-on, de contrainte et de sauvagerie. Disons que mes consignes sont un peu comme cela : d’un démocratisme dictatorial. On y survit. Le champagne, que je goûtais avec l’un des convives qui en fait un légendaire, est fort agréable, surtout dans ce volume de présentation. Il est sans problème, sans énigme, et se boit avec beaucoup de plaisir. Une très jolie entrée en matière qui se goûte à la cuiller est passée comme le pianiste amnésique et muet échoué sur les côtes anglaises. Elle n’a parlé à personne et n’a même pas amorcé le moindre dialogue avec le champagne. Deux passagers qui s’ignorent. Il n’y avait bien sûr aucune opposition, car le goût était bon, mais aucune ajoute.
Comme à chaque fois, l’accord qui ne se fait pas va renforcer l’accord qui se crée. Le choc n’en est que plus grand. Le Rully Premier Cru Suremain 1984 surprend tout le monde. Ce vin est riche, emplit la bouche de saveurs exotiques élégamment dosées. Il y a à cette table de solides connaisseurs de vin. On commence d’entrée par une surprise. Le Rully est généralement sous-estimé, et 1984 une année copieusement ignorée. Et voilà que ce Rully danse en bouche de folles farandoles. Avec la chair de la langoustine, mais surtout avec la sauce de la langoustine, on se sent transporté. Et l’on note qu’au début, c’est le sel de la sauce qui l’attire comme un aimant, alors que lorsque le palais s’est habitué, c’est le fruité de la sauce qui roucoule avec le vin.
J’ai montré à l’arrivée de chaque assiette, combien l’odeur du vin est indissociable de l’odeur du plat. On ne peut plus dire ce que serait cette senteur dans un milieu neutre, dans une salle d’hôpital, car les fragrances du vin et du plat, comme les tentacules de poulpes en chaleur, s’entrelacent dans une orgie de suçons. Le Château Mouton Rothschild 1975 n’a pas d’odeur propre, il a celle de la sauce. La sauce n’a pas d’odeur, elle a celle du Mouton. Et c’est absolument excitant. Le Château Gruaud-Larose 1928 accompagne lui aussi le ris de veau à la sauce de plomb. L’étonnement est à son comble quand il est impossible de donner 47 ans de plus au Gruaud qu’au Mouton. On dirait deux frères, même si, à l’examen, on voit bien qu’ils sont dans deux phases de vie bien distinctes. Le Mouton qui a capté le plat est un petit peu rétréci par lui quand le Gruaud Larose, d’une immense longueur, est aérien, plein, équilibré, soyeux, faisant patte de velours avec une élégance rare. Je voyais des yeux émerveillés prendre conscience qu’un soin particulier peut conduire à de tels accords, insoupçonnés par leurs papilles jusqu’alors.
La sauce du pigeon, presque aussi dense que celle du ris de veau, joua le même rôle vis-à-vis des deux bourgognes. Comme en une prise de judo sanctionnée d’un ippon, elle renversa les odeurs intrinsèques de ces deux vins pour en faire ses alliés. L’Aloxe Corton Pierre Olivier négociant, 1966 est la définition la plus pure du bourgogne de charme. Il combine à la fois le doucereux et l’amer dans une structure juteuse de redoutable séduction. Le Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949 est tout simplement éblouissant. C’est le bourgogne accompli, de pleine maturité, aux saveurs lourdes. Avec le pigeon, c’est un duo époustouflant.
Les quatre rouges auront joué des partitions assez identiques sur les deux plats. Il y a deux vins. L’aîné est chaque fois plus accompli que le plus jeune, mais ne joue jamais l’exclusion du jeunet. On a donc une paire de vins qui accompagne divinement chaque plat. Et les deux composantes de l’accord, ce qui est la définition même de son succès, s’enrichissent l’un l’autre, le vin améliorant le plat qui fait vibrer les vins.
Le Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos Zisser Domaine Klipfel 1976 apparaît à ce moment du repas exactement comme il faut. Le foie gras est un petit morceau de bonheur, fondant en bouche. Et le kaléidoscope des saveurs alsaciennes ensoleille le palais. Encore une combinaison magistrale.
La bouche est idéalement préparée par le gewurztraminer pour accueillir Château d’Yquem 1983. Il était relativement discret à l’ouverture quelque six heures plus tôt. Il l’est encore. La pêche, trop parfumée sans doute, trop forte, écrase le délicat sauternes. Le dernier vin, Ermitage de Consolation, Banyuls « Hors d’âge » qui doit avoir une bonne trentaine d’années arrive très tard, au moment où les papilles, fatiguées d’avoir bissé chacun des vins ont moins envie de battre un nouveau rappel. Je suis amoureux de ces saveurs simples, de pruneau, de quetsche ou de mirabelle. C’est cette entrée en scène presque en tomber de rideau qui explique qu’il fut le seul vin à n’être gratifié d’aucun vote.
Le vin le plus couronné est le Gruaud Larose 1928, suivi du Chambertin Drouhin 1949 et de l’Yquem 1983. Mon vote est le suivant : 1 – Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949, en 2 – Gruaud-Larose Sarget 1928, en 3 – le Rully premier cru Suremain 1984 et en 4 – Aloxe-Corton Pierre Olivier 1966.
La qualité de la cuisine et des sauces fut exceptionnelle. Le dosage des sauces fut totalement dans l’axe des vins. Nous avons pu ressentir des perfections gustatives d’un rare niveau. Le service d’une joyeuse brigade est légendaire. Jean-Claude Vrinat peut en être fier.

galerie 1933 jeudi, 9 juin 2005

J’aime ces bouteilles qui sont des énigmes, même si je n’ai pas toujours le temps de les résoudre. Il s’agit ici d’un Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1933.

Ce qui est amusant, c’est qu’on met "grand vin de Bourgogne", comme on mettrait pour n’importe quel vin. On indique "Propriété du Comte de Villaine". Le bandeau vertical dit "vin d’origine", et la pastille rouge dit "garanti".

Que c’est amusant !

J’aimerais bien savoir si la salle de ventes aux enchères où j’ai acheté cette bouteille a bien fourni ces explications. Car il s’agit d’un étiquetage de négoce. mais qui avait le droit de le faire ?

Quelle énigme !

 Cos d’Estournel 1933 à l’étiquette bien neuve !

Echézeaux J. Faiveley 1933

repas de famille avec des reliques samedi, 4 juin 2005

J’ai créé wine-dinners pour qu’on boive mes vins. C’est un combat contre la montre, car je me suis enfermé dans une logique quasi insoluble : je ne veux pas vendre mes vins, car ce sont mes enfants : j’aurais l’impression de les trahir si je m’en séparais. Mais ma passion me pousse à en acheter et continuer à en acheter à un rythme largement supérieur à ce qui est consommé à la maison ou en dîners, ce qui représente pourtant un volume respectable. Il faut absolument que l’Académie des Vins Anciens se fasse, car la mortalité est par nature trop forte dans ma cave. Dans les dîners, j’ai généralement des bouteilles de belle conservation. Un dîner en famille est au contraire l’occasion d’ouvrir les bouteilles qui me font peur. C’est ainsi que j’avais ouvert une Romanée Conti 1929 de niveau bas qui n’est jamais revenue à la vie (bulletin 89). Au moment où j’écris ces lignes, je viens d’ouvrir des bouteilles, et le verdict sera ce soir. Un magnum d’Ausone 1955, bouteille mythique s’il en est, est vraiment au bas de l’épaule. Le bouchon est noir et gras. Le vin pue gravement. J’ai cru sentir des retours à la vie, mais je n’y crois pas. A cet instant, je l’estime morte. On verra. Un Richebourg 1929 de bas niveau est de provenance inconnue (magnifique étiquette d’un négociant sans indication de domaine). Il a un nez torréfié. Qu’en sera-t-il ? Que vais-je ouvrir d’autre ? Je demande à mon fils de venir inspecter avec moi. Je vois un Cérons Clos du Barrail 1943 dont le bouchon a glissé dans la bouteille. Là, pas de question, c’est fini. Je repère une bouteille de Château Margaux 1947 en mi/bas d’épaule. Je l’ouvre. Là, j’ai espoir. Une bouteille d’un Côtes de Beaune Villages A. Bichot 1947 est basse aussi. Faible espoir, mais espoir. Mon fils me demande : « qu’est-ce qu’il y a dans ce sac plastique ? ». J’ouvre un vilain sac plastique d’un supermarché de second niveau. Dedans, un autre sac plastique. Je vois une bouteille de Château Lafite-Rothschild 1869 de beau niveau. Il faut vraiment faire l’Académie.
Après avoir écrit ces lignes, j’ai quand même carafé le reste du Cérons, car l’odeur me parut sympathique, sans trace de bouchon.
Le dîner commence. Nous ouvrons un champagne Vilmart & Cie de Rilly-lès-Reims 1945, bouteille couleuse et basse. La couleur est d’un joli doré, et, surprise immense, la bulle est active. Oui, active. En bouche, pas la moindre trace de madérisation. C’est un vrai et joli champagne dont la blessure se remarque dans l’acidité de fin de bouche. Ce champagne est bon, au point que le Bollinger Grande Année 1985 ne le met pas sur la touche. L’élégant Bollinger de belle personnalité fait une suite logique et non un repoussoir. Sur un foie gras, la trace intense du champagne le plus jeune apparaît encore plus belle.
Le Cérons Clos du Barrail 1943 est imbuvable. Inutile d’insister. Le Montrachet Robert Gibourg 1992 de beau niveau est sans doute l’un des plus puissants que j’aie bus. Lourd comme le plomb, à la trace intense, il donne des évocations de beurre mais aussi de pâtes de fruits. Un magnifique Montrachet.
Le Château Ausone 1955 en magnum est une des plus grandes surprises de ma vie. En le condamnant à l’ouverture, j’étais sûr de moi. Or voilà un vin qui se montre sans défaut, très saint-émilion, très Ausone, avec une belle puissance et un goût convenable. Mes enfants ont plus aimé que moi, car je trouvais malgré tout qu’il avait à tout instant le goût qu’ont les lies, ces lies que je bois (ou mange) avec confiance quand d’autres n’osent pas. Constatant qu’on me demandait sans cesse d’en resservir, je vis qu’il fut apprécié. Il était bon.
Le Château Margaux 1947 est resplendissant. Charmeur comme l’est Margaux, ensorceleur, joyeux, chantant, c’est un grand Margaux auquel je n’ai pas trouvé de défaut. Il était entre mi et basse épaule. Le temps n’avait pas encore fait son œuvre de flétrissure. Il fut grand. Le Richebourg 1929 de provenance inconnue aurait pu nous intéresser s’il n’y avait que lui. Mais comme les flacons ouverts étaient nombreux, il ne suscita pas d’envie particulière, alors que le Côtes de Beaune Villages A. Bichot 1947 avait un joli goût de soif. Buvable, et plus que buvable, il est fort agréable. Beau témoignage d’une année où la Bourgogne est grande.
Je retiens de cette expérience quelques conclusions provisoires, futures pistes de réflexion. La première est qu’il est urgent que j’inventorie mes caves, pour que j’agisse plus vite que le temps. Comme mes enfants semblent se plaire à ces expériences, profitons-en. Etre traité au Margaux 1947, on connaît de pires punitions. La seconde est que je prétendais être capable de prévoir ce que sera un vin cinq heures avant son service, et cet Ausone 1955 m’a piégé. Il ne faut donc jamais conclure trop tôt. La troisième idée concerne l’Académie. J’avais l’idée de créer au sein de l’Académie une section qui s’appellerait : « le club des bas niveaux », où des collectionneurs mettraient en commun des bouteilles basses qu’il faut boire. Fondée sur une appréciation réaliste des apports, cette section permettrait de consommer des bouteilles rares qui dorment en cave et vont mourir. Ce dîner m’a donné envie d’accélérer et de pousser l’idée pour qu’elle prenne corps.
Mon classement des vins de ce dîner est : 1 – Margaux 1947, 2 – Montrachet Robert Gibourg 1992, 3 – Bollinger Grande Année 1985, 4 – Côtes de Beaune Villages Bichot 1947.

galerie 1934 samedi, 28 mai 2005

Chateau Talbot 1934 et Chateau Latour 1934.

Ce vin de paille Bourdy Père & Fils 1934 se présente comme cela en cave. J’ai demandé qu’on ne colle pas l’étiquette et la contre étiquette, afin de garder une bouteille que je trouve plus belle ainsi. En arrière-plan, des flacons anciens de ma cave, probablement des Banyuls du 19ème siècle.

 

Chateau Margaux 1934

Un immense Pétrus 1934 bu au restaurant Ledoyen le 18 janvier 2007 en même temps qu’un Margaux 1934 (différent de celui ci-dessus).

Dîner de wine-dinners au restaurant de la Grande Cascade samedi, 28 mai 2005

Dinner on May 28, 2005 by restaurant La Grande Cascade
Bulletin 145

The wine of the wine-dinners collection
Clairette de Die circa 1970
Champagne Salon “S” 1988
Haut-Brion white in magnum 1949 (specially offered by Steve Wolking)
Petrus in magnum 1964
Chateau La Gaffelière Naudes in magnum 1953
Yquem 1940
Cyprus Commandaria 1845

The menu created by Richard Mebkhout

Gressins de jambon serrano, allumettes au parmesan
Pâté en croûte comme à Vieu, recette de Lucien Tendret 1892
Turbot laqué au jus de volaille, pommes de terre rattes
Suprême de pigeonneau rôti, la cuisse confite
Laitue, petits pois et lard croustillant
Tian d’oranges et pamplemousses
Madeleines et macarons réglisse

les vins sont-ils bons quand on est nombreux ? samedi, 28 mai 2005

Je me rends, dans une même journée, le midi dans un cercle parisien et le soir dans un hôtel parisien historique appartenant à une fondation où l’on fait de la restauration. Pourquoi, à partir du moment où une restauration est collective, à coûts partagés, doit-on, au cœur de Paris, subir des cuisines épouvantables et des vins inadmissibles ? Il fut un temps, pas forcément tout à fait révolu, où prendre un croissant dans une gare ou un aéroport était la certitude de mâcher une semelle gommeuse. Cette restauration de lieux chics n’est pas celle de notre pays. J’ai connu des dizaines de petits bistrots animés par des couples. La femme aux fourneaux fait une cuisine familiale chaleureuse. Le cassoulet est du cassoulet ou le bourguignon du vrai bœuf. Et le mari a dégoté un vin authentique, sans prétention, qui raconte quelque chose. Ici, c’est sans imagination, clinquant, sans goût, sur de mauvais achats. Le vin de coupage, d’un hangar où l’on mélange, est imbuvable. Le combat de cette restauration n’est pas le mien. Mais je ne vois pas pourquoi il faudrait accepter le médiocre dans des lieux de légende, quand, au même prix, de vrais artisans réaliseraient des prouesses de générosité souriante. Pourquoi faut-il manger moins bien dès lors qu’on est nombreux ?

dîner de wine-dinners à la Grande Cascade samedi, 28 mai 2005

Il avait été prévu que le voyage des américains se termine par un dîner « à la façon » de wine-dinners. Les discussions de mise au point ayant changé plusieurs fois, le nombre de participants changeant souvent lui aussi, le dîner eut lieu le jour prévu mais seulement pour une table de huit, comptant deux américains, un canadien et cinq français.
La Grande Cascade, un samedi, a toujours un air de fête. Les communions, les mariages, les célébrations familiales vissent les convives à leur siège tard dans l’après-midi. On vient donc me voir ouvrir les bouteilles avec les commentaires de circonstance : « c’est pour nous ? » ou « on peut goûter ? ». L’odeur du Haut-Brion blanc 49 ainsi que celle du Pétrus 64 sont extrêmement distinguées, celle du La Gaffelière 53 est toute de sensualité. J’avais peur du Yquem 40 à la couleur un peu grise, mais son odeur est épanouie. Tout se présente bien. Avant le repas je vais faire visiter ma cave principale aux amis américains, et comme il est d’usage, je prélève une bouteille qui sera rajoutée au dîner. Comme ces américains, grands collectionneurs, sont très attirés par les vins de grand prestige, je jette mon dévolu sur une Clairette de Die en annonçant la couleur : c’est sans doute l’une des bouteilles les moins chères de ma cave.
Voici le menu composé par Richard Mebkhout, avec qui j’eus le plaisir d’en bavarder à sa conception : Gressins de jambon Serrano, allumettes au parmesan / Pâté en croûte comme à Vieu, recette de Lucien Tendret 1892 / Turbot laqué au jus de volaille, pommes de terre rattes / Suprême de pigeonneau rôti, la cuisse confite / Laitue, petits pois et lard croustillant / Tian d’oranges et pamplemousses / Madeleines et macarons réglisse.
A l’ouverture du bouchon, la Clairette de Die, méthode champenoise, annonce un âge entre vingt et quarante ans. Baptisons la de 1970. Sa couleur est de miel, son nez est sucré car c’est un demi-sec. En bouche, c’est délicieusement agréable, les notes de coing, de toasté, de légèrement madérisé formant un goût très excitant. Le buveur d’étiquette a du mal à se positionner face à ce vin : faut-il accepter une union morganatique entre une bulle qui devrait être champenoise et une région qui ne l’est pas ? Je ne fus pas le seul à adorer ce pétillant puisqu’un convive lui accorda même un vote dans son quarté, alors que la concurrence était rude. Vous allez voir pourquoi.
Le champagne Salon « S » 1988 est toujours aussi plaisant, cette bouteille étant légèrement plus fermée que d’autres. A noter un écart de puissance certain à l’avantage du Krug 1988 bu au château Margaux. On ne se lasse pas du plaisir de ce champagne Salon à la forte personnalité.
Une bouteille immense apportée par mon ami américain affiche une particulière distinction. Le Haut-Brion blanc 1949 en magnum est une pièce rare. N’allez pas croire que j’avais répondu à sa générosité par la Clairette de Die que j’avais prélevée en cave lorsque cet ami et son fils vinrent la visiter. C’est plus tard que la réciprocité se montra. Le vin est immense. Il y a toute la palette de ce qui fait la grandeur de ce blanc, comme le 1999 bu au château Haut-Brion l’avait brillamment indiqué. Ici, en plus, l’âge magnifie le vin qui est une fanfare de goûts citronnés mêlés à du gras intense. Il n’y a pas beaucoup de blancs qui comme lui peuvent imposer un tel respect. Avec le pâté en croûte, une merveille.
Le magnum de Pétrus 1964 au niveau parfait est loin de se laisser impressionner par ce blanc de légende. C’est un très grand Pétrus. Une complexité extrême, mariée à une simplicité rare. Il y a des Pétrus qui se présentent comme des énigmes. Pas celui-ci. Il se laisse approcher. Rien n’est abscons. Mais quand on creuse un peu, on comprend comme le message peut être mystérieux et multiforme. La trame est dense, l’imprégnation profonde. Ce vin souvent strict est ce soir joyeux, sincère, épanoui.
Ce qui est passionnant, c’est que le La Gaffelière Naudes en magnum 1953, immense réussite de cette propriété, complète parfaitement le tableau formé par le Haut-Brion blanc et le Pétrus. Tout en lui est joyeux. La densité n’est pas celle du Pétrus mais le plaisir, la joie de vivre sont du bonheur en bouche. C’est chaleureux, presque comme un bourgogne qui chante. Ce vin est grand, plaisant, heureux d’être avec nous.
Le Yquem 1940, malgré sa couleur grisée et une lie grise, ce qui est rare pour Yquem, a un nez fort délicat. C’est indéniablement un nez d’Yquem. Son bouchon date de 1989. En bouche, c’est typiquement le Yquem des années 30, où la sécheresse, la sobriété prédominent, signe qu’à l’époque on ne poussait pas vers le sucré. On avait en cette année d’autres préoccupations. Tel qu’il se présente, il est très bon, beaucoup plus énigmatique que le Pétrus, et cette surprise plait beaucoup à mes convives.
La réciprocité à mon ami américain est maintenant sur la table et j’ai voulu pour une fois l’ouvrir à cet instant, pour qu’on découvre la première odeur de mon vin fétiche. Il s’agit d’un vin de Chypre 1845. Il est éblouissant. Il a un peu moins de pesanteur que celui du 50ème dîner de wine-dinners. La bouteille, plus ventrue, plus jolie, n’a pas la moindre lie (à peine). C’est un nectar, c’est un élixir, c’est un parfum. Il est évident que j’ai perdu toute objectivité à propos de ce vin car il est comme mon enfant. Mais je ne vois pas ce qui pourrait égaler sa perfection et sa persistance aromatique infinie. Il sent délicatement la réglisse, il est onctueux, il surfe sur les délicieux macarons à la réglisse. On conçoit aisément que l’on pourrait oser des combinaisons culinaires diaboliques avec ce vin là, comme le fit Guy Savoy il y a quelques années maintenant.
On vota. Il est très rare qu’un convive ait strictement le même vote que moi, dans le même ordre. Et voilà qu’un jeune américain de 14 ans, petit bonhomme avec lequel son père joue un jeu dangereux en le propulsant aussi jeune à des niveaux de vins et de consommation de vins qui ne sont pas de son âge, vota exactement comme moi. A-t-il de la maturité ou ai-je la fraîcheur d’un enfant ? Je vous laisse juge. Le plus récompensé de votes fut le Haut-Brion blanc 1949. La Clairette de Die eut un vote, ce qui me fait plaisir. Le vote de l’adolescent américain qui buvait comme un homme et tirait sur des barreaux de chaise fut : en un Chypre 1845, en 2 Haut-Brion blanc 1949, en 3 Pétrus 1964 et en 4 Château La Gaffelière- Naudes 1953.
Le service du personnel de la Grande Cascade fut exemplaire et les accords rares. Le lieu a la magie de la Belle Epoque, protégé par des arbres centenaires. Tout fut enjoué, riant. On peut l’être avec de tels vins.

déjeuner à Saint-Emilion vendredi, 27 mai 2005

Je sèche la visite de Pavie Macquin pour qu’un sommeil compensatoire remette la machine en marche et je rejoins le groupe, après des visites dans des caves de Saint-Émilion fort fournies, au restaurant « L’envers du décor ». Dans une courette, ceinte de murs plusieurs fois centenaires, collée à une église, notre tablée joyeuse résonne de mille rires. L’un de nous a organisé une dégustation commentée de petits vins expérimentaux dont un claret qui veut reconstruire le vin de Bordeaux du 17ème siècle. Cela se fit sans moi, sauf pour un Gaillac doux 2003 de cépage Mauzac roux dont la bouche valait mieux que le doucereux que le nez annonçait.
La visite à Clos Fourtet fut érémiste puisque nous ne bûmes que le 2004 encore dans ses langes. Les caves creusées dans la pierre valent le détour, ainsi qu’une des remarques les plus sincères de la femme du maître de chai : on a des cuves en inox, parce que le bois, c’est trop cher. Peu de domaines osent cette franchise.