dîner chez notre logeuse en bordelais samedi, 18 juin 2005

Après la délicieuse garden-party au Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande sous un soleil de plomb, l’appel de la piscine de notre maison d’hôtes se faisait pressant.
Nous avons dîné avec notre logeuse et ses amis. Le foie gras était un bon foie gras, le poulet un fort bon poulet. On me propose un vin de pêche et je dis non d’instinct, or ce breuvage aux feuilles de pêche était fort bon. Le Château de Cugat 2002 « Cuvée Fleur » blanc vieilli en fût de chêne, qui s’appelle Bordeaux est assez douloureux à mon palais car il appartient à cette cohorte de vins qui veulent bien faire et en font trop. Alors qu’à l’inverse le même Château de Cugat mais Entre-deux-mers 2004, qui a évité le supplice du chêne est fort plaisant. Un vin de pays des Côtes de Gascogne, domaine Tariquet, gros manseng 2001 ne figurera pas forcément dans la liste des vins qu’il « faut » que j’acquière. La fraîcheur de la piscine et la sérénité de l’érable abritant notre dîner auront contribué à une fort agréable soirée.

Garden party à Pichon Longueville Comtesse de Lalande samedi, 18 juin 2005

Nous partons vers la garden-party organisée au Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande pour les 80 ans de May Eliane de Lencquesaing. Le thème est : chapeaux à fleurs. Des femmes ravissantes, aux bibis fleuris, égayent le magnifique jardin du château. Des mimes en échasses, bigarrés et insolites, une abeille, un paon, une beauté bleue ou une femme déguisée en vilaine botte de blé (on est encore dans le Magicien d’Oz) surgissent des buissons pour se faire admirer. Des stands aux trésors culinaires tentants malgré l’infernale chaleur, des numéros d’artistes à tous les bosquets. Une jolie trapéziste éprise d’amour pour son ara. Tout fleure bon la fête campagnarde au faste infini. Là-dessus, de très agréables champagnes et parmi de nombreux vins j’ai goûté le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1993, servi en magnum, fort agréable à boire et le 1996 à la saine et belle structure. Le soleil était de plomb, la chaleur d’un mois d’août transposée en juin portait plus à se soûler d’eau que des vins délicieux servis à profusion. Une belle chorale de jeunes enfants, dont j’observais avec amusement qu’elle chante et vibre au strict diapason de la personnalité de sa conductrice, un pianiste américain aux doigts agiles à la Jacques Loussier et à la gouaille de bateleur, les discours sobres des petits enfants de May-Eliane ponctuèrent une fête splendide et généreuse où le tout Bordeaux du vin et hors du vin, des artistes verriers et amis étrangers, se pressaient pour fêter une merveilleuse femme au dynamisme inépuisable.

dîner d’amis au chateau de Fargues vendredi, 17 juin 2005

Vinexpo approche (il s’agit ici de souvenirs de juin). Nous arrivons à Bordeaux. Déjeuner rapide chez Claude Darroze à Langon. Les branches des platanes nous protègent comme les arbres de la forêt du magicien d’Oz. Ma femme et moi logeons à Saint-Maixant dans une chambre d’hôte, car tout est complet dans les haltes habituelles. Quelle bonne idée ! Notre logeuse est aimable, une piscine nous rafraîchit en cette canicule. Le petit déjeuner vaut tous les palaces du monde. Un vrai bonheur.
A Fargues, une vaste allée de pins parasols conduit au château de Fargues et au domicile d’Alexandre de Lur Saluces. Il reçoit des amis. Le champagne Dom Pérignon 1996 que j’avais, avec quelques grands sommeliers et experts, participé à couronner lors d’une confrontation de très grands champagnes (bulletin 121) a encore plus de charme. C’est un champagne de plaisir, goûteux, au léger fumé. Très agréable.
Nous passons à table et sur un délicieux homard, Fargues 1999 est un bel accompagnement car la sauce lui va bien. Rond, juteux, sans grande longueur du fait des légères épices de la sauce, il est tout à son aise. Alexandre demande à son maître d’hôtel fidèle si l’on a prévu un bouillon, sas indispensable pour passer du liquoreux d’entrée au rouge qui le suit, mais celui-ci tout ennuyé lui avoua qu’il ne l’avait pas prévu. Ce ne fut pas gênant. Je cite ce souvenir pour que l’on n’oublie pas combien le bouillon aide à démarrer un repas par un sauternes.
Je venais il y a seulement trois jours de goûter Talbot 1993. Là, c’est Talbot 1994 qui se présente. C’est un vin de belle qualité, mais qui me donne peu de sensations. Le Yquem 1990 nous élève à d’autres hauteurs. Son nez est magistral. D’une complexité et d’un envoûtement rares. C’est le nez qui me chavire le plus même si la bouche est belle. Lorsque je dis que je le trouve le plus léger de la trilogie (88-89-90), Alexandre me regarde curieusement. Voulait-il me taquiner ? Il faudra que je revisite ces trois mythes. Mais je suis persuadé que le 1988 est de loin le plus puissant, suivi du 1989 et ce 1990 est plus perceptible par son extrême élégance. Un roquefort un peu fort lui allait bien ainsi que de divines mangues au coulis un peu sucré.
Malgré l’imprégnation en bouche du Yquem 1990 qu’il faudrait garder longtemps, je ne peux résister à un cognac Paradis de Hennessy, agréable compagnon de belles discussions avec les amis du Comte, lors d’une des plus belles et longues soirées de juin.

je suis membre d’un jury de soutenance de thèse mercredi, 15 juin 2005

L’institut supérieur de marketing du luxe me demande d’être examinateur d’une thèse sur les appellations AOC face à la concurrence des vins du monde. C’est amusant puisque le paragraphe ci-dessus de ce bulletin a été écrit avant que l’on ne m’appelle. Comment vais-je réagir devant une étudiante ? Et quelles sont mes idées ? Je retrouve un joyeux jury composé d’amis, Alain Senderens avec qui nous discutons naturellement de ses étoiles, Jean Castarède, grand producteur d’armagnac, Nicolas de Rabaudy, écrivain, deux enseignants et moi. Nous avons tant à nous dire que la jeune étudiante dégourdie a du mal à placer un mot. Notre consensus est évident sur la nécessité de s’appuyer sur notre force fondamentale, le terroir et la qualité, et de développer un marketing actif. La thésarde sera reçue. Nous aurons discuté entre amis de joyeuse façon.

déjeuner d’amis au Polo de Bagatelle mercredi, 15 juin 2005

Déjeuner au Polo de Bagatelle un jour de pluie. Mes amis se félicitent d’un Château Talbot 1993 alors que je le trouve bien amer. On me le reproche presque, mais la deuxième bouteille me donne raison. Voilà un vin rond, joyeux quand la première était austère. Une troisième vient se positionner entre les deux premières. Un agréable champagne Taittinger bien frais conclut un déjeuner d’amis où l’on a toujours un événement ou un prétexte à fêter.

Dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mardi, 14 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 14 juin 2005 au restaurant de Patrick Pignol
Bulletin 147

Les vins de la collection wine-dinners

Magnum de champagne Bollinger Brut Spéciale Cuvée NM vers 1990
Chablis Premier Cru Vaucoupins Bichot 1988
Chevalier Montrachet Grand Cru Georges Deleger 1994
Château Magdeleine saint-émilion 1986
Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1919 (ME)
1/2 Pommard Réserve de Vernhes 1966
Corton Grancey Louis Latour 1970
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1980
Chateauneuf du Pape Delas 1947
Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937
Château Gilette, crème de tête 1949

Le menu créé par Patrick Pignol

Amandine de foie gras de canard, petite salade d’herbes
Tourteau et sardine de Bretagne, marinés aux agrumes et vinaigre balsamique
Pétoncles à la truffe d’été de Carpentras
« plat » de girolles de Sologne et moules de Bouchot, saisis à la minute, jus terre et mer
Ris de veau caramélisé
Pigeon de Touraine cuit en cocotte, aux épices et dragées caramélisées
Fromage de l’Aubrac, le « Laguiole »
Tagliatelles chocolat, abricots caramélisés et leur coulis aux senteurs de basilic frais

déclin du vin français dans le monde mardi, 14 juin 2005

Il arrive que dans des dîners on me demande : « que pensez-vous du déclin du vin français dans le monde ? ». Je réponds : « ce n’est pas mon problème, c’est le problème de ceux qui le font ». Le vin est un produit de consommation. Même s’il a une valeur émotionnelle dans le cœur des français, il doit répondre aux critères de tout produit qui affronte un marché. Si le produit est bon et son prix justifié, il se vendra. Si on veut traiter le vin comme un produit agricole (surproduction, primes, subventions, destructions de récoltes, vandalisme), alors je n’ai pas d’avis. C’est politique. Si on veut faire pour lui l’équivalent d’un Plan Calcul, alors on le tuera. Si les vignerons ont une démarche qualité, des rendements réalistes, des surfaces raisonnables, un marketing de combat, alors, ils ont autant sinon plus de chances que les autres, car la France peut ajouter ce petit plus culturel et hédoniste. Les grands vins n’auront jamais de problème d’écoulement, car la demande va exploser du fait de marchés émergents. Les petits vins ont comme premier problème celui d’être bons. Et ce n’est certainement pas en assouplissant les critères de la qualité qu’on les aidera.

dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mardi, 14 juin 2005

C’est le restaurant de Patrick Pignol qui va accueillir un nouveau dîner de wine-dinners. J’ai mal compris ce que Patrick m’a dit. Je croyais que l’on déterminerait le menu en fonction des odeurs que l’on découvrirait à l’ouverture, or en fait le chef voulait composer le menu en fonction des arrivages et de ses approvisionnements. J’arrive pour ouvrir les vins avec un menu déjà conçu, alors que j’aurais aimé y contribuer. Je respecte cette approche, mais mon désir d’être associé à la création culinaire est inassouvi. L’ouverture des vins avec Nicolas se passe avec une facilité particulière. Le Gilette est une bombe de senteurs. On le rebouche pour calmer son exubérance. Le Pichon Comtesse a une fragrance étonnante de charme. Elle est capiteuse. Comme celle d’un Porto. Je décide là aussi de reboucher avec un bouchon neutre, avec la crainte que cette douceur ne connaisse un évanouissement. Se découvre à cette occasion une variable nouvelle que je n’ai pas encore étudiée. Comme il fait chaud, le restaurant met la climatisation à fort débit. Quelle est l’influence sur l’oxygénation des vins ouverts ? Ne va-t-on pas trop vite en les aérant ainsi ? Je n’ai remarqué aucune conséquence fâcheuse. Le menu de Patrick Pignol est à l’image de la décoration du lieu. C’est pétillant, bondissant, coloré, ludique. Associer tourteau et sardine semble un petit clin d’œil à Alain Senderens qui voudrait tranquillement travailler les recettes pour ce poisson grégaire. Associer girolle et moule de Bouchot du fait de l’harmonie des couleurs est un exercice de lutin souriant. Voici le menu : Amandine de foie gras de canard, petite salade d’herbes / Tourteau et sardine de Bretagne, marinés aux agrumes et vinaigre balsamique / Pétoncles à la truffe d’été de Carpentras / « plat » de girolles de Sologne et moules de Bouchot, saisis à la minute, jus terre et mer / Ris de veau caramélisé / Pigeon de Touraine cuit en cocotte, aux épices et dragées caramélisées / Fromage de l’Aubrac, le « Laguiole » / Tagliatelles chocolat, abricots caramélisés et leur coulis aux senteurs de basilic frais. Quel voyage ! Le magnum de champagne Bollinger Brut Spéciale Cuvée non millésimé que je situe vers 1990 est un champagne rassurant. C’est la définition exacte du champagne facile à vivre et bien construit. L’assemblage a été bien fait et l’âge aide. On a ainsi un champagne qui vaut bien des millésimés. Le phallus scarifié au foie gras baptisé amandine, célèbre et délicieuse spécialité du chef ne séduit pas le Bollinger. Ils vont donc s’ignorer, même si, à l’usage, c’est un champagne comme celui-là qui convient au fort goût du foie gras. Le Chablis Premier Cru Vaucoupins, Bichot négociant, Domaine Long Dépaquit 1988 surprend par sa belle générosité et son ouverture d’esprit. Sur le tourteau, il est aérien, élégant, délicat. Sur la sardine, il prend de l’ampleur, pèse plus lourd. Certains préfèreront l’un des accords à l’autre. J’étais plutôt dans le camp sardines. Les abondantes herbes aromatiques ne plaisaient pas trop au Bichot. Ce Chevalier Montrachet Grand Cru Georges Deleger 1994, quel vin ! Une puissance à dégommer la Grosse Bertha d’un souffle d’haleine. Et là, toute la table prend conscience de ce que peut être un grand accord. Le Chevalier saisit d’abord la truffe au lasso. Il la fait sienne, se l’approprie. Puis il séduit le pétoncle. Et c’est enfin la légère sauce iodée salée et crémée qui emporte le gros lot, signant avec le vin lourd et capiteux une de ces unions de légende. Une fois de plus un accord est grand quand il est fondé sur une saveur simple et lisible. Le Château Magdeleine saint-émilion 1986 m’avait excité à l’ouverture. Je sentais un de ces vins de pur plaisir. Quand il arrive sur table, quel bonheur ! Juteux, joyeux, dense, de belle mâche. Ah, que c’est bon de boire de ces vins là. Je guettais l’instant qui venait. Le 1919 allait-il être bon ? J’avais eu peur de ses évolutions olfactives pendant la longue période entre son ouverture et le dîner : le doucereux de l’ouverture, l’amertume qui suit, l’incertitude enfin. Tout le monde m’observe quand Nicolas me fait goûter. Mon sourire est tellement épanoui que la table s’en ressent, même sans être servie. Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1919 est grand. Son nez est invraisemblable. Il a retrouvé le nez étonnant et jugé éphémère de l’ouverture. Par certains cotés, c’est le nez riche de Cheval Blanc 1947. Et il a conservé cette extraordinaire senteur, faite de la plus belle douceur sucrée. En bouche, on sent évidemment que le vin a de l’âge. Mais c’est beau, rond, goûteux et très long. Et ce qui me fait plaisir, c’est que toute la table comprend presque immédiatement la grandeur de cet ancêtre, alors que le Magdeleine est sacrément tentateur avec sa plénitude de vin jeune. L’association de la girolle et de la moule est osée, mais plaisante. Ce qui gêne, vis-à-vis des deux vins, c’est l’abondance des épices orientales. Ce n’est pas un bon compagnonnage. De nouveau, le classicisme d’un plat sobre crée un accord enchanteur. Le ris de veau simplement présenté, ce qui ne diminue pas sa subtilité et sa pertinence accompagne magistralement un Corton Grancey Louis Latour 1970 éblouissant. Quel joli vin de bourgogne dans son ingratitude amère. Je l’ai dit bien souvent, j’aime ces provocations gustatives. Je voulais étonner quelques grands amateurs de notre table, car il y avait de solides palais, avec une curiosité. Voici une demie bouteille de Pommard Réserve de Vernhes 1966, simple vin de négoce, en format plutôt risqué, et de près de quarante ans. Il est étonnamment rond, joyeux, coloré. Un vin de plaisir, alors qu’il s’agit d’un vin d’origine toute ordinaire. Le dosage un peu appuyé de l’accompagnement du pigeon, dragée et impressions de cacao, va chatouiller les vins. Je salue la pertinence du choix car le 1947 se reconnaît dans le cacao qu’il épouse, mais on aurait aimé du mezzo voce quand on a les trompettes de la renommée. C’est l’exubérance débridée d’un chef enthousiaste. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1980 est assez intéressant. Il fut couronné des votes les plus flatteurs et je soupçonne que l’accès aux vins de ce domaine mythique, premier essai pour beaucoup, a compté dans les votes. Car La Tâche ne la joue pas facile. Il est même austère. Mais il a une telle puissance de conviction, avec une précision de structure, qu’il emporte l’adhésion. Mon cœur balance objectivement plus, puisque les deux vins sont sur le même plat, vers le Chateauneuf du Pape Delas 1947, vin de charme, rond, accompli, serein plus que joyeux. Le Chateauneuf a capté les coquetteries du plat pour se les approprier. Beau mimétisme.

Le choix du fromage sur le Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937 est d’une rare intelligence. Ce vin subjugue mon voisin tant il mêle suavité et séduction. L’année 1937 est particulièrement belle pour « le château d’en face », puisqu’on voit Yquem sur l’autre rive quand on est au Château Loubens. Le millésime est aussi bien réussi pour cet élégant Sainte Croix du Mont. Le Château Gilette, crème de tête 1949 est irréellement bon. Je ne vois pas comment un Sauternes pourrait être aussi généreusement équilibré. Tout semble être imbriqué avec la plus extrême des précisions. J’étais tellement sous le charme que j’étais persuadé que tout le monde, comme moi, le mettrait en numéro un. Je fus en fait le seul à mettre cette extase gustative au sommet des notes. Là où les approvisionnements de Patrick Pignol, mariés à son talent, s’exprimèrent de façon magistrale, ce fut sur l’abricot. L’abricot goûteux, comme il fut intelligemment traité, produit sur le Gilette une sensation unique. Quelle jouissance ! Que de fois l’abricot délivre une acidité qui occulte son charme. Là, chapeau ! Les votes furent très variés. C’est fou comme les sensations peuvent varier d’une personne à l’autre. La Tâche 1980 a reçu de loin le plus de votes de numéro un et deux vins viennent ensuite, le Pichon Comtesse 1919 et le Chateauneuf du Pape 1947. Viennent ensuite le Château Gilette 1949 et le Chevalier Montrachet 1994. Mon vote différa de ces moyennes puisque je votai ainsi : en un pour Château Gilette 1949, en deux, le Chateauneuf du Pape 1947, en trois le Pommard 1966 et en quatre La Tâche 1980. Pour une fois, nous avons aussi voté pour les plats qui ont favorisé les plus beaux accords. Sans conteste, c’est le plat de pétoncles qui eut la palme, suivi d’un peloton assez détaché mais groupé, formé du ris de veau, du pigeon et de l’amandine de foie gras, ces trois étant presque ex aequo. Que retenir de ce dîner ? Une table avec des convives passionnés et enthousiastes, quel que soit leur niveau d’expérience des vins anciens. Une belle atmosphère malgré une table de onze dont la forme rectangulaire coupe forcément en deux ou trois les groupes qui se parlent. Le couple Pignol toujours aussi attachant, joyeux tout en étant attaché à l’excellence, un sommelier Nicolas avec qui c’est un bonheur de faire ces dîners. J’ai connu des dîners où Patrick Pignol s’efforçait de simplifier ses recettes pour que le vin soit en valeur. Là, le pendule penchait plus vers les caprices créatifs, ce qui me séduit aussi, et vers le talent débridé, ce qui plait un peu moins aux vins. Mais sur l’ensemble, quel talent, quel bonheur et quel plaisir gustatif. Belle soirée enjouée, moment unique. Un chef joyeux de créer, c’est un des bonheurs de Paris.

repas à la maison avec des reliques dimanche, 12 juin 2005

J’ai toujours eu une profonde admiration pour les archéologues qui, voyant un orteil ou un tesson peuvent décrire la vie d’un individu ou le galbe d’une amphore. J’ai l’impression d’avoir joué ce jeu ce soir. Ayant constaté les dégâts causés dans ma cave par l’agonie de bouchons dont le ticket n’est plus valable, je me suis livré ce soir, avec ma fille et mon gendre, à une opération de paléontologie. Il me paraît évident qu’il faut au plus vite inventorier les risques de perdre quelques bouteilles légendaires.
Cherchant en cave des flacons à problèmes, blessés et de niveaux bas, voici ce qui se passa.
Le champagne Mumm Cordon Rouge 1937 a une étiquette comme neuve, protégée qu’elle était par un papier. La capsule paraît rouillée. Le bouchon se cisaille à l’ouverture. Pas de bulle. Le liquide a une couleur grisée qui est un très mauvais signe. Malgré tout, comme un ciel pommelé, le vin délivre quelques coins de ciel bleu qui nous enchantent, l’intellect jouant son rôle. Le Pouilly Fuissé Faye et Cie négociant à Beaune 1943 a plus de ressource et fut l’une des vedettes de cette soirée. Objectivement madérisé, le vin conserve de l’élégance. Il se iode avec des crevettes roses, et s’arrondit avec des fromages. Un vin de grand plaisir. Plaisir d’archéologue sans doute mais plaisir.
Ce ne fut pas le cas du château Latour 1907 dont le bouchon s’était rétréci sans prendre la moindre couleur. Parfaitement lisible, c’est un bouchon d’origine. Là, hélas, pas de question, le vin est mort.
Le Château Léoville Poyferré 1948 a un meilleur niveau et se montre grand sur un turbot accompagné de fenouil et courgettes. Excellent vin dont le goût me persuada que j’y reconnaissais 1948, avec un petit quelque chose de château Margaux par un coté très ensoleillé, plus souriant que Saint-Julien.
J’ai longtemps hésité sur l’année du vin suivant, mais en recoupant avec les étiquettes, les capsules, et ce que je pus lire, c’est sans conteste un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1919. Je lisais très bien le 1, le 9 et le 9, et l’on pouvait hésiter entre 1 et 4 pour le troisième chiffre. Mais la comparaison avec des bouteilles de ma cave des mêmes périodes montra sans ambiguïté que c’était 1919. Le goût aussi. Mon gendre essaya de lui trouver quelque chose, avec un enthousiasme qui n’appartient qu’aux jeunes. Je sentis ici ou là deux ou trois flashes d’existence. Mais le vin était mort. Sans rémission possible.
Lassé de ces expériences de cryptographie, j’ouvris un Tokaji Oremus Aszu 6 puttonyos 1981. J’aurais mieux fait de m’abstenir car ce jus sucré n’était pas inspiré et je trompais mon désespoir dans un verre de Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979 qui combla mes papilles tristes. Je suis triste quand je signe des constats de décès.
Je le précise pour qu’il n’y ait pas de mauvaise interprétation, dans mes dîners, je choisis des bouteilles de beaux niveaux, ce qui justifie le taux aussi élevé de réussite (plus de 99%) si l’on accepte évidemment quelques naturelles fatigues.
Là, dans ces expériences chez moi, ce sont des bouteilles que je choisis pour leur niveau bas, car la mortalité inéluctable existe dans ma cave du fait du nombre élevé de bouteilles anciennes. Ce soir, le Pouilly Fuissé fut grand, suivi du Léoville Poyferré 1948 et du champagne Mumm 1937. Les autres bouteilles, mêmes si elles sont légendaires sur le papier : un Latour 1907 et une DRC 1919, ne valaient rien. Pas de regret, sauf de n’avoir pas géré à temps ce patrimoine. Encore un nouveau round pour me persuader des mérites de l’Académie à lancer rapidement. Il faut éviter à beaucoup de caves de se retrouver dans de telles situations.

les vicissitudes de l’achat en salles de ventes samedi, 11 juin 2005

Devant trouver une bouteille pour un prochain dîner, j’ouvre des cartons qui sont en cave depuis novembre 2003. Il s’agit d’un achat dans une vente d’une prestigieuse maison. La description des lots est précise, l’emballage sérieux. Je n’avais pas éprouvé le besoin de contrôler à l’arrivée dans ma cave deux ou trois jours après la vente. Premier carton. Le plastique alvéolé qui entoure la bouteille est très humide. La bouteille a perdu le quart de son volume. Il s’agit de Yquem 1864. Deuxième carton. Même constat. Il s’agit de Château Margaux 1881. Ma cave est de bonne conservation. Pour que deux bouteilles aient connu le même malheur, il a fallu soit un accident (mais où ?), soit une erreur d’expertise. Il se peut qu’un collectionneur, sentant la mort prochaine de ces vins ait voulu passer la patate chaude à un autre amateur moins regardant. L’expert n’y aurait rien vu. Pour de telles bouteilles j’aurais sans doute dû être vigilant. Mais des maisons de vente, comme celle qui est concernée, entreposent leurs lots en dehors de Paris. Consacrer un jour à la visite d’inspection avant la vente et un jour à la vente est difficile. C’est presque irréaliste. On fait donc l’impasse en se fiant aux descriptions d’expert. L’achat des vins très anciens est parfois un exercice périlleux.