« casual Friday » au restaurant de Gérard Besson vendredi, 14 novembre 2008

Un ami fidèle a lu un des récents bulletins où j’évoque les « casual Fridays » qui rassemblent les plus assidus de mes dîners pour partager quelques bouteilles lors d’un long déjeuner. Il me téléphone et souhaite se joindre à notre cercle. C’est chose faite. Notre petite académie, puisque cela ressemble aux principes de l’académie des vins anciens, se rend au restaurant de Gérard Besson avec une furieuse envie de gibier. Je compose avec Gérard et Alain le menu au fur et à mesure des arrivées des bouteilles apportées par les amis. Nous sommes cinq et nous avons les yeux plus grands que le ventre. L’histoire montrera que ce fut allégrement supporté par tous.

Le nouveau venu de ce petit cercle décroche sa carte de membre avec acclamation du jury, car il nous offre de la cave de Gérard Besson un champagne Krug Clos du Mesnil 1982. Ce champagne est délicieusement raffiné, représentant l’aristocratie du champagne. La bulle est un peu discrète et malgré son génie, je trouve cet exemplaire d’une icône légendaire légèrement en dessous de ce qu’il pourrait être. Il est bu sur des gougères et des toasts au saumon.

Sur des coquilles Saint-Jacques crues marinées, le Château Chalon Fruitière viticole de Château Chalon 1967 est splendide. Je revis quand je bois ces vins jaunes d’excellence. L’accord est vibrant, inconnu de l’un des amis. Le pâté en croûte de Gérard Besson est légendaire et se déguste sur un Chambertin Clos de Bèze Clair-Daü 1970. J’avais un peu peur de l’année mais le vin me démontra qu’il n’y avait pas de raison. Au nez magnifiquement bourguignon, avec, à l’ouverture, le haut du bouchon marqué par une odeur de terre intense, ce vin est d’une élégance bourguignonne parfaite. On reconnaît du salin dans ce goût que j’adore.

La grouse façon « grand-mère » est d’une chaire virile, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle est goûteuse, intense, charnue et la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993 lui va comme un gant. Gérard Besson nous dit que c’est surtout la sauce qui crée l’accord parfait avec le vin. Je remarque une continuité étonnante entre le Chambertin et la Mouline qui est étrangement bourguignonne dans cette expression de 1993. Ce vin est adorable, charmeur, et la grouse nous ravit par sa chair parfaite.

Parmi les vins que j’ai apportés, celui qui vient maintenant est un des vins que je chéris le plus. Lorsqu’un ami américain était venu en France, je voulais l’étonner et il fut subjugué pour la vie. La bouteille est une bouteille d’un litre, soufflée à la main, au cul profond des bouteilles du 19ème siècle.  Elle est complètement opacifiée par la poussière collée qui la recouvre. Il n’y a aucune indication qui permette de l’identifier. J’ai acheté plusieurs bouteilles il y a une vingtaine d’années. Dans mon esprit c’est un Banyuls du 19ème siècle, disons pour la forme, un Banyuls 1890, et Alain qui sent le vin corrobore cette première impression. De fait, en en discutant tous ensemble, nous dirons qu’il s’agit plutôt d’un Rivesaltes 1890. J’avais envie d’en boire une avec ces amis fidèles et de la boire sur le lièvre à la royale. Le vin est chaleureux, doucereux, et montre avec une évidence indiscutable qu’un tel épanouissement de goût n’est possible qu’après de nombreuses décennies. Ce vin inconnu de tous est sublimement chaleureux, gracieux, délicieux. Il se marie merveilleusement avec le lièvre et paradoxalement, il rend le plat léger. Gérard Besson le décrit en disant que l’attaque est de café et que le chocolat suit peu après.

Avec un des amis, nous avions échangé des mails en raillant les bouteilles de bas niveau. Aussi l’un et l’autre avons-nous apporté des bas niveaux, dépassant les normes envisageables.

Le Champagne Dom Pérignon 1952 est d’un niveau plus que bas. La bulle a disparu, le liquide est un peu gris. Je soupçonne un léger défaut métallique, mais force est de reconnaître qu’une bonne partie du message de ce champagne mythique est encore lisible. C’est plaisant sur un comté mais surtout sur un camembert à peine fait. Les restes du Château Chalon applaudissent le comté de 18 mois du Fort Saint-Antoine.

Une petite tarte aux pommes se goûte avant le dessert. Le cédrat confit de Gérard besson est à se damner. Il épouse complètement le beau Château d’Yquem 1958 à l’or orangé d’un épanouissement joyeux dans des tonalités de coing confit. L’osmose est évidente. J’ai apporté une bouteille de Château d’Yquem 1961 remplie à moitié seulement et je pensais à l’ouverture résoudre cette énigme car je n’ai repéré cette bouteille que la veille, au moment de prendre les bouteilles de ce déjeuner. Et je n’aurai pas la réponse, car la capsule semblait étanche, le bouchon sain, plein et collant bien aux parois. En le sentant à l’ouverture, on pouvait craindre que la cause soit entendue et qu’il ne faille pas le boire. Beaucoup plus foncé que le 1958, son nez est maintenant devenu pur, ce qui étonne aussi bien l’ami qui était là à l’ouverture que moi. Le vin est plus que buvable, il a retrouvé les caractéristiques d’un bel Yquem. On note bien sûr qu’il n’est pas parfait, mais il est extrêmement étonnant qu’une bouteille qui a perdu autant de volume contienne encore un liquide aussi proche de ce qu’il devrait être.

Quand j’ai demandé de voter, il y eut des récalcitrants. L’un d’entre eux fit un vote politiquement correct en voulant ostentatoirement me flatter, ce qui ne marche pas. Trois vins ont eu des votes de premier, le Château Chalon 1967, La Mouline 1993, chacun une fois et le Rivesaltes 1890 trois fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Rivesaltes 1890, 2 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993, 3 – Krug Clos du Mesnil 1982, 4 – Chambertin Clos de Bèze Clair-Daü 1970.

Mon vote, qu’un ami partage dans le désordre, comme celui du consensus est : 1 – Rivesaltes 1890, 2 – Chambertin Clos de Bèze Clair-Daü 1970, 3 – Krug Clos du Mesnil 1982, 4 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993.

Nous avons remarquablement déjeuné avec une grouse à la chair sublime, un lièvre à la royale très gourmand, un service attentif et amical, des vins éclectiques qui sont devenus cohérents par la grâce du menu. L’envie de récidive est pressante.

casual Friday – les photos vendredi, 14 novembre 2008

Le bouchon de l’Yquem 1961 qui avait perdu beaucoup de volume semble sain.

plats délicieux de la cuisine de Gérard Besson

le cédrat est un véritable bonbon

les bouteilles du repas

Les deux Yquem, 1958 et 1961, et le Krug Clos du Mesnil 1982

Chambertin Clos de Bèze Clair Daü 1970 et Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993

Chambertin Clos de Bèze Clair Daü 1970 et Chateau Chalon, Fuitière vinicole des producteurs de Chateau Chalon 1967

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la photo finale

Plusieurs millésimes de Fargues présentés par Alexandre de Lur Saluces jeudi, 13 novembre 2008

L’EDHEC, grande école commerciale de Lille et Nice invite des représentants de grandes entreprises au Press Club de France à Paris. Dans un salon aux lambris dorés, Alexandre de Lur Saluces, ancien élève de cette école, présente les vins de son vignoble : Château de Fargues. Lorsqu’il avait fait une présentation de ses vins à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, il m’avait demandé d’être à ses côtés pour parler de vins anciens. Cette soirée s’était bien passée aussi Alexandre m’a gentiment offert de recommencer notre duo.

Le Comte de Lur Saluces donne des indications sur l’histoire, les vignes, le botrytis et nous commençons à goûter les vins dans l’ordre chronologique ce qui n’est pas évident. Le Château de Fargues 2001 a un nez intense. Il évoque avec une évidence criante l’abricot confit et le coing. Il est plein en bouche et son final est assez court. Le sucre est très apparent, ce qui s’estompera avec le temps. Ce vin est riche de promesse et on sent en lui un parfum d’éternité. Mais contrairement au Château d’Yquem 2001 qui est impérial dans sa prime jeunesse, le Fargues devra attendre encore quelques années pour devenir ce qu’il promet.

Le Château de Fargues 1997 affiche d’emblée un accomplissement plus abouti. Il est moins chien fou. Son année est toute en finesse avec moins de fruits confits et plus de fruits blancs. On sent une légère pointe de poivre. Le final est beaucoup plus élégant et persistant que celui non encore formé du 2001.

Le Château de Fargues 1988 a une robe plus foncée. Le nez est un peu plus fermé mais riche. En bouche il est d’une belle ampleur. Il est plus cousin du 2001 que du 1997. Le final est superbe, riche et glorieux. C’est un très beau vin aux fruits très dorés. Son final est magnifique.

Le Château de Fargues 1986 a un nez plus discret. Le vin est plus effacé et plus limité. C’est pour lui difficile de passer après le 1988. Il est bien sûr globalement plaisant et frais, mais moins élégant dans ce registre que le 1997. Mon classement serait : 1988, 1997, 1986, 2001 ce qui ne préjuge en rien du potentiel de ces vins mais de leur prestation de ce soir.

Entre deux commentaires d’Alexandre, je parle de vins anciens et de gastronomie ce qui intéresse manifestement l’auditoire, la vedette restant aux beaux vins de Fargues.

La direction de l’Edhec remercie l’audience qui se sépare et nous invite à un repas en petit comité dans une jolie salle à manger, aux mêmes lambris dorés. Le menu, conçu pour le vin de Fargues et joliment réalisé par la cuisine du Press Club est : marbré de foie gras, compotée de figues au coulis de balsamique / Albarine de volaille, pommes de terre rissolées et champignons, sauce au sauternes / le blanc-manger à la cannelle, poire rôtie.

Sur ce dîner, le Château de Fargues 2000 est assez léger et je lui ai trouvé un cousinage très fort avec Yquem 2002. Le Château de Fargues 1990 est absolument splendide, glorieux, et ce sera pour moi le vin de la soirée. Riche, épanoui, joyeux, il profite d’être présenté au cours d’un repas, ce qui change d’une dégustation avec de petits canapés. Le dessert convole bien avec le Château de Fargues 1986 que nous avions déjà bu dans la grande salle.

Mes avis sur les accords mets et vins ne coïncident pas toujours avec ceux d’Alexandre, ce qui rend nos échanges passionnants. Une très belle soirée en hommage à l’un des plus beaux sauternes, fait par un vigneron de talent qui a apporté beaucoup à Yquem et à Fargues.

Chez Roellinger, jour 2 – un dîner d’un génie malouin dimanche, 9 novembre 2008

Le lendemain matin la mer et les longues bandes de sable découvertes ont des couleurs argentées. En descendant au salon de l’hôtel je salue Olivier Roellinger et lui rappelle quand nous nous sommes rencontrés. Il se souvient de moi et nous parlons de son changement de cap. Il le commente très sereinement, assumant un changement de vie qui ne correspond à aucune nécessité et représente une nouvelle orientation et des pistes à découvrir. La journée est consacrée à la visite du Mont-Saint-Michel sous un beau soleil de novembre. Le statut de merveille du monde est justifié, auquel s’ajoute une aura mystique. Ce lieu de visite ne pourra jamais rendre ses « trois étoiles ». On aimerait qu’il en soit de même pour le chef breton au talent incommensurable.

Nous nous faisons beaux, un voiturier nous conduit au restaurant en ville, belle maison dont la décoration est d’un réel raffinement. Tout est élégant dans les évocations malouines. Ce sont ma fille et son mari qui nous invitent, et ils tiennent à ce que nous profitions au maximum du talent du grand chef. Le menu dégustation s’appelle : « image du pays malouin » avec cette suggestion : « composition au gré du vent et de la lune, les richesses de la Mer dont le homard et les richesses du bocage pour une invitation au voyage ». Le mot mer est écrit avec une majuscule. J’avais gardé l’article de François Simon dans le Figaro du 3 mai 2008 qui rapportait une phrase d’Olivier à propos des épices : « j’ai des tas de mots, homard, petits poireaux, araignée, crevettes grises. Il me manquait les points virgules, les points d’exclamation pour coucher ma prose sur mon cahier cancalais ». Nous allons lire cette prose avec beaucoup d’émotion, encore plus grande du fait que plus jamais nous ne pourrons revenir. Aussi avec mon gendre, nous décidons que les vins devront faire honneur à cette belle maison. Un champagne Krug 1988 marque le début du voyage. On nous demande si nous voulons connaître le menu ou en avoir la surprise. Nous préférons faire le voyage sans feuille de route, ce qui nous permettra, on le verra, de rendre la fête encore plus belle. Le Krug sans accompagnement montre sa belle richesse mais l’acidité est très forte. Elle va s’adoucir au fur et à mesure des plats. Sur des ardoises polies en forme de galets, des chips, des figues et de petites crêpes fourrées excitent bien le Krug dont l’étendue des saveurs est immense. On le verra dans le scénario qui se déroule, les épices sont le moyen pour Olivier Roellinger d’exprimer sa vision du monde. Après cet amuse-bouche, dans trois berniques nous trouvons des bigorneaux, une coque et de la chair de daurade crue au sésame. C’est intitulé au menu : « au gré du vent et de la lune ». Ces préparations sont exquises, la coque est d’un goût pénétrant et la daurade intense. Le Krug est à son aise, se civilisant au fur et à mesure. Son choc avec la coque me ravit. Le menu, que nous ne lirons qu’en fin de repas, indique : « les trois petites cancalaises ». Ce sont des huîtres plates, l’une avec du foie gras, l’autre toute pure et la troisième avec un petit caviar d’agrumes, si ma mémoire est bonne. Sur l’assiette, un petit jet de crème vinaigrée rappelle les ajoutes subtiles de Pascal Barbot. Inutile de dire que le mariage du Krug avec les cancalaises est absolument divin. Le champagne y gagne une dimension extrême.

La crème de haricots et bouquets royaux nous fait entrer de plain-pied dans le monde créatif du chef, car le dosage du haricot dans l’émulsion est d’un raffinement rare. Le champagne vibre moins sur cette composition qui convient mieux au Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1996. Ce vin que mon gendre découvre est d’une précision diabolique. Nous ressentons la perfection absolue du riesling, parfaitement carafée par notre jeune sommelier passionné. Son service sera remarquable et ses remarques pertinentes, comme le service du pain aux algues et du beurre au poivre que nous dévorons tant c’est bon alors que  nous savons que nous sommes embarqués dans une longue aventure.

Les coquilles Saint-Jacques au feu de bois sont délicieuses, subtiles bien sûr mais plus attendues. Le Riesling poursuit son festival d’excellence. Sa pureté est ce qui s’affiche le plus, avec une longueur remarquable. Il est plus souple que d’autres millésimes.

Le homard au piment et cacao est un plat d’une pure magie. C’est parce que le cacao est à peine sensible qu’il joue un rôle multiplicateur de saveur extraordinaire. La sauce me donne des frissons dans le dos tant elle est parfaite et envoûtante. La barbue aux zestes d’agrumes et Talauma est un joli plat, mais la chair de la barbue est un peu farineuse à mon goût. Le vin qui s’avance maintenant est le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 2001. En puissance et en générosité, ce vin est un bonheur de vivre. Il est appelé à s’accoupler, et il le fera divinement bien, à un plat qu’on ne lui proposerait peut-être pas : un foie gras dans un consommé réglisse-menthe. Le foie gras est divin tant dans sa texture que son goût. Mais contrairement au homard, que le cacao mettait en valeur par sa discrétion, la réglisse est carrément envahissante au point de marquer le palais même sur le plat qui a suivi. Et celui qui a suivi n’est pas celui qu’on pense. Lorsque mon gendre voit apparaître après le foie gras délicieux le plateau de fromages, il est saisi d’effroi. Il déclare : « il n’est pas question de quitter ce lieu sans avoir goûté le pigeon ». Il ne s’agit évidemment pas d’un ultimatum mais d’une prière qui sera magistralement exaucée, car le pigeon réclamant vingt minutes de préparation sera précédé d’un saint-pierre retour des Indes d’un charme redoutable. On mesure la différence entre la chair de la barbue et celle précieuse du saint-pierre. Les épices sont magiques et ce plat est « le » territoire d’excellence du Bâtard-Montrachet au fruité inextinguible.

Le pigeonneau au single malt et graines de sarrasin est doux comme un bonbon, avec de subtils éventails  qui s’ouvrent à chaque détour de goût. L’Hermitage Domaine Jean Louis Chave 1999 est lui aussi précis, d’un discours simple et convaincant, juteux, fonçant vers le bonheur. Les fromages sont affinés à la perfection et le Bâtard joue son rôle d’accompagnateur avec brio, mais le Chave ne joue pas mal non plus sur les fromages choisis pour lui.

La poire « sucre sauvage-citron vert » et la crème « curry corsaire » est un exercice de style délicieux. C’est du Roellinger joyeux de finir sur des notes gaies. Ce dessert est suivi par un chocolat et caramel au beurre salé, puis par un grog aux agrumes.

Une chose mérite d’être signalée. Comme ma femme ne boit pas de vin, le sommelier lui a proposé de faire un voyage dans le monde des thés. Elle a pu déguster cinq, six ou sept thés qui convenaient aux plats avec une remarquable précision. Quelle belle attention !

Est-il envisageable de classer les plats tant ils sont différents ? Je m’y risque quand même, sachant que c’est mon goût, qui ne prétend à aucune universalité. Ce sera d’abord le homard, pour la subtilité du dosage du cacao, puis le saint-pierre retour des Indes pour la variété des épices, la crème de haricots pour son équilibre gustatif et le foie gras divin que j’aurais sans doute aimé avec la réglisse plus en sourdine. Les vins ne peuvent pas se classer car ils représentent quatre sommets dans leurs quatre régions.

Après ce dîner à rallonges nous étions presque les derniers aussi avons-nous pu discuter avec le directeur de salle et plusieurs membres de cette belle brigade. Nous avons échangé nos impressions et ce fut un beau moment de communion.

Ce repas fut marqué d’une grande émotion car il est rare que nous allions dans un restaurant de ce niveau unique en sachant que nous n’aurons plus accès à cette cuisine de génie. C’est pour lui faire honneur que mon gendre a choisi pour nous deux plats de plus et quatre vins emblématiques.

J’ai ressenti dans la cuisine de cet immense chef ce que l’on peut supposer de sa personnalité et de son histoire. De même que tout le passé de Marc Veyrat explique l’émotion de chaque composition, j’ai éprouvé à chaque plat, par ses excès ou ses pudeurs, les tribulations d’un malouin épris de sa région, qui projette les épices comme une déclaration d’amour à la vie.

Ce talent des « images du pays malouin » restera dans nos mémoires pour toujours.

dîner au restaurant d’Olivier Roellinger – photos dimanche, 9 novembre 2008

amuse-bouche, bigorneaux, coque dorade

huîtres de Cancale, crevettes roses et haricot coco

coquilles Saint-jacques (photographiées avec retard !!!) et magique homard au cacao

barbue, foie gras à la réglisse

saint-pierre retour des Indes (on dirait un tableau)

pigeon, fromages

desserts variés

… et même un grog

Les vins :

Champagne Krug 1988
Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1996

Batard Montrachet Domaine Leflaive 2001
Hermitage Jean Louis Chave 1999

au moment de partir, nous voyons dans une autre salle cette jolie vue sur une mare aux canards !

 un dîner inoubliable.

Arrivée au château de Roellinger – dîner au Surcouf à Cancale samedi, 8 novembre 2008

Notre train est à 14h05. Nous avons le temps de préparer nos valises, et je jette un œil sur le web. Une nouvelle tombe : Olivier Roellinger rend ses trois étoiles. Cette décision est présentée avec calme et sérénité et François Simon la commente avec justesse. Il se trouve que notre destination du jour, c’est Cancale. A la gare Montparnasse que je trouve moins hideuse que d’habitude, dans une brasserie dont l’efficacité chronométrique est à signaler, la première gorgée de bière est un délice multispire. On devrait écrire un livre sur cette sensation. Dans le TGV aux couleurs rénovées agréables à l’œil, notre fille cadette, notre gendre, ma femme et moi avons le temps de disputer des parties acharnées de belote coinchée. La discussion que j’ai eue avec le contrôleur du train pendant plus d’une demi-heure à propos d’une erreur tarifaire de nos billets mériterait une réédition de « La Légende des Siècles ». Une voiture de location nous mène au château de Bricourt avant que le soleil ne se couche. De notre chambre « Gingembre », de forme octogonale dont trois côtés ont des fenêtres qui offrent une vue panoramique sur la baie de Cancale, nous pouvons repérer le Mont-Saint-Michel dont la forme, dans le lointain, inspire respect et émotion. Notre dîner au restaurant trois étoiles est demain aussi allons-nous dîner au restaurant Surcouf sur le port de Cancale.

Avant cela, dans le salon à la décoration rustique et sobre, je m’étonne de l’étroitesse de la carte des vins. Il n’y a aucun champagne millésimé. Dans les champagnes sans année, je repère un Champagne Larmandier-Bernier, blanc de blancs issu de l’agriculture biologique. Ce champagne est pur, bien ciselé, mais ne dégage pas de réelle émotion. C’est scolairement bon. Ne sachant comment se passera l’épisode Surcouf, je demande que l’on nous garde le reste de la bouteille pour notre retour.

Nous passons le long du port et le nombre de restaurants est inimaginable, aux noms d’une imagination débridée tels que brise marine, la vague, le phare, le bistrot du port, et le nôtre, que nous ne repérons qu’au deuxième passage : Surcouf.

En pénétrant dans le petit restaurant je vois sur une petite étagère des bouteilles vides dont des doubles-magnums de grands vins et une bouteille de La Tâche. Ayant encore en tête l’impression de la carte limitée du château de Jane et Olivier Roellinger, je lance au jeune homme qui nous accueille : « ah, ici, on doit aimer le bon vin ». Il nous dirige vers la petite salle du premier étage dont la décoration est minimaliste. Toutes les tables sont occupées et sur chacune trône un impressionnant plateau de fruits de mer dont de belles araignées de mer. Le jeune homme de trente ans à peine dont je saurai par la suite qu’il est propriétaire a une coiffure où les cheveux courts sont regroupés en mille pointes collées. Je lui lance avec le sourire : « vous êtes coiffé comme le dos des carapaces d’araignées de mer ». Toute la salle sourit car ici, chaque table profite des discussions des autres.

Pendant que mon gendre gare la voiture sous la pluie je demande la carte des vins et je suis impressionné par son intelligence. Si l’on trouve des Clos Sainte Hune, des vins de Méo-Camuzet, de Coche-Dury, des Rayas, des Dauvissat, celui qui a conçu la carte ne peut être qu’un grand sommelier. Je redescends au rez-de-chaussée pour dire au jeune homme : « si vous avez des Coche-Dury, vous avez forcément en dehors de la carte des Corton-Charlemagne. Je serais heureux de profiter de l’un d’eux ». Le jeune homme me répond : « j’en ai très peu et ils sont tous réservés ». Ma question porte maintenant sur le Krug Grande Cuvée : « en avez-vous avec quelques années de cave ». Il me répond : « ah, je vous vois venir, vous aussi, vous aimez ce goût de Montrachet effervescent ». Le lien est créé et je lui dis : « il faudra que je vous donne ma carte car je suis passionné de vin ». Il me répond : « pas la peine, je vous ai reconnu, monsieur Audouze ». La table avait été réservée au nom de mon gendre et mon nom n’avait jamais été cité. Ma surprise est grande.

Nous passons les commandes et lorsque le champagne Krug Grande Cuvée arrive, on mesure l’écart qui le sépare de celui que nous venions de boire. Sur des huîtres creuses de Cancale numéro trois, le champagne est souple, doucereux, presque sucré pour compenser l’iode insistant des huîtres. Le champagne est chantant et les huîtres sont divinement goûteuses. Les bulots sont parfaitement cuits. Il n’y a pas la mâche caoutchouteuse qui affadit trop souvent ce coquillage. L’accord ne se fait pas avec le champagne car il est trop brillant avec les huîtres.

Le homard à la sauce au beurre blanc est d’une intensité de chair rare. Je crois avoir rarement mangé des pinces aussi bonnes car la pince est souvent le parent pauvre en termes de goût. La chair du corps est un peu trop cuite, mais l’impression générale est très convaincante. Le Meursault Les Rougeots J.F. Coche-Dury 2006 est une petite merveille. Ce qui frappe, c’est sa précision. En aucun cas on ne pourrait dire qu’il est trop jeune. Son épanouissement est certain, et sa gamme aromatique est d’une largeur extrême. Il est chaleureux, de belle plénitude. Il se marie bien au homard mais l’accord n’est pas aussi vibrant que celui du Krug avec les huîtres. C’est un peu plus convenu.

Jérôme consent enfin à me dire d’où nous nous connaissons. Il a officié comme aide-sommelier puis sommelier au Carré des Feuillants et au George V où il a eu l’occasion d’aider à la réalisation de certains de mes dîners. Nous avons longuement parlé de vins et sa passion transpire. Il m’a montré un magnum de Latour 1961 qu’il a bu, cadeau du propriétaire de Château Latour. Cela impose le respect.

Un détail a plu à ma fille : pour chaque plat, Jérôme a indiqué les noms des fournisseurs, avec un respect des produits qui est à signaler. Cette adresse, le Surcouf, justifie à elle seule de venir de Paris à Cancale. Il est sûr que nous reviendrons, avec peut-être une nouvelle erreur de tarif SNCF, pour pimenter le trajet.

prix Edmond de Rothschild pour le Grand Atlas des Vignobles de France jeudi, 6 novembre 2008

Un prix Edmond de Rothschild couronne chaque année un livre publié dans l’année qui parle du vin. Celui qui est décerné ce soir chez la baronne Nadine de Rothschild est le onzième. En son temps mon livre était candidat à cette distinction et j’arrivai dans le bel hôtel particulier avec le même état d’esprit – toutes proportions gardées – qu’Ingrid Betancourt quand elle croyait avoir le prix Nobel de la Paix. Car on m’avait indiqué en coulisse que c’était chose faite. Fort heureusement je n’avais prévu ni conférence de presse ni libation jubilatoire car le talentueux Philippe Faure-Brac ayant remis à la dernière minute un magnifique ouvrage dont il a le secret, je fus le Poulidor de cette promotion. Ce soir le lauréat est Benoît France pour le Grand Atlas des Vignobles de France, ouvrage de référence dont il vient de faire une mise à jour. Le Poulidor, mon frère de cette promotion, est Denis Saverot, auteur d’un excellent livre de réflexion : « In Vino Satanas ». De beaux discours dont celui d’un Ministre ami de la bonne chère saluent l’ouvrage élu.

Nadine de Rothschild ayant souhaité qu’un collectionneur de vins figure au sein du jury d’attribution de ce prix, on me fait l’honneur de m’intégrer dans ce cénacle.

Ce sera l’occasion de lire de beaux livres et de retrouver quelques amis épicuriens pour parler de littérature et de vin.

La Mouline à la Villa 9.3. mercredi, 5 novembre 2008

Un ami a acheté pour moi de grandes quantités de vin et vient les déposer à l’heure de l’apéritif. Cela suppose un déjeuner, c’est l’évidence même. Avec mon fils, nous dirigeons notre ami vers le restaurant Villa 9.3 à Montreuil. Dans un joli petit parc, une petite maison loge une belle salle de restaurant. La carte des vins comporte une Côte Rôtie La Mouline Guigal 2002. Elle ne peut pas nous échapper. Je demande aux deux jeunes si ce sera suffisant. Ils doivent travailler cet après-midi aussi ont-ils la réponse la plus hypocrite qui soit. Une terrine de lièvre s’impose ainsi qu’une pièce de bœuf mais le maître des lieux nous suggère des huîtres. Compte tenu du vin, cela ne semble pas évident. Il insiste et croit nous tenter avec un Minervois qu’il pense exceptionnel. Il est tellement insistant que nous disons oui. Le vin arrive avant les huîtres, assez frais. C’est un Minervois Château La Grave Orosquette 2006. Dans l’échelle des minervois il est peut-être bien gradé, mais dans le spectre de ce que je bois, sans vouloir paraître bégueule, l’absence de final, la longueur infime, et le fruit pommelé sans grande imagination sont loin du compte.

Les huîtres arrivent et sont absolument délicieuses. Le maître des lieux voyant notre embarras change au plus vite pour un Bourgogne Hautes-Côtes de Beaune Jayer-Gilles 2005. Ça c’est du vin. Même si l’on est loin des grands crus, il y a un message dans ce vin qui cause à nos palais. Le fruit est agréable, et le trajet en bouche est joyeux. Le vin s’anime considérablement sur la délicieuse terrine, copieuse au-delà des normes.

La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2002 est un enchantement. Dès le nez, c’est du plaisir pur, onctueux, doucereux, sensuel. En bouche, c’est le fruit qui éclate dans le palais. Il y a de la framboise écrasée mais surtout un velouté enrobant. Avec la viande rouge à la sauce très droite, le vin est confortable. On ne se lasse pas de ce vin opulent, sincère, camarade de plaisir.

La Villa 9.3 est faite pour les sumos, mais sa cuisine simple et précise en fait un lieu plus que recommandable. La Mouline était la dernière de la carte. Qu’à cela ne tienne, il reste des Landonne !