Lafite 1900 et Pichon Baron 1904 sur la cuisine de Patrick Pignol vendredi, 19 décembre 2008

Le « casual Friday » commence à devenir une institution. Le périmètre des présents change un peu, mais l’esprit est le même. Le retardataire institutionnel entretient sa réputation dans des limites toujours grandissantes. Comme c’est lui qui a apporté le premier vin nous avons la bouche qui s’assèche. Nous décidons d’inverser l’ordre des champagnes, pour ne pas ouvrir sa bouteille avant qu’il ne soit là.

Les vins ont été ouverts ce matin à 9 heures par Nicolas, le sommelier fidèle du restaurant de Patrick Pignol, tremblant de peur de fragiliser les vins précieux. J’ai mis au point le menu avec Patrick Pignol avant l’arrivée des convives. Un ami qui offre le champagne Dom Pérignon 1969 de la carte du restaurant a la bonne idée de demander des petits toasts à la truffe qui nous permettent d’attendre le dernier des sept de notre table. Le champagne est absolument délicieux. Il a une bulle active. Sa couleur ne montre aucun signe d’âge. Le parfum est pur, riche, envoûtant. En bouche, c’est une petite merveille de précision. Je suis sous le charme de ce champagne où le miel, la brioche voisine avec une belle trace citronnée. La longueur est extrême et la bouchée truffée est un vrai cadeau de Noël.

Une huître enveloppée dans une feuille d’épinard garde tout son iode, comme nous l’indique si bien madame Pignol. Elle se marie agréablement avec le Pavillon blanc de Château Margaux 1988 à la belle couleur, à la bouche intelligente combinant fraîcheur et délicatesse.  C’est surtout la fraîcheur finale qui me conquiert.

Une préparation d’oursins légèrement sucrés accueille un champagne Ruinart 1955. Sa couleur est nettement ambrée et le vin montre une fatigue certaine. Mais c’est un des miracles du vin, le plat réveille le champagne qui devient plaisant. Il s’endort à nouveau dès que le plat est fini. Il nous a communiqué l’espace d’un instant une belle émotion.

J’avais intercalé le blanc entre les deux champagnes pour que la bouche soit prête à accueillir le cadeau que je réservais à mes amis : Château Lafite-Rothschild 1900. J’avais annoncé que le niveau de la bouteille est bas, et que dans ces conditions, cette bouteille est une incertitude totale. Aussi ai-je prévu du secours. La bouteille est basse épaule. Le vin a une belle couleur foncée, variable selon la hauteur dans la bouteille et son sédiment est important. Le nez est extrêmement intense et un ami qui a professé l’œnologie dans une partie de sa carrière nous dit que cette odeur prenante est totalement caractéristique de Lafite. En bouche, nous sommes étonnés que le vin soit aussi présent. Son charme est intense. Je sens une légère fatigue mais cet ami dit qu’il n’y a pas l’ombre d’un défaut. Nous sommes enchantés, et le ravioli de céleri noyé sous des tranches de truffes est idéal pour faire ressortir les accents de truffe du vin. Le final est beau. Le vin est riche et velouté. Il y a même quelques soupçons de pétales de rose, « à la » bourguignonne. Nous prenons conscience que nous sommes en train de vivre un grand moment, car le vin s’épanouit et apporte la preuve de l’excellence légendaire de l’année 1900.

Le ris de veau juste saisi et légèrement caramélisé est absolument délicieux. Le Château Pichon-Longueville Baron 1904 que j’ai apporté en secours, dont le niveau est presque dans le goulot est d’une couleur irréellement jeune, car le rouge est d’un beau rubis. Le nez est un peu moins noble que celui du Lafite, mais on sent le cousinage des deux Pauillac. Le vin a de la personnalité, se montre jeune malgré ses 104 ans, et ce qui me plait énormément c’est cette vivacité de jeunesse. On sent bien que la race n’est pas aussi grande que celle du Lafite. Mais elle est grande et le vin me séduit.

La chair de l’agneau de lait est tendre comme un bonbon. Elle cohabite d’abord avec un Château Pibran 1928 apporté par mon fils, qui a la joie d’un 1928 mais manque un peu de coffre. Vient ensuite un Vega Sicilia Unico 1964 que j’ai apporté pour le cas où le 1900 et le 1904 eussent été tous les deux souffrants. Le vin est presque noir. Il est lourd comme le plomb et l’on pense à un vin de Porto qui serait sec. Il est torréfié, avec des traces de café. Son charme est rare et sa présence envahit nos palais. Il est fort mais séduisant et se boit goulûment. Il évoque de lourds vins du Rhône.

Le comté affiné de nombreux mois mais qui a gardé sa fraîcheur est merveilleux pour mettre en valeur le Jurançon 1929 des caves Nicolas. Ce vin est de la joie de vivre. Sa couleur est d’or, son nez est excitant d’agrumes poivrés et en bouche il court dans toutes les directions, mêlant les grains de raisins bien mûrs et bien ronds à de fines traces d’agrumes. Un vin de pur plaisir.

Un soufflé à la mandarine et une clémentine légèrement confite donnent la stricte représentation du Château Suduiraut 1944, bel exemple de ce vin qui est attachant quasiment à tous les millésimes. Le vin est serein, bien dessiné et récite ses agrumes orangés avec un bel entrain.

Nous votons, et sept vins sur neuf ont des votes. Le Lafite 1900 recueille trois votes de premier, le Dom Pérignon 1969 en recueille deux et le Pichon 1904 ainsi que le Jurançon 1929 en recueillent chacun un. Quatre vins premiers pour sept votants, c’est d’un bel éclectisme. Nous sommes deux à avoir dans le désordre le même vote que le vote de synthèse, celui que j’appelle le vote du consensus, qui est :

1 – Château Lafite-Rothschild 1900, 2 – Château Pichon Longueville baron 1904, 3 – champagne Dom Pérignon 1969, 4 – Vega Sicilia Unico 1964.

Mon vote : 1 – champagne Dom Pérignon 1969, 2 – Château Pichon Longueville baron 1904, 3 – Château Lafite-Rothschild 1900, 4 – Vega Sicilia Unico 1964.

Manifestement le Lafite 1900 a impressionné toute la table. Patrick Pignol, intéressé par notre expérience, qui me blague souvent en disant que mes reliques ont un ticket qui n’est plus valable a été enthousiasmé par le Lafite 1900. Si je ne l’ai mis que troisième, c’est que j’espère secrètement que les autres Lafite 1900 qui sont dans ma cave, de meilleurs niveaux, seront des premiers récurrents. Le 1900 et le 1904 proviennent d’un lot important que j’ai acheté récemment, d’une cave qui avait été murée pendant des décennies. La prestation des vins de ce jour confirme l’intérêt de ce lot, ce qui me satisfait au plus haut point.

Dans une ambiance joyeuse de collégiens en école buissonnière, sur une cuisine faite par un chef talentueux travaillant de beaux produits, sur des vins dont certains sont des témoignages extrêmement rares, nous avons lu une émouvante page d’histoire.

casual Friday – les photos vendredi, 19 décembre 2008

Le Chateau Lafite-Rothschild 1900 était le prétexte de ce déjeuner. L’intitulé gravé dans le verre est pour moi un sujet de fierté. Cette présentation est la même que pour Lafite 1945 que j’ai bu deux fois avec Alexandre de Lur Saluces en provenance de sa cave.

Les vins bus lors de ce déjeuner

Le goût de l’huître est merveilleusement préservé dans cette feuille; délicieux calamar

les plats principaux, ris de veau et agneau de lait

soufflé à la mandarine et clémentine légèrement confite pour le Suduiraut 1944

On croit que c’est facile de boire des vins anciens. Mais ça se mérite ! Ici, les sédiments du Lafite 1900 et du Pichon Baron 1904

Mon carnet de notes pour enregistrer les votes des amis. Quelques verres aux couleurs sympathiques

un ami tel Cartier-Bresson a voulu tirer mon portrait. Le temps qu’il trouve comment un appareil de photo se prend en main, et il réussissait.

dégustation des 7 vins de 2005 de la Romanée Conti et dîner chez Parick Pignol mercredi, 17 décembre 2008

La société Grains Nobles organise chaque année une dégustation des vins de la Romanée Conti en la présence d’Aubert de Villaine, copropriétaire et gérant du prestigieux domaine. Michel Bettane et Bernard Burtschy sont à ses côtés. La dégustation se tient dans une belle cave voûtée du Paris historique et le propriétaire des lieux et de Grains Nobles nous dit que cette cave doit dater des 12ème et 13ème siècles. Aubert dit qu’elle pourrait faire une belle cave bourguignonne même si la forme ronde n’est pas la forme anse de panier de la cave bourguignonne.

Cette année, on goûte les 2005, année prestigieuse s’il en est. Aubert qui est très occupé par beaucoup de projets prenants s’est muni de ses fiches de 2006 et pour lui, 2005 est déjà du passé. N’ayant pas beaucoup de données précises sur le 2005 qu’il commentera verre en main, il en profite pour donner des nouvelles de 2008. Année difficile dans sa gestation au point que l’on se demandait si elle serait millésimée, elle a été sauvée le 13 septembre par l’apparition d’un vent du nord qui a soufflé pendant un mois, a effacé le botrytis et a accéléré le mûrissement. Les baies ont vu leur volume réduit de deux tiers ce qui a entraîné une baisse de rendement mais une belle maturité. La vendange fut de la « haute couture » avec un écrémage important. Le rendement est de 15 à18 hectolitres à l’hectare ce qui est bas. Ce qui a été choisi sera très beau. Les blancs n’ont pas connu les mêmes problèmes.

Aubert de Villaine tient un propos très fort : « on ne doit plus parler de petites et grandes années. Il y a des années différentes, avec de gros écarts de personnalité, mais il n’y a plus de petites années. »

Il ajoute une phrase qui ne peut que me réjouir car elle épouse ce que je ressens : « ce n’est que depuis 1985 que l’on a les moyens de faire des vins du calibre de ce qui se faisait dans le passé ». Et il parle du « génie des anciens ». Ce grand vigneron, à la pointe de la recherche dans tous les domaines de ce qui peut améliorer la qualité du vin, au lieu de se croire au sommet de l’histoire, se place dans la continuité de l’expérience des anciens qui ne possédaient pas la science actuelle. Cette sagesse me touche beaucoup.

Aubert évoque l’année 2005 que nous allons boire et dit que les raisins avaient un état sanitaire parfait. Sur les tables de tri les raisins étaient magnifiques avec une maturité très homogène, ce qui a entraîné de forts rendements. Il dit que le tri est un élément essentiel mais n’est pas la clef unique. Une autre clé, c’est le rendement raisonné. Il répétera de nombreuses fois que ce qu’il cherche, c’est d’arriver à une « finesse de maturité ». Il indique que la biodynamie aide maintenant à cette finesse de maturité et Michel remarque que le réchauffement climatique est, pour le moment, favorable au vin de Bourgogne.

Les 2005 ont été mis en bouteilles en 2007, en période de lune descendante.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2005 qui nous est servi est d’un rouge assez clair, légèrement trouble. Le nez est extrêmement riche et charnu, très expressif de poivre, cassis et framboise. En bouche on note la fraîcheur, le caractère vert, astringent et une touche de framboise.

Le Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2005 a un rouge pur, aussi légèrement clair. Le nez est un peu plus strict mais très profond et l’on sent du poivre. En bouche, il est plus rond, plus charmeur, plus complet. Il y a de l’astringence, une belle longueur et une belle trace. L’Echézeaux est plus frais quand le Grands-Echézeaux est plus long. Le Grands-Echézeaux est plus tendu, avec une forte densité des tannins. D’une belle pureté, on sent un grand potentiel de garde. Michel Bettane s’extasie et il reviendra pour plusieurs vins sur la qualité des bois neufs. Le final du Grands-Echézeaux est fait de beaux fruits. On peut aimer ces deux vins sans forcément les hiérarchiser, même si le second est plus noble.

Le Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2005 est d’un rouge de même nature que celui du précédent. Le nez est discret et de poivre. En bouche, c’est le cassis et la framboise qui s’imposent. Je trouve ce vin d’une grande structure et d’une forte trace en bouche. Je suis assez sensible à sa perfection.

Les vignes de ce vin sont plus vieilles de dix ans que celles du Grands Echézeaux, cinquante contre quarante en moyenne. Il est merveilleux à boire maintenant, pur, frais, joyeux, fruité, au beau final frais. Ce beau vin est d’une élégance rare.

Il forme un grand contraste avec le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2005 qui est d’un rouge plus sanguin, d’un nez plus arrondi et plus cohérent mais qui en bouche fait strict, militaire. Il y a une force énorme dans ce vin qui est beaucoup moins prêt à boire que le Romanée Saint-Vivant. Michel parle de classicisme dans la densité. Ce vin solide plus minéral doit attendre. Il sera grand.

La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 2005 est d’un très beau rouge sombre. Le nez est très fin, complexe. Il y a du poivre, mais c’est un parfum quasi indéfinissable. L’attaque en bouche est spectaculaire. Le final est d’une race extrême. Ce vin est un vrai raffinement. Il provient de très vieilles vignes. Là aussi, c’est un vin qui devra attendre avant d’être bu. Aubert signale qu’il est dans une période fermée et qu’il s’ouvrira bientôt. Il dit qu’il aime boire les vins jeunes.

La Tâche a de l’astringence, du poivre, un côté minéral. Michel recommence à s’extasier sur la qualité du boisé. Son final est assez impressionnant mais je dois dire que je préfère aujourd’hui le Romanée Saint-Vivant qui est infiniment plus charmeur que ces deux vins fermés et prometteurs.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2005 qui nous est servie est un privilège extrême. Un peu plus de 5.500 bouteilles ont été faites. Ce vin est le plus cher de la planète. On ne peut pas ne pas ressentir la rareté de cet instant. La couleur est celle de La Tâche. Le nez est discret. L’attaque est délicieuse de fruits roses. Aubert nous dit que le secret de la Romanée-Conti, en général, c’est son côté légèrement vert. Il a un goût de pétale de rose, qui passe par la phase poivron vert.

En goûtant, je constate effectivement que le final est vert. Le vin claque. Il se caractérise par la finesse et la fraîcheur. Il est élégant et a aussi du corps. Le nez devient parfumé et très riche avec des accents de feuille de cassis. Il est très envoûtant. On sent que c’est un vin spécial. Il y a du rouge et du vert, du fruit et de la feuille. La verdeur signalée par Aubert est là. La fraîcheur impressionne.

La dernière gorgée est très intense, car je me demande si ce vin que j’ai dans ma cave, je le goûterai à nouveau de mon vivant.

Une surprise nous était réservée car le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2005 annoncé n’était pas inscrit sur nos feuilles de dégustation. Or il arrive dans sa splendeur. Aubert nous dit qu’il y a deux types de Montrachet. Ceux des années à botrytis, opulents mais de durée de vie assez faible, et ceux qui ont été épargnés par le botrytis, moins riches et plus minéraux, qui sont des vins de longue garde. Le 2005 est de la deuxième catégorie. Le nez est magique, incroyablement fort, minéral et riche. En bouche, il est minéral, tendu, pur, noble. Il a un fort picotement de poivre. Aubert dit qu’il a encore des ferments. Il rappelle qu’à la vendange, on cherche à recueillir les grains à maturité extrême. Michel s’extasie de son élégante fraîcheur sans une once de lourdeur.

Aubert signale qu’à l’aveugle total, c’est-à-dire sans voir le verre, presque personne ne sait reconnaître qu’il s’agit d’un vin blanc. Michel dit qu’aucun autre Montrachet n’arrive au niveau de celui-ci. Sa fraîcheur est invraisemblable et j’avoue que je suis totalement conquis. On est pour moi au septième ciel.

Il est assez difficile de procéder à un classement à ce stade de la vie des vins, mais je trouve que le Montrachet est à mon goût largement au dessus des rouges. Ensuite, je pense que moins les vins sont gradés et meilleurs ils sont à ce stade de leur vie. Aussi, sans préjuger de leur qualité intrinsèque ni de ce qu’ils seront quand on pourra les boire, mon classement est : Montrachet / Romanée Saint-Vivant / Romanée Conti / La Tâche / Grands Echézeaux / Echézeaux / Richebourg. Ce classement ne préjuge en rien de ce qu’il sera plus tard. J’ai eu plus de sympathie pour les vins les moins gradés, car plus ils sont grands, moins ils sont prêts à boire. Le nez le plus beau était celui du premier car il y avait l’effet de surprise d’entrer dans ce monde divin des vins du Domaine de la Romanée Conti.

Grains Nobles nous a fait bénéficier d’une occasion unique de boire ces vins côte-à-côte, car quand on boit au domaine les vins en fût, on passe d’un fût à l’autre, sans jamais avoir les sept vins ensemble. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un ami fidèle qui assiste à la réunion me dit : « allons dîner ensemble ». J’ai un programme chargé aussi, alors que je ne sais jamais dire non, je décline. Puis je me souviens que je devais livrer une bouteille au restaurant de Patrick Pignol pour un futur déjeuner où je vais ouvrir Lafite 1900, déjà livré. J’appelle le restaurant pour porter la bouteille et je hasarde : « auriez-vous quelque chose à grignoter ? ». On me répond oui, aussi immédiatement j’appelle mon ami déjà sur la route en lui disant : « veux-tu m’y rejoindre ? ». Il acquiesce.

Arrivé avant lui je raconte à Nicolas, le fidèle sommelier, ce que nous venons de boire. Le fait d’avoir fini sur le Montrachet à la trace indélébile impose un vin fort. Il me propose un Condrieu. Je n’ai pas envie et je jette mon dévolu sur un Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2003. Nicolas me dit que c’est un peu jeune, ce qui sera l’avis de mon ami. Mais ayant bu sept vins de 2005, j’estime qu’il vaut mieux rester sur une jeunesse typée. Pour gagner du temps, et comme il est tard, je commande le menu pour nous deux : cuisses de grenouilles façon meunière, échalotes grises, cresson de fontaine, dentelles de sésame et la côte de veau, saveur première et la cueillette du moment.

Il est certain qu’avec le goût en bouche du Montrachet, ça n’aide pas le Corton Charlemagne. Mais le palais s’habitue vite à un vin très riche, fruité, varié, salin et minéral. Je vois en lui une myriade d’évocations de fruits jaunes, et un final très pur. Sa jeunesse ne me déplait pas après ce que nous avons vécu. Les deux plats trop copieux à cette heure tardive sont parfaitement adaptés. C’est un grand Corton Charlemagne, mais il n’aurait pas fallu le boire après la perfection insolente du Montrachet 2005 de la Romanée Conti.

Grains Nobles est la seule structure française où Aubert de Villaine accepte de présenter ses vins. Nous avons vécu un moment d’une grande rareté.

dîner au Crillon avec Salon 1988 mardi, 16 décembre 2008

J’invite mon épouse pour un dîner à deux au restaurant « Les Ambassadeurs » de l’hôtel de Crillon. La décoration de Noël dans le hall d’entrée est magnifique avec de beaux sapins teints d’or et de rouge sang. Dans le salon que l’on traverse avant l’entrée du restaurant, une phrase gravée dans la pierre me laisse chaque fois songeur : « pends-toi brave Crillon, nous avons combattu à Arques et tu n’y étais pas ». Cette lettre du roi Henri IV au lieutenant colonel général duc de Crillon de 1589 est à double sens et d’une cruauté accrue par l’amitié que l’on ressent. La mettre en évidence n’est pas si flatteur pour Crillon.

Nous sommes accueillis avec des sourires. Ma femme n’aimant pas trop le temps que je passe à étudier les cartes des vins, j’avais choisi avant qu’elle n’arrive un Champagne Salon 1988.

La salle est imposante, richement décorée et le service est imprégné par la solennité du lieu. On sent les réminiscences du passé du chef car les emprunts au style Ducasse sont nombreux. Le Salon 1988 que David Biraud me fait sentir est d’un parfum intense où l’on reconnait le miel et les fruits jaunes.

Les hors d’œuvres sont intitulés « sur l’idée d’un plateau télé… » Et se composent d’une salade de carottes râpées en limonade, d’un gâteau de foie blond selon Lucien Tendret version 2007, d’un cromesquis de brandade de morue, d’une variation croustillante d’un jambon/cornichon et d’un bonbon de beurre de truffe noire à tartiner. C’est joliment préparé, les goûts sont purs sans être agressifs. On sent la dextérité du chef qui s’expose sans ostentation. C’est sur la brandade de morue que le Salon s’excite le plus, lourd champagne vineux évoquant la mirabelle et le miel, avec un soupçon de brioche. Sa longueur est extrême.

David étant un sommelier que j’apprécie particulièrement, nous parlons des infimes différences de température qui changent le goût du champagne. Car la sensibilité du Salon à cette variable est extrême.

C’est amusant comme le subconscient travaille, car je commence à sentir dans le Salon de la truffe blanche alors que mon entrée n’est pas encore servie. Il s’agit de noix de Saint-Jacques  en « casse-croûte », potiron et truffe blanche d’Alba. La sauce est divine, et épouse le Salon. La truffe blanche fait un lien avec le champagne. Les goûts sont délicieux, et si l’on veut entrer dans le détail, on eût pu oublier la fine gaufrette qui fait casse-croûte.

On nous apporte en surprise un homard bleu, pommes de terre au sel fumé et d’autres crispy. Ce plat est divin, la chair du homard extrêmement typée étant accompagnée d’une sauce précise. Cette gastronomie de tradition est vraiment parfaite. Le Salon est à l’aise sur la chair du homard.

J’ai choisi le lièvre de Sologne à la Royale et les pâtes à la châtaigne. C’est un lièvre à la Royale d’un beau classicisme et d’un goût rassurant : on se sent bien. Je constate avec plaisir que le Salon 1988 sait s’adapter à cette forte préparation. Sa flexibilité est définitivement prouvée. C’est un grand 1988, qui s’épanouit encore dans sa maturité.

L’heure est aux mignardises. Ma femme me regarde et me dit : « je ne t’ai jamais vu faire une bouche pareille ». Je suis en effet tétanisé, car au sein de ces petites gâteries, il y a des Chamonix à l’orange amère, sortes de madeleines au sucre glacé en trace et au goût d’orange amère, qui forment avec le Salon qui a perdu un peu de sa bulle et s’est réchauffé dans le verre un accord inimaginable. C’est tellement diabolique que cet accord a déformé mon visage. David en sourit.

Nous avons passé une agréable soirée, dans un lieu prestigieux, avec un service parfait qu’on aimerait bien débrider un peu pour secouer la solennité. Mais est-ce opportun ? David aura été un compagnon de route parfait, le chef a montré la maturité de son talent sur des recettes solides et sereines. Ce fut une soirée harmonieuse.

dîner au Crillon – les photos mardi, 16 décembre 2008

Dans un tel cadre, on ne peut que se sentir bien !

hors d’œuvres « sur l’idée d’un plateau télé… » : salade de carottes râpées en limonade, gâteau de foie blond selon Lucien Tendret version 2007, cromesquis de brandade de morue, variation croustillante d’un jambon/cornichon et bonbon de beurre de truffe noire à tartiner.

noix de Saint-Jacques  en « casse-croûte », potiron et truffe blanche d’Alba

homard bleu, pommes de terre au sel fumé et d’autres crispy

lièvre de Sologne à la Royale et les pâtes à la châtaigne (avant la sauce et après la sauce)

 

dîner avec des vignerons – la 3ème mi-temps, les fonds de bouteilles vendredi, 12 décembre 2008

Ce dîner a une suite, une troisième mi-temps. Ayant l’habitude de faire des dîners de vins chez Laurent, et gardant toutes les bouteilles vides de ces repas, Daniel a rassemblé pour moi les bouteilles. Il restait un peu de vin dans plusieurs magnums, aussi, dans ma cave, 36 heures après l’événement, mon fils et moi avons rendu honneur aux liquides survivants. Les vins sont bus froids, la cave étant un peu en dessous de ses valeurs moyennes. Les vins non cités ont été asséchés au cours du dîner.

Le Corton-Charlemagne 1986 a perdu un peu de sa fraîcheur mais garde cette solidité de structure qu’il avait au dîner. En revanche, l’écart est spectaculaire en faveur du Chevalier-Montrachet 1992 qui semble beaucoup plus épanoui qu’il n’était au dîner. Il est riche goulu, goûtu, tout à fait dans l’image que l’on a de ce vin splendide. C’est un réveil remarquable.

Le Musigny 1985 est dans la ligne de ce qu’il offrait tantôt, avec une amertume bourguignonne maintenue. Le Clos de Tart 1988 a toujours la prédominance de l’alcool sur un message un peu fermé. Le Volnay 1976 n’a plus la fraîcheur qu’il avait au dîner. On sent que le froid l’a inhibé. Il nous reste pour la bonne bouche deux merveilles. Le reste (très peu) du Beaucastel 1970 est glorieux. De plus, on entre dans le sédiment très riche en goût. Ce vin est merveilleux, riche, sensuel et joyeux. Le final en fanfare est avec le Smith Haut-Lafitte 1961 magnifique de richesse et de densité, confirmant la qualité de ce 1961.

Mon fils croquait des chips et je grignotais un sandwich de gare. Nous étions bien loin de l’élégance de la cuisine de Laurent. De plus, les températures de service en cave n’ont rien d’orthodoxe. Mais retenons les points positifs : le Chevalier-Montrachet Leflaive 1992 devenu brillant, le Beaucastel confirmant son assise terrienne d’une belle richesse et le Smith-Haut-Lafitte 1961 au sommet de son art, gardé trente-six heures durant. Aucune vérité scientifique ne sortira de cette expérience sauf la joie avec mon fils d’avoir prolongé le bonheur d’une rencontre magique avec de grands vignerons.

Royal Kébir vendredi, 12 décembre 2008

Madame Claude-France Léon, fille de Roger Andréi, m’informe que c’est son père qui était maître de chais de Royal Kébir de Frédéric Lung sur la période entre 1935 et 1963.

C’est toujours intéressant de savoir qui est à l’origine des vins que j’adore.

Merci madame de me l’avoir signalé.

8ème dîner des amis de Bipin Desai avec 11 vignerons au restaurant Laurent mercredi, 10 décembre 2008

Pour la huitième année consécutive, je suis chargé d’organiser ce qu’il est convenu d’appeler le « dîner des amis de Bipin Desai », grand collectionneur et amateur américain, au savoir inégalable, qui réalise d’immenses dégustations verticales des plus grands vins de la planète. C’est l’occasion pour moi de convier des grands vignerons qui sont le plus souvent des amis. Ceux, rares, qui ne l’étaient pas, le sont devenus ce soir. Le dîner se tient au restaurant Laurent dont la capacité de réaction est légendaire.

Chaque vigneron a apporté un de ses vins, le plus souvent en magnum, et des habitués qui ne pouvaient venir se sont fait représenter par une bouteille. Didier Depond des champagnes Salon-Delamotte et Jean Hugel m’ont envoyé des vins, aussi quand Aubert de Villaine empêché m’a proposé d’en envoyer un je lui ai dit que nous étions en excès d’apports, ce qui est d’une grande abnégation car bien évidemment la présence d’un vin du domaine de la Romanée Conti m’eût comblé de joie.

Bipin Desai m’avait demandé quelque temps après de prévoir une place pour un grand commissaire priseur américain, spécialiste du vin, aussi, pour que nous ne soyons pas treize à table, j’ai rappelé un vigneron à qui j’avais dit non. La veille du dîner Bipin me prévient que son ami américain ne vient pas et me demande de convier un vigneron bordelais. La veille pour le lendemain, c’est mission impossible aussi est-ce mon fils qui fera office de quatorzième.

Pour citer les présents, je les nommerai dans l’ordre de leurs places à table, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre : Bipin Desai, Anne Claude Leflaive du domaine Leflaive, Richard Geoffroy du champagne Dom Pérignon, Jean Charles de la Morinière du domaine Bonneau du Martray, Frédéric Audouze mon fils, Etienne de Montille du domaine de Montille, Pierre-Henry Gagey de la maison Jadot, François Audouze, Florence Cathiard du château Smith-Haut-Lafitte, Jean Nicolas Méo du domaine Méo-Camuzet, Olivier Bernard du Domaine de Chevalier, Sylvain Pitiot du Clos de Tart,  Olivier Krug des champagnes Krug et Jean Pierre Perrin du Château de Beaucastel, voisin de gauche de Bipin Desai. La boucle est bouclée.

Au début de l’après-midi Bipin m’appelle pour me dire que son train venant de Toulouse et qu’il prend à Bordeaux, aura une demi-heure de retard. Je préviens par mail les convives mais ils sont tous partis de leur province. Alors qu’ils sont déjà arrivés au restaurant, Bipin me prévient qu’il est à la gare Montparnasse dans une file d’attente interminable, en quête de taxis qui sont rares. C’est l’occasion pour les présents de bavarder en l’attendant et de trinquer sur le Champagne Dom Pérignon rosé en magnum 1978.

J’avais été prévenu par Philippe Bourguignon qu’à part notre table, le restaurant était réservé par Jean Réno qui recevait ce soir la légion d’honneur de Nicolas Sarkozy. Pendant que nous bavardons dans le hall d’entrée nous pouvons voir arriver des personnes connues qui font normalement hurler d’hystérie leurs groupies. On pouvait s’attendre à un certain tumulte pendant la soirée. Il n’en fut rien.

Le champagne rosé dégorgé en 2003 est d’une couleur d’un rose de rose rose. C’est un rose que l’on montrerait volontiers comme la définition de la couleur rose. Dès la première gorgée, je suis conquis. N’étant pas naturellement un fan des champagnes rosés, je suis pris par le charme de ce champagne expressif, dont la première des qualités est d’être précis. Il est dessiné avec précision et laisse en bouche une trace profonde. C’est un champagne d’un charme rare et Geoffroy dira plusieurs fois : « c’est le pinot noir », comme le médecin de Molière disait : « le poumon ».

Nous passons à table à 21 heures sans Bipin qui nous rejoindra à la fin des amuse-bouche. Les rouelles de pied de porc et pomme de terre truffée absolument délicieuses sont à mon sens des amis des champagnes blancs. J’en avais fait la remarque à Philippe Bourguignon, et je voulais changer la place du Dom Pérignon rosé dans notre menu. Mais il eût fallu un plat de plus aussi avons-nous gardé cet ordre. La cohabitation du rosé avec le porc est possible mais limitée et on le mesure encore plus lorsque l’huître en gelée arrive. Elle fait briller le champagne rosé de façon admirable. Il gagne en longueur, en tension, et fouette la langue admirablement.

Sur la royale d’oursins dans un cappuccino, d’une douceur combinée à une sauvage trace iodée, nous avons deux champagnes. Le Champagne  Salon 1990 cadeau de Didier Depond non présent est un champagne puissant, extrêmement vineux. Mais il a un petit peu de mal à trouver sa place entre le rosé et le Champagne Krug 1979 en magnum. Le Krug est riche, au fruit large, à l’ampleur confortable. Le Salon fait un peu coincé à côté de lui mais ce que l’on remarque, c’est qu’aucun des deux ne diminue l’autre. Ils ont leur place. Le Krug est à peine moins vibrant que d’autres Krug 1979 que j’ai bus.

Sur un filet épais de turbot au naturel, les bardes enveloppées de laitue de mer et cuites vapeur, hollandaise au vinaigre de riz le Corton Charlemagne Bonneau du Martray en magnum 1986 me souffle immédiatement un mot : « parfait ». Tout en ce vin donne l’image de la perfection. Il est riche, charnu, profond, mais c’est sa présence indestructible qui impressionne. On le sent quasi éternel. A côté de lui, le Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive en magnum 1992 servi un peu trop frais a du mal à trouver sa voie. On sent qu’il est désavantagé d’être en parallèle avec le Corton Charlemagne. Anne Claude Leflaive en est marrie. Quand on fait abstraction de l’environnement, on retrouve le charme de ce grand vin expressif. Mais l’occasion est un  peu manquée. Il eût fallu que le Chevalier Montrachet soit seul sur un plat pour qu’il délivre la pureté qu’il a en lui, car c’est un grand vin de belle plénitude.

Richard Geoffroy demande quelle serait la représentation architecturale et spatiale du Corton-Charlemagne. Je lance l’idée de l’Arc de Triomphe, ce qui contrarie certains car ils y voient un côté massif. J’y vois plutôt le côté solide et structuré qui montre la résistance au temps. Si l’on veut une autre image, je risquerais le Pont Neuf, le plus ancien pont de Paris, bâti pour l’éternité.

C’est encore sur deux vins que l’on goûte les croustilles de ris d’agneau et tapenade de champignons. Lorsque je suis servi du Domaine de Chevalier rouge 1928 j’hésite. Car le parfum de framboise est si fort que l’on attendrait cela d’un vieux bourgogne. Pourrait-il s’agir du 1961 que Daniel, sommelier qui officie souvent avec moi, aurait confondu ? Non, car le Château Smith Haut Lafitte en magnum 1961 servi juste après est la définition la plus pure de 1961. Olivier Bernard dit que son vin avait son bouchon d’origine. Force est de reconnaître que ce 1928 puissant et chaleureux échappe à l’image des 1928 bordelais que j’ai bus. Son charme fruité est étonnant et de grand plaisir. A l’inverse, le 1961 est totalement au centre de la cible. C’est un vin d’un charme énorme et qui respire à pleins poumons ce que 1961 doit être, c’est-à-dire au sommet. J’ai dit à Florence Cathiard manifestement heureuse de la prestation de son vin qu’il a l’aisance dans le charme d’un George Clooney.

Etienne de Montille est arrivé avec son Volnay Taillepieds Domaine de Montille en magnum 1976 qu’il avait débouché puis rebouché. Tel qu’il se présente sur la poitrine de pigeon rôtie en cocotte, pommes soufflées Laurent, il est absolument merveilleux et me plait beaucoup par son discours facile, simple, qui n’en dit pas trop. A côté de lui, le Clos de Tart en magnum 1988 offre un alcool un peu visible et n’est pas au mieux de sa forme, ce dont Sylvain Pitiot convient. Je remarque alors, et c’est intéressant, que notre table étant assez longue, une moitié de table préfère généralement le vin du vigneron assis de son côté. Aussi les jugements à ma gauche et à ma droite ne sont pas les mêmes. J’ai aimé le Volnay pour le travail qui correspond à la personnalité d’Hubert de Montille. Le caractère un peu bridé du Clos de Tart ne correspond pas à l’excellente rénovation que Sylvain Pitiot a donnée depuis à ce grand vin.

Le Vosne Romanée Cros Parantoux Domaine Méo Camuzet 1991 est du premier millésime que le jeune Jean Nicolas Méo a fait. Il est d’un style très opposé au Musigny Grand Cru Louis Jadot en magnum 1985. Les deux vins cohabitent sur des ravioles d’abattis de pigeon et foie gras de canard dans un consommé truffé. Le bouillon met en valeur le Musigny, très précis, très subtil, qui n’est pas affecté d’être associé sur le plat avec le généreux et puissant Vosne Romanée. Les deux vins, dont aucun ne fait de l’ombre à l’autre, sont, chacun dans son registre, de grands bourgognes, de deux années qui expriment bien leur personnalité.

Si je m’étais fait à l’avance une idée sur chacun des vins de Bourgogne, qui ne fut pas contredite par la réalité, je n’avais aucun repère pour le Château de Beaucastel Chateauneuf du Pape en magnum 1970 qui, lui aussi, est le premier millésime fait par Jean Pierre Perrin. Je suis totalement bluffé. Car jamais je n’aurais imaginé une telle présence d’un vin serein, apparemment simple mais à la complexité subtile. L’équilibre et la sérénité sont impressionnants. Sur le filet de chevreuil relevé au poivre de Sarawak, betteraves jaunes caramélisées au coing, millefeuille de pomme gaufrette au chou rouge, le vin qui jouit d’être seul sur scène est impérial. Il me ravit.

Daniel Cathiard, qui présentait ses vins non loin du restaurant, vient nous rejoindre pour la fin du repas. Il a pu profiter de la suite de la dégustation.

 N’étant pas vigneron, j’ai puisé dans les vins que j’aime. On ne s’étonnera pas qu’il s’agisse d’un Château Chalon Jean Bourdy 1928 qui se présente, ô surprise, sur un Comté de 18 mois. Beaucoup d’amis vignerons sont ravis de goûter ce vin qui figure rarement sur leurs tables. Ce 1928 est diaboliquement bon depuis ses effluves intenses jusqu’à son final glorieux après un passage en bouche sensuel et généreux. Ce vin à l’équilibre immense que seul l’âge peut donner ne marque pas du tout la bouche qui reste fraîche même si elle en garde la mémoire.

Jean Hugel non présent a curieusement offert un vin très jeune, le plus jeune, un Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 2005. L’accord sur le craquelin à la framboise et aux litchis est diabolique. C’est Satan qui mène le bal. On meurt de bonheur quand le litchi du vin embrasse le litchi du dessert. Très sucré mais aussi très frais ce vin se boit bien même si l’on imagine la perfection qu’il atteindra dans quelques années.

Je prends la parole pour expliquer la présence de l’autre vin que j’ai apporté. Dans un récent bulletin, la photo de la première page était celle de cette bouteille et j’avais écrit : comme ce vin à 150 ans cette année, il faudrait le boire avant la fin de 2008. Quelle plus belle occasion pourrait exister que de boire ce Pajarette Arneaud 1858 avec des vignerons que j’apprécie ? Lorsque j’ai ouvert la bouteille avant le repas, j’aurais pu succomber de bonheur devant la richesse des arômes. Le parfum de ce vin est d’une force inégalable. En bouche, le vin est fort comme un muscat et ses évocations sont le poivre et le pamplemousse. Anne-Claude Leflaive dit et insiste qu’il s’agit de pépins de pamplemousse et elle a raison. Délicieux, frais, à la trace en bouche indélébile, ce vin dont le goût est inconnu de tous les vignerons présents est strictement au centre de ma recherche. C’est mon Graal, choisi pour plaire à mes amis.

Bipin Desai fait un discours dans lequel il remercie chacun. Il est évidemment ravi d’être honoré de cette belle façon. Dans ces dîners où des vignerons sont présents il n’est pas question de voter. Mais comme ce dîner a été fait à la façon de mes dîners et comme il portera le numéro 109, je vais quand même faire mon vote, dont on sait qu’il ne correspond qu’à mon goût, sans aucune prétention d’universalité.

Le premier sera le Pajarette 1858 parce qu’il est parfait, au centre de mes souhaits et parce que sa place dans l’histoire est porteuse d’une grande émotion. Je mettrai ensuite le Corton-Charlemagne parce qu’il m’a donné un sentiment de perfection tenace. Viendra ensuite le Beaucastel 1970 totalement inédit pour moi. Choisir ensuite devient plus dur, car j’ai adoré le Dom Pérignon rosé, l’image de conformité du 1961 du Smith Haut Lafitte, le charme du Volnay et la richesse du Vosne Romanée.

Comme il faut se décider, mon vote sera : 1 – Pajarette Arneaud 1858, 2 – Corton Charlemagne Bonneau du Martray en magnum 1986, 3 – Château de Beaucastel Chateauneuf du Pape en magnum 1970, 4 – Château Smith Haut Lafitte en magnum 1961, 5 – Champagne Dom Pérignon rosé en magnum 1978, 6 – Vosne Romanée Cros Parantoux Domaine Méo Camuzet 1991. 

Chacun des vins était très grand et de plus il avait été choisi pour des raisons où l’émotion n’est pas absente. La palme de l’accord, à mon goût, c’est le litchi et le Gewurztraminer, suivi du classique mariage Comté et Château Chalon, le 1928 ayant une rondeur et une personnalité apaisante de bonheur.

Le service fut parfait, toute l’équipe de Laurent étant ravie de retrouver tous ces grands vignerons qu’ils connaissent. Daniel a fait un travail de sommellerie parfait. Rires et communion ont caractérisé notre assemblée. Chacun de nous savait qu’il vivait un grand moment d’amitié. J’ai encore les yeux qui brillent en finissant ce compte-rendu.