Dîner avec deux Romanée Conti préphylloxériques vendredi, 17 janvier 2020

Mon ami Tomo et moi avons en commun un fournisseur de vins, qui est par ailleurs un grand amateur. Il nous avait proposé à la vente deux Romanée Conti préphylloxériques. J’ai suggéré que nous nous organisions tous les trois pour boire ces deux bouteilles ensemble. Un ami se joint à nous. Nous partagerons ces deux bouteilles à quatre et nous échangeons des mails pour définir les vins complémentaires d’un dîner qui se tiendra au restaurant Michel Rostang.

J’arrive le premier au restaurant pour ouvrir les vins qui ont déjà été livrés au restaurant. Tomo n’étant pas encore là je commence à ouvrir la bouteille de Chambolle-Musigny Amoureuses Domaine G. Roumier 1976. La capsule est percée en son milieu et le bouchon a baissé de deux centimètres dans le goulot. Je prends mes outils en main, j’ouvre la trousse et, oh stupeur, ce n’est pas celle que j’utilise d’habitude mais une autre de la même couleur qui contient divers outils. Il y a de quoi faire, mais ce ne sont pas les outils habituels. Et comme si un ange gardien veillait sur moi, ce sont ces outils qui vont se révéler les plus adaptés pour soulever un bouchon très abaissé. Le haut du bouchon paraît solide comme un roc mais il s’est rétréci. Je prends une mèche fine dont le pas est au moins deux fois plus long que celui d’un tirebouchon normal. C’est comme si l’on avait pris un tirebouchon et qu’on l’ait étiré à l’extrême. Par le petit espace que me laisse le haut de bouchon rétréci, je peux piquer la fine mèche. Mais il faut la remonter et je n’ai aucune prise. Or il y a dans cette trousse une fourchette qui n’a que deux dents et dont les deux dents sont très rapprochées. Je peux faire levier sur le goulot avec cette fourchette pour que la mèche remonte avec le bouchon. Mais cette opération a des limites aussi il faut maintenant piquer un tirebouchon classique pour tenter la remontée. Les deux outils se gênent, la mèche et le tirebouchon. Il me faudra plus de dix minutes pour que le bouchon soit sorti.

L’odeur du vin est jolie et fruitée, mais quelques secondes plus tard je sens que le vin pourrait surir. Il est opportun de mettre un bouchon neutre sur la bouteille pour éviter toute dégradation du vin.

J’ouvre ensuite le Clos Haut-Peyraguey Sauternes 1947. Le bouchon se brise en de nombreux morceaux mais ne pose aucun problème. Le parfum est noble et précis et annonce un sauternes plutôt sec mais plaisant.

Tomo arrive avec son apport qui est un Meursault-Charmes Paul Roulot-Hervé 1959. Je ne pouvais pas imaginer que le grand-père de Jean-Marc Roulot pût avoir un humour aussi particulier. Que lit-on sur l’étiquette ? Confrérie de la Pochouse avec cette mention : agréé et recommandé par le Grand Conseil de l’ordre de la Confrérie de la Pochouse. On peut supposer que les membres sont d’aimables pochtrons. Et la devise dans l’écusson est :  »J’ons de la Gueule & J’savons nager ». Tout un programme ! On devait bien rigoler avec Paul. L’ouverture est facile car le bouchon vient entier, tout beau et frais. Le nez est très prometteur.

Il est temps maintenant d’ouvrir les deux Romanée-Conti. La 1942 a son étiquette et l’étiquette du millésime qui sont intactes et la cire qui couvre le haut du goulot porte clairement l’indication  »vigne originelle française non reconstituée ». La 1940 n’a plus d’étiquette et plus de cire. Elle est toute nue et l’on peut voir clairement le bouchon à travers le verre, ce qui permet de lire le millésime et l’inscription en plus du nom du vin de  »vigne originelle française non reconstituée ». Aucun doute n’est possible sur l’authenticité de ces deux bouteilles dont nous sommes tous les quatre les copropriétaires. Le niveau de la 1940 comme de la 1942 est d’environ 8 centimètres sous le bouchon. Les bouchons se déchirent et viennent en morceaux mais sans vrai problème. Le nez de la 1940 est magnifique. Celui de la 1942 est prometteur. Il n’y a pas de place pour le doute.

La bouteille que j’ai apportée n’est pas en reste en ce qui concerne l’abondance des écritures. Il s’agit d’un Champagne Jacquesson Perfection 1947. Pourquoi Perfection, je ne le sais pas. Une étiquette en losange dit :  »as originally supplied to Napoleon the Great ». Et pour enfoncer le clou, on dit  »médaille d’or donnée en 1810 par Napoléon à la maison Jacquesson pour la beauté et la richesse de ses caves ». En 1947 le sens du marketing était déjà fort poussé. Elle sera ouverte tout-à-l ‘heure.

Le troisième compère nous rejoint et le quatrième viendra plus tard. Pour tuer le temps, j’ouvre une bouteille dont je n’avais parlé à personne, mais l’idée d’ouvrir une bouteille de vignes préphylloxériques en même temps que les deux Romanée Conti m’avait plu. C’est un Champagne Bollinger Blanc de Noirs Vieilles Vignes Françaises 2000. Le bouchon est évidemment sans histoire. Le liquide a une couleur légèrement ambrée, à peine, et un nez puissant. Le vin est riche, viril car c’est un blanc de noirs conquérant comme un chevalier teutonique. Ce vin se montre nettement supérieur à ce que j’attendais, même si ce que j’attendais était grand. C’est sa richesse et sa puissance de conviction qui me conquièrent.

Pendant que j’officiais pour ouvrir les vins, le chef Nicolas Beaumann est venu me voir pour composer le menu. Comme nous nous connaissons bien il n’a pas fallu longtemps pour se mettre d’accord à la fois sur les plats mais aussi sur les accompagnements. Le menu conçu par Nicolas Beaumann est : la Saint-Jacques et la truffe noire / la sole petit bateau / la volaille de Bresse truffée sauce Périgueux / la côte de veau contisée à la truffe noire / la poire conférence rôtie.

Le fait que pour les deux Romanée Conti le veau soit contisé est un clin d’œil qui ne me laisse pas indifférent. Contiser, c’est glisser sous la peau ou la chair fine des lamelles de truffe comme en un demi-deuil.

Nous sommes maintenant quatre et nous passons à table. On nous sert des tout petits sandwichs à la sardine dont le goût est délicieux et fort et qui tirent du Bollinger des notes merveilleuses. C’est éblouissant.

Baptiste, le sympathique sommelier, connait mes habitudes et me laisse ouvrir le Champagne Jacquesson Perfection 1947. Le bouchon se cisaille et le bas du bouchon vient au tirebouchon. Le vin est nettement plus ambré que le précédent. Le nez est sympathique. Il n’y a pas de bulle, mais le pétillant est bien là. Le champagne est doucereux à l’attaque et le milieu de bouche est plus vif, car le champagne n’est pas trop dosé. Il va gagner en énergie avec les coquilles coupées en strates séparées par des rondelles de truffe. J’adore ce champagne aux myriades d’évocations de fruits rouges, blancs, et de noix. Il est doté d’une belle longueur et ne donne pas de signe d’âge, dans la plénitude de sa maturité.

Sur la délicieuse sole, on sert le Meursault-Charmes Paul Roulot-Hervé 1959. Le nez de ce vin est un tel trésor d’intensité et de volupté que l’on pourrait se contenter de sentir sans boire. Ce nez est renversant. En bouche il est riche d’une minéralité exemplaire car elle est très présente sans brider la générosité du vin de belle longueur. Ce parfum m’a conquis.

Le Chambolle-Musigny Amoureuses Domaine G. Roumier 1976 va diviser la table en deux, ceux qui comme moi acceptent avec joie le message d’un vin joyeux au beau fruit rouge, sans grande complexité mais très droit et ceux qui trouvent le vin un peu dévié. Je l’ai reçu tel qu’il se présente, franc et bien dans son appellation. Il faut dire que le temps passant, l’envie de passer aux deux vedettes de la soirée se faisait de plus en plus forte et me rendait plus tolérant. La volaille est absolument délicieuse et faite pour mettre en valeur tous les vins.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1940 est servie en même temps que la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1942. La 1940 a une couleur un peu terreuse, alors que la 1942 a une couleur d’un rouge plus vif et plutôt plus foncé que les couleurs des Romanée Conti. Ce qui est amusant est qu’il va y avoir deux clans opposés pour ces deux vins. Tomo et moi sommes subjugués par la 1940 qui a l’âme de la Romanée Conti avec cette présence si nette de sel et cette absence de concession. Ce vin est terrien comme sa couleur, et dégage une impression d’ascèse. C’est un moine cistercien dans sa longue robe de bure dont il a la couleur. De l’autre côté, nos amis sont sensibles à la richesse fruitée du vin de 1942, à son opulence et sa largeur. Le vin est glorieux, mais si je n’avais pas la certitude de l’authenticité de la bouteille que j’ai ouverte, je me demanderais si le vin n’est pas trop ample pour une Romanée Conti. C’est curieux qu’il y ait deux camps aussi nettement opposés. Le veau avec une sauce riche et une abondance de truffes est parfaitement adapté à la force préphylloxérique des deux vins. La deuxième partie de la bouteille de 1942 va être une illumination pour moi. Car dans sa deuxième moitié, a priori la plus dense, la 1942 devient miraculeusement la Romanée Conti que j’attendais. Le sel imperceptible jusqu’à présent se montre et se renforce et la trace miraculeuse des Romanée-Conti apparaît comme par enchantement. Et la lie sera d’un plaisir sans pareil. Les deux Romanée Conti se retrouvent, mais la 1940, plutôt plus marquée par le poids des ans, est transcendantale. Et nos amis du clan de la 1942 vont nous rejoindre pour convenir que la 1940 est de loin la plus émouvante, avec cette âme qui se fond dans la nôtre.

Si l’on avait besoin de se rassurer de la complexité des deux Romanée Conti, il suffit de prendre une goutte du Chambolle-Musigny pour mesurer à quel point un monde les sépare. La rencontre avec la 1940 fait entrer dans le paradis de la Romanée Conti, où les vins sont de recueillement. Nous sommes conscients que nous vivons un moment unique. Je suis content que la 1942 ait fini par délivrer ce que j’espérais. Les lies des deux vins sont une entrée au paradis. Les Romanée Conti préphylloxériques racontent une histoire qui ne se reproduira plus jamais.

Le roquefort n’est pas le meilleur ami des sauternes, mais celui-ci a suffisamment de délicatesse pour accompagner le Clos Haut-Peyraguey 1947 à la couleur incroyablement sombre. Le nez est celui d’un sauternes qui a mangé son sucre et la bouche est raffinée et d’une puissance que l’on n’attendrait pas de ce vin. Il n’a pas la largeur des plus grands mais il est très incisif et poivré, riche et tout en longueur.

La poire est un dessert parfait pour ce beau sauternes.

Nous avons fait goûter quelques vins à Baptiste et au chef. Le service est toujours aussi attentionné, la truffe fut abondamment coupée en lamelles au-dessus de nos assiettes et Baptiste a officié – quand je l’ai laissé faire – avec tact et bienveillance.

La pertinence des plats m’a impressionné. Les goûts d’une pureté extrême m’ont laissé penser que l’on est dans la zone qui flirte avec les trois étoiles. Tout est réuni pour qu’il en soit ainsi.

Nous votons pour les sept vins du repas et sans la moindre surprise c’est la Romanée Conti 1940 qui est nommée première par nous quatre. La Romanée Conti 1942 est nommée deuxième par mes trois compères et troisième pour moi car je mets le Meursault en second. Ledit Meursault est troisième pour eux trois. Nous différons pour le quatrième vin. Celui qui a apporté le Roumier 76 vote pour lui. Tomo vote pour le Bollinger VVF 2000, et nous sommes deux à mettre en quatrième le Jacquesson 1947.

Des soirées émouvantes comme celles-ci sont des cadeaux du ciel et un cadeau aussi de ceux qui ont réussi ces beaux vins.

le chiffre 1940 est visible à travers le verre, avec l’inscription Vignes originelles françaises non reconstituées

la cire de la Romanée Conti 1942 porte aussi la mention de vignes originelles françaises non reconstituées

le Meursault n’est pas sur cette photo de groupe. L’ordre sur la photo : Jacquesson 1947, Chambolle Musigny Roumier, Romanée Conti 1942, 1940 et le sauternes.

couleurs du Bollinger, du Jacquesson et de la Romanée Conti 1942

Bulletins du 2ème semestre 2019, de 837 à 857 lundi, 6 janvier 2020

Cliquez sur le bulletin de votre choix ci-dessous :

(bulletin WD N° 857 191231)   Le bulletin n° 857 raconte : au Grand Tasting un atelier gourmand, une Master Class du Château Grand Corbin-Despagne, des visites aux stands, la Master Class de prestige « Le Génie du Vin », une Master Class consacrée aux champagnes Charles Heidsieck et d’autres visites aux stands.

(bulletin WD N° 856 191226)   Le bulletin n° 856 raconte : dîner de gala de l’Académie du Vin de France au restaurant Laurent, 33ème séance de l’académie des vins anciens au restaurant Macéo et au Grand Tasting de Bettane et Desseauve, Master Class consacrée au vin Penfolds Grange.

(bulletin WD N° 855 191217)   Le bulletin n° 855 raconte : dégustation verticale extensive des champagnes Legras & Haas au siège de cette maison de champagne et dîner au restaurant Le Millénaire à Reims à l’invitation de Jérôme Legras.

(bulletin WD N° 854 191210)   Le bulletin n° 854 raconte : au siège de la maison Bouchard Père & Fils, dégustation de nombreux vins de 2018 et dîner au château de Beaune avec des vins magistraux.

(bulletin WD N° 853 191203)   Le bulletin n° 853 raconte : déjeuner avec ma fille, soixantième anniversaire du domaine Méo-Camuzet au château du Clos de Vougeot, retour sur un merveilleux riesling, déjeuner de conscrits au siège du Yacht Club de France.

(bulletin WD N° 852 WD 191126)   Le bulletin n° 852 raconte : dîner à la Manufacture des caviars Kaviari, sur la cuisine du chef étoilé Christophe Moret, 19ème dîner des amis de Bipin Desai, dîner de vignerons, au restaurant Laurent, 239ème dîner.

(bulletin WD N° 851 191119)   Le bulletin n° 851 raconte : dîner au restaurant David Toutain, déjeuner à La Londe-Les-Maures au restaurant Cédric Gola et déjeuner au restaurant Pages, avec des accords extrêmes.

(bulletin WD N° 850 191105)   Le bulletin n° 850 raconte : déjeuner au restaurant Saint-Germain de l’hôtel Lutetia, déjeuner dans ma cave avec un Tokaji vers 1840 et un Madère vers 1740 qui est probablement le plus grand vin de ma vie, dîner chez des amis et déjeuner au restaurant Laurent.

(bulletin WD N° 849 191029)   Le bulletin n° 849 raconte : déjeuner au restaurant Le Petit Sommelier, déjeuner au restaurant Chiberta, apéritif aux Caves Legrand, nouveau déjeuner de conscrits au restaurant Le Petit Sommelier.

(bulletin WD N° 848 191022)   Le bulletin n° 848 raconte : nouveau déjeuner au restaurant Le Train Bleu, apéritif brunch, déjeuner de conscrits au Yacht Club de France, accident d’un Yquem 1967, déjeuner au restaurant L’Ecu de France et déjeuner de famille avec un beau champagne.

(bulletin WD N° 847 191015)   Le bulletin n° 847 raconte : dîner de famille avec des vins inhabituels, déjeuner au restaurant Pages avec une sauce irréellement parfaite, dîner de famille, colloque sur l’avenir du vin en relation avec l’hôtellerie et la restauration et déjeuner de presse au restaurant Marsan d’Hélène Darroze en l’honneur d’un vignoble du Rhône.

(bulletin WD N° 846 191008)   Le bulletin n° 846 raconte : déjeuner de presse à la manufacture des caviars Kaviari, dîner au restaurant Le Train Bleu, dîner de famille, déjeuner à l’Auberge du Bonheur, déjeuner à la brasserie La Rotonde, dîner avec mon fils avec des vins atypiques.

(bulletin WD N° 845 191001)   Le bulletin n° 845 raconte : plusieurs repas lors du séjour d’une amie américaine dans le sud, réception chez des amis, déjeuner au restaurant Laurent et dîner au restaurant la Vague d’Or à Saint-Tropez (Cheval Blanc), à quatre mains avec Arnaud Donckele et Arnaud Lallement.

(bulletin WD N° 844 190924)   Le bulletin n° 844 raconte : déjeuner puis dîner de ‘gala’ à la maison, pour les festivités du 15 août, déjeuners et dîners avec une américaine fidèle de mes dîners et bien sûr de grands vins.

(bulletin WD N° 843 190917)   Le bulletin n° 843 raconte : nouveau déjeuner au restaurant L’Hemingway à La Londe des Maures, dîners avec mes enfants, apéritif de préparation des dîners du 15 août, déjeuner de 15 août chez des amis, dîner au Cheval Blanc Saint-Tropez, d’Arnaud Donckele.

(bulletin WD N° 842 190910)   Le bulletin n° 842 raconte : présentation officielle du Champagne Salon 2008 et déjeuner au siège des champagnes Salon et Delamotte, déjeuner et dîner avec mon fils et des amis, déjeuner au restaurant l’Hemingway à la Londe des Maures, dîner à la Vague d’Or de Saint-Tropez dont le nouveau nom est « Cheval Blanc Saint-Tropez ».

(bulletin WD N° 841 190903)   Le bulletin n° 841 raconte : le 238ème dîner de wine-dinners au restaurant Garance, dîner dans le sud avec une femme chef à Tahiti, déjeuner avec des amis parisiens et dîner avec des amis régionaux dans notre maison du sud.

(bulletin WD N° 840 190827)   Le bulletin n° 840 raconte : Déjeuner de conscrits au Yacht Club de France, dîner au restaurant Michel Rostang avec une magique et sublime Romanée-Conti, dîner avec mon fils.

(bulletin WD N° 839 190820)   Le bulletin n° 839 raconte : déjeuner au restaurant Penati Al Baretto sur le thème de la Sardaigne, dîner avec mon fils et des vins d’âge canonique, dîner d’amis au restaurant Le Gaigne.

(bulletin WD N° 838 190709)   Le bulletin n° 838 raconte : deuxième dîner à l’Auberge du Vieux Puits de Gilles Goujon, déjeuner avec des amis polytechniciens de ma promotion et déjeuner au restaurant l’Escudella.

(bulletin WD N° 837 190702)   Le bulletin n° 837 raconte : déjeuner à Narbonne à La Table Saint-Crescent, restaurant une étoile, dîner à l’Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse, où Gilles Goujon a trois étoiles et cassoulet au petit-déjeuner !

Livre sur Gevrey-Chambertin vendredi, 3 janvier 2020

Jacky Rigaux et Christian Bon publient aux éditions Terres en Vues le livre « Gevrey Chambertin, joyau des climats de Bourgogne« .

Jacky est connu pour ses travaux sur la dégustation du vin mais aussi pour son amitié avec Henri Jayer qui a donné lieu à des récits passionnants.

C’est un livre qu’il faut lire pour comprendre encore mieux la fascinante Bourgogne, décrite par un passionné érudit.

Souscription :SOUSCRIPTIONS PUBLIC (1) livre de Jacky Rigaux

Dîner de la Saint-Sylvestre 2019 mercredi, 1 janvier 2020

A quatre heures de l’après-midi, j’ouvre les vins du dîner de la Saint-Sylvestre. Le bouchon du Montrachet 1997 paraissait sain, mais le bas se brise en mille morceaux d’un liège léger et des petits morceaux restent dans le liquide, car je n’ai pas dans le sud des outils aussi performants qu’à Paris. Le Pape Clément 1982 d’un ami, au niveau entre mi-épaule et basse épaule n’est pas très glamour, mais l’oxygénation lente devrait le reconstituer. Tellement confiant en le Richebourg 1988 je n’ai pas senti le nez de bouchon que je découvrirai à table. Les autres vins s’ouvrent sans histoire.

Pendant l’après-midi la cuisine bruisse de préparations plus sophistiquées les unes que les autres dans la recherche de leur simplicité. A 20 heures précises notre groupe de huit est formé.

L’apéritif commence par des petites tranches de foie gras mi- cuit posées sur du pain aux céréales qui accompagnent le Champagne Lanson Red Label 1964 qui se présente dans la belle bouteille en forme de quille. Le bouchon est venu en deux morceaux car la torsion l’a cisaillé. Le champagne est d’un bel or acajou clair, la bulle est active. Ce champagne est une explosion de fruits exotiques. Il projette ses complexités comme en un feu d’artifice. C’est un champagne joyeux, dynamique et impressionnant par son fruit généreux et ces complexités innombrables. Une poutargue bien grasse n’apporte pas la continuité gustative qu’offre le foie gras.

L’ami qui a apporté le Champagne Exquise de Jacques Selosse souhaitait que son champagne apparaisse en second alors que l’inverse eût été préférable, car ce très joli champagne dégorgé en avril 2011 et dosé à 20 grammes, ce qui en fait un champagne presque doux, s’il apporte du plaisir, n’a pas les complexités du Lanson. Il est associé à des tranches de boudin blanc à la truffe et c’est un véritable régal. Ce qui est curieux, c’est que ce champagne encore jeune a une couleur ambrée très proche de celle du Lanson, montrant une évolution qu’il ne devrait pas avoir tant il est jeune. Son goût est agréable et inhabituel du fait de son dosage. Nous l’avons aimé.

Selon la tradition j’ai préparé des charades introuvables pour que chacun essaie de repérer sa place autour de la table. C’est l’occasion de rires. J’avais pressenti que les deux champagnes ne seraient plus en piste à la fin de l’apéritif, aussi pour le premier plat au caviar, je vais vite ouvrir un Champagne Salon 1997. Il est d’une couleur très claire. Le nez est superbe et la bulle active. Ce champagne depuis quelque temps est dans un état de grâce absolu. Il est d’une vivacité extrême, tranchant mais aussi très noble. Sur chaque assiette il y a neuf tranches de coquilles Saint-Jacques crues surmontées de caviar osciètre prestige Kaviari et un petit monticule de caviar à manger seul. Qu’y a-t-il de plus grand que l’accord du sucré de la coquille avec le salé du caviar ? Cet accord est divin et le champagne est idéal pour sceller cette union. Le caviar seul est évidemment plus salin et excite le palais. Le Salon 1997 s’adapte et montre sa grandeur. Il a révélé toutes les nuances iodées du plat.

Le plat suivant est de coquilles Saint-Jacques juste poêlées qui accompagnent un Montrachet Louis Jadot 1997. Le vin est servi beaucoup trop froid aussi nous aurons du mal à en profiter pleinement. Le vin s’épanouira quand même un peu et montrera qu’il a la fierté des montrachets. C’est un vin riche et complexe, solaire, formant un accord naturel avec les délicieuses coquilles, cuites à la perfection, à la seconde près.

Pour les suprêmes de pigeon, j’ai prévu deux vins. Le Château Pape Clément 1982 est d’une densité extrême. Il est truffe, il est charbon, avec une structure forte. Il se boit bien et l’accord se trouve, de bonne mâche.

Le Richebourg Anne Gros 1988 hélas est bouchonné. On cherche à lire entre les lignes et à retrouver l’âme de ce richebourg raffiné, mais quelle que soit notre ouverture d’esprit, le fait est là, le goût de bouchon tue le plaisir. La chair des pigeons est magnifique et la cuisson parfaite. Tous les plats jusqu’à présent sont fondés sur la qualité des produits.

Notre ami boucher, partenaire de belles agapes nous avait réservé une belle pièce de bœuf Wagyu qui a été cuite selon ses instructions données au téléphone. La viande est magnifique. Le Vega Sicilia Unico 1969 est d’une couleur très foncée et jeune. Le parfum est intense et lui aussi très jeune. En bouche ce vin est exceptionnel. Il a la vivacité habituelle des Vega Sicilia mais il y ajoute cette cohérence de saveurs que donne l’âge. C’est un vin majestueux. Et l’accord est d’une pertinence absolue, comme si viande et vin étaient fait l’un pour l’autre. Ce vin espagnol est exceptionnel ce que confirmeront les votes. La décennie des années 60 est une des plus glorieuses pour ce vin qu’on appelle parfois « la Romanée Conti d’Espagne ».

Il y a une telle profusion de fromages dont un imposant saint-nectaire apporté par des amis que j’ouvre vite un vin non prévu au programme initial, un Vega Sicilia Unico 2005. Et c’est amusant de pouvoir goûter ces deux vins, le 1969 et le 2005, qui se complètent plus qu’ils ne rivalisent. Le 2005 est un cheval fou de jeunesse, avec cette fraîcheur mentholée dans le finale qui est si caractéristique, mais il sait se montrer respectueux de son aîné beaucoup plus complet et intégré.

Une fois de plus nous vérifions que le Vega Sicilia Unico forme avec un camembert Jort un accord parfait. Avec le saint-nectaire, c’est un bonheur complet.

Le stilton est servi maintenant, seul en piste, pour accueillir le Riesling Famille Hugel Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles 1976. Une amitié profonde s’était forgée entre le regretté Jean Hugel et moi. Jean me confiait souvent que sa grande fierté était d’avoir réussi les vins de 1976. J’en avais donc acquis sur la foi de ses confidences et le vin que nous buvons est absolument exceptionnel. Il est doux, mais on le sent plutôt sec que doux, il a une acidité merveilleuse, et c’est un immense bouquet de saveurs raffinées. Je suis aux anges et j’ai évidemment une pensée émue pour ce grand vigneron. Le stilton est un des meilleurs que j’aie mangés, avec un gras noble. La combinaison est superbe et l’émotion est grande. La finesse de ce riesling m’a impressionné et mon vote le confirmera.

La mousse au chocolat accompagne (ou est-ce l’inverse ?) un Maury des Vignerons de Maury 1947. Ce vin doux qui titre 16° est d’une fraîcheur rare. Il est riche, mais fluide, et même subtil. L’accord est d’une évidence indiscutable. En le buvant, on a un goût de chocolat qui appelle le dessert.

Ce dîner ayant été organisé comme l’un de mes dîners de wine-dinners, nous votons pour les quatre meilleurs vins parmi les dix servis. Nous sommes sept à voter. Trois vins ont eu des votes de premier, le Vega 1969 quatre fois, le Riesling Hugel 1976 deux fois et le Vega 2005 une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Vega Sicilia Unico 1969, 2 – Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1976, 3 – Vega Sicilia Unico 2005, 4 – Champagne Lanson 1964, 5 – Champagne Exquise Jacques Selosse.

Mon vote est : 1 – Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1976, 2 – Champagne Lanson 1964, 3 – Vega Sicilia Unico 1969, 4 – Maury 1947.

La cuisine fondée essentiellement sur le produit majeur du plat est idéale pour les vins. Caviar, coquilles, pigeons, Wagyu, saint-nectaire, stilton, mis en valeur par eux-mêmes ou par la préparation et la cuisson ont été de la plus belle qualité. Le plat qui m’a le plus ému par sa délicatesse est celui des coquilles juste poêlées. Tout a été réuni pour que nous entrions dans une nouvelle année et une nouvelle décennie dans une atmosphère chaleureuse, amicale, de belle gastronomie.

Dîner la veille de la Saint-Sylvestre mercredi, 1 janvier 2020

Le plateau de fruits de mer prévu pour le déjeuner était si copieux que nous avons reporté au dîner les immenses pattes de crabes royaux. J’ai ouvert deux vins dans le milieu de l’après-midi. Le Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel blanc Vieilles Vignes 2007 a une jolie couleur d’un bel or clair. Le nez est marqué par un léger goût de bouchon qui n’empêche pas de saisir le message général du vin, mais écorne le plaisir de boire. C’est un vin riche, plein, avec l’ampleur fumée que donnent les vieilles vignes, mais, quelle que soit sa qualité, on ne peut ignorer la petite trace de liège. On l’oubliera plus tard dans le repas, prenant conscience de la force de caractère de ce blanc bien né.

Par quel miracle est apparue dans ma cave du sud cette bouteille de Paviglia Coteaux d’Ajaccio de F. Mercury sans année qui doit être des années 80 ? A travers le verre de la bouteille on imagine un blanc, alors qu’il s’agit d’un rosé. Le nez à l’ouverture était assez neutre mais sans défaut. Il est maintenant plus affirmé et engageant.

Plus le vin s’ouvre dans le verre, plus la densité de ce rosé va s’affirmer. C’est un beau rosé bien droit, légèrement fumé, assez riche et de bonne mâche, à la longueur plaisante. Et l’on se fait plaisir avec ce vin totalement inattendu. Il a même tenu sa place sur un camembert Jort et sur une tarte aux mirabelles. On lit sur l’étiquette F. Mercury ce qui fait penser un instant à Freddie Mercury, le légendaire chanteur de Queen, mais c’est François Noël Mercury, vigneron décédé en 2019. Le mystère de cette bouteille figurant dans ma cave reste entier.

déjeuner la veille de la Saint Sylvestre lundi, 30 décembre 2019

Nous sommes descendus dans le sud pour le réveillon de fin d’année. Les premiers amis arrivent la veille. Un restaurateur du port de notre petite ville propose des plateaux de fruits de mer. Nous avions pu goûter chez des amis la qualité de leurs produits. Je commande un plateau simplifié, avec petites huîtres, crevettes roses et à ma grande surprise, le chef du lieu a rajouté des crabes royaux.

Pour le déjeuner du 30 décembre, j’ouvre un Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 2005. Dès la sortie commerciale de ce champagne, j’avais été conquis alors que l’année ne figure pas parmi les plus grandes. Le pschitt est fort, la bulle est conquérante et la couleur très jeune est d’un or aussi conquérant que la bulle. Dès la première gorgée, on entend le champagne qui nous dit : « je suis champagne, je suis LE champagne ». De plus en plus j’aime aller dans le sillage de Jacques Puisais qui considère les vins comme des êtres vivants qui s’expriment comme tels. Car ce champagne s’affirme et nous montre l’image du champagne consensuel. Il en est de plus vifs, de plus typés, mais ce champagne représente la définition du bon champagne. Il est large et joyeux. Les petites huîtres le rendent plus vif, cinglant, alors que les crevettes l’assagissent. Tout est fort agréable et copieux aussi préférons-nous réserver les pinces de crabes pour le dîner.

Pour apprécier les crevettes, j’ai ouvert un Champagne Krug Grande Cuvée Première Génération dont l’étiquette est d’un vert avocat. Il est du milieu des années 80. Le pschitt existe, la bulle est fine et généreuse, et la couleur est d’un bel or ambré. Dès la première gorgée on est saisi par la complexité incroyable de ce champagne. Pour paraphraser la description précédente inspirée de Jacques Puisais, ce champagne nous dit : « je suis le charme ». Car tout en lui, toute cette abondance de complexités ne conduit qu’à une chose, le charme absolu. L’acidité faite de petits fruits roses acides comme la groseille ou la framboise concourt à ce charme. Il est d’une dimension qui dépasse ce que l’on peut concevoir. J’imagine volontiers que ce champagne exprime le souhait ultime du fondateur de Krug, Joseph Krug en 1843.

En attendant les crêpes, je découpe de fines tranches de gouda au cumin qui collent à merveille avec le champagne et les crêpes qui suivent donnent au champagne un supplément de sensualité.

Le Taittinger était LE champagne, le Krug était LE charme. Nous étions au sommet de ce que le champagne peut offrir de plaisir.

Les deux repas de Noël en famille samedi, 28 décembre 2019

Mon fils, étant retourné à Miami, va fêter Noël avec sa femme et ses deux enfants. Nous allons fêter Noël avec mes deux filles et leurs quatre enfants. L’apéritif commence avec des rillettes, un fromage gouda au cumin, et des petits canapés cuits au four dont des mini croquemonsieurs. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1976 est venu directement de la maison Henriot dans ma cave, avec une étiquette Enchanteleurs alors qu’à l’époque le champagne s’appelait Baccarat. Le bouchon saute dans mes mains à l’ouverture dans une belle explosion d’un beau bruit. Le bouchon est bien chevillé ce qui indique un dégorgement ancien. La bulle est fine et active.

Le nez de ce champagne est absolument impressionnant tant il est complexe et riche. On pourrait se contenter de sentir ce champagne tant ce parfum est gratifiant, mêlant fruits, fruits confits, mendiant et des myriades de senteurs. En bouche, c’est un choc que je ressens. Je situerais ce champagne dans l’élite de l’élite car il est à un stade d’accomplissement quasi incroyable. Il y a des fruits larges et dorés qui envahissent le palais. Mes filles et l’aînée de mes petits-enfants, qui commence à goûter les vins, sont subjuguées par la richesse et la perfection de ce champagne qui amène dans des territoires inconnus car aucun des grands champagnes que je bois n’a un fruit aussi généreux. Sa plénitude est extrême. Ce champagne est dans un moment de grâce unique et je le mets volontiers au firmament, en compagnie de tous les plus grands champagnes que j’ai pu goûter. Les rillettes sont parfaites alors que le gouda est un peu fort pour ce 1976. Les petits fours sont parfaits. C’est un grand moment que nous venons de vivre.

La distribution des cadeaux suit l’apéritif et l’air du temps a marqué les choix des donateurs, car la grande majorité des cadeaux ont une empreinte carbone sans commune mesure avec les cadeaux délirants de jadis. Ce qui m’a frappé pendant ces échanges de cadeaux, c’est la capacité de mes petits-enfants à s’enthousiasmer. Chaque cadeau est célébré avec des ‘oh’ et des ‘ah’ comme s’il s’agissait du plus merveilleux cadeau que l’on pût imaginer. Cette fraîcheur d’esprit est en soi un magnifique cadeau.

Le cœur de saumon pressé est accompagné par un Chassagne Montrachet Jean-Pierre Bloud 1980. Je l’avais choisi en cave du fait de sa magnifique couleur très jeune et de son niveau parfait. Et ce vin clair, au parfum discret tient bien son rôle. On n’en attend pas des miracles, mais il est joyeux, de belle mâche, avec une aimable ampleur en bouche. Ce vin de 39 ans n’a pas d’âge tant il est frais et vif. J’aime donner leur chance à de tels vins.

Le cuissot de porcelet recouvert de fines tranches de truffes d’été est accompagné par une Côte Rôtie La Mouline Guigal 1983. Le nez à l’ouverture il y a plus de quatre heures était d’une délicatesse infinie. Le parfum est toujours aussi charmant et en bouche ce vin riche et puissant se caractérise par un seul mot : ‘velours’. Ce vin est velours. Il est facile à lire, généreux et spontané et ce qui est intéressant, c’est que ses 36 ans n’ont pas entamé sa spontanéité. C’est un vin de plaisir pur.

Divers fromages permettent de continuer à boire ce vin, dont vacherin, camembert et une délicieuse pâte molle que je n’ai pas reconnue.

Ma fille aînée a apporté deux magnifiques et artistiques buches et il est décidé qu’une seule sera partagée ce soir, l’autre surmontée d’un renard en marron sera découpée au déjeuner demain. Le Champagne Krug rosé des années 90 est dans une bouteille d’une rare beauté, aux couleurs de vieux rose délicat. Le bouchon est bien chevillé, confirmant qu’il a nettement plus de vingt ans. La couleur est d’un joli rose de pêche et la bulle est assez active. Le champagne est noble et raffiné, mais on mesure à quel point le champagne Henriot nous a offert un moment rare, ce qui laisse à penser que l’Enchanteleur était dans une forme irréellement exceptionnelle.

C’est maintenant le grand moment, car ma fille aînée n’avait pas bu les vins antiques que j’avais partagés avec mon fils et ma fille cadette. Et alors que le Madère ~ 1740 et la Malvoisie ~ 1790 avaient été bus à des moments différents, nous allons les boire ensemble. Plusieurs choses sont subjuguantes. Tout d’abord les couleurs, plus rouges pour la Malvoisie mais toutes deux d’une jeunesse incroyable. Ensuite ces deux vins sont arrivés à un stade intemporel de perfection. Cela veut dire que si l’on imaginait que ces deux bouteilles soient ouvertes dans deux cents ans au lieu de 2019, on aurait strictement les mêmes vins qui ont trouvé un équilibre indestructible. Et cette idée comble d’aise l’amateur que je suis car il s’agit de la forme ultime du vin éternel.

Les deux vins sont très différents. La Malvoisie 1790 est vive, d’une acidité remarquable qui lui donne de la fraicheur et le poivre est insistant dans le finale. Le Madère 1740 est beaucoup plus doux, très oriental dans ses complexités des mille et une nuits. Une de mes filles préfère la Malvoisie. J’ai tendance avec sa sœur à préférer le Madère, mais les deux sont exceptionnels.

En ce dîner familial de grande gaieté, le champagne 1976 a été l’une des plus belles étoiles.

Le lendemain midi, c’est le déjeuner de Noël. L’apéritif consiste en des tranches de jambon Pata Negra, du gouda et des biscuits épicés. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1976 est toujours aussi brillant et vif, avec des saveurs fruitées et larges. Quand il est fini nous buvons le reste du Champagne Krug rosé des années 90 qui se montre beaucoup plus fringant et vif que la veille et je constate que je l’avais un peu sous-estimé hier.

Le plat principal est un Parmentier de confit de canard surmonté d’une purée de pommes de terre. J’avais ouvert la veille le Vega Sicilia Unico 1972 croyant que nous comparerions sur les deux repas ce vin avec la Mouline 1983 mais en fait le vin espagnol n’est servi que lors de ce déjeuner, après vingt heures d’aération dans ma cave. Le parfum du vin la veille était miraculeux, avec une fraîcheur faite de fenouil et de menthe qui n’empêche pas de ressentir la richesse du fruit. Ce parfum est aussi brillant aujourd’hui et le vin est d’une richesse rare et d’une jeunesse que l’on n’attendrait pas. Car il a une énergie qui est la même que celle des jeunes Vega Sicilia Unico. Il est plein, fluide et ce que j’aime particulièrement en ce vin, c’est le finale entraînant, marqué d’une fraîcheur légèrement mentholée. C’est, je pense, une des plus belles années de Vega Sicilia Unico quand la jeunesse est encore présente et quand l’âge apporte la cohérence et la plénitude qui multiplient le plaisir.

La buche surmontée d’un renard qui a la même couleur marron que la buche elle-même, est absolument délicieuse. Aucun vin n’est prévu pour elle, car nous avons bien profité des vins de ces deux repas. Noël est un moment familial majeur porteur de joies. Avons-nous reçu autant d’attention de la part de nos petits-enfants qu’ils n’en ont eu pour leurs smartphones, le doute est permis. Mais ce n’est rien, car c’est Noël.

la bûche

le grand moment de déguster les deux vins du 18ème siècle

Film à voir : « L’Ame du Vin » mercredi, 25 décembre 2019

Marie Ange Gorbanevsky avait participé à la dégustation des 2016 du Domaine de la Romanée Conti, invitée par Aubert de Villaine car elle a réalisé un film, « l’âme du vin » qui est projeté en ce moment en plusieurs salles de cinéma. Nous avions bavardé lors du dîner qui a suivi cette présentation et elle m’a invité à la projection de son film à l’UGC Gobelins.

Le film est d’une rare poésie, avec un rythme apaisant qui fait mieux ‘entrer’ dans l’âme du vin. Les prises de vue ont couvert une année entière de l’évolution de la vigne et de la vinification, et les tournages se sont faits en Bourgogne, chez les plus grands vignerons. On voit en cave Dominique Lafon qui goûte les vins de Christophe Roumier et les commente avec lui, on voit la famille Lafarge dont trois générations commentent le climat de l’année, on voit Olivier Poussier et une sommelière commentant les vins et passant un temps très long sur les seuls parfums, ce qui très important. On voit Jacques Puisais commentant le vin en le considérant comme un être vivant et comme un acteur, on voit Bernard Noblet et Aubert de Villaine parler du vin avec une sagesse extrême et le moment le plus truculent du film c’est quand Hidé, le propriétaire du restaurant Le Petit Verdot et Teshi, l’âme du restaurant Pages, sont chacun face à un verre de Les Amoureuses 1945. Ils sont tellement émus face à la perfection de ce vin qu’ils n’arrivent pas à trouver les mots pour en parler. Cette scène extraordinairement humaine est un régal. Il faut courir voir ce film qui comblera tous les amoureux du vin, et aussi ceux qui aiment la poésie de la nature.

Déjeuner à l’Assiette Champenoise avec Richard Geoffroy mardi, 24 décembre 2019

Richard Geoffroy, l’homme qui a fait Dom Pérignon pendant plus de deux décennies se reconvertit dans le saké. Il veut apporter à ce breuvage sa philosophie. Il sait que le saké est millénaire aussi ne cherche-t-il pas une révolution mais une évolution. J’avais prévu de l’inviter dans ma cave pour lui faire goûter des vins aux saveurs inhabituelles. Du fait des grèves le train que comptait prendre Richard pour me rejoindre est supprimé et il me propose de remettre notre rendez-vous. Je ne voudrais pas remettre notre rencontre aussi je lui propose qu’on se retrouve à l’Assiette Champenoise d’Arnaud Lallement qui est un ami commun. Richard réserve une table et je choisis des vins dans ma cave.

Tout d’abord il faut un champagne qui soit inconnu de Richard. Je trouve une bouteille dont l’origine et l’année sont, je le pense, à coup sûr inconnus de Richard. Je prends ensuite une bouteille d’un vin du Rhône d’une année difficile et de niveau très bas. Il faut jouer la difficulté. Enfin je choisis parmi les bouteilles anciennes d’avant 1870, dans une case où aucune indication n’existe sur les bouteilles un flacon qui pourrait bien être du 18ème siècle, qui voisinait avec le Madère vers 1740 qui m’a tant impressionné par sa perfection. Si nous étions dans ma cave, j’aurais pu ouvrir d’autres bouteilles en cas de pépin. Ce sera impossible à Tinqueux, mais je crois en ma bonne étoile.

J’arrive au restaurant l’Assiette Champenoise un peu avant 11 heures alors que notre rendez-vous est à 12h30. J’ouvre l’Hermitage Jaboulet 1939 au niveau bas. La bouteille n’a ni capsule ni cire aussi est-ce la première fois de ma vie que je vois un bouchon qui a accueilli un petit ver qui s’est niché dans le bouchon et y a rendu l’âme. L’étiquette du vin est illisible à un point qui ne peut que me surprendre, comme si une limace active et vorace avait voulu tout effacer. La petite étiquette du millésime est parfaitement lisible. Le nom du vin ne peut se lire que sur les autres bouteilles de ce vin que j’ai acquises en même temps. Le bouchon vient sans problème. Il a quand même été goulument mangé par son locataire, ce qui explique en partie la perte de volume. Le nez est beaucoup plus inspirant que ce que l’on pourrait craindre. Nous verrons. Je n’ouvre ni le champagne ni la bouteille antique car je souhaite pour celle-ci que Richard sente le premier nez du vin, celui de l’éclosion.

En attendant Richard je bois des mètres cubes d’eau pour estomper les effets du dîner au Relais Louis XIII. Richard arrive et je fais ouvrir le Champagne Le Mesnil Blanc de Blancs Réserve Sélection Union des Propriétaires Récoltants 1957. Je n’ai bu qu’une seule fois un champagne de 1957, un Abel Lepitre. Richard me confirme qu’il n’a jamais bu ce champagne et jamais bu cette année et me dit que fort curieusement il avait déjeuné il y a deux jours avec le président de l’Union des Propriétaires Récoltants. La couleur du champagne est d’un ambre très joli, ensoleillé. C’est sur la fin de la bouteille que l’ambre sera plus sombre. La bulle est absente mais le pétillant est présent. Je suis très content car Richard est un dégustateur positif. Ensemble nous ne voyons que les beaux aspects de ce champagne, car ils existent. Le champagne est chaleureux, ensoleillé et des petites traces de poussière, infimes, ne gênent pas la dégustation.

Nous prenons le menu « saveur » qui semble le plus adapté aux vins : oursin et fenouil / Saint-Jacques de Bretagne, betterave, crème persil / blettes de D. Vecten, croquant au seigle, jus mélilot / anguille et cresson / barbue des côtes bretonnes, raviole de chou, crème Vermouth / tourte de gibier à plumes, mâche, jus réduit de gibier.

Les petits amuse-bouches sont délicieux et parfaitement adaptés au champagne ce qui est logique puisqu’on est dans la région. Le champagne, sans être tonitruant, joue bien son rôle et délivre une largeur sympathique. Il a une assez belle intensité et une largeur plaisante.

On nous sert d’une bouteille noire le saké qui est le fruit des recherches de Richard. Il n’a pas encore de nom et je suis invité à ne pas le photographier. Mais je donne mes commentaires, qui intéressent Richard, car j’ai la spontanéité de quelqu’un qui n’a aucune expertise en saké. La couleur est limpide comme celle d’une eau. Le nez est engageant, mesuré. L’attaque est d’une grande fraîcheur pour un liquide qui titre 15° d’alcool. Le milieu de bouche est précis et la fin de bouche est plus épaisse mais fluide aussi. La longueur est belle sans être envahissante. Je résume mon impression en disant que ce saké est « lisible », ce qui plait à Richard. Ses vertus gastronomiques sont évidentes car il n’est pas agressif. Il convient aussi bien à l’oursin, aux Saint-Jacques et aux blettes. Le champagne cohabite et aucun des deux ne se nuit. Au contraire, le champagne élargit le saké.

L’anguille a été ajoutée au menu par Arnaud Lallement et permet l’entrée du vin rouge. L’Hermitage Jaboulet 1939 a une belle couleur. Le nez sent un peu la poussière, mais il est expressif. En bouche je ressens un peu de poussière mais la mâche est riche, large, très rhodanienne. Et je mesure encore à quel point Richard est un dégustateur positif, car il accueille ce vin légèrement blessé avec amitié. Ce sera sur la tourte que l’Hermitage se montrera sans défaut, mais c’est aussi sur ce plat divin qu’entre en scène le vin que je souhaitais que Richard découvre.

La bouteille est cylindrique, totalement opaque car couverte d’une poussière collée qui a probablement plus de deux siècles. La bouteille est surmontée d’une cire verte que je casse en petits morceaux, car c’est maintenant que j’ouvre ce vin. Le cul de la bouteille est incroyablement profond. Je l’ai mesuré à 7,5 cm. Je suis éberlué de voir que le bouchon est d’une pureté extrême sans aucun signe d’âge alors qu’aucun doute n’est possible, ce vin n’a jamais été rebouché car il fait partie de la collection que j’ai achetée dont tous les vins sont dans leur complet état d’origine. La bouteille soufflée pourrait bien être du 18ème siècle.

Je verse le liquide à la couleur admirable. Il y a des reflets rouges intenses, d’autres jaunes d’or, d’ambre doré. Cette couleur est unique, montrant une vie intense de ce vin. Le parfum est celui d’un parfum tant il est complexe et multiforme. C’est un nectar. En bouche on est surpris par la lourdeur combinée à une légèreté liée à une acidité merveilleuse. Le vin est riche, large, puissant et la fin de bouche est une bombe de poivre. Nous éliminons la piste de Madère et assez rapidement je suis convaincu qu’il s’agit d’un vin de Chypre. Je changerai d’idée ce soir en goûtant ce vin avec mon fils, mais à cet instant, nommons le Chypre ~ 1790, pour donner une année tardive dans le 18ème siècle. Je voulais absolument que Richard voie à quel point ces vins antiques qui n’ont pas d’âge ont des palettes aromatiques infiniment plus riches que tous les autres vins. L’image qui me vient est celle de vieux Byrrh, de vieux Quinquinas, qui seraient passés par un alambic pour qu’ils se concentrent encore plus et mélangés à des tonneaux de poivre. Ces vins sont pour moi le Graal du vin car leur complexité comme leur pureté sont infinies.

Nous avons longuement discuté et ce qui n’arrive que dans les grands restaurants de province, à 16 heures tout le monde est encore à table. Il faut dire que l’ambiance créée par Arnaud Lallement pousse au bien-être. En milieu de repas nous sommes allés visiter la nouvelle cuisine, refaite il y a peu. Elle est impressionnante.

Que dire du repas ? Une chose ne trompe pas. Les blettes sont accompagnées de trois biscuits de seigle. J’ai voulu les mettre de côté pour goûter le plat sans eux. Et je me suis aperçu qu’ils sont indispensables. C’est donc une cuisine élégante, sans heurt gustatif, où tout est cohérent. J’y ajouterai que c’est la cuisine d’un homme heureux, car une cuisine aussi mesurée et accomplie ne peut être que l’œuvre d’un homme heureux. Par goût personnel c’est l’anguille que j’ai adorée, parce que j’aime ce poisson qui accepte les vins rouges, mais tout mérite les plus grands compliments.

Le saké de Richard Geoffroy va me donner envie de l’associer à des vins dans mes dîners, pourquoi pas ? Les trois vins que j’ai apportés, avec des risques pour les deux premiers, ont intéressé Richard et j’ai apprécié son ouverture d’esprit. Ce repas figure parmi mes grands moments par la qualité des échanges avec ce grand homme du vin.

Je suis rentré à la maison avec ce qui reste des trois vins pour dîner avec mon fils. C’est son dernier dîner en France avant l’an prochain. Ma femme a prévu des joues de porcs cuites dans un bouillon de légumes. Nous allons constater à quel point le vin peut être miraculeux, car aussi bien le champagne que l’Hermitage vont se montrer très au-dessus de ce qu’ils étaient au déjeuner, et tous leurs petits défauts de poussière ont disparu.

Le champagne Le Mesnil 1957 est ample, très blanc de blancs, et vif et mon fils l’adore. Et l’Hermitage 1939 est un vin du Rhône comme mon fils les aime, avec une vivacité très supérieure à celle de ce midi. Quel bonheur de constater une fois de plus la résistance des vins anciens.

Le possible Chypre ~ 1790 est tout aussi brillant que ce midi. Mon fils a bu avec moi plusieurs Chypre 1845 et il me dit que la couleur de ce vin est plus rouge que celle des Chypre, qui sont plus jaunes, et il ne retrouve pas dans le poivre des intonations des Chypre que nous connaissons. Je pense alors aux Malvoisies des Canaries de 1828 que j’ai bues plusieurs fois. Il y a des évocations plus proches que le vin de Chypre. Alors, nommons ce vin Malvoisie ~ 1790. Il en reste encore pour le repas de Noël avec mes filles. Ces vins éternels sont tellement riches qu’il est difficile de les identifier précisément.

Les vins que j’ai partagés avec Richard Geoffroy ont été adorés par mon fils. La vie est belle.

l’étiquette a été rongée comme si une limace avait voulu la manger. On voit bien l’insecte qui a pris ses aises dans le bouchon au point qu’il s’émiette.

la couleur du vin est splendide

le cul de la bouteille est incroyablement profond, ce que la photo ne rend pas vraiment

je suis absolument surpris que les bords du bouchon soient aussi nets, alors qu’il n’y a pas de doute que le bouchon a été posé il y a plus de 140 ans.

la cuisine

les compères

Dîner au relais Louis XIII mardi, 24 décembre 2019

Après la dégustation des champagnes RSRV de la maison Mumm, à l’invitation d’Alexander Staartjes, directeur marketing des opérations de luxe du groupe Pernod-Ricard, nous nous rendons au restaurant Le Relais Louis XIII avec un ami américain, grand fidèle de l’académie des vins anciens. Nous sommes accueillis par le chef Manuel Martinez, un chef MOF dont la cuisine traditionnelle est unanimement reconnue.

Alexander a prévu d’apporter une bouteille de champagne et nous prendrons les autres vins à la carte. Le menu sera très simple car nous allons vers le meilleur. Ce sera la quenelle légendaire et le lièvre à la royale, sauf pour Alexandre qui prendra du canard.

Le Champagne V.O. Version Originale Jacques Selosse a été dégorgé en février 2014. Il est donc dans les meilleures conditions possibles de dégustation. Il est vif, intense, vineux, mais aussi très agréable à boire. C’est un champagne de belle personnalité.

Pour la quenelle, le Champagne Krug Private Cuvée années 60 est un partenaire idéal. Le bouchon est venu entier, la bulle est faible mais présente et le pétillant est joyeux. L’intensité de ce champagne est extrême. Il est noble, profond, à la longueur infinie. Il est tranchant. Il est à la fois mature, cohérent dans ses complexités mais aussi entraînant par sa vivacité. La quenelle est divine.

Le Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes 2005 est riche et vivant, fort de fruits noirs, mais souriant comme un soleil. C’est le compagnon idéal du lièvre à la royale qui est un des meilleurs que l’on puisse déguster, un peu comme celui de Michel Rostang. C’est un régal et la sauce au sang et le Clos des Papes sont d’un prolongement parfait. J’adore quand un plat et un vin se confondent à ce point.

Nous avions offert à Manuel Martinez un verre du Krug, qu’il va partager avec un client qui dîne seul. On me dit que ce dîneur suit mon parcours sur internet et je vais le saluer. En fin de repas il propose d’aller chercher dans sa voiture un vin qu’il veut nous faire goûter. Il fait ouvrir un Sancerre Les Monts Damnés Pascal Cotat 2009. Ce vin est d’une belle couleur jeune, de blé d’été. Le nez est expressif. En bouche le vin évoque des fruits jaunes et blancs, avec une acidité mesurée et une minéralité qui n’exclut pas la douceur. Il a une belle richesse et se boit agréablement. Sa plénitude est une belle surprise.

La cuisine traditionnelle de Manuel Martinez est riche et magnifiquement exécutée. L’ambiance est très familiale, sympathique, ouverte. Les deux plats sont parfaits et les vins ont été remarquables. Ce fut une belle soirée.