Les deux repas de Noël en famillesamedi, 28 décembre 2019

Mon fils, étant retourné à Miami, va fêter Noël avec sa femme et ses deux enfants. Nous allons fêter Noël avec mes deux filles et leurs quatre enfants. L’apéritif commence avec des rillettes, un fromage gouda au cumin, et des petits canapés cuits au four dont des mini croquemonsieurs. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1976 est venu directement de la maison Henriot dans ma cave, avec une étiquette Enchanteleurs alors qu’à l’époque le champagne s’appelait Baccarat. Le bouchon saute dans mes mains à l’ouverture dans une belle explosion d’un beau bruit. Le bouchon est bien chevillé ce qui indique un dégorgement ancien. La bulle est fine et active.

Le nez de ce champagne est absolument impressionnant tant il est complexe et riche. On pourrait se contenter de sentir ce champagne tant ce parfum est gratifiant, mêlant fruits, fruits confits, mendiant et des myriades de senteurs. En bouche, c’est un choc que je ressens. Je situerais ce champagne dans l’élite de l’élite car il est à un stade d’accomplissement quasi incroyable. Il y a des fruits larges et dorés qui envahissent le palais. Mes filles et l’aînée de mes petits-enfants, qui commence à goûter les vins, sont subjuguées par la richesse et la perfection de ce champagne qui amène dans des territoires inconnus car aucun des grands champagnes que je bois n’a un fruit aussi généreux. Sa plénitude est extrême. Ce champagne est dans un moment de grâce unique et je le mets volontiers au firmament, en compagnie de tous les plus grands champagnes que j’ai pu goûter. Les rillettes sont parfaites alors que le gouda est un peu fort pour ce 1976. Les petits fours sont parfaits. C’est un grand moment que nous venons de vivre.

La distribution des cadeaux suit l’apéritif et l’air du temps a marqué les choix des donateurs, car la grande majorité des cadeaux ont une empreinte carbone sans commune mesure avec les cadeaux délirants de jadis. Ce qui m’a frappé pendant ces échanges de cadeaux, c’est la capacité de mes petits-enfants à s’enthousiasmer. Chaque cadeau est célébré avec des ‘oh’ et des ‘ah’ comme s’il s’agissait du plus merveilleux cadeau que l’on pût imaginer. Cette fraîcheur d’esprit est en soi un magnifique cadeau.

Le cœur de saumon pressé est accompagné par un Chassagne Montrachet Jean-Pierre Bloud 1980. Je l’avais choisi en cave du fait de sa magnifique couleur très jeune et de son niveau parfait. Et ce vin clair, au parfum discret tient bien son rôle. On n’en attend pas des miracles, mais il est joyeux, de belle mâche, avec une aimable ampleur en bouche. Ce vin de 39 ans n’a pas d’âge tant il est frais et vif. J’aime donner leur chance à de tels vins.

Le cuissot de porcelet recouvert de fines tranches de truffes d’été est accompagné par une Côte Rôtie La Mouline Guigal 1983. Le nez à l’ouverture il y a plus de quatre heures était d’une délicatesse infinie. Le parfum est toujours aussi charmant et en bouche ce vin riche et puissant se caractérise par un seul mot : ‘velours’. Ce vin est velours. Il est facile à lire, généreux et spontané et ce qui est intéressant, c’est que ses 36 ans n’ont pas entamé sa spontanéité. C’est un vin de plaisir pur.

Divers fromages permettent de continuer à boire ce vin, dont vacherin, camembert et une délicieuse pâte molle que je n’ai pas reconnue.

Ma fille aînée a apporté deux magnifiques et artistiques buches et il est décidé qu’une seule sera partagée ce soir, l’autre surmontée d’un renard en marron sera découpée au déjeuner demain. Le Champagne Krug rosé des années 90 est dans une bouteille d’une rare beauté, aux couleurs de vieux rose délicat. Le bouchon est bien chevillé, confirmant qu’il a nettement plus de vingt ans. La couleur est d’un joli rose de pêche et la bulle est assez active. Le champagne est noble et raffiné, mais on mesure à quel point le champagne Henriot nous a offert un moment rare, ce qui laisse à penser que l’Enchanteleur était dans une forme irréellement exceptionnelle.

C’est maintenant le grand moment, car ma fille aînée n’avait pas bu les vins antiques que j’avais partagés avec mon fils et ma fille cadette. Et alors que le Madère ~ 1740 et la Malvoisie ~ 1790 avaient été bus à des moments différents, nous allons les boire ensemble. Plusieurs choses sont subjuguantes. Tout d’abord les couleurs, plus rouges pour la Malvoisie mais toutes deux d’une jeunesse incroyable. Ensuite ces deux vins sont arrivés à un stade intemporel de perfection. Cela veut dire que si l’on imaginait que ces deux bouteilles soient ouvertes dans deux cents ans au lieu de 2019, on aurait strictement les mêmes vins qui ont trouvé un équilibre indestructible. Et cette idée comble d’aise l’amateur que je suis car il s’agit de la forme ultime du vin éternel.

Les deux vins sont très différents. La Malvoisie 1790 est vive, d’une acidité remarquable qui lui donne de la fraicheur et le poivre est insistant dans le finale. Le Madère 1740 est beaucoup plus doux, très oriental dans ses complexités des mille et une nuits. Une de mes filles préfère la Malvoisie. J’ai tendance avec sa sœur à préférer le Madère, mais les deux sont exceptionnels.

En ce dîner familial de grande gaieté, le champagne 1976 a été l’une des plus belles étoiles.

Le lendemain midi, c’est le déjeuner de Noël. L’apéritif consiste en des tranches de jambon Pata Negra, du gouda et des biscuits épicés. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1976 est toujours aussi brillant et vif, avec des saveurs fruitées et larges. Quand il est fini nous buvons le reste du Champagne Krug rosé des années 90 qui se montre beaucoup plus fringant et vif que la veille et je constate que je l’avais un peu sous-estimé hier.

Le plat principal est un Parmentier de confit de canard surmonté d’une purée de pommes de terre. J’avais ouvert la veille le Vega Sicilia Unico 1972 croyant que nous comparerions sur les deux repas ce vin avec la Mouline 1983 mais en fait le vin espagnol n’est servi que lors de ce déjeuner, après vingt heures d’aération dans ma cave. Le parfum du vin la veille était miraculeux, avec une fraîcheur faite de fenouil et de menthe qui n’empêche pas de ressentir la richesse du fruit. Ce parfum est aussi brillant aujourd’hui et le vin est d’une richesse rare et d’une jeunesse que l’on n’attendrait pas. Car il a une énergie qui est la même que celle des jeunes Vega Sicilia Unico. Il est plein, fluide et ce que j’aime particulièrement en ce vin, c’est le finale entraînant, marqué d’une fraîcheur légèrement mentholée. C’est, je pense, une des plus belles années de Vega Sicilia Unico quand la jeunesse est encore présente et quand l’âge apporte la cohérence et la plénitude qui multiplient le plaisir.

La buche surmontée d’un renard qui a la même couleur marron que la buche elle-même, est absolument délicieuse. Aucun vin n’est prévu pour elle, car nous avons bien profité des vins de ces deux repas. Noël est un moment familial majeur porteur de joies. Avons-nous reçu autant d’attention de la part de nos petits-enfants qu’ils n’en ont eu pour leurs smartphones, le doute est permis. Mais ce n’est rien, car c’est Noël.

la bûche

le grand moment de déguster les deux vins du 18ème siècle