123ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 24 septembre 2009

Le 123ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Bristol. En une belle journée de fin septembre, le jardin donne un air champêtre chic à la salle à manger d’été. Je viens ouvrir les vins à 17h30 et aucune difficulté particulière ne se présente. Des bouchons anciens se déchirent, obligeant à utiliser plusieurs ustensiles pour en venir à bout. Le parfum du vin d’Arlay 1929 est tellement enivrant et sensuel que je le fais sentir à tous les serveurs et au jeune sommelier Maxime qui fera ce soir le service du vin.


C’est une entreprise qui reçoit des clients ou prospects, et la table sera masculine. Les arrivées s’égrènent ce qui nous permet de profiter d’un soir clément dans le beau jardin.


Une longue perche contient trois petits amuse-bouche qui, comme chaque fois, montrent la dextérité exceptionnelle du chef triplement étoilé. Un consommé de cèpes, une tranche d’ananas confit, une sucette où un goût très fort que je n’ai pas reconnu voisine avec de la betterave et enfin une olive travaillée avec talent accueillent le Champagne Krug Vintage 1988. Commencer un repas avec ce champagne au sommet de sa forme est évidemment un signe. Ce qui frappe c’est la persistance aromatique qui plombe la langue. C’est un beau champagne.


Nous passons à table. Le menu créé par Eric Fréchon est ainsi rédigé : Feuilleté et amuse-bouche / Homard bleu rafraîchi d’un gaspacho de tomate, cannelloni d’avocat légèrement pimenté / Macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan / Ris de veau de lait braisé au fenouil sec, carottes au pain d’épices et citron, jus de cuisson / Fromage de chèvre / Assiette de Comté / La fraise des bois fromage blanc allégé, fines crêpes dentelles et sorbet fraise / Mignardises.


Malgré mes explications préalables sur le goût très particulier des champagnes anciens, chacun est en terre inconnue lorsqu’il prend contact avec le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1969. De couleur délicatement ambrée, ce champagne a un nez doucereux. En bouche, la bulle est inexistante, mais l’impression de picotement est sous-jacente. Ce vin évoque un sauternes léger qui serait devenu sec. La délicatesse et l’élégance caractérisent ce champagne. L’amuse-bouche est un peu fort pour lui mais le fait revenir dans le monde des champagnes par un efficace coup de fouet. Lorsque le plat est enlevé, c’est la douceur discrète et raffinée qui revient au palais.


Je n’avais prévu qu’un vin blanc pour le homard. Mais en préparant les bouteilles de ce dîner, l’idée m’est venue d’en mettre deux, pour montrer l’effet du temps. Le Chassagne Montrachet Morgeot Domaine Ramonet 1994 est servi à droite, et le Chassagne Montrachet Domaine des Hautes Cornières Ph. Chapelle 1978 est à gauche. Le deuxième n’est pas un Premier Cru et son domaine m’est totalement inconnu. Quand Maxime me sert pour que je goûte avant le service de ces deux vins, je lui demande de vérifier si réellement ce sont bien les vins dans cet ordre qu’il m’a servis. Car le nez du 1978 est d’une richesse extrême et sa vivacité est remarquable. Maxime et mon voisin de table confirment qu’ils s’agit de ces vins. Et la comparaison est d’un bel étonnement car le 1978 fait aussi fringant que son jeune cousin de 1994. On remarque bien sûr que le Ramonet a une structure plus dense que son aîné. Mais pour beaucoup, le plaisir sera plutôt du côté du fantassin inconnu qui montre la vitalité des vins blancs qui surprend beaucoup de convives. Le homard est particulièrement délicieux. Le cannelloni d’avocat réveille bien le 1978. Il fallait laisser de côté le gaspacho, fort opportunément servi à part.


Les vins rouges vont donner l’occasion de deux accords d’anthologie. Deux Margaux sont servis ensemble, le Château Rauzan-Gassies 1934 et le Château Cantenac Brown 1934. Pourrait-on envisager que des vins si proches montrent autant de différences ? Le Cantenac-Brown est d’une riche structure un peu stricte, alors que le Rauzan-Gassies est plus folâtre, primesautier, romantique. Le macaroni s’accorde avec le Rauzan-Gassies, alors que la lourde sauce à la truffe noire réchauffe le Cantenac-Brown. C’est le plus strict et structuré qui correspond à mon goût. Le vote me montrera à quel point le plus féminin des deux aura du succès. Le plat est toujours aussi merveilleux et l’accord est doctrinal.


Si les deux bordeaux avaient suffisamment de parenté, les deux bourgognes sont dissemblables. Le Nuits-Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947 se présente dans une très curieuse bouteille dissymétrique, au verre torturé comme soufflé à la main et dont la couleur est rouge brun. La couleur du vin est presque noire tant elle est vive. Le nez est puissant et en bouche, ce vin est d’une densité de plomb. Il serait impossible de lui donner un âge tant il est fringant, puissant et riche.


L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989 est en contraste complet. Il a le raffinement des vins du domaine, il est d’une couleur plus claire même si elle est soutenue. Son parfum est délicat et en bouche le vin est distingué. L’évocation assez immédiate, c’est celle de la rose, une belle rose épanouie. La tentation est forte de goûter la sauce du ris de veau sur le Nuits. C’est renversant de bonheur. Les deux vins se marient parfaitement au ris de veau d’une qualité extrême. Les deux séries de rouges ont été exceptionnelles dans leur association à leur plat.


A l’ouverture avec Maxime, nous n’aurions pas parié beaucoup sur le Vouvray doux La Lanterne, Péan propriétaire 1959 qui se présentait assez poussiéreux. J’avais demandé un jeune fromage de chèvre pour l’accompagner. A ma grande surprise, le nez du vin est devenu civilisé, agréablement doux. En bouche, le vin a acquis une belle rondeur. Ce qui me frappe, c’est son équilibre. Bien sûr il n’a pas une trame très complexe et on ne le lui demande pas. Mais je n’attendais pas que ce petit Vouvray se comporte aussi bien. L’association avec le sainte-maure est osée. Mais elle est titillante. J’aime ces rencontres imprévues de saveurs que tout oppose.


Le Château d'Arlay, Marquis de Voguë 1929 est dans une bouteille qui doit être un demi-Clavelin. Le flacon est d’une rare élégance. Ce vin jaune au parfum envoûtant a une force en bouche qui est envahissante. Sur un Comté de 36 mois, c’est un régal si l’on prend bien soin de mâcher le fromage en salivant en abondance. La persistance gustative de ce vin est infinie.


Le Monbazillac Monbouché 1929 est d’un bel or doré. En bouche il est d’un charme redoutable. Je succombe à ce vin comme le montrera mon vote. La couleur du vin appelant des fruits jaunes, le mariage avec les fraises des bois ne se fera pas. On profite donc du vin pour lui-même, charmeur, séducteur, aux plaisirs simples mais infinis.


Sur les mignardises, le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle auquel je donne plus de 30 ans remet en perspective le Moët 1969 du début de repas, car celui-ci a de la bulle. Il combine l’attrait des champagnes anciens avec la jeunesse que lui confère la bulle. C’est d’une subtilité conquérante.


Pour la quasi-totalité de la table, cette expérience remet en cause tous les présupposés, toutes les supputations sur les vins anciens. La longévité des vins blancs, la présence des bordeaux de 1934, ces champagnes complètement atypiques bouleversent tous les référentiels que chacun s’était construits.


Je n’insisterai jamais assez sur l’importance du fait que les douze vins de ce repas figurent tous, au moins une fois, dans les votes des dix participants. Ce qui veut dire que même les petits vins de ce repas ont plu à au moins l’un d’entre nous qui les a inclus dans ses quatre préférés. Six vins sur douze ont été nommés premiers, ce qui montre la diversité des goûts. Ont été nommés premiers : le Rauzan Gassies quatre fois, le Nuits-Saint-Georges deux fois et une fois le Krug, le Ramonet, l’Echézeaux et le Monbazillac.


Le vote du consensus serait : 1 - Château Rauzan-Gassies 1934, 2 - Nuits-Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947, 3 - Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989, 4 - Monbazillac Monbouché 1929.


Mon vote, après avoir longtemps hésité à mettre l’Arlay dans mon bulletin, est : 1 - Monbazillac Monbouché 1929, 2 - Nuits-Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947, 3 - Champagne Laurent Perrier Grand Siècle de plus de trente ans, 4 - Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989.


La cuisine du chef est d’une grande maturité, le service a été bien conduit. Les deux plats qui accompagnaient les rouges ont créé des accords de haute gastronomie. Les convives ont soulevé le coin du voile qui permet d’entrer dans le monde des vins anciens. J’espère leur avoir inoculé cette belle maladie.

123ème dîner – photos du dîner jeudi, 24 septembre 2009

le joli décor dans lequel s'insère notre table



de jolis bouquets de fleurs



portrait de famille des vins de ce dîner




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Feuilleté et amuse-bouche


Homard bleu rafraîchi d’un gaspacho de tomate, cannelloni d’avocat légèrement pimenté



Macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan


Ris de veau de lait braisé au fenouil sec, carottes au pain d’épices et citron, jus de cuisson



Assiette de Comté


La fraise des bois fromage blanc allégé, fines crêpes dentelles et sorbet fraise



La photo des verres sur la table, en fin de repas, montre le caractère romantique et raffiné du dîner



123ème dîner de wine-dinners – les vins lundi, 21 septembre 2009

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1969



Champagne Krug Vintage 1988



Chassagne Montrachet Morgeot Domaine Ramonet 1994



Château Rauzan Gassies Margaux 1934



Château Cantenac Brown 1934



Nuits-Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947



Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989



Vouvray doux La Lanterne, Péan propriétaire 1959



Château d'Arlay, Marquis de Voguë 1929



Monbazillac Monbouché 1929



Champagne Laurent Perrier Grand Siècle ancien (plus de 30 ans)



122ème dîner au restaurant Laurent – photos jeudi, 17 septembre 2009

Le beau jardin du restaurant Laurent commence à prendre ses couleurs d'hiver



La photo d'ensemble des vins bus



Champagne Cristal Roederer 1996 - Champagne Dom Pérignon 1982



Château Cheval Blanc 1986 - Château Haut-Brion 1986



La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1998 - Ermitage Le Pavillon Chapoutier 1989



Hermitage Chave 1995



Penfolds Grange Hermitage Bin 95 vintage 1981 - Champagne rosé Cuvée Alexandra Laurent-Perrier 1998



Château Gilette 1970 - Château d'Yquem 1982



Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1989



Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil


Cèpes « bouchon » saisis à la plancha, crème fouettée au lard fermier



Pièce de bœuf rôtie, servie en aiguillettes, macaroni gratinés au parmesan, jus aux herbes et moelle



Tourte de canard Colvert



Pigeon à la goutte de sang, sauce Rouennaise (pas de photo hélas !)


Forme d'Ambert


Mirabelle de Lorraine dans un consommé froid, au thym-citron



Les verres en cours de repas et en fin de repas



122ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 17 septembre 2009

Jonathan est né en 1981. Il a participé à son premier dîner de wine-dinners en novembre 2008. A ce jour il en a déjà fait sept de plus. Cet été il est venu me rejoindre dans le sud pour partager des repas aussi bien chez Matthias Dandine que chez Yvan Roux. Plus mordu que lui, je ne connais pas. Fiancé à une jolie australienne, il a décidé d’émigrer en ces terres lointaines. Il m’a demandé d’organiser, une semaine avant son départ, un diner sous la forme des dîners de wine-dinners avec une particularité : les vins seront presque tous de la cave de son père qui sera présent. J’accepte volontiers, car ce jeune ami est absolument charmant et enthousiaste. Il y aura autour de la table Jonathan, son père et un ami de son père, les deux compères de Jonathan qui étaient venus déjeuner chez Yvan Roux, le plus fidèle des fidèles de mes dîners, un « nouveau » de mes dîners qui a eu la chance de partager avec Jonathan et moi le vin de Constance de 1791 et mon fils. Nous avons la belle table ovale en position centrale dans la salle du restaurant Laurent, qui est la table que nous avions lors du premier dîner de Jonathan il y a dix mois. La boucle est bouclée.


Alors que j’aurais pu déléguer à Patrick Lair, dont je connais la minutie, l’ouverture des vins qui sont peu anciens, Jonathan ayant exprimé le désir d’être avec moi pour l’ouverture des vins, je me rends au restaurant à 17h30 pour cette cérémonie préparatoire du 122ème dîner de wine-dinners. Alors que tout aurait pu se passer comme une lettre à la poste, j’ai dû faire face à des surprises. Le bouchon du Penfolds Grange 1981 paraît neuf tant le haut du bouchon est blanc et intact. En tirant le tirebouchon, j’extraie un carottage de liège en charpie. Le bouchon est collé au verre et le centre est mou. Il faut cureter le liège, avec des chutes de morceaux dans le vin, que Jonathan va pêcher un à un. Dès que je pique le tirebouchon dans le Haut-Brion 1986, je tire sans aucune résistance. C’est qu’en fait une moitié seulement du bouchon remonte, sans que je n’aie créé la moindre brisure. Pour le Gilette 1970, c’est assez classiquement qu’un disque de liège est resté dans le goulot. Mais j’observe sans pouvoir réagir que le disque, comme aspiré, glisse et descend dans le liquide. Il faudra faire une double décantation pour récupérer le liquide totalement pur. Quand tout est fini, je m’habille de frais et j’emmène Jonathan à une présentation du champagne Laurent-Perrier. Nous goûtons le champagne ultra-brut de Laurent-Perrier, au goût agréable mais un peu court.


Dans le petit salon d’entrée du restaurant, notre groupe de neuf hommes et zéro femme se forme. Le Champagne Cristal Roederer 1996 a une couleur d’un miel clair. Le nez est envoûtant et la bulle dynamique. Je suis renversé par la perfection de ce champagne. Il se trouve que Cristal Roederer ne fait pas normalement partie des gibiers que je chasse, car il m’a dissuadé soit par le goût, soit par les prix influencés par la mode russe. Ce 1996 me fait réviser toute idée préconçue, car je suis totalement conquis. Il y a en lui une grâce, un délicat fumé, voire confituré qui est d’un charme sensuel. Le nem de gambas soutenu par de fines branches de légumes n’aide en rien le champagne. Je pourrais passer des heures à me satisfaire de ce goût merveilleux de plénitude, d’affirmation tranquille, avec une trace en bouche quasi indélébile.


Nous passons à table et Jonathan découvre le menu, que je n’avais pas communiqué, composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon : Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / Cèpes « bouchon » saisis à la plancha, crème fouettée au lard fermier / Pièce de bœuf rôtie, servie en aiguillettes, macaroni gratinés au parmesan, jus aux herbes et moelle / Tourte de canard Colvert / Pigeon à la goutte de sang, sauce Rouennaise / Mirabelle de Lorraine dans un consommé froid, au thym-citron.


Le Champagne Dom Pérignon 1982 est divinement aidé par l’araignée, plat emblématique du restaurant Laurent, petite merveille de précision. Le champagne est à l’opposé complet du Cristal. Sa couleur est d’un jaune pâle ne laissant la place à aucune trace d’âge, la bulle est active et fine, et en bouche, ce champagne est délicieusement féminin, quand le Cristal était un guerrier armé. Nous sommes dans le registre des marivaudages charmants. La comparaison des deux champagnes que je commente avec mon voisin donne lieu à des images résolument différentes des deux vins, ce qui est fréquent.


Deux bordeaux sont servis côte-à-côte. Comme pour les deux champagnes, il est difficile d’imaginer deux rouges aussi dissemblables, alors qu’ils sont de la même année. Le Château Cheval Blanc 1986 a une couleur plus claire, plus rose, et il joue sur une séduction très féminine. Alors que le Château Haut Brion 1986, plus noir et d’une densité énorme, joue sur sa puissance. On peut aimer les deux, mais ce soir, c’est le Cheval Blanc qui conquiert les esprits. Le Haut-Brion sera miraculeux dans vingt ans, car il est porté par une richesse de structure exemplaire. Le Cheval Blanc est doté d’un charme qui est à son apogée et ne gagnera pas autant dans le futur que le Haut-Brion. Les cèpes sont délicats pour mettre en valeur les expressions des deux vins. A noter qu’au nez à l’ouverture, le Haut-Brion paraissait très supérieur au Cheval Blanc qui s’est bien rattrapé depuis.


La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1998 est d’un rouge sang d’une rare beauté. Le nez est envoûtant. En bouche, c’est une immense surprise, car il est enjôleur, cajoleur, séducteur, au-delà de toutes les expressions bourguignonnes habituelles des vins de la Romanée Conti. C’est rare qu’un vin du domaine joue autant dans le registre de la séduction. La divine pièce de bœuf est d’une telle subtilité qu’elle accompagne le vin comme le témoin accompagne la mariée. Le macaroni ne crée aucune émotion au vin. La Tâche conquiert toute la table comme on le verra dans les votes. C’est un jeune La Tâche, dans une période de séduction juvénile à laquelle on succombe volontiers.


Nous allons goûter trois vins sur le plat qui nous est servi. La tourte de colvert est une merveille. Dans mon cerveau, c’est comme si l’on mettait un switch qui me transporte dans le monde d’Antonin Carême, de Brillat-Savarin, ou de Dodin-Bouffant. C’est l’accomplissement de la cuisine bourgeoise de qualité. Ce plat est gourmand, et va correspondre divinement aux trois vins grandioses.


L’Ermitage Le Pavillon Chapoutier 1989 est d’un très grand charme, énigmatique par certains aspects, étrange, interpelant, mais c’est le charme qui triomphe. A côté de lui, l’Hermitage Chave 1995 est la pureté de l’Hermitage. Tout en lui paraît simple, équilibré, mais c’est une bombe de richesse gustative. Hiérarchiser les deux serait bien difficile, tant ils sont différents et agréables à boire, le Chapoutier dans un registre un peu exotique et le Chave dans la pureté absolue de sa définition.


A ce stade du repas, le père de Jonathan, prévenu des votes à faire en fin de repas déclare que selon lui, les votes seront tous identiques. Instantanément, je parie avec lui du contraire. L’enjeu est un dîner. Les anciens des dîners lui annoncent qu’il a sûrement perdu. Nous verrons.


Pour que je gagne mon pari, je cache autant que je peux l’incroyable choc gustatif que me fait le Penfolds Grange Hermitage 1981, vin de l’année de Jonathan, qu’il s’est fait expédier d’Australie la semaine dernière. Le nez est de poivre et de fruits noirs comme la mûre. Ce nez, que l’on pourrait retrouver en France, ne concernerait que des vins de 2005, et jamais des vins de plus de vingt ans. C’est d’une puissance invraisemblable. En bouche, c’est pour moi un bonheur total. Si l’on imagine les tendances que Robert Parker a encensées puis suscitées, on est au centre de la cible. Il y a des fruits noirs, une richesse d’expression qu’aurait un vin de 14° alors que l’étiquette n’en annonce que 12,6°, soit moins que le Chave et le Chapoutier, et il y a en plus un détail inouï qui m’enchante : le final inextinguible est mentholé, ce qui lui donne une fraîcheur unique que je retrouve dans certaines Côtes Rôties de Guigal. Ce vin a été fait il y a 28 ans, avant que Parker n’existe dans les médias. Ce vin sublime les tendances encensées par Parker et les presque trois décennies donnent une élégance unique à ce vin qui ne tombe en aucun cas dans la caricature du vin moderne. Voilà un vin moderne que j’adore.


La cuisine est un langage précis. J’ai commis une erreur et j’en porte la responsabilité. Je voulais que le vin que j’ai apporté, le Champagne Laurent Perrier Cuvée Alexandra rosé 1998 soit placé à ce stade du repas et soit confronté à un pigeon rose à souhait. Dans mon courriel, j’ai écrit « à la goutte de sang ». Or en cuisine ce fut interprété comme un appel à une sauce faite avec le sang. Heureusement le pigeon ne fut pas nappé par la lourde sauce, aussi ai-je suggéré que l’on ne prenne que les filets, bien roses, avec le champagne. L’accord est particulièrement judicieux et met en valeur ce champagne rare, dont la subtilité ne se révèle que petit à petit. Comme dans une danse des sept voiles, chaque gorgée dénude un peu plus les trésors de grâce et de finesse d’un champagne hors du commun. Subtil il l’est au point qu’un palais non averti pourrait passer à côté de son message.


Jonathan a envie d’une pâte bleue sur le Château Gilette 1970. Les fromages sont déjà rangés au frais car nous sommes les bons derniers et ce n’était pas prévu au programme. On me fait tâter la fourme d’Ambert que je ne trouve pas trop froide. L’essai sera fait. Une nouvelle fois j’explique comment faire cohabiter pâte bleue et Sauternes : « mâchez, mâchez, mâchez ! » et l’expérience est convaincante. J’ai trouvé ce Gilette un peu faible par rapport à d’autres millésimes.


Le Château d’Yquem 1982 est un Yquem classique qui commence à s’épanouir. Déjà bien ambré, il apporte tout ce qu’on aime en Yquem. La mirabelle est un essai réussi. Car quand on boit l’Yquem juste après le fruit, il devient mirabelle, par un heureux mimétisme, et quand on le boit seul il redevient Yquem. Cette acceptation réciproque est aidée par le thym-citron. Cet accord est grand.


J’avais demandé à Alain Pégouret au dernier moment, faute de litchis, quelques tranches de pamplemousses roses pour le Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1989 apporté par l’ami fidèle parmi les fidèles. Ce vin avait le nez le plus beau à l’ouverture. C’est une merveille de précision et de fraîcheur. Le pamplemousse excite certaines de ses caractéristiques, faisant ressortir le doucereux et la précision. C’est un vin de première grandeur, d’une belle joie de vivre.


Les votes sont très difficiles compte tenu de l’extrême accumulation de grands vins. Nous sommes neuf votants pour douze vins. Deux seuls vins n’ont pas de vote, le Dom Pérignon 1982 et le Gilette 1970. Six vins ont eu le mérite d’avoir un vote de premier, ce qui montre une extrême diversité de votes. La Tâche a obtenu trois votes de premier, Yquem a obtenu deux votes de premier et Cheval Blanc, l’Hermitage Chave, le Penfolds Grange et le Gewurztraminer ont eu chacun un vote de premier. La Tâche est le seul qui a reçu neuf votes ce qui veut dire que chacun a voté pour lui.


Le vote du consensus serait : 1 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1998, 2 - Château d’Yquem 1982, 3 - Ermitage Le Pavillon Chapoutier 1989, 4 - Hermitage Chave 1995. Mais il convient de dire que les votes pour la quatrième place ont été extrêmement serrés entre le Chave, le Hugel et le Penfolds. Le père de Jonathan a dans le désordre les quatre vins de ce consensus, ce qui justifie qu’il en soit content.


Mon vote est : 1 - Penfolds Grange Hermitage 1981, 2 - Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1989, 3 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1998, 4 - Champagne Cristal Roederer 1996.


Les votes ont été extrêmement disparates, car les vins méritaient tous notre intérêt. J’ai gagné le pari d’un dîner. La tourte de canard a été unanimement plébiscitée car ce plat est l’expression aboutie de la cuisine bourgeoise gourmande, la prime de l’originalité de l’accord ira à la mirabelle qui a épousé l’Yquem d’une brillante façon. Faire un dîner chez Laurent, c’est l’assurance de passer une belle soirée.

Une démonstrative verticale de Domaine de Chevalier lundi, 14 septembre 2009

Bipin Desai organise assez fréquemment de grandes verticales qui permettent de mieux connaître les vins d’un domaine. Il est accompagné de son groupe d’amateurs américains et invite des journalistes ou écrivains du vin. Ce soir, ce n’est pas Bipin qui m’a invité mais Olivier Bernard le sympathique propriétaire du Domaine de Chevalier. Olivier est connu pour savoir recevoir. Ce soir, il a atteint des sommets difficilement atteignables.


Le dîner se tient au premier étage du restaurant Taillevent, dans la même pièce que celle de mon récent dîner. Jean-Claude, le fidèle maître d’hôtel me dit : « on ne se quitte plus ». L’apéritif se prend dans le petit salon chinois avec le champagne Taillevent qui est un Deutz de belle soif. Ce champagne attire les gougères et malgré le programme qui nous attend, pousse sans cesse à se resservir.


Quatre tables sont dressées dans le grand salon, pour vingt-deux convives. Voici le menu préparé par Alain Solivérès : rémoulade de tourteau à l’aneth, sauce fleurette citronnée / épeautre du pays de Sault en risotto aux cèpes de châtaigniers / mignons de veau de lait aux cèpes de châtaigniers / palombe rôtie aux salsifis et aux girolles / fromages de Comté / déclinaison de fruits rouges parfumée au Rooibos. Ce repas fut élégant, la maîtrise d’Alain Solivérès donnant une justesse remarquable à chaque plat.


Devant nous cinq verres de vins blancs sont déjà posés, qui seront rapidement rejoints par cinq autres. Le pied de chaque verre comporte un numéro de zéro à neuf. Olivier explique que pour les blancs, la dégustation se fera à l’aveugle. Il ne sera pas demandé de trouver le millésime, mais d’écrire sur un petit carton les trois vins que l’on préfère, dans l’ordre. Il précise que pour les rouges, nous connaîtrons les millésimes. Il indique enfin que tous les vins que nous buvons proviennent de magnums.


Je commence à sentir les cinq premiers vins puis à les boire, alors que pour les cinq suivants, je boirai chacun juste après l’avoir senti. Le nez du vin n° 0 est extrêmement riche, puissant, évoquant le miel. Le nez du n° 1 est plus sec, très élégant. Le nez du n° 2 est plus discret, évoquant la menthe avec un miel très élégant. Le nez du n° 3 est équilibré, peut-être un peu plus calme. Le nez du n° 4 est plus fermé.


En bouche, le n° 0 est moins opulent que ce que le nez suggère. Il a un beau final citronné. Le n° 1 n’est pas mal mais son final n’est pas aussi beau. Ses évocations de miel sont sympathiques. Le n° 2 est un vin très élégant, très facile et coulant. C’est un vin de plaisir. Le n° 3 est bien clair, léger, délicat. Il est plus romantique mais plus faible. Son final est élégant. J’aime beaucoup le n° 4, car il a un grand équilibre. Il n’a pas la force du n° 0 et pas la légèreté du n° 3, mais c’est pour moi celui qui est dans la définition la plus pure du Domaine de Chevalier.


Nous passons aux cinq suivants, servis depuis quelques minutes. Le n° 5 a un nez très végétal. Son final est joli. Il est moins plaisant que le 4 mais je le trouve riche, intéressant, car atypique. Le n° 6 a un nez très minéral et citronné. Il est un peu atypique car unidirectionnel, un peu simplifié mais élégant. Le n° 7 a un nez très élégant. Il est très beau. Lui aussi est très archétypal de Domaine de Chevalier. Le n° 8 a un nez plus discret. Il a une très belle attaque en bouche. J’aime. Son final est un peu court, mais j’aime. Le n° 9 a un goût de bouchon.


Voter est un exercice difficile car tous ces vins à part de 9 sont de très grands vins. Les couleurs de tous sont d’un beau jaune hésitant entre le citron et le miel clair, sans qu’une trace d’or ou d’acajou n’apparaisse nulle part. Ces vins sont donc jeunes. J’hésite au sein d’un groupe de quatre, les 4, 5 7 et 8. Mon vote est 4, 5 et 7. Bernard Burtschy dépouille tous les votes, coefficiente chaque vote et annonce le vote global : 4, 7 et 3. J’ai donc le même premier et deux vins sur trois communs avec le vote global. Le quatrième étant le 5 dans le vote global, j’ai donc reconnu dans mon vote trois vins des quatre premiers. Ça me ravit évidemment. Et j’essaie de voir si le 3 qui est dans le tiercé général est meilleur que le 5 de mon vote. Et j’avoue que je n’arrive pas à trouver le 3 meilleur que le 5.


Olivier nous annonce que les dix vins sont tous les vins d’une même décennie et que le numéro du vin correspond au dernier chiffre de l’année. Il demande si quelqu’un devine la décennie. Mon voisin de table parle des 90, Michel Bettane dit que ce pourrait être les 70. Je dis que je ressens les 80 et ce sont les 80. Le quarté final est donc : 1984, 1987, 1983, 1985. Mon vote est 1984, 1985, 1987. On voit que la hiérarchie ainsi faite est opposée au classement habituel des millésimes des vins rouges. A noter que les deux personnes qui font le vin sous l’autorité d’Olivier Bernard préfèrent le 1988 que j’avais mis dans mon quarté mais non retenu. La leçon principale de cet exercice est que tous les millésimes de cette décennie sont réussis et sont de grands vins. On le savait sans doute. Mais c’est intéressant de constater que chaque millésime d’une décennie présente de l’intérêt. Olivier Bernard a pris son risque et ce pari est réussi.


C’est maintenant le tour des rouges, et le premier service commence très fort. Ce ne sera pas à l’aveugle mais quand même, Olivier demande si l’on situe bien le premier. Je hasarde 1928 malgré une couleur d’un beau rubis de folle jeunesse. C’est en fait 1916 ! Le Domaine de Chevalier rouge 1916 est riche, plein, puissant, équilibré. Je suis sous le charme de son équilibre parfait. Le Domaine de Chevalier 1929 – maintenant nous savons tout de suite de quel millésime il s’agit puisque les deux derniers chiffres sont inscrits sur le pied – est plus profond, fumé, immense. Son final est immense. La longueur est impressionnante. Démarrer sur deux rouges de ce calibre, cela pose le décor à un niveau rare. Le 1929 est plus grand, mais je préfère le 1916, rond comme une sphère parfaite. Le Domaine de Chevalier 1947 est soyeux, séducteur. S’il représente la séduction pure, il n’a pas la même longueur. Le Domaine de Chevalier 1955 est un peu plus fatigué. Il est grand, mais monocorde, même s’il est puissant. On aurait envie de dire que c’est un vin qui est encore fermé. C’est le 1916 qui fait le plus jeune, le 1929 est le plus grandiose, racé et fier, le 1947 est le plus dense, très viril et le 1955 a quand même un léger bouchon. Le 1947 a un grand avenir. L’épeautre réagit divinement avec ces vins.


Fort imprudemment, ou est-ce par calcul, Olivier annonce qu’il a en réserve un magnum de Domaine de Chevalier 1953. Michel Bettane lui dit : « tu l’ouvres ». Olivier demande à notre table : « croyez-vous ». Excessifs que nous sommes, nous disons oui. Le 1953 est ouvert maintenant, arrive dans sa fraîcheur. Olivier est fou de ce vin qu’il trouve le plus beau de tous, rejoint par Michel Bettane et Bernard Burtschy. Je le trouve très grand, mais les plus vieux m’impressionnent plus. Le 1916 devient framboise, d’un charme fantastique, le 1929 est grand dans sa rigueur quand le 1916 est tout sourire. Le 1947 est une promesse de vin immense. C’est un vin du futur. Le 1953 est d’une fraîcheur extrême.


La deuxième série commence avec le Domaine de Chevalier 1961 qui, lui aussi s’impose. Il est immense, d’une grande structure et d’une belle matière et il brille par sa jeunesse. Le Domaine de Chevalier 1959 est plus élégant, avec moins de structure mais plus de charme. Le Domaine de Chevalier 1964 a un problème. Le Domaine de Chevalier 1970 est assez joli, pas mal, mais ne joue pas dans la cour des grands. Je classerais volontiers 1959, 1961 et 1953 alors qu’Olivier préfère le 1953.


Avant la troisième série, mon classement est 1916, 1929, 1959, 1961, 1953 alors qu’Olivier, consistant, campe sur son 1953. Si la dégustation en allant vers les vins plus jeunes a sa justification, elle pose quand même le problème du maintien de l’intérêt vers les vins les plus jeunes. Car, du moins pour mon palais, la complexité devient moins soutenue.


Le Domaine de Chevalier 1978 est râpeux et entre deux eaux, n’ayant pas encore trouvé sa voie, le Domaine de Chevalier 1983 est très élégant et doucereux, le Domaine de Chevalier 1985 est nettement meilleur, doté d’un plus bel équilibre, le Domaine de Chevalier 1989 me semble trop mince. Le 1978 se montre de plus en plus élégant et je classe : 1985, 1978, 1983 et 1989, alors que pour Rémi, l’homme qui a fait ce vin, c’est le 1989 qui lui plait le plus.


Que dire des rouges ? Ils ont fait la démonstration qu’ils ont un potentiel de garde à l’égal des plus grands. Ils montrent que les millésimes réussis sont nombreux. Je révise bien volontiers mon imaginaire antérieur sur ces vins que je n’aurais pas placés aussi haut dans mes hiérarchies, grâce à ce que j’ai goûté ce soir. Le format en magnum aide beaucoup. Pour les rouges comme pour les blancs, Olivier Bernard a pris ses risques. Il en recueille le succès.


En 23 vins, dix blancs et treize rouges, nous avons pu nous former une idée précise sur ce grand domaine. A noter qu’Olivier n’a en rien cherché à promouvoir ses productions récentes puisque, contrairement à d’autres verticales, il n’y a pas eu un seul vin de moins de vingt ans.


Merci à Olivier d’avoir été aussi généreux. L’équipe de Taillevent a remarquablement géré le ballet des cinq cents verres de ce repas. La cuisine a été parfaite. Un grand moment permettant d’apprécier ce domaine de Pessac Léognan d’une constance historique démontrée, à un haut niveau de qualité.

sagesse, sagesse, m’as-tu quitté ? samedi, 12 septembre 2009

L’esprit encore empli de la grâce du vin de Constance de 1791 qui me donne encore le tournis, je m’envole vers le sud. Ma fille cadette est revenue dans notre maison avec ses deux enfants dont le nouveau-né tant célébré, qui a puisé au sein de sa mère de quoi devenir un gentil sumo. L’esprit sera à la diète, avec les produits bio dont ma fille est une experte. Son mari la rejoint. Les plus belles bouteilles de l’été, je les ai partagées avec mon gendre. Aussi, quand tombe le soir, vient une interrogation silencieuse : serons-nous à l’eau ? La chair est faible hélas et je n’ai pas lu tous les livres diététiques.



La porte du réfrigérateur s’ouvre, je zyeute le mot « substance ». La messe est dite, nous fauterons. J’ouvre le champagne Substance de Jacques Selosse dégorgé le 20 juin 2005. Ce vin, élevé selon la technique de la solera, qui consiste à incrémenter chaque année les tonneaux de stockage d’un nouveau millésime sans jamais remettre les niveaux à zéro, est d’une couleur merveilleusement ambrée, fort inhabituelle pour des millésimes jeunes. Et en bouche, c’est une extravagante maturité qui s’impose à notre palais. D’une personnalité exceptionnelle, ce champagne est très fumé, riche de fruits entre orange et marron qui seraient fumés. Alors que la trace en bouche est extrême, le vin n’est pas très long, l’attaque étant saisissante mais peu suivie. On imagine mille combinaisons possibles avec ce champagne de gastronomie. Nous grapillons des petits amuse-bouche pour faire virevolter le talent du champagne.



A force d’essais, la bouteille se vide vite. Et quand il faut passer à table, il fait soif. J’ai envie d’ouvrir un autre champagne, je le dis et un œil noir, celui de ma fille, me morigène. C’est péché, mais l’objet du péché fait passer outre. J’ouvre un champagne Dom Pérignon 1995. Immédiatement nos yeux s’illuminent. A côté du champagne extrême de Selosse, nous revenons vers le champagne de plaisir, à la séduction irrésistible. Tout ce qu’il y a de féminin, de romantique, de roses foulées à pied nu par d’évanescentes beautés se trouve dans ce breuvage. Le Selosse a son territoire d’expression, extrême et guerrier, d’un talent rare, et le Dom Pérignon exprime la séduction naturelle. Ce n’est pas que le fait du hasard si Eva Herzigova a été choisie pour en être l’égérie sensuelle. L’abondance de produits bio fait voyager nos papilles sans que forcément nourriture et champagne embarquent sur le même quai mais peu importe. Ce champagne est en pleine possession de sa séduction. Il se déguste sans la moindre modération de notre approbation.

121ème dîner de wine-dinners avec un Constantia 1791 jeudi, 10 septembre 2009

Le 121ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Alors que j’envisageais de profiter des beaux jours de septembre dans le sud, Bipin Desai, célèbre collectionneur américain avec lequel je partage de grandes dégustations m’avait appelé en disant : « je souhaiterais assister à l’un de vos dîners, si possible le 10 septembre, et si possible avec une majorité de vins de Bourgogne ». Dit comme cela, je n’ai pas beaucoup d’options. Alors que je ne fais quasiment jamais de dîners à thèmes, j’ai composé un programme qui a reçu un accueil impressionnant. La demande m’aurait permis de faire plusieurs tables.


J’arrive au restaurant vers 17h30 pour ouvrir les vins. Aucun incident n’est à signaler sauf un petit bout de bouchon tombé dans la bouteille du 1952 que j’avais annoncée basse et qui joue avec moi comme les lots que l’on doit pêcher avec un hameçon impossible à fixer dans les stands de fête foraine. La partie de cache-cache dure de longues minutes. Pendant ce temps, un expert en vins et ami venu livrer quelques achats compulsifs que je lui avais faits regarde mon manège avec intérêt et nous confortions nos analyses des odeurs des vins à la tenue exemplaire. Alors que je m’activais, Alain Solivèrès entre dans la magnifique salle lambrissée du premier étage où se tiendra le dîner. Nous passons en revue le menu et je lui demande comment il envisage le foie gras que j’avais fait ajouter en fin des viandes, position dans le repas qu’aimait particulièrement Jean Hugel. Alain me dit qu’il l’a prévu poêlé avec une figue de Solliès sur un jus de banyuls. Ma grimace est expressive. Après discussion, il est convenu que je demanderai à chaque convive s’il veut une figue, servie sur une assiette séparée.


Après les ouvertures, je me change, mets une belle cravate flashy et les premiers convives arrivent. Le premier est Etienne Hugel, tout excité de me montrer son trésor. Il me laisse le soin d’opérer et j’ouvre la bouteille très caractéristique du Constantia du 18ème siècle. Le bouchon est protégé par une cire noire de poussière mais rouge et bleue à cœur, tendre comme de la pâte à modeler. La cire colle au couteau et sent mauvais. Le goulot est très étroit, de la taille d’un petit auriculaire. Je tire le bouchon qui se casse. Il est de forme tronconique, très resserré à l’endroit de la cassure, ressemblant comme deux gouttes d’eau au bouchon minuscule du Chambertin 1811 qu’un ami avait ouvert, au liège d’une pureté extrême. J’extirpe le reste du bouchon avec une curette sans qu’un morceau ne tombe. Je me rends compte que le goulot est étranglé à la hauteur de la moitié du bouchon ce qui explique qu’il était impossible de tirer le bouchon sans le déchirer. La première odeur est prometteuse. Je verse avec l’accord d’Etienne quelques gouttes dans un verre. Nous sommes trois à sentir et nous partager ces gouttes. Ce liquide, libéré après 218 ans d’emprisonnement dans son flacon est tout simplement divin.


Tout le monde est à l’heure. Nous sommes douze. Le jeune habitué des dîners qui était venu me retrouver dans le sud participe à son 9ème. Un couple de japonais vient pour la troisième fois, ce qui est aussi le cas de Michel Bettane, tandis que Bipin Desai les précède d’au moins cinq ou six dîners. Une jeune femme que j’ai interrogée suite à la défection le jour même d’un convive a réagi quasi instantanément et participera à son deuxième dîner. Un couple de français dont la femme est d’origine chinoise et un ami d’amis partagent avec Etienne Hugel la situation de « nouveaux ». Les femmes sont ravissantes. La chinoise d’origine porte une robe de soie chinoise et la japonaise est vêtue d’un kimono. Ces robes d’une extrême beauté ont illuminé le repas. Chaque repas débute par les consignes pour bien profiter du repas. J’ai innové en les envoyant par mail, pour gagner du temps. Bipin Desai me dit que de telles instructions « dictatoriales » seraient refusées par des amateurs américains. Heureusement, nous sommes en France !


Nous prenons l’apéritif debout, avec des petites gougères. J’explique l’hommage que je veux rendre à Jean Hugel et nous portons un toast avec le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971. Le champagne a une couleur d’un acajou teinté de thé. La bulle est quasi inexistante. On sent que les évocations de fruits d’automne sont rêches. Un petit défaut, une infime trace métallique, limite le plaisir de ce champagne fait de raisins nobles.


La table de douze est très longue aussi sera-t-il impossible aux convives placés aux extrémités de converser au travers de la table. Et ce d’autant plus que j’ai créé un « barrage » virtuel quasi infranchissable au centre puisqu’en face de moi, j’ai Bipin Desai et Michel Bettane et à mes côtés Etienne Hugel. La somme de connaissances qui ne demande qu’à s’exprimer monopolise le dialogue au centre. Tout un chacun s’émerveille de l’érudition de Michel Bettane.


Le menu conçu par Alain Solivérès est ainsi rédigé : Tartare de homard au yuzu et au gingembre / Saint-Pierre clouté au basilic / Risotto d’épeautre aux cèpes de châtaignier / Longe de veau de Corrèze aux girolles / Tourte de canard colvert / Foie gras de canard poêlé / Fourme d’Ambert glacée, marmelade d’oranges amères / Déclinaison d’ananas vanillé / Croustillant praliné.


Le homard est un plat délicat, la chair crue ayant des accents romantiques qui répondent à la grâce du Champagne Veuve Clicquot Brut 1966. Le champagne forme un contraste fort avec le Mumm tant son charme éclate. De belle couleur ambrée il est heureux de vivre, exprimant la plénitude du millésime 1966. L’accord est vibrant, plat et vin communiant dans des évocations de rose. Ce démarrage est d’une grande délicatesse.


Le poisson était prévu pour le Montrachet, mais Michel Bettane a tenu à nous faire goûter un Meursault Narvaux Leroy 1983. A l’ouverture, ce vin avait le parfum le plus intense qu’on puisse imaginer. A côté de lui, un Montrachet Bouchard Père & Fils 1989. On passe d’un vin à l’autre pour constater combien ils sont à la fois proches, car ils expriment une puissance peu commune et combien ils sont dissemblables dans toutes leurs composantes. Malgré l’intérêt d’un Meursault très pur et très ciselé, mon cœur balance et penche vers le Montrachet très serein, très maîtrisé, à la force tranquille. Contrairement au précédent cet accord est poli, sans créer d’émotion.


J’avais annoncé que l’Echézeaux Emile Chandesais 1952 est d’un niveau bas. Le vin allait-il être acceptable ? Ce qui nous a gênés, c’est beaucoup plus le fait que ce vin est tout sauf Echézeaux. Nous avons paraphrasé les Tontons Flingueurs : « de l’Echezeaux, il y en a, mais il n’y a pas que ça ». Le niveau bas n’a pas endommagé le vin, mais son voisin de verre est trop brillant. Le Gevrey-Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937 est une merveille de précision. Ce vin que j’adore fait partie des messages bourguignons purs. Le risotto est une réussite absolue de dosage. Un tel plat vaut trois étoiles. Ce sont les cèpes qui propulsent le 1937 vers des sommets. L’accord est d’un dogmatisme réjouissant.


Avoir sur sa table un verre de Romanée Conti ne peut laisser personne indifférent. Pour plus de la moitié de la table, c’est une première. La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 est d’une belle couleur intense. Le nez est extrêmement sophistiqué et évoque la rose. Il signe de façon évidente une Romanée-Conti. A ses côtés, un vin que j’adore, le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974. Michel nous raconte à quel point Michel Gaunoux réussit ses Pommard. Ce qui m’impressionne au plus haut point, c’est que la longe de veau est rose, et les deux vins explosent d’arômes de roses. L’accord est délicat, féminin, subtil au-delà de tout. La Romanée Conti 1983 est très Romanée Conti, mais ce n’est pas l’une des plus grandes, alors que le Pommard joue dans la cour des grands. Alors, qu’on le veuille ou non, le cœur penche vers le Pommard, même si la conjonction des deux vins mérite une mention spéciale, tant chacun fait briller l’autre sur le plat.


Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992 est lui aussi un mythe. Je l’ai associé à un Vosne Romanée Calvet 1947. Michel Bettane nous rappelle que c’est Emile Peynaud qui a aidé Calvet à vinifier ce millésime. On comprend pourquoi il nous plait tant, glorieuse et sereine expression du Vosne Romanée. Comme le vin d’Henri Jayer est un peu attentiste, une nouvelle fois nous avons l’occasion de voir le second rôle nous plaire plus que le jeune premier. La tourte est très riche et convient bien aux deux vins de belles longueurs. L’accord est très bourgeois.


En début de repas, j’ai demandé qui voudrait de la figue au banyuls avec son foie gras. La façon de poser la question impliquait la réponse. Personne n’en voulut. Sur un foie gras délicieux dans sa nudité, le Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1989 était mon chevalier, celui qui devait porter mes couleurs. Beau vin de Bourgogne dans sa belle jeunesse, il est classiquement bon, mais n’entraîne pas l’émotion que j’attendais. En retenue, un peu scolaire, il n’atteint pas son but. Il eût mérité un foie gras poché plutôt que poêlé.


Nous quittons ce voyage en Bourgogne avec des myriades d’étincelles dans les yeux, car nous avons croisé des saveurs authentiquement bourguignonnes, de celles qui prennent aux tripes. La Romanée Conti m’a fait vibrer, car je connais son chant, le Pommard est sublime, le Remoissenet exceptionnel. Nous avons été gâtés.


Qui pourrait trouver un vin que Michel Bettane ne connaît pas ? Je l’ai fait. Le Château Bousclas Barsac 1945 est un bel inconnu. Je lui soupçonnais un léger goût de bouchon mais Michel et Etienne ne l’ont pas confirmé. C’est un très agréable Barsac qui trouve dans la marmelade d’oranges amères un écho magistral. Le Château Climens Barsac 1943 est un beau Climens, avec une belle race. Un vin d’un or pur qui s’est exprimé sur le dessert délicat où l’ananas n’a pas imposé une trace trop prégnante.


Le Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976 était très attendu. C’est effectivement une réussite extrême de la maison Hugel où la douceur le dispute à la fraîcheur. Sa longueur quasi infinie signe un très grand vin. Lorsqu’on nous sert le Constantia Afrique du Sud 1791 le silence se fait. Porter à ses lèvres un vin de 218 ans ne peut pas laisser indifférent. Ce vin n’a pas d’âge, il est intemporel, vivant, sans signe de vieillissement. On me dirait qu’il a cinquante ans, je ne le refuserais pas. C’est le raisin qui est le plus évocateur des fruits qui composent le goût. Le vin est naturellement sucré, équilibré, profond et de belle longueur. Ce témoignage de grande pureté est l’un des moments qui marquent la vie d’un amateur. Les convives s’attendaient à boire un 1937 comme plus vieux vin ce soir. Ce coup de curseur de 146 ans donne le tournis.


C’est l’heure des votes de onze votants (la jolie japonaise ne boit pas mais aime voir son mari apprécier) pour quatorze vins. Savoir que dans un repas un Cros Parantoux d’Henri Jayer et un Clos de la Roche d’Armand Rousseau n’obtiennent pas un seul vote indique la hauteur de la compétition. Sept vins ont eu les honneurs d’être nommés premiers, ce qui montre la qualité des vins de ce soir. Le Constantia a eu cinq votes de premier, Le Veuve Clicquot, le Montrachet, la Romanée Conti, le Pommard, le Vosne Romanée 1947 et le Riesling recueillant chacun un vote de premier.


Le vote du consensus est : 1 - Constantia Afrique du Sud 1791, 2 - Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974, 3 - Vosne Romanée Calvet 1947, 4 - Gevrey-Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937.


Mon vote est : 1 - Constantia Afrique du Sud 1791, 2 - Vosne Romanée Calvet 1947, 3 - Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974, 4 - Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976.


Alain Solivérès venu nous saluer avec son équipe nous a apporté une grande assiette de figues, petit clin d’œil amical qui montre qu’il a le sens de l’humour. Il fut applaudi, car les accords de ce soir ont été dosés de façon exemplaire. Ce repas où l’émotion, la tendresse et l’affection étaient au rendez-vous, auquel un vin de 1791 a donné un lustre particulier, fut l’un des plus émouvants que j’aie pu vivre.

121ème dîner – les vins jeudi, 10 septembre 2009

Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971 (la bouteille est magnifique)



Champagne Veuve Clicquot Brut 1966 (c'est amusant de constater que c'est une bouteille d'un importateur italien)



Meursault Leroy 1983 (cadeau Michel Bettane). C'est la cave de Michel qui rend les étiquettes illisibles. L'année est impossible à voir



Montrachet Bouchard Père & Fils 1989



Echézeaux Emile Chandesais 1952 (c'est amusant de lire "vin spécialement recommandé")




Gevrey Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937 (le niveau est particulièrement beau)



Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983



Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974



Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992



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Vosne Romanée Calvet 1947 (très belle)




Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1989



Château Bousclas Barsac 1945 (c'est amusant de constater que ce château a fait imprimer des étiquettes sans années, avec seulement "19 ". Seul le bouchon indique le millésime)



Château Climens Barsac 1943




Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976 (cadeau Etienne Hugel)




Constantia Afrique du Sud 1791 (cadeau Etienne Hugel)


(photos sur un autre message)

Réflexions sur les vins de l’été samedi, 29 août 2009

Avec ma femme, nous avons passé deux mois dans le sud, pour recevoir essentiellement la famille directement proche, enfants et petits-enfants, et la famille lointaine que nous avons hébergée car elle a subi un grave accident, et parfois des amis.


Analyser ce qui a été ouvert m’intéresse, car cela renseigne sur mes goûts et leurs tendances à ce moment de ma vie.


Nous avons ouvert 61 flacons sur les deux mois correspondant à 74 bouteilles, du fait de 13 magnums, uniquement en champagne.


Le champagne a été de loin le privilégié de cet été, avec 27 flacons correspondant à 40 bouteilles. Plus de la moitié de ce qui a été bu est du champagne. Ce n’est pas un hasard, pour trois raisons :


Roman">- en été, le champagne désaltère


Roman">- le champagne est, du moins pour moi, beaucoup plus digeste


Roman">- c’est une région du vin que j’explore de plus en plus pour ses qualités gastronomiques.


Hors champagne, deux régions monopolisent les vins de l’été :


Roman">- le Rhône avec 14 vins


Roman">- la Provence avec 12 vins


Les autres régions sont les parents pauvres, avec 3 bordeaux, 2 bourgognes, et 3 vins divers.


Le choix peut s’expliquer ainsi :


Roman">- la Provence, car c’est dans leur région que ces vins sont nettement meilleurs à boire, avec des arômes naturellement en beauté dans leur habitat


Roman">- le Rhône, car aujourd’hui, c’est, pour les vins actuels, ma région préférée.


Je pressens évidemment ces tendances, mais l’analyse permet de mieux situer les hiérarchies qui se créent de façon inconsciente.


Une sélection de 22 vins parmi les plus intéressants bus cet été. Le classement est approximativement celui du plaisir. Mais tous ont été passionnants :


Champagne Krug 1982


Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1998


Chateauneuf-du-Pape Rayas 1995


Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1989


Côte Rôtie La Turque Guigal 2005


Champagne Dom Ruinart rosé magnum 1990


Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1996


Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1995


Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill en magnum 1998


Champagne Bollinger Grande Année 1989


Château Laville Haut-Brion 1979


Rimauresq Côtes-de-Provence 1989


Rimauresq Côtes-de-Provence 1990


Château Pibarnon Bandol 1990


Champagne Salon magnum 1995


Domaine de Terrebrune Bandol rouge 1995


Côte Rôtie La Landonne Guigal 2005


Ermitage « le Pavillon », Chapoutier 1989


Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum


Champagne Dom Pérignon 1995


Champagne Henriot 1996


Champagne Clos des Goisses Philipponnat en magnum 1990

Il y a eu beaucoup d’autres vins intéressants, mais ceux-ci représentent des plaisirs qui ont ensoleillé notre été.