125ème dîner de wine-dinners au restaurant Patrick Pignol jeudi, 22 octobre 2009

Le 125ème dîner se tient au restaurant Patrick Pignol.


Ce dîner est une première, car sur les onze vins qui seront ouverts, sept sont étrangers. Ma cave est essentiellement française, mais ici ou là, j’ai butiné, achetant des vins étrangers qui se présentaient à portée de ma raquette d’enchérisseur. J’ai défini un ordre des vins, sachant que pour beaucoup d’entre eux, c’est à l’ouverture que je déciderai de leur affectation sur le menu composé par Patrick Pignol. Aucun vin rouge n’étant ancien, je pensais, comme pour le dîner organisé avec les vins du père de Jonathan, que ce ne serait qu’une formalité. Nicolas, le sommelier fidèle de mes ouvertures, le croyait aussi. Or la bouteille de Vega Sicilia Unico 1964 avait été protégée par une cire approximative, du fait d’un début d’évaporation, et sous cette cire, une sale poussière grasse repose sur un bouchon descendu de près d’un centimètre. Imbibé, le bouchon se brise en mille morceaux. Et, surprise, comme pour le dîner en l’honneur de Jonathan, le bouchon du Penfolds Grande 1987 est indigne du statut mythique de ce vin. Le bouchon est quasi poreux, de la texture d’une gomme, sec et se brise en mille morceaux. Ce n’est donc pas un hasard, puisqu’un mauvais bouchon fermait aussi le Penfolds 1981. La texture du bouchon du Beaulieu 1978 est aussi gommeuse. Ces grands vins seraient bien inspirés de choisir de meilleurs lièges. Je fais sentir le Sigalas Rabaud 1896 au jeune pâtissier afin qu’il ajuste ses coings au parfum de ce beau sauternes. Le bouchon du Massandra 1931, Muscat Gurzuf est aussi poreux mais efficace que ceux de mes vins de Chypre.


La table se dresse, je me fais beau, tout est prêt pour ce 125ème dîner. Le menu composé par Patrick Pignol est ainsi décrit : Damier de noix de Saint-Jacques et truffes d’automne et sa tartine truffée / Fraîcheur de homard, au parfum de mélisse et pulpe de tamarin / Ris de veau rissolé en cocotte / Perdreau rôti au four au parfum de sauge ananas / Lièvre en 2 façons : râble cuit minute et civet en crépinette / Vieille tomme de Savoie ou tomme de brebis affinée / Déclinaison autour du coing / Madeleines.


Nous sommes dix. Neuf sont des habitués de ces dîners et le dixième, amateur fou de vins anciens, en a déjà dégusté de beaux avec moi. Il n’est donc point besoin de donner les consignes habituelles.


Le Champagne Bollinger rosé 1990 est d’une belle couleur rose. Son goût est précis et sa longueur est faible. Je suis assez déçu que ce champagne ne dégage pas beaucoup d’émotion. Il avait été ajouté au programme du dîner car je ne souhaitais pas que l’on démarre sur le 1962 et ce fut une sage décision car le palais est prêt, avec ce rosé qui est bon, à accueillir le Champagne Dom Pérignon 1962.


La première gorgée se prend sur une tranche de truffe, et c’est tout simplement divin. La deuxième gorgée se prend sur une tranche de coquille Saint-Jacques crue, ce qui donne une ampleur remarquable au Dom Pérignon. Avec la combinaison des deux, le champagne est parfait. Il représente la synthèse du champagne élégant. Il n’a pas d’aspérité, aucun muscle excessivement saillant. Je le trouve presque aqueux tant il est fluide, mais ce qui est indéfinissable, c’est que sous ses aspects apparemment simples, il fait toucher la perfection. L’image qui me vient est celle d’une chapelle bretonne. Elle n’a pas les audaces architecturales des basiliques, mais elle apporte une sérénité religieuse propice à la dévotion. Ce Dom Pérignon est ainsi, il pousse par son équilibre au recueillement.


En haut et à droite de l’assiette aux damiers, comme une note, un rappel ou un indice, un petit toast à la truffe est posé. L’accord du Dom Pérignon avec ce petit carré est impérial, confirmant l’efficacité absolue de ce champagne de grande pointure.


Le homard servi froid offre des goûts très dispersés, ce qui ne correspond pas aux souhaits de deux vins très subtils. Le Sassicaia 1987 est immédiatement charmant. C’est l’amoureux galant des romans du 18ème siècle, à l’habit débordant de dentelles et de fanfreluches, mais de grande distinction. Ce Sassicaia est l’élégance même, discrète et raffinée. A côté, l’Opus One Napa Valley 1984 fait un peu pataud sur les premières gorgées. Mais son évolution va être spectaculaire. Il se structure, il s’affine, au point d’avoir de jolis accents bordelais raffinés que le premier contact ne laissait pas envisager. Le cœur balance entre les deux, mais le charme italien opère.


Le ris de veau est d’une texture parfaite. L’accord avec le Vega Sicilia Unico 1964 est d’abord jugé osé par mes amis, mais il convainc toute la table. Ce vin était de loin le moins civil au moment de l’ouverture. Il me paraissait fatigué, et voici qu’il ressuscite au point d’entraîner l’enthousiasme de toute la table, comme le montrera le vote. Le vin est légèrement torréfié, comme beaucoup de Vega Sicilia Unico, avec des notes de café que suggère sa couleur très sombre, presque noire. Ce vin lourd et épais se domestique sur le ris. C’est un bonheur, vin riche et long en bouche, fou de charme.


Le perdreau est goûteux et remarquablement traité. Le Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978 est d’un raffinement extrême. Jamais on ne dirait que ce vin subtil et élégant, qui glisse en bouche en une trace séduisante est américain. Non pas que les Amériques ne soient pas capables de faire du bon vin, mais nos cocoricos leur ont collé une telle image qu’un raffinement de ce niveau surprend. Je suis conquis par ce vin. J’attendais de la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996 qu’elle domine la confrontation mais, est-ce l’attrait de la curiosité, je ne sais, car je suis emballé par le Beaulieu. La Landonne est un solide grand vin du Rhône fidèle à son expression habituelle, mais ce soir l’heure est cosmopolite.


Le lièvre est un sacré gaillard, traité pour exprimer son goût de gibier. Les deux vins qui lui sont affectés n’ont aucune envie de lui laisser le moindre pouce de terrain, comme en une mêlée de rugby acharnée. Le Cristom Willamette Valley Pinot Noir Marjorie Vineyard 1999 est inconnu de tous. C’est un vin de l’Oregon, puissant, facile, lisible, à la définition très claire, qui joue juste et bien. Vin de soif malgré sa force, il se boit avec plaisir. Mais je succombe au charme fou du Penfolds Grange Hermitage Bin 95 – 1987, comme il y a peu, j’avais fondu pour son 1981. Le nez évoque un coulis de framboise. En bouche, il est d’une opulence chatoyante. Il est charnu, goûteux, resplendissant. Je l’aime évidemment, mais un peu moins que le 1981. C’est un vin de très haut niveau.


Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896 a une belle robe d’un or sombre. Le coing est génialement dosé pour le mettre en valeur. Ce fut une bonne idée que de faire sentir le vin au pâtissier. Le nez du vin évoque le coing, bien sûr, ainsi que la bouche, dans une belle continuité. La râpe du fruit excite le vin de très belle longueur, vin immense qui est le plus grand des 1896 que j’ai bus de ce château. On comprendra aisément que je succombe au charme de ce vin subtil, aux variations gustatives d’une irisation infinie.


Le Massandra Gurzuf White Muscat 1931 étonne tout le monde. Il titre 10° et joue sur sa douceur et son sucre fort. Très long, il est plein de charme. Lorsque je l’avais ouvert, j’avais demandé s’il n’y avait pas quelques pruneaux en cuisine. Un maître d’hôtel me proposa fort judicieusement de grosses dattes tendres. L’accord du muscat avec ces dates est magique. Il faut passer des dattes aux madeleines et vice versa pour connaître des titillations doucereuses du plus bel effet.


Les votes sont particulièrement difficiles pour des vins dont les repères existent peu. Sur onze vins, neuf ont des votes, ce qui est agréable. Cinq vins ont l’honneur d’être premiers : le Vega Sicilia Unico 1964 quatre fois, le Massandra trois fois, le Dom Pérignon une fois comme le Beaulieu et le Sigalas Rabaud 1896.


Le vote du consensus serait : 1 - Vega Sicilia Unico 1964, 2 - Massandra Gurzuf White Muscat 1931, 3 - Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896, 4 - Champagne Dom Pérignon 1962, quasi ex-æquo avec le Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978.


Mon vote a été : 1 - Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896, 2 - Champagne Dom Pérignon 1962, 3 - Penfolds Grange Bin 95 – 1987, 4 - Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978. Si le premier voté du consensus n’est pas sur ma feuille de vote, c’est sans doute parce que j’avais en mémoire l’aspect visuel du bouchon très laid à l’ouverture et parce que c’était alors le plus fatigué. Le contexte psychologique de ce moment important ne me poussait pas à m’enflammer pour lui.


La brochette de vins rouges a démontré que les vins ‘d’ailleurs’ ont de la subtilité à revendre, ce qui tend à modifier l’imagerie d’Epinal sur les vins du Nouveau Monde. Deux accords ont été magistraux, le damier de Saint-Jacques et truffes avec le Dom Pérignon, ainsi que le Vega Sicilia et le ris de veau. L’ambiance chez Patrick Pignol est toujours enjouée et la cuisine d’une grande qualité. Nos rires résonnaient encore tard dans la nuit, conscients que nous étions d’avoir passé un grand moment avec des vins du plus bel intérêt.

dîner au chateau de Beaune : les vins samedi, 17 octobre 2009

Des bouteilles, dans la cuisine du château, avant ouverture



un impressionnant groupe de liquoreux, et des bouchons qui ont fortement résisté !



Charles Heidsieck rosé 1975



Champagne Cristal Roederer 1974



Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1914



Bourgogne Blanc Cosson propriétaire 1962 dont la capsule est frappée de « Clos des Lambrays »




Meursault Coche Dury 1967



Meursault Bouchard Père & Fils 1861



Clos de Tart 1981



« Vin des Côtes 1911 » écrit à la main sur l’étiquette d’une bouteille où est gravé dans le verre : « Pernod Fils »





Romanée domaine Gaudemet-Chanut, Jules Régnier 1908



Beaune Teurons Chanson P&F 1885



Côtes de Nuits Grand Cru Romanée-Saint-Vivant domaine Gaudemet-Chanut 1899



Musigny Domaine Prieur 1961



Bages Monpelou Pauillac 1898



Château-Chalon Jean Bourdy 1911



Monbazillac domaine du Grand Marsalet 1950




Quart de Chaumes Coteaux du Layon Château de Belle-Rive 1893




Muscat de la Tour mis en bouteille en 1897



vin de Chypre 1845



« Picca…… » « 18.. », le troisième chiffre pouvant être 5 ou 6 ou 8



vin inconnu (au centre de la photo) Sa bouteille ressemble à celle d'un vin d'Alicante de 1874 que j'ai bu il y a plus de vingt ans.



Treize vins de plus de 80 ans dans un dîner fou samedi, 17 octobre 2009

L’histoire de ce dîner d’une rare extravagance commence il y a quelques mois à la présentation annuelle à Paris des vins de la galaxie Bouchard Père & Fils. Michel Crestanello, directeur commercial du groupe pour la France me présente un jeune homme sympathique qui me dit avoir lu mon livre qui lui sert de guide. Il me demande si j’accepterais de participer à un dîner de vins vieux qu’il veut organiser. J’ai tellement de mal à gérer mon emploi du temps que je serais tenté de dire non, mais le jeune homme m’indique qu’il travaille au sein de la fédération nationale handisport à la promotion du sport pour les handicapés et à la participation aux Jeux Paralympiques. Ce détail pèse d’un grand poids, me fait dire oui, et je m’en félicite, on verra pourquoi. La mise au point se fait par échanges de mails. Sébastien apportera l’essentiel des vins puisque, jeune collectionneur qui a acquis quelques vieilles bouteilles, il ne veut pas attendre pour les boire. Cela me donne envie d’apporter certaines des plus chéries de mes bouteilles. La maison Bouchard nous prête l’Orangerie du Château de Beaune. Sébastien fait les invitations, me demande d’apporter des suggestions à la mise au point du menu et me demande d’ouvrir les vins.


Avant d’aller remplir cette tâche, je fais un crochet au Clos de Tart, car Sylvain Pitiot, qui participera au dîner, prépare une extraordinaire verticale de son vin et me fait l’honneur de me consulter sur l’organisation de l’événement. J’arrive ensuite au château de Beaune pour ouvrir les vins qui ont été conservés beaucoup trop froids dans un réfrigérateur. Je commence à officier et Sébastien m’explique que parmi les invités, qui viennent en amis, il y aura Stéphane Follin-Arbelet, DG de Bouchard, qui a prévu une bouteille qui sera bue à l’aveugle, Christophe Bouchard et Michel Crestanello de la maison Bouchard, Jean-Charles Cuvelier, Jean-François Coche-Dury, Sylvain Pitiot et plusieurs amis de Sébastien dont des cavistes vendeurs de vins anciens. L’un d’entre eux a apporté une bouteille déjà ouverte, enveloppée d’aluminium qui sera aussi bue à l’aveugle. Parmi les bouteilles plusieurs sont inconnues et non-identifiables. Cela ajoutera du piment au dîner. Beaucoup de bouchons se brisent en milliers de morceaux, ce qui oblige Célian, un ami de Sébastien, pongiste international, à user de sa dextérité pour aller à la pêche aux brisures pendant que je continue d’ouvrir d’autres bouteilles. D’autres vins s’ajoutent. Je suis obligé d’officier de nombreuses fois. La bouteille de Romanée 1908 est dépigmentée et sent la serpillière, ce qui indique avec certitude que le vin est mort. Nous verrons que rien n’est moins certain que le certain. Le parfum du Château Chalon 1911 est d’une invasion extrême, la noix explosant dans nos narines. La soif venant, nous décidons de goûter l’un des nombreux liquoreux. L’un des vins inconnus m’évoque un Pedro Ximenez très ancien. Le Chypre 1845 me paraît moins flamboyant que d’habitude. Nous verrons.


Le groupe se forme et Michel nous fait faire la sacro-sainte visite des lieux. Je m’amuse à le faire presser car il y a tant de vins à boire, mais ses paroles intéressent tous les visiteurs qui rêvent à l’évocation et à la contemplation de ces trésors. Nous prenons l’apéritif sur des gougères dans le salon du château. Le Champagne Charles Heidsieck rosé 1975, de l’année de Sébastien, est d’une belle couleur. Le nez est superbe, l’attaque est belle et franche, mais je suis gêné par son final trop âpre, tendant vers un goût métallique, comme si le vin avait eu contact avec l’enveloppe en aluminium. Cette imperfection va rendre encore plus brillant le Champagne Cristal Roederer 1974 à la couleur bien jeune et au nez extraordinaire. C’est un champagne merveilleux, très équilibré et très grand. Le mot qui s’impose est : magnifique.


Nous passons à table dans l’orangerie du Château de Beaune. Le menu conçu par Stéphane Léger du restaurant Le Chassagne est : pressé de foie gras et magret de canard aux figues / noix de Saint-Jacques, mousseline de panais au sel fumé, beurre ciron-gingembre / côte de veau aux girolles, légumes oubliés en coque de potimarron / comté de 18 mois / minestrone de mangue et ananas / financiers à la réglisse.


Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1914 a été pendant plus de vingt ans le plus grand champagne que j’aie eu l’occasion de boire. Aussi suis-je par avance conquis. La couleur est très belle évoquant le miel. Le nez est très racé. Disons–le tout net, il est pour moi totalement extraordinaire, mais je sais que c’est très personnel. Racé, sec, citronné, il a une longueur infinie. C’est un grand témoignage qui m’émeut énormément.


Nous avons trois vins devant nous : un Bourgogne Blanc Cosson propriétaire 1962 dont la capsule est frappée de « Clos des Lambrays », puis un Meursault Coche Dury 1967 apporté par mon voisin de table qui en était à sa troisième récolte cette année-là, et le vin mystère de la maison Bouchard P&F, pour lequel Stéphane Follin-Arbelet donna cette curieuse piste : « comme François Audouze a bu de chez nous presque tout ce qu’il y a de plus grand, il fallait trouver un vin qu’il n’ait pas bu. Ce vin n’a jamais été ouvert au domaine. Il n’y a donc aucune note de dégustation ».


Le 1962 a une belle couleur. Le nez est convenable, la bouche évoque le gibier et le métal. Son final est désagréable. Il est inutile d’insister. Le 1967 est très clair, d’une couleur très jeune. Le vin est éblouissant de fraîcheur. Il est fluide, souple, jeune et beau, de belle longueur, mais ce qui frappe le plus, c’est son impression de fraîcheur qui marque le palais.


Le vin mystère est de couleur plus sombre. Il a une belle attaque. La première impression est de bois de santal, de poussière, mais Stéphane nous met bien en garde : « vous allez voir ce vin s’étendre et s’épanouir dans le verre. Attendez suffisamment ». Et nous sommes les témoins d’une éclosion spectaculaire. Le vin devient très grand, et tous ses défauts s’estompent. Stéphane nous donne le nom du vin : c’est un Meursault générique, simple Villages. Il nous demande de situer l’année. Je suggère que ce vin est sûrement d’avant 1910. Stéphane ne nous laisse pas hésiter longtemps : c’est un Meursault Bouchard Père & Fils 1861. Stéphane me demande si j’ai un repère sur l’année 1861 et je lui dis que 1861 est l’année d’un Yquem qui est le plus grand des Yquem de ma vie.


La première série de vins rouges compte : Clos de Tart 1981, un vin intitulé « Vin des Côtes 1911 » écrit à la main sur l’étiquette d’une bouteille où est gravé dans le verre : « Pernod Fils », une Romanée domaine Gaudemet-Chanut, Jules Régnier 1908, un Beaune Teurons Chanson P&F 1885 et le vin mystère de Gérard, un ami de Sébastien.


J’aime beaucoup de Clos de Tart 1981 qui est extrêmement naturel et sincère. D’une année calme, il décline les notes bourguignonnes calmement, mais avec une belle franchise. J’adore ce vin qui est à la charnière de la jeunesse et du début de maturité. Le vin des Côtes est étrange. La couleur est assez pâle, il est d’une acidité assez nette mais se boit bien. La force alcoolique me fait chercher vers le Rhône, mais Sylvain Pitiot pense que ce vin est bourguignon. Le nez du vin rebute les vignerons présents.


Rarement dans ma vie aurai-je rencontré une surprise aussi grande que cette Romanée 1908. Car à l’ouverture, le vin était objectivement dépigmenté. Or ce que l’on sert dans les verres, même clairet, est du vin. Comment ce vin a-t-il pu se pigmenter de nouveau ? Son goût est équilibré et délicieusement bourguignon. Je n’en reviens pas et Célian et Sébastien qui ont assisté à l’ouverture en sont aussi étonnés. Le 1885 est trop décevant pour être bu, trop dévié. Le vin mystère est renfermé, comme s’il s’était coincé de lui-même. Là aussi la déception est évidente. Le vin est nommé : Côtes de Nuits Grand Cru Romanée-Saint-Vivant domaine Gaudemet-Chanut 1899. Ce vin est donc du même domaine que celui de la Romanée. Mais la Romanée est d’un bonheur immense, évoluant vers la framboise, quand le Saint-Vivant n’est que pâle fantôme.


Le vin de Sylvain Pitiot est un Musigny Domaine Prieur 1961. Sa robe est d’un rouge idéal. Ce qui est intéressant à constater c’est qu’il explose en bouche mais manque de longueur. Opulent et riche, il ne tient pas la longueur. Pendant ce temps, le Meursault 1861 continue de s’améliorer. Sébastien ajoute au programme un Bages Monpelou Pauillac 1898, ostensiblement bouchonné.


Le Château-Chalon Jean Bourdy 1911 est un de mes apports. Son nez est puissant et envahissant. Le vin est d’une folle jeunesse et d’une puissance à tout vaincre. L’accord avec le comté est magique. Le Meursault 1861 montre maintenant une similitude avec le vin du Jura, mais le comté ne reconnaît que son compagnon préféré.


Sur le dessert cohabitent un Monbazillac domaine du Grand Marsalet 1950 et un Quart de Chaumes Coteaux du Layon Château de Belle-Rive 1893. Ce dernier était coiffé d’un muselet comme les vins de champagne, sans que cela corresponde à la moindre effervescence. Les deux vins ont des couleurs très similaires, d’un bel or. Le nez du Monbazillac est de cédrat confit. Celui du 1893 est beaucoup plus discret et poussiéreux. Le 1950 en bouche est presque sec, très beau, évoquant l’agrume confit. Le 1893 est aussi très beau dans des notes de thé, d’une amertume plaisante.


Arrivent maintenant quatre vins doux de compétition. Le Muscat de la Tour mis en bouteille en 1897 est un vin que j’ai toujours adoré. Les chahuts sur son bouchon qui se brisait en mille morceaux ont rendu le liquide un peu trouble, mais en bouche, ce vin est d’une séduction incomparable, jouant sur la douceur sensuelle suggérée. Il est subtil et a un final qui claque.


Le vin de Chypre 1845, mon chouchou, mon champion est ici dans une forme moins belle que celle que je connais. Mais il a une longueur infinie et une race incomparable, faite de poivre et de réglisse, ce qui justifie les financiers que j’avais demandés.


Le vin suivant est dans une bouteille très semblable à celles de ma collection de vins de Chypre et autres îles méditerranéennes. Mais sur l’étiquette on ne lit que « Picca…… » « 18.. », le troisième chiffre pouvant être 5 ou 6 ou 8. Ce vin très noir est gras, très beau, ressemblant de façon quasi certaine à un Pedro Ximenez. Disons qu’il est de 1850, pour dire quelque chose.


Le dernier vin inconnu est d’une bouteille d’un verre très fin torsadé au refroidissement du souffleur. Le vin est vif et gras, très mentholé, massif, avec peut-être un peu trop de sucre. Il pourrait être aussi de la période autour de 1850.


J’ai réussi à convaincre cette belle assemblée de voter comme lors de mes dîners et voici ce que cela donne. Nous sommes treize votants pour vingt vins. Onze vins ont des votes, ce qui veut dire que neuf sont restés sur le trottoir. C’est assez normal car il y avait des vins à risque, ajoutés juste pour voir. Six vins ont eu les honneurs d’une place de premier : le Meursault 1861 cinq fois, le Cristal Roederer 1974 trois fois, le Moët 1914, le Meursault 1967, le Musigny 1961 et le Romanée Saint Vivant 1899 une fois chacun.


Le vote du consensus, difficile à calculer serait : 1 - Meursault Bouchard Père & Fils 1861, 2 - Romanée domaine Gaudemet-Chanut, Jules Régnier 1908, 3 - Musigny Domaine Prieur 1961, 4 - Champagne Cristal Roederer 1974 et un cinquième serait le Meursault Coche-Dury 1967.


Mon vote est : 1 – Moët & Chandon Brut Impérial 1914, 2 - Romanée domaine Gaudemet-Chanut, Jules Régnier 1908, 3 - Meursault Bouchard Père & Fils 1861, 4 - Meursault Coche-Dury 1967.


L’ambiance de ce dîner a été toute particulière. Nous avions l’impression d’appartenir à une secte, comme d’ailleurs le suggère le titre du petit livret remis pas Sébastien : « entre amis, chapitre 1 ». Il indique ainsi qu’il envisage des suites. Nous avons vécu des tranches d’histoire. Car treize vins de plus de 80 ans dans un même dîner, c’est chose peu commune et même plus, c’est exceptionnel. L’existence de bouteilles qui avaient rendu l’âme n’était d’aucune gêne, car nous avons eu accès à des saveurs uniques, non reproductibles, dont nous sommes les jouisseurs et les témoins. L’amitié, la générosité transpiraient dans chaque moment de ce repas. L’ambiance était décontractée puisque Sébastien, magicien à ses heures, nous gratifia même de quelques tours de magie. Mais la magie la plus grande était celle de ces quelques heures de communion intense et unique, par la volonté d’un jeune collectionneur attachant et enthousiaste.

Succession de dîners fous samedi, 10 octobre 2009

Steve m’avait dit que le lendemain de notre magnifique dîner, il y aurait juste une petite collation en cercle élargi, d’une quinzaine de personnes. Steve avait suggéré que nous apportions des magnums. J’avais prévu un magnum de l’Hermitage la Chapelle Jaboulet 1990. Il ne put venir du fait de mes problèmes de douanes. Steve a fourni mon vin : un magnum de Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1997.


Nous nous dirigeons vers le restaurant Acquerello, un restaurant italien qui m’a étonné par la pertinence de chacun de ses plats. L’apéritif est debout, avec des hors d’œuvre : Pate Campagnola on crostini / Arancini di riso / roasted peppers with tuna ‘tonnato’ / Grilled prawns scented with citrus. Ils nous sont servis sur un champagne Veuve Clicquot en magnum 1979 qui est manifestement bon, mais s’arrête au seuil de la zone où il pourrait donner de l’émotion. Il est bien fait, mais seulement bien fait. Au contraire, le Champagne Bollinger R.D. en magnum 1988, lui aussi bien structuré, crée des vibrations. ‘Ça pulse’ comme on dirait aujourd’hui. L’un comme l’autre les deux champagnes évoquent le miel.


Nous passons à table et Steve m’indique la place d’honneur au centre de la grande table de quinze convives. Le menu realisé par la chef Suzette Gresham-Tognetti est rédigé dans un mix d’anglo-italien : pan seared scallops, corn fritter, baby fennel and tarragon / lobster panzerotti in a lobster brodo with “Diavolicchio’ / risotto with wild mushrooms / home made ‘tajarin’ with fresh white truffles / scared lamb loin caponata and cornmeal cake / seared breast of squab with herbed faro and prosciutto basket / American Kobe beef with Piemontese ‘dragon beans’, tomato soffritto and basil / basil gelato roasted strawberries and pistachio praline / peach tart with Italian triple cream.


Nous commençons par le Château Haut-Brion blanc en magnum 1985. Ce vin est très grand. Ce qui m’intéresse le plus, c’est que ce vin est dans une période charnière entre la belle jeunesse et le début d’une maturité. Sa palette de goûts est très colorée. L’accord avec la Saint-Jacques est fabuleux. C’est un vin de plaisir, excitant par sa trace fumée que capte le coquillage.


Le Montrachet Bouchard Père & Fils en magnum 1996 a tous les atouts d’un Montrachet avec une complexité minérale prononcée. Mais je trouve qu’il exprime plus le style Bouchard que le style Montrachet. Le Montrachet Louis Latour 1995 est fantastique. Il combine le goût d’un grand vin avec le goût d’un vin vieux alors qu’il ne l’est pas. Je suis très enthousiaste de cette duplicité. Le 1995 est fumé, miel, acacia. C’est un trésor. Le Louis Latour est beaucoup plus évolué que le Bouchard, et selon les convives, les préférences iront pour l’un ou pour l’autre. J’aurais tendance à préférer le Bouchard que je trouve le plus authentique. Mais le plat de homard est tellement en osmose avec le Louis Latour que je finis par préférer celui-là.


Nous goûtons maintenant deux Barolos : un Barolo Palladino en magnum 2003 qui titre 13,5° et un Barolo Bricco Rocche 1982 qui titre 13°. Les deux nez sont très proches, le 2003 étant évidemment plus jeune. Le 2003 est astringent mais très riche. Il est puissant et riche comme un vin de plaisir. Le 1982 est très poivré, plus astringent encore, moins généreux, tourné vers le café. Avec le risotto de champignons, le 2003 s’exprime mieux et exacerbe son poivre. Le plat à la truffe blanche est à se damner. Une perfection absolue. Et les deux Barolos brillent. Mais c’est le 2003 qui se marie le mieux. Et par un fait étrange, quand le plat est enlevé, le 2003 a le goût de la truffe blanche, alors que le 1982 l’a déjà oubliée. Le plat est extraordinaire.


Le Château Figeac en magnum 1982 a un léger problème de bouchon qui va entraver sa prestation. Le Château Trotanoy en magnum 1970 a de l’ampleur. C’est un vin opulent. Il a une structure lourde et puissante que la douceur de l’agneau va apprivoiser. Sa jeunesse est impressionnante.


Le Vosne–Romanée Cros Parantoux Henri Jayer en magnum 1997 est très sauvage. C’est un vin de grande pureté, sans aucune concession. Le nez du Bonnes-Mares, domaine de Voguë en magnum 1988 est plus plaisant. En bouche la trace est plus bourguignonne, même si elle est moins pure que celle du 1997. Il évoque le café, le poivron dans un registre très bourguignon.


Le Bonnes-Mares, domaine de Voguë en magnum 1990 est d’une maturité tranquille. C’est très difficile de juger et hiérarchiser ces trois vins dissemblables, mais mes préférences sont : 1997, 1988 et 1990, même si ce dernier a très probablement le plus bel avenir.


Le Corton Clos du Roy Camille Giroud 1976 est délicieux sur le bœuf de Kobe. On pourrait presque dire qu’il est hermitagé tant il est joyeux. Il est généreux mais très simple, bien adapté à la viande riche.


On me demande de donner mes préférences et ce serait : 1 - Vosne–Romanée Cros Parantoux Henri Jayer en magnum 1997, 2 - Château Trotanoy en magnum 1970, 3 - Montrachet Louis Latour 1995. J’explique bien en annonçant mon vote qu’il est influencé par mes sensibilités sur certains thèmes de pureté et d’authenticité que d’autres amateurs peuvent de pas ressentir avec la même intensité. Mon vote est très généralement approuvé. Le Bonnes-Mares, domaine de Voguë en magnum 1988 continue de s’améliorer dans le verre et me plait beaucoup tandis que le Montrachet Bouchard montre une tenue remarquable.


La précision des plats est spectaculaire. Il est rare que le goût principal soit aussi bien mis en valeur et non pas détourné par les clins d’œil excessifs d’ingrédients parasites. Nous avons remarquablement mangé. Les vins ont été d’un niveau qualitatif exemplaire. La fatigue commençait à se montrer, cat tant de vins en deux jours ou même trois jours, c’est humainement difficile.


Il y avait hier et aujourd’hui l’un des copropriétaires de « French Laundry », le plus réputé des restaurants de la Napa Valley. Il m’a proposé d’y aller dîner demain. Pourvu qu’à son réveil il ait oublié sa proposition !

dîner au restaurant Acquerello à San Francisco samedi, 10 octobre 2009

champagne Veuve Clicquot en magnum 1979




Champagne Bollinger R.D. en magnum 1988



Château Haut-Brion blanc en magnum 1985



Montrachet Bouchard Père & Fils en magnum 1996



Montrachet Louis Latour 1995



Barolo Palladino en magnum 2003



Barolo Bricco Rocche 1982



Château Figeac en magnum 1982



Château Trotanoy en magnum 1970



Vosne–Romanée Cros Parantoux Henri Jayer en magnum 1997



Bonnes-Mares, domaine de Voguë en magnum 1988



Bonnes-Mares, domaine de Voguë en magnum 1990



Corton Clos du Roy Camille Giroud 1976



Le menu réalisé par la chef Suzette Gresham-Tognetti est rédigé dans un mix d’anglo-italien :


pan seared scallops, corn fritter, baby fennel and tarragon



lobster panzerotti in a lobster brodo with “Diavolicchio’



risotto with wild mushrooms


home made ‘tajarin’ with fresh white truffles



scared lamb loin caponata and cornmeal cake



seared breast of squab with herbed faro and prosciutto basket




American Kobe beef with Piemontese ‘dragon beans’, tomato soffritto and basil



basil gelato roasted strawberries and pistachio praline



peach tart with Italian triple cream.



Les verres en fin de repas



A quoi sert de collectionner des vins anciens ? A des partages uniques. vendredi, 9 octobre 2009

Steve, un collectionneur californien de vins anciens, avait participé en 2005 à un voyage en France d’amateurs américains d’un même forum sur le vin. Le voyage avait deux destinations, la Bourgogne, dont j’avais géré l’organisation et le bordelais, mis au point par d’autres amis. Il avait ensuite participé à l’un de mes dîners. La conversation que nous avons eue nous a conduits à décider de nous rencontrer deux fois par an, une fois à San Francisco et une fois à Paris pour partager nos plus belles bouteilles.


Je suis à San Francisco depuis deux jours, et le jour de gloire est enfin arrivé. Une matinée de shopping me montre l’attrait d’un dollar faible. Nous passons en revue le programme des festivités avec Steve lors d’un snack rapide, suivi d’une sieste interrompue par l’impressionnant ballet aérien des avions de chasse qui révisent leurs acrobaties avant le grand show de samedi. A 17 heures précises une limousine interminable va nous conduire au dîner. En entrant dans ce salon roulant où tout brille d’un clinquant assumé, il ne manque, pour ressembler aux clips des chanteurs à la mode, que ces filles aux shorts dorés incapables de retenir les opulentes chairs rebondies offertes aux rappeurs à casquettes, chaînes en or et tatouages de Yakuzas. C’est peut-être parce que nous sommes cravatés.


Nous arrivons au restaurant La Toque à Napa. J’ai en main une bouteille de La Tour Blanche 1898 qui a voyagé avec moi et une autre bouteille de secours qu’il ne sera pas nécessaire d’ouvrir et sera offerte à Steve. J’avais prévu une liste de quatre vins pour faire équilibre avec les apports de Steve, mais mes vins ont été bloqués à la douane à Roissy et ont fait un trajet aller et retour de ma cave à Roissy. Le sauternes est venu seul dans mes bagages.


Nous sommes salués par le sommelier et par le chef. Alors que nous ne sommes pas présentés, Yoon Ha, qui fera le service du vin, me dit : « monsieur Audouze, j’utilise votre méthode d’ouverture des vins et je la trouve d’une efficacité remarquable ». Etre reconnu en terre inconnue est assez sympathique. Ken Frank me serre la main et se présente en français : « Ken Frank, chef et propriétaire du restaurant ». Le décor est planté.


J’ouvre ma bouteille que je confie à Yoon dans une cave très fraîche. L’odeur me ravit. Nous discutons de l’ouverture des autres vins car rien n’a encore été fait. Sentant les vins une fois que l’opération est accomplie, je suggère à Yoon que certains soient mis en salle de restaurant pour qu’une température plus clémente leur permette de s’épanouir. Il reste du temps avant le dîner, aussi, avec quelques dissipés nous allons grignoter un snack à la brasserie de l’hôtel dont l’immeuble abrite La Toque.


A 19h30 les huit hommes sont au complet. Au comptoir d’entrée nous buvons debout un Champagne Krug Grande Cuvée en magnum qui doit avoir sept ou huit ans. Il est d’une belle acidité et ce qui est marquant, c’est sa longueur en bouche, avec une belle persistance de fruits jaunes. La croquette au crabe lui convient mieux que le foie gras trempé dans une sauce très épicée.


Le menu conçu par Ken Frank pour les vins est ainsi rédigé : Crab croquette – foie gras as a « Corn Dog » / Rosti potato with Russian Osetra caviar / Sea scallop with pearl tapioca and squid ink / Alaskan halibut with celery root mousseline and mushroom parmesan broth / Nilgai antelope with braised lentils and root vegetables / Angus beef braised all day in Napa Valley red wine / Wolfe farm quail with chanterelles / Chick pea ravioli with fresh Burgundy truffle / Fourme d’Ambert. Ce fut d’une grande justesse et d’une belle intelligence au service des vins.


Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle 1959 a un nez un peu amer mais en bouche il est doux, profond et de belle longueur. Sans bulle, il est dans un autre monde de saveurs que tout ce que l’on connaît. Le caviar lui donne de l’ampleur. Mais le Champagne Krug 1952 est tellement grand qu’on ne pense plus qu’à lui. Sa couleur est encore d’un jaune pâle, la bulle est active. C’est un champagne vivant. Sa longueur est infinie avec une rémanence gustative de fruits bruns. J’adore cette sensation aromatique inextinguible.


Le parfum du Château Haut-Brion blanc 1998 envahit la pièce. Le vin est très large et la Saint-Jacques l’élargit encore. Il est magnifique dans sa jeunesse, au fruit très lourd. Le Château Haut-Brion blanc 1928 a une couleur d’un or très pur. Le nez est plus discret et élégant. Je suis gêné au début par une légère amertume et je pense préférer le 1998, mais le vin ne cesse de grandir dans le verre, et la densité de sa structure est remarquable. Les soixante-dix ans de différence confirment l’image que je donne souvent pour expliquer le travail du temps : le 1998 est un silex aux arêtes saillantes alors que le 1928 est un galet parfaitement équilibré. Le plus ancien s’accorde merveilleusement au léger goût sucré de la Saint-Jacques. Les perles noires de tapioca ne sont pas nécessaires. Le 1928 montre que seul un terroir unique peut donner un vin de 81 ans aussi riche et complet.


Le Château Margaux 1929 a une couleur d’une belle jeunesse. Je ressens l’espace d’un instant un léger bouchon dans le parfum, mais la bouche n’est pas altérée. Elle est complexe. Le vin est tout en fruit rouge, et la sauce du flétan arrondit les angles du vin, gommant l’essentiel de ses légers défauts. Le vin a le style Margaux, très souple, délicat, et dont les défauts n’empêchent pas de le trouver grand. Le céleri a un pouvoir extrême pour le magnifier. Si le Haut-Brion 1928 blanc atteint un sommet, ce Margaux 1929 est surpassé pas des Margaux plus jeunes.


Le Château La Mission Haut-Brion 1947 a une couleur très dense, presque noire. Le nez est fantastique de puissance. En bouche, c’est la puissance absolue. Boisé, poivré, on imagine volontiers sur l’antilope que l’on boit un 1989. La sauce rend le vin encore plus grand. Les légumes ne sont pas utiles. A ce stade, ce vin est le plus parfait.


Mais voilà… Le Château Latour 1945 ne peut entraîner qu’un seul commentaire : c’est la perfection absolue. Le bœuf est grandiose, avec sa polenta qui lèche le vin, et il n’est pas possible d’envisager quoi que ce soit de plus grand que ce vin et que cet accord. Comme nous le commentons, bien sûr Mouton 1945 est au dessus de ce Latour. Mais nous sommes en face d’une telle perfection qu’il n’est pas question de bouder ce moment de bonheur pur. Le pauvre Château Latour à Pomerol 1945 qui cohabite sur l’Angus a bien du mal à trouver sa place. Tout seul il serait apprécié. Mais comme lorsque deux jeunes femmes se promènent dans la rue, on n’en voit qu’une seule, la plus belle. Sa fraîcheur mentholée est agréable, mais le vin servi trop froid ne peut rien faire pour lutter contre un génie.


Comment est-il possible qu’un Château Cheval Blanc 1926 à la couleur aussi pâle puisse donner tant de bonheur ? Il est délicat, fait de fruits rouges, avec une subtilité pleine de charme. Le Château Haut-Brion rouge 1926 paraît sombre tant le contraste des couleurs est grand. Le second a besoin d’être réchauffé dans les verres, et malgré sa structure lourde presque torréfiée, je préfère le Cheval Blanc au Haut-Brion. La sauce de la caille est un délice sur le Cheval Blanc.


La Romanée Leroy 1955 a un nez magique, d’une rare sensualité. Steve l’a fait servir avant La Romanée Leroy 1962 pensant que le premier est le plus léger. Mais si le 1962 est plus sensuel, le 1955 est plus profond et trouve un écho dans la truffe d’été. Ce vin est immense et me plait plus que le 1962. Comme je fais mon classement au fur et à mesure des arrivées de vins, je suis bien embarrassé de hiérarchiser les bordeaux et les bourgognes tant les registres sont différents.


Le nez du Château la Tour Blanche 1898 est devenu beaucoup plus strict qu’à l’ouverture où il était brillant et chaleureux. En bouche il est un peu sec et strict, mais sa structure s’impose. Il réagit bien sur des amandes. Le Château Suduiraut 1921 a une couleur plus dorée. Le vin est plus précis. Mais mon cœur penche vers le vin du 19ème siècle, plus concentré et de plus en plus dense quand il s’ouvre.


Le Tokaji Eszencia 1912 évoque le café et la réglisse. Ce vin de l’année de naissance de ma mère est magnifique et extraterrestre. C’est l’un des meilleurs Tokays anciens que j’aie jamais goûté.


Dans mon classement, la première place est indiscutable. Ensuite, les impressions du moment pèsent beaucoup : 1 – Latour 1945, 2 – Romanée Leroy 1955, 3 – Mission 1947, 4 – La Tour Blanche 1898, 5 – Romanée Leroy 1962, 6 – Haut-Brion 1928 blanc, 7 – Cheval Blanc 1926, 8 – Suduiraut 1921, 9 – Krug 1952, 10 - Margaux 1929. Insérer le Tokay dans ce classement est quasiment impossible, peut-être en 5ème position.


L’accord le plus grandiose est celui du bœuf Angus avec le Latour 1945. Ken est venu bavarder avec nous, heureux d’avoir pu exprimer son talent en tournant sa cuisine vers les vins qu’il a tous goûtés. Yoon a vécu un moment précieux pour lui et nous avons tous les deux ensemble abondamment commenté les accords et les vins.


Un tel repas est la récompense ultime d’une vie de collectionneur. La revanche aura lieu dans six mois à Paris, comme chaque année….

au restaurant La Toque à Napa dîner de grands vins vendredi, 9 octobre 2009

Photos prises dans la cave du restaurant



Champagne Krug Grande Cuvée en magnum


Champagne Laurent Perrier Grand Siècle 1959


Champagne Krug 1952


Château Haut-Brion blanc 1998


Château Haut-Brion blanc 1928


Château Margaux 1929


Château La Mission Haut-Brion 1947



Château Latour 1945



Château Latour à Pomerol 1945



Château Cheval Blanc 1926


Château Haut-Brion rouge 1926



La Romanée Leroy 1955


La Romanée Leroy 1962



Château la Tour Blanche 1898


Château Suduiraut 1921



Tokaji Eszencia 1912



Le menu conçu par Ken Frank :


Crab croquette – foie gras as a « Corn Dog »


Rosti potato with Russian Osetra caviar



Sea scallop with pearl tapioca and squid ink



Alaskan halibut with celery root mousseline and mushroom parmesan broth



Nilgai antelope with braised lentils and root vegetables




Angus beef braised all day in Napa Valley red wine



Wolfe farm quail with chanterelles



Chick pea ravioli with fresh Burgundy truffle



Fourme d’Ambert

124ème dîner de wine-dinners au restaurant de Gérard Besson jeudi, 1 octobre 2009

J’adore quand la mise au point d’un dîner se fait par un dialogue avec le chef. Le 124ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Gérard Besson. Je lui avais envoyé la liste des vins et à réception, le chef m’avait demandé si je ne voyais pas d’inconvénient à ce que le Coutet 1947 soit associé à une langouste. Comme j’adore les associations canailles, j’ai immédiatement dit oui. Lorsque j’ai reçu le projet de menu, ultra-copieux, j’ai regardé l’ordre des plats, mais je n’ai pas réagi à l’ordre des vins. Et le sujet m’a trotté dans la tête. Lorsque j’arrive au restaurant à 16h30 pour ouvrir les vins, rencontrant le chef, je lui dis : « il faut absolument mettre la langouste après les viandes et non avant, car le Coutet risque de fusiller le Lafite 1919 ». Gérard Besson n’y est pas opposé, mais les viandes finissent par le lièvre à la royale. La transition serait trop rude. La solution paraît évidente : mettre le lièvre à la royale avant l’oreiller de la Belle Aurore et non après, afin que la langouste ne soit pas étouffée par le lièvre. Ces considérations zoologiques sont assez ésotériques, mais la logique culinaire est respectée.


J’ouvre les vins. Le Coutet est tellement puissant et La Tour Blanche 1949 tellement intense qu’il me semble évident que La Tour Blanche doit se marier à la langouste et le Coutet à la tarte. Le chef sent et confirme mon choix. Ces modifications bouleversent tout ce qui était imprimé sur les menus, mais qu’importe quand on sent que l’on tient une logique gustative.


L’ouverture des vins ne me pose que des problèmes classiques de brisures de bouchons anciens. Curieusement, le haut du bouchon du Montrachet 1976 sent fortement l’humus, exactement comme celui de l’Aloxe-Corton 1947. Les vins du Domaine de la Romanée Conti n’ont donc pas le monopole d’exsuder la terre. Le vin de Massandra 1931 est protégé par une cire dure qui est d’une affreuse odeur. En retirant le bouchon bien dense, je constate que le vin n’a pas été atteint. Versant une goutte dans un verre – ce sera la seule à ce stade – je constate un goût irréellement doucereux, comme la cuisse d’une Rita Hayworth alanguie. Ça promet ! Le parfum du Lafite 1919 en magnum est la récompense de ma passion. Nul parfum n’est aussi beau que cela. Je me précipite pour faire sentir cette nouvelle merveille du monde à Gérard Besson, afin qu’il constate cette éclosion divine. Pourvu que le vin tienne ce que promet cette fragrance unique. Le Meyney 1911 qui provient de la cave où j’ai trouvé des Lafite 1900 est d’un niveau très bas. Compte tenu des autres vins, je me permets cette loterie. A l’ouverture, le pari semble gagné. L’odeur du vin est charmante, faite de fruits rouges. Tout me sourit ce soir. Pourvu que ça dure.


J’écris ces lignes avant le repas et ma réflexion est que l’existence d’un Lafite 1919 en magnum aussi monumental est une récompense absolue. Je me contenterais de ce seul vin. Comme les choses ne se passent jamais comme on les imagine, attendons le dîner.


Les participants sont tous masculins. Il fait si beau que nous attendons les retardataires sur le trottoir où je donne les consignes d’usage.


Le menu préparé par Gérard Besson et que nous avons ensemble ordonné différemment est ainsi rédigé : Gougères, mousse de foie de volaille, gelée truffe, crevette / Superposition d’aiguillette de bœuf et foie gras, truffe de Bourgogne / Gigot d’agneau (en deux services) / Crépinette de pied de cochon et cèpes / Lièvre à la Royale / Oreiller de la « Belle Aurore » / Langouste et rigatoni duxelles / Feuilletage au fruit sur une crème d’amande aux zestes d’oranges confits / madeleines.


Le Champagne de Vénoge 1982 se présente dans une bouteille de grande beauté qui met en valeur la couleur ambre du vin, dans un dégradé que crée la forme presque conique. La couleur dans le verre est très belle, d’un ambre délicat. La bulle est active, le nez est chaleureux. Le goût est celui d’un champagne ancien, ce qui perturbe beaucoup de convives, novices en la matière. J’essaie de montrer l’intérêt de ces goûts non conventionnels, mais il n’est pas sûr que j’aie convaincu.


Le Champagne Krug Vintage 1979 a une bulle très active et plus fine. La couleur est aussi ambrée, d’un bel or. Le goût est résolument ancien, très puissant. Il est aussi difficile à comprendre que le premier champagne. Je ne le trouve pas aussi flamboyant que de précédentes versions de ce millésime de Krug.


Le Montrachet Réserve Nicolas 1976 me fait pousser un « ouf » de soulagement, car nous revenons vers des goûts que tout le monde connaît. Le vin est clair, limpide, opulent, avec une belle variété gustative, sans que la complexité soit extrême. C’est un vin de grand plaisir auquel personne ne saurait donner d’âge tant il est intemporel.


Le Château Meyney 1911 est d’une belle couleur de rouge sang, sans trace de tuilé. Le nez est le même qu’à l’ouverture, charmant. En bouche, le vin est rassurant, ample, velouté, évoquant les fruits rouges. Bien sûr, ce vin n’est pas d’une netteté parfaite, et les signes d’âge abondent. Mais c’est une bonne surprise du fait d’un niveau faible et il est réellement possible de percevoir le message du vin.


Le Magnum de Château Lafite-Rothschild de 1919 délivre maintenant un parfum assagi. La couleur est d’un beau sang de pigeon. En bouche, l’acidité prend le dessus. Il faut beaucoup d’imagination pour en faire abstraction et saisir le beau message velouté sur un tapis de framboises et de groseilles. Je suis triste. Car j’aurais dû reboucher ce vin qui avait un parfum unique, pour ne pas le perdre.


La démonstration du vin n’est pas convaincante, mais comme la cavalerie américaine dans un film de John Wayne, le second service du gigot, sur un lit de haricots blancs, va effacer complètement l’acidité et libérer enfin le beau message qui s’amplifiera pour moi lorsque je boirai la lie. Des haricots blancs qui libèrent un vin, même Hitchcock n’aurait jamais pensé à ficeler une telle intrigue. Mon voisin de table est ravi de découvrir ainsi le Lafite sous un beau jour. Malgré ce progrès, ma tristesse n’est pas totalement effacée, car je croyais il y a quelques heures tenir une pépite de première grandeur.


L’Aloxe-Corton Rémi de Foulanges 1947 est une bouffée de jeunesse. Il montre à quel point les bordeaux eussent dû être bus beaucoup plus tôt. Mais comme je le précise, je n’ai jamais voulu faire vieillir ces vins. Je les ai trouvés et acquis et je leur donne une occasion de connaître enfin le sort auquel ils étaient destinés. Le vin bourguignon au message simple est follement rassurant. Ilse boit avec un immense plaisir sur une divine crépinette au goût prononcé qui fait chanter l’Aloxe.


La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984 est rassurante, confortable, cossue, d’une douceur qui convient bien à ses 25 ans. L’année met un bémol à la puissance qu’il pourrait avoir, mais c’est bien ainsi, car il ne crée pas de choc frontal avec le lièvre à la royale.


Le Cos d'Estournel 1955 démontre de façon éclatante que c’est à cette maturité qu’il faut boire les bordeaux. Il est magnifique d’équilibre et de sérénité. C’est un beau et grand vin à la longueur remarquable. Les votes le constateront.


Le Château La Tour Blanche Sauternes 1949 crée avec le homard un accord spectaculaire. Gérard Besson est venu goûter le vin pour ajuster ses sauces. Nous vivons un régal de continuité gustative. Le vin est d’un or plus gris que le Coutet. Son goût est plus strict mais infiniment raffiné. Il fallait cette classe pour mettre en valeur le goût subtil et délicat du crustacé et du vin.


Le Château Coutet Barsac 1947 est d’un or joyeux. Il incarne la joie de vivre avec la beauté d’Alain Delon quand il avait vingt ans. La tarte aux fruits jaunes est délicieuse de légèreté. Elle forme un accord cohérent avec le vin, mais sans créer la vibration de l’accord précédent. Les zestes d’oranges sont goûteux, mais un peu trop forts pour entraîner le Coutet dans leur sillage. On ne peut imaginer plus dissemblables que ces deux liquoreux, l’un dans la distinction et l’autre dans la joie de vivre.


Le Vin de Crimée de la Collection Massandra Al Danil Tokay 1931 nous emmène dans un univers totalement inconnu. Personne n’a de repères sur ce vin d’un marron clair, au nez doucereux. En bouche le vin est une interrogation. On imagine qu’il est faiblement alcoolisé, dans les 8° peut-être, mais la présence alcoolique est forte au palais. Où est la vérité ? Le grain de raisin de Corinthe est la saveur la plus immédiatement présente. Doucereux, charmeur, il a des langueurs orientales. Ce qui le rend encore plus plaisant, c’est qu’il fait explorer des gammes de goûts intemporelles et inconnues. On imagine volontiers que le même vin de cent ans de plus aurait le même goût. Les madeleines lui conviennent bien.


Il est temps de voter. La surprise est infinie de voir que les onze vins de ce soir ont tous reçu au moins un vote de la part des dix votants. Pour mesurer l’invraisemblable portée de ce phénomène, il suffit de penser ainsi : si un convive, ou moi-même, notait les onze vins dans l’ordre, et ne se limitait pas à seulement quatre vins, il aurait un onzième dans sa feuille de vote, le vin le plus faible pour lui. Comment imaginer que ce onzième puisse être dans les quatre premiers d’un autre votant ? C’est extrêmement improbable, mais cela se produit souvent.


Le Château Meyney 1911 a reçu des votes de 1er, 4ème, 4ème. Le Lafite 1919 a reçu des votes de 2ème et 2ème. Quelle surprise ! Six vins sur onze ont été nommés premiers : le Cos trois fois, le Krug deux fois, et le Meyney, l’Aloxe-Corton, La Landonne et le Massandra une fois.


Le vote du consensus serait : 1 - Cos d'Estournel 1955, 2 - Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984, 3 - L’Aloxe-Corton Rémi de Foulanges 1947, 4 - Château Coutet Barsac 1947.


Mon vote a été : 1 - Château La Tour Blanche Sauternes 1949, 2 - Vin de Crimée de la Collection Massandra Al Danil Tokay 1931, 3 - Château Coutet Barsac 1947, 4 - Cos d'Estournel 1955. Dans mon cas, la place de premier est influencée par le plus bel accord, celui avec le homard.


Il y avait à notre table un convive de 86 ans, peu familier de ces vins, qui a écouté et appris avec le sourire. Comment a-t-il fait pour supporter le choc de tant de plats ? Mon voisin de gauche a eu la prudence de ne manger qu’un tiers de son lièvre. Pris dans les conversations et les explications, j’ai mangé sans laisser de reste. C’est une folie meurtrière. Car Gérard Besson est trop généreux. Il a traité chaque plat comme s’il était un plat unique. Et même le gigot a été doublé ! Cette folie a au moins un mérite. Elle a montré le talent d’un homme généreux qui a, ce soir, réalisé un grand repas. J’ai classé les plats que j’ai préférés : 1 – la crépinette de pied de cochon et cèpes, 2 – le gigot, 3 – la superposition d’aiguillette de bœuf et foie gras, truffe de Bourgogne, 4 – le feuilletage au fruit sur une crème d’amande aux zestes d’oranges confits.


Ce matin, ma balance m’a adressé une lettre recommandée d’avis d’expulsion : elle ne peut plus me supporter. Malgré la légère tristesse que m’a causée la désillusion du Lafite 1919 que j’avais trop rapidement déifié, les vins de ce dîner ont créé un merveilleux voyage. Quatre régions que j’adore sont dans le vote global. Une belle cuisine traditionnelle a rendu hommage aux vins français.

Livres en Vignes à Clos Vougeot et dîner de la Confrérie du Tastevin samedi, 26 septembre 2009

Le lendemain matin, les écrivains s’installent à leur pupitre pour signer leurs ouvrages et le mien est si étroit que je vagabonde pour discuter avec les auteurs et acheter plus de livres que je n’en signerai. Le déjeuner se tient au sein du château de Clos-Vougeot et le buffet est de grande qualité : une joue de veau est d’une grande tendresse qui met en valeur un Ladoix Clos des Chagnots Pierre André 2006 que j’ai particulièrement apprécié pour sa franchise de ton et sa générosité sans complication.


On s’habille vite en tenue de soirée pour participer à la grande soirée de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Dans la salle des pressoirs qui date du 12ème siècle, le grand conseil intronise à tour de bras de nouveaux chevaliers, en décrivant chacun par un joli mot aimable de présentation. Nous passons ensuite dans la grande salle du chapitre pour le dîner de gala dont le menu bourguignon est ainsi présenté : le pressé de volaille de Bresse aux écrevisses / le suprême de maigre moustardier / les œufs en meurette vigneronne / la noisette de Charolais en truffade / les bons fromages de Bourgogne et d’ailleurs / l’escargot en glace, le confit de pommes glacé tradition / les petits fours.


Le Rully blanc 1er cru Chapitre 2006 est très animé par la gelée aux écrevisses. Il n’a pas beaucoup de profondeur, mais beaucoup de rondeur. Le Beaune blanc 1er cru Champs Pimont 2000 Tasteviné est un peu trop riche pour moi. Sa structure est un peu faible pour la puissance excessive qu’il délivre. Le plat de poisson est moins adapté que les autres plats pour faire briller le vin.


Le Pernand-Vergelesses Les Belles Filles Tasteviné 2001 est un peu amer mais les œufs meurette le rendent charmant et sympathique. Le Volnay 1er Cru En Chevret Tasteviné 1997 est très beau, subtil, agréable car il n’en fait pas trop. Légèrement amer il est délicieusement râpeux sur le bœuf. Le Chambertin Clos de Bèze Grand Cru 2004 a beaucoup de matière et d’opulence. Il s’anime sur le fromage « les délices de Pommard » car les grains de moutarde le titillent. Il est moins fringant sur le Brillat-Savarin et un peu minéral sur l’Epoisses. Dans une chaleur insupportable, les discours se succèdent. Les prix littéraires sont décernés, dont le prix Livres en Vignes à Antoine Laurain devenu depuis l’an dernier ici même notre ami et qui a brillamment intégré dans son livre la description d’une Romanée Conti 1937. Nous avons quitté cette fête joyeuse et calembourdesque avant que n’apparaissent les Crémants et les marcs. Il était tard quand nous avons fermé les yeux sur le souvenir de ces rabelaiseries.

Livres en Vignes – dîner au château de Beaune vendredi, 25 septembre 2009

A Dijon, la grippe du tramway a frappé. Terriblement contagieuse, elle rend la circulation automobile totalement impossible. Alors que nous avions une avance confortable pour nous rendre à l’hôtel de la Cloche, institution dijonnaise, nous n’avons que quelques minutes pour déposer nos bagages et prendre la navette de « Livre en vignes » la désormais célèbre fête de la vigne et des lettres, qui nous conduit chez Bouchard Père & Fils pour la traditionnelle visite des caves, avec une halte émue dans la cave des vins centenaires. Du haut d’une des tours du château de Beaune, le soleil se couchant sur les vignes de Corton est une vision romantique. Nous redescendons pour gagner l’Orangerie du château pour le dîner d’ouverture du salon.


Le menu est ainsi rédigé : pressé d’aubergines aux tomates, chèvre frais de la ferme du Poiset, sauce vierge / cuisse de volaille fermière farcie au vieux Comté, crémeux de moutarde à l’estragon, petit gratin Maintenon / assiette de fromages régionaux / choco-cassis.


Je deviens un convive difficile, car abreuvé aux meilleures cuvées Henriot, je trouve que le Champagne Henriot Brut Souverain n’a pas encore trouvé son équilibre.


Le Chablis Bougros Côte Bouguerots Grand Cru Domaine William Fèvre 2006 en revanche est d’une belle fraîcheur. L’image qui me vient, c’est de l’eau qui s’écoule délicatement sur des ardoises brutes. Car la minéralité du vin laisse la place à une charmante fraîcheur. J’aime beaucoup ce vin précis et naturel.


Le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1998 vit dans un monde à part. Il est assis, cossu, vin de grande complexité et kaléidoscopique. Ce Chevalier est un peu moins épanoui que ceux que j’ai bus de ma cave, mais cela tient aussi au plat dont la tomate ne met pas en valeur les blancs.


Le Corton Bouchard Père & Fils 2000 est très intéressant car il n’est pas dans les normes. Etrange, énigmatique, hors des sentiers battus, il me plait beaucoup pour sa promesse, malgré une année qui n’est pas au firmament et pour son originalité. Il est assez canaille. Et paradoxalement, il va me plaire un peu plus que le Chambertin Clos de Bèze Bouchard Père & Fils 1989 dont la belle structure est prometteuse. Jacky Rigaud qui présente ce vin, écrivain du vin d’un rare talent, dit qu’il est à son apogée. Je ne suis pas d’accord et je le vois progresser, même s’il n’atteindra pas des sommets de l’appellation.


Mon voisin, écrivain sur l’avenir des civilisations, me demande de désigner un vin de ce dîner. Ne l’écoutant pas, je lui donne mon classement des émotions immédiates, sans relation avec les valeurs intrinsèques : 1 – Chablis, 2 – Le Corton, 3 – Clos de Bèze et 4 – Chevalier-Montrachet. Mais il revient à la charge et me dit. Si vous deviez prendre une seule bouteille, laquelle prendriez-vous ? Et ma réponse est : le Chambertin, ce qui montre que selon l’angle d’approche, la réponse n’est pas la même.


L’accueil chez Bouchard est toujours d’une grande qualité. Avec des écrivains de talent qui abordent des thèmes passionnants, parler de sujets riches est plus facile quand on boit de grands vins.