Déjeuner au restaurant Laurent avec La Tâche 1943 lundi, 19 avril 2010

Au sein de l’académie des vins anciens, il y a des académiciens d’une générosité sans limite. Avec l’un d’entre eux, Bruno, j’ai adopté la stratégie du mur de tennis. La fonction du mur de tennis, quand on lui envoie une balle, c’est de la renvoyer. Quoi de plus plaisant de répondre à la générosité par la générosité ?


Un jour Bruno m’appelle et me dit : « j’ai acheté une La Tâche 1943, de ton année, et je l’ai acquise pour la boire avec toi ». Le rendez-vous est pris au restaurant Laurent pour déjeuner. J’ai apporté deux bouteilles, un champagne et un blanc, et comme nous ne sommes que deux, il est décidé que nous ferons l’impasse du champagne. Bruno a apporté à titre de sécurité un autre vin de 1943, un des plus grands bordeaux qui soient, et d’un commun accord, en humant La Tâche, nous décidons qu’il ne sera pas nécessaire de l’ouvrir. Bruno m’indique qu’il sera au programme d’une autre rencontre.


A peine sommes nous assis dans le merveilleux jardin du restaurant, où les marronniers étrennent leurs feuilles toutes fraîches, qu’un ami très cher s’approche de notre table. Nous nous embrassons comme du bon pain et la question se pose de fusionner sa table et la notre puisque Bruno et moi avons chacun une bouteille de plus. Il est décidé de faire table à part, mais un verre de chaque vin sera destiné à mon ami.


Le vin que j’ai apporté est un Corton Charlemagne J.F. Coche Dury 1998. Patrick Lair nous suggère de prendre un foie gras poêlé. Cela peut prendre un certain temps et comme nous avons soif, à ma demande, il fait préparer des tranches de Comté. Le vin de Coche Dury est tout simplement impérial. Sa couleur est d’un or vert, son nez est profond et pur. En bouche, il y a une combinaison de caractéristiques contraires. Comment peut-on combiner une puissance indestructible avec une légèreté d’âme aussi romantique ? Comment peut-on trouver une structure aussi limpide et avoir un vin fantasque, chantant et buissonnier ? Ce vin a tout pour lui. Ce qui est intéressant, c’est que le comté joue un rôle latitudinal quand le foie gras joue en longitudinal. Le Comté donne de l’opulence au vin, au détriment de sa longueur, et le foie gras donne une longueur invraisemblable au vin tout en rétrécissant son parcours dans le palais, pour n’en retenir que l’essentiel de la trame. L’émotion est intense et en le buvant, je me dis qu’il n’existe pas de vin plus riche, plus beau, plus complet que ce vin dans la plénitude de sa sérénité. C’est un vin immense. Les petits grains de poivre saupoudrés sur la surface lisse du foie gras poêlé excitent le Corton Charlemagne en flattant sa richesse et sa complexité.


Avec Philippe Bourguignon, nous avions pensé qu’un pigeon aux morilles irait bien avec La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943. La bouteille est de niveau très bas, comme hélas on le voit souvent avec de vieux vins de la Romanée Conti qui pèchent par la qualité des bouchons. Le vin ouvert il y a trois heures a été malencontreusement mis dans une armoire fraîche qui a joué – les hommes me comprendront – le rôle d’une mer froide sur l’anatomie masculine. Aussi, le nez est-il coincé, et la première bouche est-elle particulièrement peu amène. La couleur est fortement tuilée. Tout cela ne présage rien de bon.


Heureusement, le plat est un Docteur Miracle. Il est clair que nous nous persuadons que le vin est bon. On dit : « quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ». De même, quand on veut que La Tâche 1943 soit bonne, on arrive à trouver de quoi la juger bonne. Et c’est vrai qu’il se structure, qu’il prend un peu de la richesse qu’il pourrait avoir. Et, comme nous sommes là pour en profiter, nous trouvons tout ce que nous pouvons pour que le courant passe. La morille nous y aide.


Un signe qui ne trompe pas, c’est que nous avons décidé que mon autre ami n’aura pas de La Tâche, car nous avons voulu profiter de chaque goutte de ce beau témoignage de la Romanée Conti, fatigué par un mauvais vieillissement, rétréci par son dernier stockage en chambre froide, mais répondant à l’appel qui lui a été fait par Bruno de briller pour son passage en scène au cours de ce repas d’amitié.


Nous parlions d’ Yvan Roux. Tout d’un coup d’une table voisine, un inconnu me tend son téléphone portable et me passe Yvan Roux qui m’avait hier proposé de profiter de cigales juste pêchées. Ce voisin inconnu avait entendu que je disais du bien d’Yvan Roux et voulait que le contact se fît.


Mes amis qui avaient reçu un grand verre de Coche Dury se joignent à notre table. Je décide d’ouvrir le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1955 que j’avais apporté. Comme notre table est passée de deux à quatre, j’invite aussi l’inconnu de la table voisine à se joindre à nous. La couleur du champagne est ambrée, avec une légère trace de gris. Il n’y a plus de bulle et l’impression de pétillant n’existe plus. C’est donc un vin que nous buvons, avec la complexité et la richesse que ces champagnes évolués peuvent montrer si magnifiquement. La couleur implique logiquement une petite amertume, qui ne gêne pas le plaisir de déguster ce vin riche et dépaysant.


A cette heure-ci, il reste peu de monde dans le jardin, aussi ai-je l’audace d’aller me présenter à Jean-Luc Petitrenaud qui déjeune à l’une des dernières tables. Je lui propose un verre du champagne. Il a la réaction qui me fait plaisir car elle correspond à sa personnalité. Il m’écoute présenter le champagne, avec les précautions que je suggère pour l’aborder. Il boit, ses yeux plissent, et avec un large sourire, il me dit : « passionnant ».


Il est temps de plier bagage. A une table voisine un couple ne cessait de regarder nos bouteilles avec curiosité. J’adresse deux mots à ces personnes aimables. Ce sont des mexicains en voyage à Paris qui, incapables de rentrer au pays du fait du nuage de poussières volcaniques, s’emploient à passer le temps. Par un beau soleil, dans le jardin du restaurant, qu’y a-t-il de mieux ?

Aujourd’hui, au Petit Nice, j’ai bu le plus grand vin du monde mardi, 6 avril 2010

Aujourd’hui, au Petit Nice, j’ai bu le plus grand vin du monde. C’est vrai que chaque fois que je bois un grand vin, c’est, au moment où je le bois, le plus grand vin du monde. Mais il y a des échelons, des nuances dans ce Panthéon et aujourd’hui, même si j’ai eu la chance d’aborder quelques vins parmi les icônes les plus rares de l’histoire du vin, j’ai tutoyé la perfection.


L’histoire commence il y a deux ans. Je déjeune avec mon épouse au Petit Nice et je repère un vin qui m’attire. Quand le prix d’un vin est de l’ordre de grandeur - voire plus bas - du prix que je paierais aujourd’hui pour l’acquérir, je mets un point d’honneur à le commander. Il faut encourager les restaurants dont la tarification est accueillante. J’ai détecté cette pépite après le déjeuner, lorsque j’ai consulté plus attentivement la carte des vins, et j’ai demandé à José Pottier de me garder la bouteille.


Le temps a passé. Soit j’estimais que les convives avec qui nous venions au Petit Nice ne comprendraient pas ce vin, soit nous n’étions pas d’humeur. De plus la crise est passée par là, mettant un frein à mes désirs de folie. Une fenêtre de tir se présente, je réserve une table au restaurant Le Petit Nice, et je demande qu’on prévoie la bouteille. J’envoie un mail pour demander que Gérald Passédat pense bien à préparer son menu en fonction du vin, qui mérite des accords parfaits.


La veille, José m’appelle et me demande s’il faut ouvrir la bouteille avant mon arrivée. J’indique que je souhaite voir l’éclosion du vin. La bouteille sera ouverte au dernier moment. Le matin José m’appelle à nouveau et me dit que Gérald souhaiterait goûter le vin pour préparer son menu. Je demande que l’on m’attende pour que les choix soient faits.


A l’heure dite, par un beau soleil de printemps, la Corniche de Marseille surplombe une mer légèrement agitée par une petite brise. La couleur des flots est vert émeraude. La bouteille est sur une petite table, portée par un panier de service. Pour préparer ma bouche, je demande à José d’avoir une coupe de champagne. C’est un Champagne Fleury, fleur de l’Europe non millésimé, fait à partir de pinot noir en majorité, élaboré en biodynamie. Le champagne est très pur, très peu dosé, et se marie bien avec les multiples petits amuse-bouche.


Pendant ce temps, je vois le sommelier qui ouvre la bouteille, se sert un verre et commence à le goûter. J’ai horreur de cela. Car à un certain niveau de vin, le centilitre vaut cher. Et, par un vieux réflexe grippe-sou, même si j’aime bien donner et partager, je n’aime pas que l’on me taxe d’un impôt retenu à la source. Car au prix du marché, la ponction du sommelier frise le billet vert de nos euros. Et j’estime – est-ce de la vanité - qu’à ce niveau de vins, mon avis sur le vin vaut bien celui du sommelier.


Je m’approche de la table et je verse un verre à Gérald Passédat afin que nous prenions connaissance de ce trésor. Je ne ferai pas durer plus longtemps le suspense, il s’agit de La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1990. La bouteille est à température parfaite. Le nez est exemplaire de suavité, de délicatesse comme un bouquet de roses. En bouche, c’est la perfection du Domaine de la Romanée Conti. Il y a le charme, il y a la délicate amertume saline mais à peine esquissée, et il y a une subtilité mariée à une complexité romantique. Tout est réuni pour que Gérald se surpasse. Nous échangeons deux ou trois mots. Je demande s’il y a un pigeon. On me répond que le repas sera tout au poisson. Gérald indique deux ou trois pistes que j’avais d’ailleurs repérées sur la carte, puis il me dit : « à moi de faire. Vous aurez quatre plats ».


Nous finissons l’apéritif au salon et nous passons en salle. Notre table est à l’aplomb de l’eau, avec une vue d’une rare beauté. Ce lieu est merveilleux. On m’a gardé le verre qui avait servi à taster le vin et, confortablement assis, je me mets à boire. L’image qui me vient à l’esprit est la suivante : à Versailles, la chambre du roi richement meublée et décorée est séparée du public par des barrières dissuasives qui ne masquent pas la vue. Au moment où je bois en rêve, les barrières sont enlevées, je suis seul, pieds nus, et je jouis du contact qu’ont mes pieds avec les tapis de la Savonnerie de cette vaste chambre royale, tout en me délectant du nectar. Ce vin est royal. Il y a deux jours, j’ai bu deux Côtes Rôties La Turque de Guigal, une 1997 et une 2000, que j’ai adorées pour leur générosité joyeuse. Ici, je passe du statut de comte au statut de roi. Car ce vin a tout. Il est subtil, complexe, délicat, romantique, avec une longueur qui n’en finit pas de iodler les complexités. Rien ne s’arrête, et mon plaisir est un plaisir serein, celui que l’on ne veut pas ébruiter pour qu’il ne s’échappe pas. Je suis paralysé de bonheur, et je prends conscience qu’il y une échelle dans la perfection qui n’a plus de limite avec cette Tâche 1990.


Le menu préparé par Gérald Passédat est ainsi conçu : les amuse-bouche gourmands / tourteau rôti entier au poivre, mélange mandarin, légumes sautés, araignée de mer / le loup à l’endoumoise, aubergines Barthélemy / gallinette de palangre aux sucs réduits de sa chair / les rougets de roche, jus d’entrailles comme une bécasse de mer / les fromages affinés / l’avant dessert / de fines gaufrettes croquantes et entremet minute / mignardises maison.


L’amuse-bouche comporte des asperges de Pertuis et une pince de homard. Le vin fait ses vocalises avec ces saveurs. Nous nous exerçons pour les accords à venir. Le tourteau est enduit d’un délicat et discret cacao et l’accord est absolument magique. Car le doucereux de la chair tendre mais intense excite le poivre du vin. C’est magique. Chaque plat est accompagné à sa gauche d’une petite assiette qui présente une saveur complémentaire parfois hasardeuse. Je suis prudent pour ne pas effrayer le vin, mais j’ose essayer de le goûter après un fond de sauce de roquette. Il faut oser ! Et je constate que cela fait apparaître la rectitude du vin. Il est moins long, mais affiche plus de matière en milieu de bouche.


Le loup est magnifiquement présenté, avec une douceur de chair rare. Et sa subtilité épouse celle du vin. Je prends un peu de jus de bœuf seul avec le vin et c’est miraculeux. Le loup est doucereux et La Tâche le lui rend bien. Ce vin est un miracle.


A ce stade, je demande qu’on apporte un seau d’eau pour rafraîchir le vin. Je fais enlever les glaçons, l’eau froide devant suffire.


La gallinette est très virile, très typée. Au début, la cohabitation surprend. L’accord est difficile, mais le palais se fait et ce qui est amusant, c’est que cela donne au vin un aspect beaucoup plus vieux. Il devient années 30 et plus précisément 1933. C’est cette image de 1933 qui s’impose pour moi, car j’ai partagé un Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1933 récemment avec Aubert de Villaine. Le jus de céleri crée un accord de rêve et le poisson se met à jouer le jeu, donnant au vin une belle rondeur par un accord de compensation.


Le vin change au fil du temps. Il s’est épanoui, prend de la rondeur, devient plus civilisé, et j’avoue que cela me plait moins. Les vingt premières minutes pendant lesquelles La Tâche était dans la fragilité de son réveil étaient sublimes. Le vin devenu plus sénatorial excite moins ma curiosité.


Le rouget est délicieux. La sauce aux entrailles ne permet pas à la chair d’accrocher le regard du vin. C’est le moins bel accord jusqu’à présent. Il y a dans la petite assiette latérale un petit rouget au jus à l’anis étoilé. Je fais goutter les filets pour avoir la chair pure, et là, le vin répond. Le rouget « menthole le vin », donnant cet aspect frais et mentholé que peuvent avoir certains bourgognes comme Clos de Tart par exemple. La petite galette au foie de rouget culbute le vin.


La cuisine de Gérald Passédat est absolument talentueuse. Mais il a présenté ses plats comme il le ferait pour d’autres vins. La grande complexité des recettes, ne livrant que rarement les chairs pures, n’a pas atteint au cœur le vin transcendantal. Mais il suffit que les accords rencontrés aient mis en valeur l’un des vins les plus raffinés que j’aie eu le plaisir de goûter pour que le plaisir soit complet. Les accords les plus beaux sont celui de la pince de tourteau au cacao, puis le jus de bœuf du loup, puis la gallinette avec son jus de céleri.


Des fromages ont permis d’accompagner le vin. J’ai offert un verre pour que le personnel de service puisse approcher la perfection vineuse la plus absolue. Et j’ai fini le dernier verre, plus lourd d’un début de lie sur la terrasse, face à la mer.


Un repas sans surprise, ce n’est pas un repas. En voici deux. Alors que je cherchais le point d’accroche entre les rougets et le vin, voici que l’on sert à une table voisine de superbes côtes d’agneau ! Pourquoi donc ce repas sans agneau ? Pourquoi se compliquer la vie alors qu’un accord parfait était possible ?


La seconde n’est pas mal non plus. Ayant réservé La Tâche il y a deux ans, je guettais toujours l’instant où je pourrais honorer mon engagement. En fin de repas, José me dit : « je n’avais qu’une La Tâche. Et il se trouve que je l’avais vendue. Aussi, quand vous avez réservé, j’ai téléphoné au Domaine de la Romanée Conti pour qu’on me dépanne, et ce fut fait ». La vie est un long fleuve qui n’est pas toujours aussi tranquille qu’on veut le dire. J’ai voulu honorer une promesse qui n’était plus à honorer. Comme dit Edith Piaf, je ne regrette rien.


Il reste de ce beau repas des instants de bonheur pur. Le cadre est magique, la vue sur la mer étant un spectacle continu sur l’infini marin. Le service est attentif et même attentionné. Gérald Passédat est un grand artiste des poissons et en extrayant la colonne vertébrale de ses recettes, La Tâche a su le reconnaître et se sublimer. Et enfin il y a La Tâche 1990, un des sommets du vin essentiellement par un raffinement où tout est dosé comme le plus élégant des textes de l’amour courtois. Oui, aujourd’hui, j’ai tutoyé la perfection du vin.

une journée champenoise de folie grâce à P. E. Taittinger samedi, 27 mars 2010

On excusera, je l’espère, un rappel peu romantique, mais il est le point de départ de cette grande journée. C’est dans les toilettes d’un endroit public que je me trouve par hasard en même temps que Pierre-Emmanuel Taittinger. Après avoir satisfait les besoins que commande notre mère Nature, nous nous mettons à papoter. Pierre-Emmanuel Taittinger m’annonce qu’il reçoit prochainement un groupe d’américains et d’anglais qui sont de grands amateurs. Il m’indique que le déjeuner sera suivi du dîner de l’Ordre des Coteaux de Champagne. Pierre-Emmanuel Taittinger en est le président aussi me propose-t-il de me joindre au groupe anglophone au déjeuner, puis de m’introniser. Comme je le suis déjà, il me suggère que je monte d’un grade. Je donne mon accord, la chose est emballée et qu’on n’aille pas chercher dans cette expression une allusion quelconque à ce que nous faisions.


Le jour dit, je pars de chez moi pour me rendre à Reims. Peu de temps après mon départ, je prends conscience de l’absence de mon appareil photo. Je fais vite demi-tour, car il serait triste de ne pas avoir des souvenirs de cette grande journée. Cet oubli explique que lorsque j’arrive aux caves Taittinger, le groupe est déjà en cave. Une élégante hôtesse me conduit sous terre dans une salle carrée qui m’évoque un antique haut-fourneau, car la pièce est comme la partie vide d’une pyramide qui serait très haute et très étroite de la base au sommet. La salle est cernée sur ses bords par des alignements denses de bouteilles, presque jusqu’à hauteur d’homme, aux couleurs sombres, qui donne à l’aréopage présent l’image de comploteurs clandestins cachés dans un réduit obscur. Sur une table en bois, de grandes assiettes de jambon espagnol, de saucissons français et de boudin blanc sont une invitation pour un mâchon convivial. Il y a autour de la table Pierre-Emmanuel Taittinger, les six amateurs américains et anglais, un français ami de notre hôte, le chef des caves et des œnologues. Pierre-Emmanuel Taittinger nous annonce que nous allons goûter des Comtes de Champagne, que les américains appellent C.D.C., des années 1970, 1976, 1985, 1990 et le 2000, champagne qui n’est pas encore commercialisé. Les bouteilles sont dégorgées sur place, à la volée, et n’ont aucun dosage.


Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1970 est le premier que nous buvons, puisque Pierre-Emmanuel Taittinger aime que l’on goûte du plus vieux au plus jeune. Ce champagne est superbe de construction, de grande jeunesse du fait qu’il n’a jamais été dégorgé. Il est très strict, ne jouant en aucun cas sur le charme, et sa longueur est remarquable.


Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1976 est beaucoup plus flatteur et plus facile à comprendre. Il est généreux. Je demande à Pierre-Emmanuel Taittinger lequel des deux il préfère, et Pierre-Emmanuel Taittinger, pensant sans doute au consommateur final, dit qu’il préfère le 1976 alors que je préfère le 1970, beaucoup moins charmeur, mais plus racé et plus interpellant.


Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1985 est un très grand champagne. Son parfum est superbe. Nous sommes au niveau des très grands champagnes, et le saucisson est le faire-valoir idéal.


Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1990 est encore plus grand, d’une race extrême et d’un nez spectaculaire. Tom Black, restaurateur à New York ayant un amour particulier pour le 1996, ce champagne est ouvert. Une discussion s’instaure sur les millésimes les plus réussis de ces Taittinger et je suis impressionné par l’érudition gustative des membres de ce groupe, collectionneurs, restaurateurs, bistrotiers ou vendeurs du champagne qu’ils consomment à rythme soutenu. Bruce Fingeret affirme que ce champagne est, sur une période de cinquante ans, le plus consistant de tous les champagnes d’assemblage. Nous dissertons longtemps sur ce concept, en évoquant des concurrents possibles en termes de régularité. Les anglophones convaincus persistent et signent en faveur du champagne de notre hôte.


Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1996 est manifestement trop jeune dans cette présentation sans dosage. Il est un peu acide. Mais dès qu’il s’élargit dans le verre, on sent qu’il sera très grand, voire magnifique, même s’il est un peu raide maintenant. Si l’on ouvre le 1996, pourquoi ne pas comparer avec le 1995 ?


Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995 est moins grand que le 1996, mais c’est un grand champagne. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 qui est une première pour Pierre-Emmanuel Taittinger qui ne l’a encore jamais bu, est manifestement « non fini ». Son nez est superbe, et sa bouche est encore dans les limbes. Pierre-Emmanuel Taittinger dit qu’il sera commercialisé probablement en 2011.


Nous remontons à l’étage des bureaux et Pierre-Emmanuel Taittinger dit à des hôtesses que le groupe qu’il accueille représente les plus grands acheteurs de ses champagnes à Londres et à New York. Nous nous rendons dans le grand bureau de Pierre-Emmanuel Taittinger riche de souvenirs de sa famille qui a compté dans l’histoire du pays. Devant la porte d’entrée de l’immeuble, une automobile Renault 1914 attend ses invités. Deux jeunes cadres de direction, qui nous avaient rejoints en cave et représentent le futur de la société, font démarrer l’antique moteur, et nous nous rendons en convoi vers un petit immeuble implanté au milieu des vignes.


Là, un repas a été préparé pour notre petit groupe par M. Lange, traiteur des « Saveurs du Sablon ». Avant de passer à table, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger magnum 1971. Je suis complètement estomaqué par ce champagne. Sa couleur est d’un jaune citron prononcé, qui indique bien qu’il n’y a aucune évolution vers des teintes dont l’or et l’acajou seraient des signes de mûrissement. Il n’y a plus aucune bulle et plus de sensation pétillante. C’est donc un vin que nous buvons, dont la qualité est incommensurable. Il est rare qu’un champagne ancien me fasse autant d’effet. Je suis conquis, ravi, anesthésié par cette perfection.


Nous passons à table et le menu élégamment composé est : la terrine de sandre aux asperges vertes / le grenadin de veau aux truffes / le gratin de poires en crumble. J’ai dans ma besace un Château Chalon Jean Bourdy 1947 que je souhaite partager avec le sympathique et enjoué groupe d’amateurs. La seule possibilité me semble être avec l’entrée. Je demande à mes nouveaux amis de croquer un peu d’asperge pour goûter ce vin jaune. Pour certains, c’est une découverte et pour d’autres une confirmation. Ce vin au parfum envoûtant est d’une force rare. Il est délicieux. Sur l’entrée, le vin du Jura est associé avec le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1973 qui est une vraie merveille de champagne. Contrairement au 1971, celui-ci, dont la couleur est plus claire, a toute sa bulle. Il est merveilleux et d’une longueur infinie. Alors que pour d’autres champagnes une osmose s’était créée avec le Château Chalon ici, le champagne et le vin suivent des trajectoires qui ne se rencontrent pas. C’est intéressant mais pas fusionnel. Sur le grenadin de veau, nous goûtons deux vins. Un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1975 qui est bon, mais un peu léger après l’éblouissant 1973, et un Château Cheval Blanc magnum 2004 dont la qualité m’étonne, car il est bien plus riche que l’image que j’en avais. Est-ce que la succession des champagnes prépare le palais à lui conférer de l’ampleur ? Ce n’est pas impossible. Sur le dessert, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger rosé 1999 qui est sans doute très bon, mais je ne suis pas un fan des champagnes rosés.


Après ce repas ponctué de rires et de complicité, nous repartons dans nos hôtels pour une sieste réparatrice. Il faut ensuite s’habiller, puisque le smoking est de rigueur. Le rendez-vous est au Palais de Tau, ancienne demeure qui jouxte la cathédrale, dans la salle où les rois se préparaient avant leurs couronnements. Cette haute salle aux statues royales de hauteurs impressionnantes, et aux lourdes tapisseries racontant des épisodes de l’histoire, Pierre-Emmanuel Taittinger, dans ses habits de commandeur de l’Ordre des Coteaux de Champagne, intronise, avec les dignitaires, une bonne vingtaine de nouveaux gradés. Je monte d’un grade dans la hiérarchie de l’Ordre et Pierre-Emmanuel Taittinger a la gentillesse d’un mot aimable en me présentant comme un égal de Robert Parker ! Jusqu’où va l’amitié !


Nous nous rendons ensuite dans une salle en sous-sol, qui est le cellier de l’évêché, situé en dessous de la salle d’apparat des réceptions de l’évêque. La salle est d’une beauté rare, avec des colonnes et des chapiteaux de grande élégance. L’apéritif est debout, avec des stands des champagnes de plusieurs dignitaires. Je goûte un Champagne Beauchamp Carte d’Or non millésimé qui est un peu dosé. Le Champagne Blanc de Blancs Delamotte non millésimé est plus dans la tendance de mes goûts, habitués aux subtilités de Mesnil-sur-Oger. J’ai devisé avec Didier Depond, président de Salon-Delamotte, et dignitaire de l’Ordre.


Le dîner est conçu et réalisé par le traiteur Franck Philippet et sa brigade : foie gras de canard, chutney de fruits aux raisins blonds / blanc de turbot, julienne de céleri et courgettes / filet d’agneau en croûte, cannelloni de champignons / moelleux au chocolat Guanaja, mirepoix de poires tièdes. Je l’ai trouvé d’une qualité rare pour un dîner de cette nature.


Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999 est extrêmement plaisant et agréable sur table. Sa finesse est sensible et réconfortante. Le Champagne Femme Duval-Leroy 1996 m’apparaît moins structuré mais Pierre-Emmanuel Taittinger le juge meilleur que ce que j’exprime. Et lorsque le champagne s’épanouit, c’es vrai qu’il devient plus plaisant, sans avoir la grâce du vin du commandeur. Une très belle surprise est celle du Champagne Mumm Cuvée rené Lalou 1998 qui est un champagne racé et de grand plaisir. J’aime retrouver ce champagne dont j’ai adoré le 1979, qui avait disparu pendant peut-être une vingtaine d’années et revit aujourd’hui. C’est une belle idée que de l’avoir ressuscité. Le filet d’agneau est très goûteux, trouvant dans le Mumm un écho convaincant. Le Champagne Brochet-Hervieux brut rosé non millésimé attire de ma part le même commentaire que ce midi : il est peut-être bon, mais ce n’est pas dans les goûts que je cherche, car l’acidité du rosé occupe le palais.


Il était l’heure pour moi de rentrer au logis, à la fin d’une journée d’une grande densité. Des onze millésimes de C.D.C. bus aujourd’hui, je retiens, dans l’ordre : 1971 pour son côté extraterrestre et unique, 1973 pour sa pure définition, 1990 pour sa race, 1985 pour sa plénitude, 1996 pour sa promesse de perfection et 1970 pour son absence de concession.


Merci à Pierre-Emmanuel Taittinger pour sa générosité et son amitié qui m’a offert de grands moments et de grands vins.

Le Guide Michelin et Sarkozy vendredi, 26 mars 2010

Il y a une grande similitude entre ce qui arrive au guide Michelin et ce qui arrive à Nicolas Sarkozy.


Attention : mon blog n’a rien de politique. C’est donc un billet d’humeur.


Quand un président se présente comme étant le seul qui pense, le seul qui agit, le seul qui comprend les choses, disant pis que pendre de ses adjoints, ça passe lorsqu’il y a des résultats.


Lorsqu’une élection est une sanction, le modèle de l’omni-président tombe de lui-même.


Je n’ai jamais remis en cause le Michelin, car c’est une œuvre humaine qui n’a pas besoin de créer le buzz. Le Michelin est une institution, qui doit être crédible sur la durée.


Aujourd’hui les langues se délient, les approximations incompréhensibles du Michelin ne sont plus acceptées.


L’institution se lézarde, et si elle n’y prend pas garde, elle va mourir.


Voilà deux challenges intéressants :


Roman">- un guide qui a tout pour être l’institution incontournable sur la planète et qui s’auto-détruit


Roman">- un président qui avait tout pour réussir et qui est en train de détruire son image, lui tout seul.


L’un des deux est capable d’un sursaut.


Lequel ?


Les paris sont ouverts.

dîner de folie chez un passionné de vins et une cuisinière hors concours samedi, 20 mars 2010

Le lendemain du Casual Friday, je retrouve deux participants de ce déjeuner pour un dîner de folie. Lionel est un des fidèles parmi les fidèles, contaminé par l’amour des vins anciens. Son épouse est un vrai cordon bleu. Qu’on en juge par le menu : Sablés au parmesan, sablés au roquefort / crabe au citron vert, thon mi-cuit sauce soja, soupe crevette lait de coco et citronnelle / Crème brûlée au foie gras, terrine de foie gras frais sur pain d'épice ; sucette de foie gras au gros sel / Coquilles Saint-Jacques au jambon Serrano haché d'ail / Filet de bœuf en étouffée de truffe, purée de pommes de terre aux truffes / Fromages Quatrehomme : Comté 30 mois, brie de Melun, Saint Marcellin, Saint Nectaire, gouda étuvé 24 mois / Mangues poêlées et fruits de la passion / Macarons au citron. Le dîner fut remarquable de saveurs délicates et originales.


L’ami fou de vin ne lésine pas sur le programme de ce soir. Pour calibrer le palais, nous commençons par un Champagne Bollinger Spéciale Cuvée sans année très agréable à boire, vrai champagne de soif.


Il faut recadrer le palais pour accueillir le Champagne Initiale Jacques Selosse non millésimé, qui est un champagne non dosé et sans concession. Quand on s’y habitue, on comprend à quel point ce champagne a du sens, belle expression de chardonnay.


J’ai du mal à imaginer que le Champagne Grand Siècle Laurent Perrier 1973/70/69 combinaison de ces trois millésimes soit aussi vieux que cela. En effet le bouchon n’est pas entièrement chevillé, montrant quelques boursouflures, la couleur est d’un blanc clair juvénile, et le goût ne montre pas de trace d’évolution. Ce champagne est superbe. Lionel est si sûr des années de son champagne, non indiquées sur l’étiquette, que je goûte à nouveau. On ne peut pas exclure qu’il ait raison, mais c’est un miracle.


Lionel ouvre encore une bouteille avant que nous ne passions à table. Le Champagne Pommery & Gréno 1964 fait vraiment son âge. Sa couleur est légèrement ambrée. Il a le charme des champagnes anciens, avec la complexité qui appelle la gastronomie. Quatre champagnes pour quatorze convives avant de passer à table, cela annonce un programme musclé.


Le Corton-Charlemagne Mise Nicolas 1961 est bouchonné. Le crabe au citron vert lui enlève le goût de bouchon et le vin est presque buvable, mais l’intérêt se porte vers le Château Bouscaut blanc 1924. La couleur est foncée avec de l’ambre gris. Le nez est expressif. Si les traces de vieillissement sont fortes, le vin se boit comme un intéressant témoignage d’un domaine qui sait braver les ans. L’expérience vaut la peine. Pour que nous revenions sur des goûts plus habituels, un Bâtard Montrachet Pierre Morey 1991 se situe dans des saveurs familières, sans cependant apporter une excitation particulière.


Nous franchissons une étape vers l’émotion pure avec La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1974 qui est ce qu’il doit être, beau, charmant, élégant et discret. Nous adorons ce vin qui réagit remarquablement sur l’ail de la coquille saint-jacques.


Nous sommes bouche bée lorsque nous prenons connaissance du Château Lafite-Rothschild 1928. Quel cadeau ! Le nez est d’une densité invraisemblable, la couleur est belle d’un rouge et noir profond et en bouche ce vin est l’expression de ce que Lafite peut atteindre dans l’absolu. C’est un vin riche, profond, expressif, d’une trame dense. C’est une merveille. Alors, le pauvre Clos de Gamot Cahors 1961, qui en d’autres circonstances brillerait sans doute, n’éveille aucun réel intérêt.


Le Gevrey-Chambertin Clair Daü 1961 provoque sur Juan-Carlos, ami passionné fou de vin, la même réaction que sur moi. La salinité de ce vin est exactement celle que l’on trouve dans les vins de la Romanée Conti. Ce vin évoque les charmes les plus purs des vins du prestigieux domaine et confirme que Clair Daü savait jouer dans la cour des grands. Ce bourgogne est superbe, canaille comme je les aime, le régal de dieux mutins.


Lionel a voulu me faire plaisir car il sait que j’aime ce vin : Vin du Jura L'Etoile cuvée spéciale 1947. Quel régal sur le comté. Ce vin du Jura a tout pour lui, diablement expressif, à la longueur infinie, sur un message chatoyant. Je me régale.


Le Domaine de Morange Saint Croix du Mont 1943 est une petite merveille. Doré à souhait, il montre une fois de plus que les grands bordeaux liquoreux ne naissent pas qu’en sauternais. Même si l’on franchit une étape majeure avec le vin qui suit, ce riche Morange ne fait pas pâle figure.


Un empereur entre maintenant en scène, le Château d’Yquem 1967. Cet exemplaire de l’icône tient son rang. Il est superbe. Il a la puissance, l’équilibre et la longueur, mais je ne lui trouve pas tout à fait la complexité que j’attendais. Cette remarque est à la marge, car nous sommes à un niveau de perfection rare.


Alors qu’un ami propose que nous votions, ce qui sera difficile pour une telle assemblée, je demande aux fidèles parmi les fidèles de deviner ce que serait mon vote. Et ils le trouvent avec une facilité surprenante : 1 – Château Lafite-Rothschild 1928, 2 - Gevrey-Chambertin Clair Daü 1961, 3 - Vin du Jura L'Etoile cuvée spéciale 1947, 4 - Château d’Yquem 1967.


Ces vins ont brillé au sommet de leur art sur la brillante cuisine de Valérie. L’heure avait tourné au-delà de nos appréciations. Malgré cela Lionel ouvre un Champagne Exquise Jacques Selosse non millésimé, pour nous remettre de nos émotions. J’avouerai sans honte que mon souvenir de ce champagne est imprécis. Ce qui restera gravé dans ma mémoire, en revanche, c’est l’extrême générosité de Lionel, la virtuosité de Valérie, et plusieurs vins d’une qualité exceptionnelle dont un Lafite 1928 éblouissant.

Académie des vins anciens 12è séance – le récit vendredi, 12 mars 2010

La douzième séance de l’académie des vins anciens se tient une nouvelle fois au premier étage du restaurant Macéo et j’apprends à cette occasion que la salle est appelée « salle de bal ». Nous sommes deux fois moins nombreux que d’habitude. Nous pouvons innover en formant une table de vingt personnes, ce qui permet des discussions transversales. L’ambiance y a gagné.


Il y a l’équivalent de 29 bouteilles, aussi ai-je organisé deux groupes de dégustation de dix personnes ayant accès à plus de quinze vins puisque certaines bouteilles seront partagées en vingt parts au lieu de dix.


Je suis venu à 17 heures et malgré la présence d’un ami fidèle venu pour m’aider, j’ai ouvert toutes les bouteilles, découvrant parfois des odeurs quasi insupportables comme celles des deux Hospices de Beaune 1929 ou du Gewurztraminer 1959. Le temps faisant son œuvre certaines odeurs ont disparu. Les plus belles odeurs à l’ouverture sont celle du magnum de Léoville Las Cases 1924 au parfum tellement extraordinaire que j’ai vite rebouché pour conserver intacte cette fragrance rare, le vin d’Arbois de 1979 au nez tonitruant, le Chablis 1972 aux senteurs d’anthologie et le Fonplégade 1947 diablement prometteur.


Pour attendre les retardataires, nous partageons deux bouteilles de Champagne Pommery & Gréno Brut Royal. Au vu du bouchon devenu parfaitement cylindrique, on donnerait 25 ans à ce champagne, mais en bouche, on irait volontiers vers trente ans. La bulle est peu active mais la sensation pétillante est intacte, le nez est parfois imprécis. La bouche est plus qu’agréable, avec le charme particulier des champagnes anciens. C’est un régal ponctué de délicieuses gougères.


Le menu conçu par le restaurant Macéo est très agréablement exécuté : Concentré de châtaignes, châtaignes fumées & foie gras / Saint- Jacques d’Erquy marinées et fines betteraves condimentées / Bar sauvage doré sur peau et capuccino de crustacés, topinambours aux herbes / Noisette de quasi de veau fermier, tendres endives et champignons sauvages / Croquant de clémentines & agrumes zestés et Soupe de chocolat intense, crème arabica. A chaque expérience, j’ai l’impression que la qualité de la cuisine s’améliore.


Nous passons à table et le service de Guillaume, habile sommelier, délimite bien les deux groupes. Me trouvant à la limite territoriale des deux groupes, j’ai la chance qu’il y ait des incursions frontalières à mon profit. Je voulais offrir à mes amis académiciens un Champagne Mumm Cordon Rouge magnum 1937. Au moment où je l’ai saisi en cave, je me suis aperçu que deux tiers du liquide s’étaient évaporés, sans que l’étagère où il était stocké ne soit tachée. Le jeter, c’eût été dommage, aussi ai-je ajouté d’autres vins, tout en prévoyant que celui-ci soit goûté. Le nez n’est pas désagréable. Le vin sans bulle est buvable, léger, aqueux, sans trace de fruit. A l’inverse, le Champagne Veuve Clicquot 1953 au niveau très bas, que j’avais demandé à un ami d’ajouter à son apport prévu, s’il a aussi perdu sa bulle, offre un beau fruit jaune joyeux et plaisant. Un vrai plaisir de champagne ancien.


Les Petites Granges, Bordeaux blanc 1955 est une immense surprise. Lorsque je l’avais pris dans ma cave, j’avais été séduit par la beauté de son étiquette. Le niveau était à mi-épaule, et la couleur avenante. Je l’ai posé dans la case prévue pour l’académie, et lorsque j’ai voulu photographier les bouteilles, au moment où je la saisis, quelques semaines après l’avoir sélectionnée, je constate que la capsule s’est ouverte comme la corolle d’une fleur, et le bouchon est remonté dans le goulot de près d’un centimètre. La couleur, quant à elle, s’est ambrée. Au moment où j’ai ouvert le vin avant le dîner, il a suffi que je plante le tirebouchon pour que le bouchon s’expulse avec le bruit d’un bouchon de champagne que l’on fait sauter. Et le vide de la bouteille s’est rempli d’un gaz opaque comme du brouillard. Le vin avait donc déclanché une nouvelle fermentation, à un niveau que j’ai rarement rencontré. Alors, qu’y a-t-il dans le verre qui nous est versé ? C’est une saveur inconnue. On dirait une sorte de ratafia de champagne, comme si l’on avait mélangé un jeune champagne avec de l’eau de vie. Au-delà de la curiosité, ce vin inclassable, même s’il est buvable et bien excité par le velouté, n’apporte pas une franche émotion.


Le Chablis Montée de Tonnerre Raveneau 1972 servi au deuxième groupe est tout à l’opposé. Son odeur est la définition absolue du Chablis parfait. On pourrait s’arrêter à cette seule odeur tant elle est envoûtante, avec une minéralité exacerbée. En bouche le vin est grand, j’oserais dire parfait mais c’est peut-être un peu trop dire, car le goût n’est pas à la hauteur du parfum.


A ce stade, je constate que Guillaume, appliquant un sage principe de précaution, ne verse que la moitié de la bouteille dans les verres du groupe auquel le vin est affecté. Cela me donne une idée : si Guillaume est capable de verser la moitié d’une bouteille à dix personnes, cela veut dire qu’il est capable de verser la bouteille entière à vingt personnes. La décision qui s’impose est immédiatement prise : nous ne formerons plus qu’un groupe et partagerons tous les vins en vingt et pas en vain.


Le Château Bouscaut blanc 1959 a une magnifique couleur dorée. Solide bordeaux blanc, il a une façon de résister aux atteintes du temps qui est remarquable. Rond, puissant, joyeux, il est agréable, sans toutefois la petite once de folie que sa couleur promettait.


Le Château Brane-Cantenac 1959, d’un niveau un peu bas se présente fort joliment. Il n’a pas l’exubérance de son millésime et joue un peu en dedans. Le Château d'Arsac Margaux 1925 est d’une remarquable constance, car ce n’est pas la première fois que nous le goûtons, et chaque fois, c’est une belle surprise, car on ne l’attendrait pas à ce niveau. Avec un léger goût de framboise, il est d’un charme particulier.


Un nouvel académicien nous a fait le plaisir d’apporter trois millésimes d’un même château. Le Château Roudier, Montagne Saint-Émilion Roudier 1955 est extrêmement plaisant. Son nez est bien formé, la bouche est agréable. Il lui manque un peu de structure et d’imagination, mais le plaisir est là.


Je suis heureux que les académiciens aient apporté autant de 1955, année particulièrement agréable à boire en ce moment. Le Château Clos-Fourtet 1955 est un saint-émilion solide s’il en est. Je prends un grand plaisir – et je ne suis pas le seul – avec ce vin. Le Château de Pez 1955 est une belle surprise. Un académicien dit qu’il verrait bien le Clos Fourtet en rive gauche et le Pez en rive droite, tant ils semblent avoir échangé leurs caractéristiques, mais en goûtant à nouveau le Clos Fourtet, son nez de truffe indique qu’il est vraiment de son appellation.


Le Château Malescot Saint Exupery 1961 nous donne comme un coup de poing qui rappelle opportunément que si 1955 est plaisant, 1961 est à de nombreuses coudées au dessus. Ce vin est d’une facture exemplaire. Il a tout pour lui à ce stade de sa vie où il apparaît éternel. C’est un grand vin. Le Château Roudier, Montagne Saint-Émilion Roudier 1953 se présente avec un niveau qualitatif beaucoup plus grand que le 1955. Il dépasse même les canons de son appellation. Je prends un grand plaisir avec ce vin bien fait. Hélas, le Château Roudier, Montagne Saint-Émilion Roudier 1943, son aîné de dix ans, est bouchonné. L’académicien qui avait apporté des bouteilles de réserve pour chaque vin suggère que l’on ouvre l’autre 1943. La sagesse, vu notre programme, est de ne pas le faire. Nous saisirons une autre occasion.


Le Château Fonplégade Saint-Émilion 1947 que j’ai apporté est une pure merveille et il dépasse largement le 1961. Nous sommes avec ce vin à des hauteurs gustatives qui justifient l’amour que l’on peut avoir pour les bordeaux. Le vin est grand, pur, plein, parfait, au parfum capiteux.


Le Château La Gaffelière Saint-Émilion 1969 qui est servi en intermède avant le 1924 a bien du mal à succéder au 1947. Plaisant, il est un peu court. A ses côtés, le Château Lynch-Moussas 1970 est beaucoup plus ingambe, d’une jeunesse bien préservée. Je n’ai pas beaucoup de temps pour analyser ces deux vins car arrive un sommet gustatif : le Magnum de Léoville Las Cases 1924. Je prends la parole pour demander à tous mes amis de porter toute leur attention sur un goût qui fait partie des plus belles merveilles que l’on puisse rencontrer. A l’aile gauche de la table, je sens un brouhaha réprobateur. Remettrait-on en cause la parole du président ? Apparemment certains ne vibrent pas comme moi à ce parfum de framboise, signe d’une évolution à la bourguignonne, qui enveloppe délicatement le Saint-Julien élégant. J’adore ce vin et sa petite déviance charmante.


Par hasard, les bourgognes sont aujourd’hui peu nombreux et de niveaux bas. Aussi ai-je peu porté mon attention sur eux, le seul souvenir, puisque je n’ai pas pris de notes, c’est qu’ils n’ont pas entraîné de ma part une réelle émotion. Le Romanée St Vivant Pierre Bourée 1957 a dû connaître des fuites dues à la défaillance du bouchon, et une cire récente a tenté de stopper l’érosion. Le vin a un nez agréable, mais manque de corps. Les deux bouteilles d'Hospices de Beaune Brunet 1929 ont été ajoutées par un académicien à son apport du magnifique Chablis. Les bas niveaux ne se conçoivent en effet « qu’en plus ». A l’ouverture, les odeurs de sous-bois, de champignon, de vieille armoire indiquaient que le retour à la vie serait lent. Malgré un millésime de première grandeur, il n’y eut pas beaucoup plus qu’une esquisse d’intérêt.


Les vins du Jura sont mes chouchous et j’ai développé un amour particulier pour les vins de l’Etoile. Le Château l'Etoile, vin de l'Etoile Vandelle 1967 provient de mes achats récents à la Percée du vin jaune. Qu’on ne me demande pas d’être objectif pour ce vin au parfum fort et inhabituel. Le vin échappe aux normes, mais me donne de vraies sensations de bonheur. Il est fumé, étrange et envoûtant. Le Vin du Jura jaune Rolet 1979 a un nez impérieux. C’est toute la splendeur du vin jaune qui envahit les narines. En bouche le vin est bon, mais n’atteint pas la joliesse de son parfum.


Si le Gewurztraminer Clos Zisser (Klipfel) 1959 avait été ouvert au moment de le boire, la bouteille eût été rejetée. Car le bouchon sentait la terre au-delà de toute raison. Les six heures de repos ont permis au vin de se reconstituer et de devenir un solide Gewurztraminer, d’une belle année.


Lorsque j’avais saisi en cave le Château Guiraud 1971, j’avais été impressionné par son élégante couleur d’un cuivre discret. Dans le verre, cette couleur est encore plus brillante. Le vin est délicat, n’en fait pas trop, mais satisfait par la mise en page mesurée de son message.


Le supposé Madère très vieux vers 1850 est effectivement un madère d’un rare équilibre. Tout en lui est élégant.


Pour étancher une éventuelle soif finale, un Champagne Selosse Brut Initial rafraîchit les papilles qui ont été sollicitées tout au long de la soirée et marque un point final de jeunesse à ce beau dîner de l’académie.


On ne vote pas dans ces séances, mais c’est intéressant de classer le souvenir de ces vins. Voici ce que mon palais a retenu : 1 - Château Fonplégade Saint-Emilion 1947, 2 - Chablis Montée de Tonnerre Raveneau 1972, 3 - Magnum de Léoville Las Cases 1924, 4 - Supposé Madère très vieux # 1850, 5 - Malescot St Exupery 1961, 6 - Château de l'Etoile, vin de l'Etoile Vandelle 1967, 7 - Château d'Arsac Margaux 1925, 8 - Château Roudier, Montagne Saint-Emilion Roudier 1953, 9 - Château Guiraud 1971, 10 - Château Clos-Fourtet 1955, 11 - Château Bouscaut blanc 1959, 12 - Vin du Jura jaune Rolet 1979, 13 - Château de Pez 1955.


Ayant accepté que des académiciens ajoutent à leurs apports des vins de bas niveau, il est légitime que certains vins n’aient pas la qualité que l’on pourrait attendre, mais cela fait partie de la règle acceptée, car à côté d’eux, les vins « légitimes » ont particulièrement brillé. Autour d’une table agencée comme pour un banquet, nous avons passé une excellente soirée, avec des vins qui marqueront nos mémoires.

Académie 11 mars – photos vins d’avant 1959 jeudi, 11 mars 2010

Photos prises dans ma cave, avant l'académie.


Supposé Madère très vieux # 1850 (bouteille qui fait partie d'un lot de très vieux madères, au goût extraordinaire)



Magnum de Léoville Las Cases 1924 (cette bouteille n'a pas d'étiquette, mais la capsule est explicite. Le niveau est beau. Cette bouteille me plaist beaucoup - à vérifier)



Château d'Arsac Margaux 1925


Hospices de Beaune Brunet 1929 (il y a deux bouteilles de niveaux très bas. Incertitude complète. A voir) (je n'ai pas enlevé les films plastiques pour la photo)



Champagne Mumm Cordon Rouge magnum 1937 (grande vidange) (j'ai voulu offrir ce magnum pour l'académie. Je prends la bouteille et je constate que 2/3 du liquide sont évaporés. La jeter ? Non, nous allons essayer, sans garantie)



Château Roudier, Montagne Saint-Emilion Roudier 1943 (bouteille récemment reconditionnée au château, difficile à juger sur cette présentation)



Château Fonplégade Saint-Emilion 1947



Champagne Veuve Clicquot 1953 (le niveau est très bas, mais l'expérience mérite d'être tentée)



Château Roudier, Montagne Saint-Emilion Roudier 1953 (bouteille récemment reconditionnée au château, difficile à juger sur cette présentation)



château de Pez 1955 (la capsule est invraisemeblablement fraîche, mais c'est un bouchage d'origine. la bouteill est très belle)



Château Clos-Fourtet 1955 (bouteille très engageante)



Les Petites Granges, Bordeaux blanc 1955 (cette bouteille m'a fait une grosse surprise : quand je l'ai prise, intéressé par ce vin inconnu, le niveau était mi épaule. Lorsque je l'ai prise pour la photographier, j'ai constaté que le bouchon a fait éclater la capsule, comme si une fermentation nouvelle avait fait exploser l'air. la couleur du vin n'est pas aussi foncée que ce qu'on voit sur la photo)



à noter que le jour de l'ouverture, le bouchon a encore monté !!!




Château Roudier, Montagne Saint-Emilion Roudier 1955 (bouteille récemment reconditionnée au château, difficile à juger sur cette présentation)



Romanée St Vivant Pierre Bourée 1957 (cette bouteille ne m'inspire pas trop, car on a ciré le haut, sans doute pour arrêter une évaporation trop forte. A voir à la dégustation)



Académie des Vins anciens – 11 mars 2010 – note d’organisation jeudi, 11 mars 2010


Académie des Vins anciens – 12ème séance du 11 mars 2010


Informations sur la 12ème séance de l’académie des vins anciens du 11 mars 2010 :


>>> l'expérience a montré qu'il est bon de lire entièrement et minutieusement ce qui est indiqué ci-après


Lieu de la réunion : restaurant Macéo 15 r Petits Champs 75001 PARIS 01 42 97 53 85


Date de la réunion : c'est le 11 mars à 19 heures, heure absolument impérative.


Coût de la participation : 120 € pour un académicien qui vient avec une bouteille ancienne. 240 € pour les académiciens sans bouteille. Chèque à adresser dès maintenant à l'ordre de "François Audouze AVA" à l'adresse suivante : François Audouze société ACIPAR, 18 rue de Paris, 93130 Noisy-le-Sec.


Inscription : par mail à François Audouze


Proposition de vins anciens : indiquer toutes informations sur l’état et le niveau. Toute bouteille proposée doit être agréée par François Audouze


Dates limites : livrer les bouteilles après approbation avant le 1er mars. Envoyer votre chèque avant le 1er mars, date vraiment limite.


Nota : les chèques reçus avant la séance ne sont pas remis en banque avant la séance. Il n’y a donc aucun avantage à retarder l’envoi.


Livraison des bouteilles : Si vous déposez les bouteilles, faites le au bureau de la maison de champagne Henriot 5 rue la Boétie 75008 PARIS - tél : 01.47.42.18.06. C'est au deuxième étage. Indiquez bien votre nom sur votre paquet, mais surtout, n'écrivez rien sur les bouteilles et ne collez rien sur les bouteilles. Ne mettez pas votre chèque avec la bouteille.


Si vous expédiez les bouteilles, faites le à l'adresse de mon bureau : François Audouze société ACIPAR, 18 rue de Paris, 93130 Noisy-le-Sec, et je les garderai dans ma cave. Bien indiquer ACIPAR sur l’adresse de livraison


Informations complémentaires : Vous pouvez vous informer sur les précédentes réunions en regardant sur le blog, dans la catégorie « académie des vins anciens ».


Les vins annoncés sont : Champagne Pommery Brut Royal (env. 25 ans) - Champagne Mumm Cordon Rouge magnum 1937 (grande vidange) - Champagne Veuve Clicquot 1953 basse - Les Petites Granges, Bordeaux blanc 1955 ME - Chablis Montée de Tonnerre Raveneau 1972 (niveau à 2,8 cm) - Château Bouscaut blanc 1959 - Château Brane-Cantenac 1959, épaule basse - Château d'Arsac Margaux 1925 - Château Roudier, Montagne Saint-Emilion Roudier 1955 - Château Clos-Fourtet 1955 - château de Pez 1955 - Malescot St Exupery 1961 niveau LB - Château Roudier, Montagne Saint-Emilion Roudier 1953 - Château Roudier, Montagne Saint-Emilion Roudier 1943 - Château Fonplégade Saint-Emilion 1947 - Château La Gaffelière Saint-Emilion 1969 - Château Lynch-Moussas 1970 - Magnum de Léoville Las Cases 1924 - Romanée St Vivant Pierre Bourée 1957 - Hospices de Beaune Brunet 1929 - Vin du Jura jaune ROLET 1979 - Château de l'Etoile, vin de l'Etoile Vandelle 1967 - Gewurztraminer Clos Zisser (Klipfel ) 1959 - Château Guiraud 1971 - Supposé Madère très vieux # 1850 - Champagne Selosse.


Les 2007 des Domaines familiaux de tradition de Bourgogne lundi, 8 mars 2010

Chaque année, la dégustation des vins des « Domaines familiaux de tradition » de Bourgogne est un événement extrêmement important, car on y retrouve les propriétaires des plus beaux domaines de Bourgogne présentant leurs vins. Cette année, ce sont les 2007 qui sont sur les minis stands de chaque domaine au Pavillon Ledoyen.


Je commence par serrer les mains des vignerons et des visiteurs que je connais, et mon premier contact est le Corton Charlemagne Domaine de Montille 2007. Autant dire que j’ai commencé par le meilleur, car ce Corton Charlemagne est d’une précision et d’un charme particuliers. Juste après lui, je déguste le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2007 que j’ai trouvé plus fermé et moins vibrant. Il faut dire que ces vins sont servis deux ans et quelques mois après leurs vendanges, aussi certains sont-ils encore dans des phases ingrates. Mon intention n’étant pas de délivrer des jugements définitifs, mais plutôt des flashes du moment, voici des impressions du butinage.


En blancs, j’ai beaucoup aimé le Beaune Clos des Mouches Domaine Joseph Drouhin 2007 car j’aime le style de ce terroir. Le Morey-Saint-Denis Les Monts Luisants domaine Dujac 2007 est une curiosité particulièrement intéressante, car je suis plutôt sans repère pour ce vin. Les trois vins du domaine Lafon sont bien ciselés et goûteux, sans trompette tonitruante, et j’avoue que j’ai un faible pour 2007, car cette année mezzo voce fait ressortir encore plus le talent de ceux qui font bien. Le Meursault Clos de la barre Domaine Comtes Lafon 2007 est un vin solide et élégant.


Les vins du domaine Leflaive m’ont séduit parce qu’ils jouent sur un registre calme tout en montrant l’expertise du domaine. J’ai préféré le Puligny-Montrachet Les Clavoillon Domaine Leflaive 2007 au Puligny-Montrachet les Pucelles Domaine Leflaive 2007. Mais les deux vins sont remarquables.


Les vins du domaine Raveneau sont des plaisirs qui devraient être défendus tant ils rendent dépendants comme des drogues dures. J’ai paradoxalement préféré le Chablis premier cru Butteaux domaine Raveneau 2007 au Chablis grand cru Blanchot domaine Raveneau 2007 même si le potentiel à long terme est évidemment en faveur du Grand Cru.


Les blancs que j’ai bus m’ont séduit. L’année 2007 est en demi-teinte, mais les vignerons améliorant leurs méthodes année après année ont produit des vins élégants et intéressants. Au moment où l’on peut grignoter les excellents fromages de la maison Loiseau, un Beaune Clos des Mouches Domaine Joseph Drouhin 2005, un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2005 et un Chablis premier cru Montée de Tonnerre domaine Raveneau 2005 montrent, s’il en était besoin, que 2005 est une immense année, beaucoup plus riche, mais qui ne porte pas d’ombre aux vins subtils de 2007.


Cette affirmation est encore plus vraie pour les rouges, car c’est un festival de finesse, de délicatesse et d’élégance, malgré le jeune âge. J’ai été très intéressé par un Latricière-Chambertin domaine Simon Bize 2007, d’une maison que je ne connaissais pas. Le Chambertin Grand Cru domaine Trapet 2007 est très convaincant. Le Corton rouge Bonneau du Martray 2007, vin que j’adore habituellement m’a laissé un peu dubitatif, alors que le Corton Domaine Méo-Camuzet 2007 est absolument splendide.


C’est amusant de voir le poids de la mémoire. Car j’ai eu la chance d’acheter de vieux Pommard Epenots Michel Gaunoux. Et le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 2007 a allumé mille bougies de réminiscence qui m’ont fait adorer ce vin, alors que le Corton renardes Michel Gaunoux 2007 le vaut au moins.


Le Clos de la Roche domaine Dujac 2007 est solide et dans la logique de son terroir, le Volnay Taillepieds domaine de Montille 2007 est charmant et romantique, et le cousinage est évident avec la remarquable subtilité des vins de Jacques-Frédéric Mugnier, sachant que j’ai préféré à ce stade de leurs vies le Clos de la Maréchale au célèbre Musigny domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2007 qui est dans une phase refermée.


J’ai eu une particulière surprise. Car c’est la première fois que je goûtais un rouge du domaine de Bouzeron d’Aubert et Paméla de Villaine. Le Mercurey les Montots domaine A et P de Villaine 2007 est absolument charmant et structuré. C’est un vin de plaisir.


Je ne suis pas un familier des vins de Georges Roumier, que je n’achète jamais car l’occasion ne s’est pas présentée. Mais c’est une grande leçon de rigueur que donnent ses vins, le Bonnes-Mares Grand Cru domaine Georges Mounier étant une réussite certaine.


La grande interrogation a été pour moi le domaine Rousseau dont j’ai bu les quatre vins présentés, Gevrey-Chambertin villages, Ruchottes-Chambertin Clos des Ruchottes, Clos Saint-Jacques et Chambertin. Alors que tous les autres domaines jouent sur un registre délicat, j’ai trouvé une affirmation qui dépasse celle de l’année. Je m’en suis ouvert à Eric Rousseau qui a souri et qui m’a dit qu’il préfère les vins qu’il a faits en 2007 à ceux de 2006, pourtant plus encensés par la critique. Je les ai donc goûtés à nouveau quelques heures plus tard, après m’être rendu à un autre rendez-vous, et si j’ai toujours la surprise de la puissance de ces vins pour l’année, force m’est de constater que les vins d’Armand Rousseau font partie de mes chéris, et le Chambertin Armand Rousseau 2007, quand il aura grandi, sera un vin de belle élégance.


Ayant le palais attiré par les vins anciens il est certain que je me sens à l’aise avec les vins de 2007 qui jouent sur la délicatesse et l’élégance.


Si je devais citer les chouchous de ce jour, il y a le Corton Charlemagne de Montille, le Chablis Butteaux Raveneau, le Corton Méo-Camuzet, le Pommard Michel Gaunoux, le Clos de la Maréchale JF Mugnier, le Bonnes Mares Roumier, le Chambertin Rousseau et la belle surprise du Mercurey de Villaine. Comme disait Jean Gabin en s’adressant (je pense) à la Bourgogne : « t’as de beaux vins, tu sais ».

la solidarité des chaudières !! dimanche, 21 février 2010

(lire le sujet du 20 Février avant celui-ci)


Le lendemain midi, les mêmes se retrouvent à notre domicile. Je suis allé dans ma cave pour choisir du vin, et voyant un carton qui n’est pas ouvert, j’ai la curiosité de l’ouvrir. Dedans, trois bouteilles d’un Châteauneuf-du-Pape. Comment et pourquoi ai-je acquis ce vin, je n’en ai aucune idée.


Les enfants et petits-enfants arrivent, et il faut organiser les vins. Guillaume descend en cave avec moi et préfère explorer un vieux champagne. Dans une zone où j’ai des Mumm 1937 il sort une bouteille. Je pense qu’il s’agit d’un Mumm 1937 mais en fait c’est un Champagne Mumm Cordon Rouge sans année. Compte tenu des torsades du fil du muselet, des couleurs et des blessures, ce champagne doit être des années 30. Je constate qu’il a une belle couleur et un beau niveau. Ce sera donc le champagne du repas. Nous commençons à grignoter des noisettes sur ce champagne à la couleur de pêche, au parfum délicat qui ne montre aucune déviance, et au goût charmant et romantique comme un tableau d’Elizabeth Vigée-Le Brun. Il y a du fruit frais orangé comme la pêche fraîche, une bulle active, un pétillant joyeux et un équilibre ravissant. C’est le 18ème siècle galant.


Guillaume cuit des coquilles Saint-jacques, coquille d’abord et corail ensuite. La coquille s’accouple en délicatesse avec le champagne joyeux. Sur le corail, qui conviendrait aussi au champagne, nous essayons le Châteauneuf-du-Pape Ch. Bader-Mimeur 1961. Je n’ai jamais entendu parler de ce négociant installé au Château de Chassagne-Montrachet. La couleur du vin dans les verres Riedel est très belle. Le parfum est franc, précis. En bouche, ce qui frappe instantanément, c’est le velours. Ce vin est velouté, charmant, enveloppant, avec une force alcoolique non négligeable. Les coraux sont d’une finesse extrême, créée par une cuisson au millième de degré.


Le plat principal est un gigot d’agneau cuit à basse température avec des haricots blancs et des petits légumes. La chair de l’agneau est d’une intensité fondante, ce qui accentue le velouté du vin. Dans une telle délicatesse de sensations on remarque que le vin est légèrement influencé par un petit coup de chaud antérieur. Mais le plaisir est complet.


Une salade de fruits rouges et noirs n’accompagne aucun vin. Une sieste informelle et impérieuse suit ces agapes. Au réveil, je constate que la vengeance est un plat qui se mange effectivement froid, au sens propre du terme, car ayant ironisé sur la chaudière de mes enfants, je constate que notre chaudière hyper sophistiquée de moins d’un an est absente. La complexité des cadrans interdit toute manipulation de redémarrage. Un dimanche après-midi et probablement encore toute la nuit, nous allons rêver du sketch de Fernand Raynaud : « c’est le plombier ».