Cocktail chez Christie’s dimanche, 1 juin 2003

Une soirée folle. Je suis invité chez Christie’s pour un cocktail dont le prétexte est la dégustation des champagnes Roederer. On goûte le Brut premier, gentil mais sans personnalité réelle, le Blanc de Blancs 1996, dont j’aime la sécheresse brutale qui n’accepte aucune concession, le Brut 1996, magistralement vineux, jugé très jeune par le directeur général, alors qu’il est merveilleusement mûr pour moi, un rosé 1996 qui a l’intelligence de ne pas avoir un goût de rosé, mais de délicieux champagne, puis le Cristal Roederer 1996, au nez puissant et au goût de champagne distingué, mais peut-être pas encore totalement formé.

Cocktail au nouveau site de Lenôtre sur les Champs-Elysées jeudi, 29 mai 2003

Je me rends, à l’invitation d’un ami, à un cocktail destiné à couronner deux jeunes chefs de talent. L’idée est sympathique et je viens encourager ceux qui perpétuent cet art si exigeant. Deux jeunes qui en veulent et déjà un tantinet repérés sont couronnés.

Comme les pistolets à plusieurs coups, ces manifestations sont là pour des publicités ricochet. On est convié chez Lenôtre qui inaugure demain une boutique. Erreur de casting. En l’un des endroits les plus beaux de Paris, sur la montée des Champs Elysées, on a relooké un délicieux pied à terre à la façon du sous-sol des halles. C’est laid. Et là, Lenôtre ouvre une boutique cheap. C’est une faute esthétique, quelle que fut l’intention.

Ce lieu eut mérité un Robuchon. On y vend des objets.

Le cocktail a lieu sous une tente plantée sur le trottoir des Champs. Un sauna paraîtrait une escale fraîcheur, comme on dit dans ces expressions publicitaires à la grammaire absente. Qu’une marque de champagne fasse ses relations publiques, c’est la loi du genre. Mais que Lenôtre incommode l’assistance d’une tente non ventilée, d’un buffet étique et d’un service gravement sous dimensionné, je ne comprends pas. Pourquoi écorner la réputation de cette si talentueuse maison, éclairée pendant tant d’années du sourire si généreux de son exigeant créateur. La seule consolation fut de retrouver quelques amis et de voir deux jeunes chefs flattés d’être honorés. Et dire qu’avec le Crillon, Laurent, le Pavillon Elysées, Ledoyen et Lasserre on pourrait constituer le carré le plus fabuleux de la cuisine mondiale. Aucun espace, fait de pierres illustres et de jardins ombragés ne pourrait offrir plus que ce paradis là, sous le parapluie cosmique de l’obélisque. Des palais gastronomiques au milieu des musées, des théâtres, des arbres, dans l’atmosphère magique de cet espace dégorgeant d’Histoire, voilà qui ferait saliver la planète.

Il faudrait de l’ambition pour ce quartier qui mérite l’excellence absolue. C’est bien d’exposer des vieuxtrains quand les vrais sont en grève. Mais, excellence, prestige de la France, ce serait plus porteur que des boutiques. Occasion manquée. Du temps perdu quand on pourrait atteindre l’extrême, le sublime, le rare.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent mercredi, 28 mai 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent le 28 mai 2003
Bulletin 81 – livre page 107

Les vins :
Champagne Perrier Jouët Extra Brut 1966
Gewurztraminer Hugel Réserve personnelle 1983
Bâtard Montrachet Pierre Morey 1993
Château Ausone 1er Grand Cru Classé 1953
Beychevelle 1928
Nuits Saint Georges Bouchard 1947
Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989
Cérons Grand Enclos, Château de Cérons, 1990
Château d’Yquem 1966

Le menu, créé sous l’autorité de Jean-Claude Vrinat par Alain Solivérès :
Amuse-bouche (Rillettes de canard)
Ravioli aux mousserons des prés
Salade de roquette
Boudin de homard breton
Emulsion de fenouil
Chausson feuilleté à la truffe noire
Chou vert et lard paysan
Pigeonneau de Vendée rôti
Petits pois à la Française
Fromages (Saint-nectaire et Fourme d’Ambert à la cuillère)
Cristalline d’ananas à la coriandre
Sablé «breton» aux fraises et au gingembre

Dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent mercredi, 28 mai 2003

Un appel au téléphone : « J’ai lu un article dans le Monde sur vos dîners. J’aimerais faire en cadeau d’anniversaire à mon mari  la surprise d’un dîner». Ce coup de fil fut le conducteur du choix de ce repas tenu chez Taillevent.

L’idée était depuis longtemps dans l’air. Elle démarre d’une anecdote ancienne. J’ai participé en tant que touriste à une croisière gastronomique sur le Norway rebaptisé France. Avec Jean-Claude Vrinat et son épouse, nous évoquions ces services non tenus par un croisiériste hâbleur. Des grands chefs et de grandes maisons ont régalé près de 2.000 personnes, tour de force incroyable, et c’est Taillevent que j’ai placé en numéro un, à cause de la précision invraisemblable des cuissons, prodige de logistique et de qualité extrême. Valérie Vrinat, qui prend de l’autorité dans le groupe agrandi par son père avait aimé l’un de nos dîners au Bristol. Nous voilà donc partis.

Coopération entre Jean-Claude Vrinat et Alain Solivérès, Valérie Vrinat servant d’aimable messager, pour imaginer un menu délicat qui forme le programme de cette soirée : Amuse-bouche (Rillettes de canard), Ravioli aux mousserons des prés, Salade de roquette, Boudin de homard breton, Emulsion de fenouil, Chausson feuilleté à la truffe noire, Chou vert et lard paysan,Pigeonneau de Vendée rôti, Petits pois à la Française, Fromages (Saint-nectaire et Fourme d’Ambert à la cuillère), Cristalline d’ananas à la coriandre, Sablé «breton» aux fraises et au gingembre.

Peu de jours après, la jeune artiste qui avait composé le si joli stand de wine-dinners au salon des grands vins m’appelle et me dit : « je voudrais faire un cadeau d’anniversaire surprise à mon père ». Notre table allait accueillir deux surpris fêtés. Cela promettait une belle atmosphère. Le repas fut l’un des plus joyeux que nous ayons eus.

Ouverture des bouteilles à 16 h 30 au restaurant, avec Vinny, sommelière très compétente puisqu’elle officie aux Caves Taillevent. Son origine italienne jouera un rôle comme on le verra ci-après. Le nez du Beychevelle est rassurant, celui de l’Ausone me fait très peur. Cette odeur aqueuse pourrait être irrécupérable. Comme chaque fois j’ai des angoisses. Une découverte étonnante : le Nuits Saint Georges 1947 est dans une bouteille soufflée très ancienne, au cul profond qui avait, fait incroyable, le goulot ébréché d’un bon quart, forcément avant embouteillage, et l’on avait rempli la bouteille sans la refouler. Il y a deux capsules l’une sur l’autre. Voilà une énigme pour la maison Bouchard. Le Nuits a un nez merveilleux, et l’Echézeaux promet. L’Yquem a un nez insolent tant sa perfection est irréelle. Tout se présente bien, sauf l’angoisse pour l’Ausone. Comme avec chaque sommelier des discussions passionnantes. Il y a toujours de la passion à partager. Nous réglons ensemble les détails de service qui seront essentiels.

Arrivée très ponctuelle des convives, sur un champagne Perrier Jouët Extra Brut rosé 1966. La bulle est rare, il y a une amertume déroutante puis admise, et ce qui est devenu un vin est bien élégant, avec ce petit picotement qui rappelle qu’il fut champagne. J’aime assez ces saveurs acides apéritives. Nous passons à table où une crème de rillettes de canard avec des toasts aillés se marie merveilleusement avec un Gewürztraminer Hugel réserve personnelle 1983. Tout le monde adore ce vin généreux et immédiatement aimable, qui vit si bien sur le toast qui l’excite agréablement. Au plan purement gustatif, le moment où l’on mord dans le ravioli de mousseron est une délicatesse extrême. C’est comme ouvrir avec ses dents la caverne d’Ali Baba. Le Bâtard Montrachet Pierre Morey 1993 passe assez difficilement après le talentueux Hugel, car il est ici en discrétion. Le Bâtard est suggéré. Mais si on lit bien, quel beau vin, sur un plat lui aussi en finesse.

Le Ausone 1953 présente encore quelques blessures au premier contact, puis miracle, toutes les faiblesses disparaissent comme si le vin connaissait à la minute près son entrée en scène, et le vin est beau, formant avec le boudin de homard un couple très original. On quitte alors toute délicatesse, car arrive un mastodonte : le chausson à la truffe, lourd comme du plomb fondu, dense de goûts profonds, qui crée un merveilleux mariage avec le Beychevelle 1928 brillant de mille feux, jeune et surtout équilibré d’une belle rondeur. Très grand vin, et belle réussite de cette si grande année.

Le Nuits Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947 envahit la table d’un parfum intense. Et comme on lui offre le plus noble faire valoir qui soit, un pigeon, on entre dans des saveurs voluptueuses, d’une sensualité rare. Un grand moment qui conduira la totalité de la table à faire figurer ce vin dans son tiercé. Ce Nuits est un témoignage de la perfection des anciens Bourgognes. Comme chaque fois le retour vers notre époque rassure. L’Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 1989 est délicieux, évocateur de toutes les subtilités de la Bourgogne. Le nez est généreux, le goût est complexe, en formation encore quand on a la mémoire de ce fabuleux Nuits Saint Georges. Grande émotion pour tous de boire leur premier vin du Domaine. Un beau vin chaleureux. Et un intéressant contraste entre la fougue du jeune et la majesté du 47.

Sur la fourme arrive le Cérons grand Enclos Château de Cérons 1990. Comme je passe d’une conversation à l’autre, je crois entendre un convive demander à Vinny ce qu’elle pense de ce Cérons. Elle répond : « 0 – 0 à la fin du temps réglementaire, on joue les prolongations ». Voici l’un des commentaires œnologiques les plus documentés que j’aie eu l’occasion d’entendre de ma vie. Je l’ai bien sûr inventé. Apparemment on se préoccupait plus du match Milan AC Juventus de Turin, car les bougies prévues pour les deux anniversaires ne vinrent pas. C’est évidemment par jalousie footballeuse que je moque l’origine de Vinny car tout au long du repas elle fut la plus attentive des sommelières, aussi précise pour le service du vin que le furent les serveurs pour les plats, ceci procédant de la qualité légendaire de cet établissement. Revenons à notre Cérons, puissant, envahissant, assez monolithique mais partenaire fort loyal de tous les goûts que l’on lui a adjoints. Arrive enfin le Yquem 1966 qui était une première pour tous les convives. Prendre pour premier Yquem celui-ci qui fut invraisemblablement parfait va rendre difficile tout nouvel essai. Odeur pénétrante, attaque en bouche avec des milliers d’évocations de multiples fruits : dattes, mangues, citrons confits, tout y était. Autant dire que même avec du gingembre, les fraises ne pouvaient pas aller avec ce vin qui réclame soit des fruits exotiques, soit d’être seul, tant son extrême perfection illumine le palais sans besoin de duo. Tout le monde a été tellement saisi par la perfection de ce Yquem d’une profondeur rare qu’il ne figura que dans peu de votes, tant il était naturel de le mettre hors compétition. Tout le monde cita le Nuits Saint-Georges, hommage mérité, et beaucoup de vins furent notés. Mon choix personnel, assez consensuel fut : Nuits Saint-Georges 1947, Beychevelle 1928 et Yquem 1966.

L’atmosphère était détendue, des relations communes ou des coïncidences apparaissant entre plusieurs convives ce qui montre, comme on dit, que le monde est petit. Un grand plaisir que le restaurant Taillevent accueille un de nos dîners. De beaux accords dont ce croûton aillé avec le Hugel et évidemment le pigeon avec le Nuits, mais sans doute plus explosif, le chausson avec le Beychevelle. Un chef discretet précis qui nous a régalés, une maison élégante fondée sur la qualité. Encore une belle étape sur le chemin de notre pèlerinage gastronomique, prosélyte des grands vins.

 

 

Dîner au restaurant Pic à Valence mardi, 27 mai 2003

Halte non programmée chez Anne-Sophie Pic. Je dis Anne-Sophie, car même si la maison porte le nom de la famille, sans mettre en avant une génération particulière, je trouve un accomplissement qui mériterait de personnaliser le nom. C’est évidemment un compliment.

Je retrouve Anne Sophie que j’avais croisée récemment quand je déjeunais chez Hélène Darroze – elles étaient trois à représenter la cuisine féminine pour Paris-Match – et je lui demande de confectionner le menu pour moi. Je retrouve aussi Denis Bertrand avec plaisir : c’est le Hagège du vin de Rhône. Hagège est ce philologue qui parle près de 200 langues. Denis Bertrand parle tous les dialectes des grappes du Rhône. Tout dans cette maison respire l’accueil. On se sent bien. La cuisine a une maturité qui met Anne-Sophie dans le clan des grands. Dans peu d’années, attendons nous à quelques miracles. Essai d’un Côtes du Rhone Villages Domaine Chaume Arnaud 2002 de Vinsobres (quel nom de village !) qui sent le pétale de rose, et joue de gaieté avec le concombre, discret compagnon d’un crabe. Bel accord, et belle trouvaille d’un sommelier expert. Le thon est une petite merveille, qu’un sorbet à la roquette agresse de façon étonnante. Le turbot nage avec un Ermitage « de l’orée » Chapoutier 1991 qui a des arômes fumés, des esquisses de Xérès. C’est avec le lard, si bien traité puisqu’il ne brutalise pas le turbot que l’Ermitage trouve sa plus belle longueur. Une mangue délicate confirme s’il en était besoin le talent héréditaire de ce grand chef. Tout parisien qui descend dans le Sud et ne s’arrête pas chez Pic perd une année de paradis.

 

 

Dîner d’amis au restaurant Dauphin dimanche, 25 mai 2003

Un ami a l’habitude de faire des dîners mensuels de dégustation de vins. L’esprit est généralement pédagogique. On parcourt une région et ce brillant orateur replace chaque région dans son environnement, dans l’usage des cépages, et chacun comprend mieux les choix historiques qui ont été faits. Le budget faible qui est requis impose de rester sur le seuil des vins de la région, sans entrer dans la nef inaccessible de ses plus belles réalisations.

Je participe de temps en temps car les convives sont charmants et l’hôte particulièrement compétent. Sortant pour une fois de ses sentiers, il m’annonce une dégustation où il y aurait de grands Bourgognes de 1947, 1945, 1937 et 1934. Il me demande de venir aider à présenter ces vins. Immédiatement je prends peur, car cet exercice peut être contre productif, si on présente des vins à une trop vaste assemblée sans les avoir bien préparés. Au lieu de faire adhérer les convives à la vertu des vins anciens, on risque de les rebuter. Mon ami me demanda de contribuer à l’apport de vieux vins blancs, ce que je fis.

Lorsque j’arrivai au restaurant, anxieux de cette dangereuse expérience, je faillis trépasser. Les bouteilles de rouge étaient de niveaux plus que vidange, et le débouchage tenait de la boucherie : des bouchons flottaient en surface, des lambeaux collaient aux parois. On avait l’impression d’un champ de bataille où des guerriers blessés sans béquilles titubaient sur leurs moignons. Vision d’horreur. Des serveurs impubères avaient massacré les bouchons de mes blancs. Cela promettait de rendre difficile l’exercice consistant à convaincre que les vins anciens sont bons. Fort heureusement le généreux donateur de ces 26 antiquités a eu la gentillesse de préciser qu’ayant hérité d’une cave, ces bouteilles étaient celles qui avaient été refusées par l’expert chargé de les vendre. Le fait de les partager promettait une expérience sympathique. La clarification du contexte aidait beaucoup. Mon ami m’avait demandé de classer les bouteilles en ordre de valeur. Je l’ai fait tout en sachant que le classement à une heure donnée ne serait pas le même au moment du service. Mais ce n’était pas grave.

On commença par Bollinger Grande Année 1995, bon champagne que je trouvai particulièrement vert, contrairement au jugement de mon ami. Des Côtes du Jura 1964 et 1966 en surprirent plus d’un. Quels vins agréables et comme j’aime la brutalité de ces cépages. Le 1964 était délicieux et très alcoolique comparativement au 1966 plus léger. Une crème à l’asperge qui était prévue pour les Bourgognes blancs faisait chanter le Côtes du Jura 1964. Les Chassagne-Montrachet 1983 Gabriel Jouard que j’avais apportés étaient tous trois très différents, au nez assez discret, certains avec une belle rondeur, mais tous d’une longueur extrême. Commentaires très disparates de ces amateurs attentifs sur les vertus de ces Chassagne de 20 ans. Il est intéressant de constater que le silence se fit quand on servit mon Meursault Debaix 1963. Deux bouteilles splendides d’égale qualité. Une intensité, une typicité de Meursault, un envahissement de la bouche par des saveurs si multiples. Chacun commençait à comprendre qu’il existe dans les vins anciens des saveurs qu’on ne peut pas trouver dans les vins actuels. J’ai fait partager à quelques voisins l’envie d’essayer le Meursault sur un lapin prévu pour les rouges. Le Meursault devenait gigantesque.

Arrive alors la dégustation des 26 bouteilles si fatiguées. Il est à noter que pratiquement toutes les odeurs désagréables avaient disparu, alors que plus de la moitié étaient encore terreuses ou putrides quand je suis arrivé. De grandes inégalités dans les vins. Un bon tiers était complètement imbuvable, un autre tiers rappelait qu’il y avait eu du vin un jour dans la bouteille, et dans le meilleur tiers des vins buvables et de véritables splendeurs. Il y a au moins cinq vins que j’ai trouvés envoûtants de plaisir, dont deux, ceux que j’avais prédits avant même de voir les bouteilles, à un niveau de réelle perfection : deux Richebourg 1934 Charles Noëllat blessés mais indestructibles qui ont confirmé la solidité extrême du Richebourg d’un bon producteur. Les autres vins, généralement de Charles Noëllat étaient des Vosne Romanée 1947, des Clos de Vougeot, des Nuits Saint-Georges 1945 ou 1947. Parfois quelques belles convalescences des 1947, un Richebourg 1937, bien que plus faible que les 1934 était encore vivant. J’avais suffisamment prévenu l’assemblée pour que l’essai soit vécu positivement, alors qu’en d’autres circonstances, une telle profusion de bouteilles mortes eut entraîné un compréhensible rejet. Tout le monde a bien compris l’origine de ces bouteilles, et a donc accepté de ne retenir que le positif. Et il y en eut.

Nous avons fini sur des Vosne Romanée 1997 d’un producteur que je n’ai pas noté, sans véritable intérêt.

Que retenir de cet essai ? D’abord que c’était jouer avec le feu. On aurait pu entraîner un refus là où l’on voulait séduire. Ensuite que l’idée de l’ami donateur était bien sympathique, de faire partager ces flacons. On en conclut que sur ce lot qui ne trouverait pas preneur, il restait si on avait comme ce soir l’envie de chercher quelques bouteilles donnant de grands frissons et de grandes émotions, et suggérant comme il convient que certains vins anciens peuvent être immenses, et surtout, et c’est là la leçon, inapprochables par aucun goût moderne. J’ai préféré ce soir les Meursault impeccables qui offraient les meilleures sensations de la soirée, même si des indestructibles Richebourg1934 brillaient de mille feux. Et petite mention pour ces Côtes du Jura si énigmatiques mais plaisants quand on les a adoptés.

L’amitié a fait le reste, chacun gardant le positif, et passant les bouteilles mortes par profits et pertes, puisque cela n’avait pas d’importance. Voilà ce groupe de jeunes amateurs qui entre dans mon domaine d’affection. Tant mieux, même si j’ai eu très peur.

 

 

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 22 mai 2003

Diner au restaurent Laurent 22 mai 2003
Bulletin 79

Champagne Jacqueson 1995
Bâtard Montrachet Chanson Père & Fils 1959
Château Lagaffelière Naudes 1953
Château Margaux 1955
Chambolle Musigny Clair Daü 1961
La Romanée Bouchard Père & Fils 1978
Château Carbonnieux blanc 1987
Château Filhot 1928

Le menu conçu par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret
araignée de mer en ses sucs en gelée,
crème de fenouil.
Foie gras de canard poêlé aux légumes primeurs.
Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, petits farcis niçois.
Fromages de France,
Biscuit sablé au beurre salé à la rhubarbe.

Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 22 mai 2003

Appel téléphonique. A l’heure du déjeuner, on me demande de faire un dîner de wine-dinners pour le lendemain. Ce lendemain là je devais me rendre à Londres. La seule réponse devait être non. J’ai dit oui. Je pense que j’ai bien fait.

Après cet appel et après le déjeuner je vais changer mon billet d’Eurostar pour revenir plus tôt. J’appelle Philippe Bourguignon du restaurant Laurent pour plusieurs raisons : je pourrais avoir une table, Philippe a une aptitude rare à réagir vite, et de plus je fais confiance à son goût. Je ne l’ai pas au téléphone mais le message lui parvient. Je vais dans une de mes caves, et je cherche des bouteilles. On m’avait suggéré un budget limité, je passe outre. Je prépare les bouteilles, que je fais porter le lendemain à midi. Je sais que Patrick Lair ouvrira les bouteilles exactement comme il faut. Je prévois le cas où j’aurais un retard d’Eurostar, et voilà l’aventure sur ses rails.

J’arrive plus tôt que prévu en ayant pris un train encore plus tôt, et je vais sentir les bouteilles ouvertes. L’exercice est largement plus incommode. En athlétisme, il y a un juge pour les faux départs et il y a un juge pour les arrivées. Vouloir juger une course en regardant les coureurs aux 60 mètres est un tout autre exercice. Il m’aura donc manqué la perspective sur l’épanouissement des vins, que j’aime à analyser dès le premier instant. Seul le Lagaffelière me paraît fatigué.

Le menu prévu par Philippe Bourguignon et son chef si sympathique était : araignée de mer en ses sucs en gelée, crème de fenouil. Foie gras de canard poêlé aux légumes primeurs. Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, petits farcis niçois. Fromages de France, Biscuit sablé au beurre salé à la rhubarbe.

Un salon avait été retenu pour y boire un champagne prévu par Philippe : Jacqueson 1995. C’est du champagne, assez gouleyant. mais j’ai maintenant le palais vicié par des champagnes plus typés. Le patron américain de l’entreprise dont je connaissais de nombreux membres au travers de repas communs avait une envie pressante de connaître nos repas. Il félicite sa filiale lors de cet apéritif. Nous passons à table, et fort curieusement, le repas ressemble à ces confrontations entre deux champions d’échec : le dialogue ne s’instaure qu’à deux, et on sent que les autres convives ne font qu’appuyer sur le chronomètre, comme pour compter les points. Je sais qu’ils apprécient, mais ils ont une telle envie que le patron du groupe soit ravi qu’ils me laissent exposer mes idées sur les vins anciens. Il n’y a en fait aucune confrontation tant cet américain ami du vin a envie d’entrer dans un monde si différent de tout ce qui se raconte au delà de l’Atlantique. Je retrouve les mêmes questions que sur mon forum américain. Il y a tant de préjugés à combattre, tant de questionnements sans consistance. Je crois avoir charmé cet intéressant interlocuteur, au point qu’il m’a affirmé que ce repas allait changer beaucoup de choses dans sa vie. Comme moi-même quelque vingt ans auparavant, il venait de prendre conscience d’une Lune sur laquelle il allait pouvoir poser un pied, qu’il se voyait déjà conquérir, prêt à financer une nouvelle mission Apollo.

On démarre sur un Bâtard Montrachet Chanson Père & Fils 1959. Froid il est trop discret, mais rapidement, c’est l’étalage d’une classe certaine. Il n’y a pas la flamboyance des jeunes, mais une palette de goûts beaucoup plus étendue. Un grand vin, et la crème des araignées l’excitait joliment. La chair plus encore.

Comme j’avais largement insisté sur la mort clinique du Lagaffelière, ce ne fut qu’une bonne surprise. Le Château Lagaffelière Naudes 1953 était plaisant, mais je savais toutes ses blessures. Peu d’intérêt pour moi, agrément d’une visite pour d’autres. Arrive alors le Château Margaux 1955. Quel vin magistral.Nettement moins typé que Lafite 55 ou Mouton 55, il est tout en évocations subtiles, un peu comme la cuisine de l’Astrance. Mais quand on sait lire, quel régal. Tout est si judicieux dans ce vin. Il confirme encore une fois la pertinence de cette année.

Seulement voilà, le Bordeaux parle au cerveau quand le Bourgogne attaque le cœur. Et le Chambolle Musigny Clair Daü 1961 attaquait fort du coté des sentiments. Quelle chaleur animale de marin maltais. Mais en plus c’est l’élégance raffinée d’un dandy.Et c’est alors que notre américain allait avoir la surprise desa vie d’amateur : la Romanée Bouchard Père & Fils 1978 apparaît avec toutes ses qualités de fraîcheur, la rugosité, la déstructuration discrète des jeunes fous. Il y avait en goût un écart de plus d’une génération entre lui et le 61. Notre amateur découvrait que 1978, qu’il avait toujours considéré comme une année en fin de vie apparaissait comme un bambin, quand on lui oppose un vin mûr d’une somptueuse année de pleine maturité. Tout ce qu’il lisait dans les guides sur les périodes de consommation optimales vacillait d’un seul coup. La Romanée était brillante, animale comme je l’aime, et le Chambolle avait une réjouissante maturité. Deux grands vins.

Comme j’avais avancé le service de la Romanée, je décidai que l’on goûte un Carbonnieux blanc 1987 aussi sur les fromages. Je vis immédiatement qu’un vin ouvert trop tard jurait au sein des autres. Paradoxalement, c’est ce jeune vin qui apparaissait le plus vieux. Rien à apprécier d’un vin apparemment trop fatigué, malgré une belle couleur.

Le beau choc pour un palais américain fut le Château Filhot 1928, superbe Sauternes de charme. Une couleur de miel et d’or, dessaveurs de fruits tropicaux, des goûts subtils. Et cette légendaire longueur qu’on ne trouve que dans les liquoreux des années 20. La rhubarbe n’est pas idéale, mais le biscuit crémeux lui allait idéalement.

Que faut-il retenir de ce dîner organisé contre toutes les règles : les vins qui sont arrivés le jour même n’ont pas souffert de façon visible. Aucun vin n’était trouble, ou blessé, le cas du Lagaffelière étant indépendant de cela. Ensuite, ce dîner n’aurait pas pu avoir lieu sans la capacité de réaction de toute l’équipe du restaurant Laurent. Il y a ici un réel apport de compétence. Par ailleurs, je suis plus mal à l’aise pour juger du comportement d’un vin si je ne l’ai pas ouvert moi-même. Enfin, un menu sera plus adapté si l’on dispose du temps suffisant pour le mettre au point. Mais le coté positif de la chose est d’avoir pu répondre à une demande précise dans un temps record.

Le patron d’un groupe important voulait voir l’intérêt de ces dîners. Il a été conquis, mais aussi il a pris conscience d’aspects du vin qui diffèrent complètement de l’approche des gourous et autres experts, et largement acceptés par les amateurs de vin américains.

Je suis assez content d’avoir pu réagir aussi vite, même si on perd un peu de l’esthétisme ou du raffinement de la démarche, et d’avoir enthousiasmé un amateur américain d’un grand niveau de compétence.

Ceci peut être porteur de nouveaux développements.

 

 

REPAS PREPARATOIRE AU GAVROCHE A LONDRES mercredi, 21 mai 2003

Je pars en éclaireur au Gavroche, restaurant londonien tenu par Michel Roux, formé par de grands chefs que j’admire. L’une des grandes tables de Londres.

Je viens apporter les bouteilles d’un dîner qui aura lieu dans un mois, et nous discutons des accords possibles sur ces vins. Cette cuisine est intéressante, car il y a le « French touch » agréable, un respect évident des mets de qualité, et un talent, personnel bien sûr, mais évoquant Pignol ou Vigato. Sachant le dîner qui m’attendait, j’ai boycotté la carte des vins qui a des prix totalement surréalistes. Pour Pétrus 1945, on frôle les 25.000 euros. Mais même le Margaux 55 que j’allais servir ce soir était à 1.500 euros. Respect, comme on dit de nos jours. Le sommelier François, calme et compétent m’a proposé des vins de sommelier particulièrement justes : un verre de Domaine Gavoty, Cuvée Clarendon 2001 en blanc. Le Côtes de Provence qui fait chanter les grillons dans la tête, fruité, généreux, et fort astucieusement sans trop de prétention. En rouge, un Coteaux d’Aix Château Vignelaure 1998 qui ensoleille l’humeur, l’astuce de ce vin de chaleur et d’alcool étant de ne pas en faire trop. Un pigeon comme je les aime, une ambiance joyeuse et un accueil charmant. Tout annonce un bon dîner à venir.

Juste avant de passer à table pour honorer Beychevelle, un appel téléphonique sur le portable. « Je ne vous dérange pas ? ». Je dis non, plus par politesse que par souci de vérité. Une entreprise qui a déjà organisé des dîners de wine-dinners. « Notre grand patron américain est à Paris. Il voudrait participer à un dîner de wine-dinners, à condition que ce soit demain ». Demain était consacré à Londres. Il était impossible que je puisse faire un dîner ce jour là.

J’ai dit oui.

 

 

REPAS DIVERS mercredi, 21 mai 2003

Des repas au hasard m’ont mis en contact avec un Saumur Champigny Clos Forgeard 1996 qui n’avait pas grand chose à raconter, alors qu’un modeste Lussac Saint-Emilion 2000 m’a fort agréablement chatouillé par la révélation de belles aptitudes futures.

Déjeuner d’amis qui démarre par un Mumm Cordon Rouge 1985. Comme pour le champagne Moët évoqué ci-dessus, l’âge apporte vraiment beaucoup à ces champagnes qui gagnent en intensité, et se burinent comme le visage des anciens bergers des Andes. Dans le cas du Mumm un équilibre qui fait penser que le vin a atteint une plénitude idéale. Sur une modeste cuisine, deux bouteilles de Beychevelle 1986, très proches de goût. Ce vin est accompli, et lui aussi n’a pas d’âge tant il apparaît qu’il a trouvé sa structure à long terme, comme on dirait dans un conseil d’administration. Elégant, bien équilibré dans un fruit mûr et un bois raisonnablement discret, il m’a fort agréablement surpris.