Contact avec le propriétaire d’un musée du commerce lundi, 16 mars 2009

Lorsque mon ami architecte avait pensé aux chinois qui pourraient être intéressés par mes dîners, il m’avait suggéré un de ses amis qui, par un hasard extraordinaire s’était arrêté à mon hôtel dans les cinq minutes suivant l’appel de Li Wei, l’assistante chinois de l’architecte. Rendez-vous ayant été pris, je me rends au niveau du quatrième périphérique dans le musée en cours de finition, implanté le long d’un canal. Appelons Xue le propriétaire d’un ensemble de bâtiments récents, d’une belle sobriété. Cet ensemble comporte le musée de l’histoire du commerce chinois. Il faut dire que Xue est doté de multiples diplômes d’histoire, et récolte depuis plus de vingt ans tous les témoignages sur l’histoire du commerce en Chine. Ce musée sera complété par un club d’hommes d’affaires, et des résidences qui leur sont destinées. A ce titre, je peux l’intéresser pour ce qui permettrait de donner du lustre à son quartier d’affaires.

L’entrée du musée et une représentation d’un arbre sous lequel on faisait commerce

Une jeune femme me fait visiter le musée. C’est très pédagogique et ce qui m’a entre autres intéressé, c’est le commerce des feuilles de thé entre le centre de la Chine et Saint-Pétersbourg, ainsi que la création largement avant l’Europe d’un système bancaire avec prêts sur gages.

Un "livreur de feuilles de thé à travers la Mongolie et la Sibérie. Des chapeaux de commerçants

Des lingots d’argent. Ces outils pour peser les monnaies font penser que l’on est dans un trinquet ! A noter les deux petits pesons qui évoquent la forme de violons.

Après cette visite, dans le bureau de Xue et autour d’une tasse de thé dont les feuilles collent aux dents, nous avons bavardé. Xue a un visage fascinant car il représente pour moi l’image de la Chine ancestrale. Son visage est capable de ne montrer absolument aucune réaction  et aucun sentiment, comme s’il s’agissait d’un masque du théâtre chinois. Et à d’autres moments, il peut être chaleureux et charmant. Un personnage d’une force intérieure qui impressionne.

Je ne crois pas que nos contacts iront beaucoup plus loin, mais qui sait ? Il m’a promis de venir à l’un de mes dîners à Paris. Nous verrons.

114ème dîner de wine-dinners à Pékin – le récit dimanche, 15 mars 2009

Les vins pris en photo dans la cave après leur ouverture

Le 114ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Maison Boulud à Pékin. Nous pensions être douze, ce qui a justifié le choix des vins. Onze furent annoncés la veille, dix en début de repas, nous finîmes neuf en arrivant au porc… Parmi les participants, certains étaient déjà présents au 113ème dîner au même endroit il y a trois jours. Desmond bien sûr, qui est l’organisateur, son ami autrichien vivant à New York, le propriétaire de l’hôtel où je loge, accompagné ce soir par son épouse, et la seule femme du précédent dîner, responsable de la planification urbaine de la ville de Pékin. Les nouveaux sont des amis chinois de Desmond, d’âges très proches du sien, c’est-à-dire entre trente-cinq et quarante ans. Nous passons à table et les explications que je fais pour profiter au mieux de ce type de dîners sont réduites à leur plus simple expression pour ne pas ennuyer ceux qui les ont déjà entendues.

Koen nous sert le Champagne Dom Ruinart rosé 1986 sur de petits hors d’œuvre délicats. Le champagne a une belle bulle active et sa couleur est d’un rose orangé gracieux. Il est très long et profond et l’image qui vient le plus naturellement c’est qu’il est confortable. Un convive me demande sur quels types de plats ce champagne pourrait s’accorder. Tous les plats que je cite ayant des couleurs de roses, dont le pigeon, cela nous permet de disserter sur les accords « couleur sur couleur », dont nous aurons au cours du repas de belles évidences.

Le menu composé par le chef Daniel Boulud après les nombreuses mises au point que nous avons faites ensemble est ainsi rédigé : Hors d’Œuvre / Huitres en Gelée d’Algues / St Jacques rôtie au Poivre doux et Céleri,  / Tourte de Ris de Veau, Morilles et Pousses de Pois / Thon à la truffe noire et lard frais, Lentilles et racines douces / Tartine de Pigeon grillée, Trompettes de la mort, Sauce salmis / Agneau d’Australie à la Provençale / Vacherin de Litchi et violette, Glace au Miel / Fondant au Chocolat et Crème Nougatine. C’est seulement après le second plat que nous serons informés que la tourte de ris est remplacée par une langoustine gratinée aux pignons, légumes au vert. Ce choix est sans doute commandé par un problème d’approvisionnement, car Daniel nous confiera lorsqu’il se joindra à notre table que son problème majeur à Pékin est celui des matières premières à cuisiner. Le changement de plat fut judicieux, même si l’audace du premier choix eût mérité l’essai.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 est d’une couleur de miel clair. La bulle est d’une finesse remarquable. Ce champagne est d’un raffinement total. Sa trame est immense et son caractère légèrement fumé est délicat. Je demande à mes convives qu’ils essaient de goûter le Krug d’abord sur l’huître seule, puis sur l’huître et des grains de caviar. Il est saisissant de constater à quel point la salinité du caviar élargit le champagne en lui donnant l’ampleur d’une queue de paon. Peu de temps après, on constate que le final du champagne est presque sucré, par compensation à la salinité du caviar.

Les délicieuses coquilles accompagnent deux vins, le "Y" d’Yquem Graves blanc 1980 et le Château Haut-Brion Graves blanc 1983. On ne peut pas imaginer deux blancs plus distincts que ces deux là. L’Y est d’un or prononcé alors que le Haut-Brion est clair. L’Y est très doux alors que le Haut-Brion est strict. Celui-ci est d’une belle acidité et son fruit est discret, alors que le vin fait sur les terres de Sauternes est fort, opulent et généreux. Chacun convient que c’est le Haut-Brion qui est le plus juste sur le plat auquel il s’adapte, mais je sens que la générosité et l’opulence de l’Y emporte les suffrages de mes convives qui en viennent presque à déprécier le Haut-Brion.

Le Château Carbonnieux blanc 1953 a une couleur magnifique et une complexité remarquable. Je crois n’avoir sans doute jamais bu meilleur Carbonnieux blanc. Le final est très délicat, minéral et marin. La langoustine qui remplace la tourte convient bien et c’est surtout le gratiné qui fait le trait d’union avec le plat, alors que les petits pois sont sans effet. Le fruité du vin est incroyable.

Lorsque Koen met devant nous deux verres pour le prochain service, je relis le menu pour constater que les deux vins à venir devraient être servis ensemble. Au vu de l’ombre que l’Y a faite au Haut-Brion, je m’empresse de demander à Koen de ne servir que le Château Latour Pauillac 1953 sur ce plat et de consulter Daniel sur un autre plat à ajouter pour le vin suivant. Ma décision est la bonne, car nous avons pu bénéficier de deux immenses bordeaux, sans risque que l’un ne tue l’autre. Le Latour a une couleur dont Desmond dit qu’elle appartient aux vins des années 80. Ce vin est souple, doux, magnifique. Sa subtilité est incroyable. Tout en suggestion, il nous entraîne dans le monde des grands vins aux raffinements infinis. C’est un grand plaisir pour moi de constater que ce vin d’esthète est compris par mes convives.

Sur une volaille légère aux morilles, improvisée à la hâte, le parfum du Pétrus Pomerol 1959 ressemble à l’arrivée de Johnny Halliday sur la scène de Grand Stade de France sur sa Harley-Davidson alors que la foule l’attend depuis de longues heures. C’est une clameur qui explose. L’odeur de ce Pétrus, c’est ça. C’est le triomphe du parfum du vin de Bordeaux. Cette odeur se suffit à elle-même, elle est magique. La couleur du vin est très jeune. Le vin est tout en truffe, et le mot qui revient sans cesse à l’esprit, c’est la perfection. Ce vin fait comprendre pourquoi Pétrus peut susciter un tel engouement. C’est un vin extraordinaire et Desmond est heureux. Chaque convive, qui connaît la renommée de Pétrus est absolument estomaqué de voir ce qu’un vin de cinquante ans peut exprimer. Autour de moi, ce ne sont que signes d’une immense satisfaction.

S’il en est un qui est maintenant estomaqué à l’apparition du Chambertin J. Faiveley Tasteviné 1949, c’est bien moi. Car ce vin est la définition absolue du plaisir bourguignon. L’année 1949 parle évidemment à mes convives puisque c’est la date de la création de la République Populaire de Chine. Le boire lorsqu’il a soixante ans ajoute encore au symbole. Sa couleur est belle. Ce vin est magnifique. Il a tout pour lui, le velouté, le charme et la jeunesse, la densité et l’expressivité. Sur le pigeon, c’est un bonheur.

Sur deux dessertes, Daniel, un de ses adjoints et plusieurs serveurs posent deux énormes plats, dont une cocotte lutée. Et Daniel découpe les côtes d’agneau d’Australie sous nos applaudissements. Il y a un sens du spectacle à la chinoise. Paradoxalement, alors que la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 fait partie de mes immortels, le vin paraît tout discret après le feu d’artifice des trois vins précédents. Ce vin du Rhône que je vénère, puissant parmi les puissants, est ici d’une discrétion que je ne lui connais pas. La raison pourrait être une température de service trop élevée, car il fait chaud dans notre pièce. L’agneau est remarquablement délicieux. C’est un grand plat.

Le Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1976 est une leçon d’élégance. Comme cela se vérifie avec tous les vins de la maison Hugel, le temps dissout le sucre et ce vin d’une race folle a l’astringence et la sagesse d’un vin sec. Mais il est d’une richesse extrême, tout en subtilité. Le dessert au litchi, exécuté avec une finesse incomparable par rapport à l’essai qui m’avait été servi lors de mon premier repas en ce lieu compose un accord d’anthologie. L’évocation de violette est d’une distinction à nulle autre pareille.

Le Château Suduiraut Sauternes 1976 est un solide sauternes en pleine possession de ses moyens. C’est très étonnant qu’il puisse être aussi parfait tout en étant si jeune. Comme à la parade d’un défilé militaire, il ne lui manque pas un bouton de guêtre. Il n’a pas l’ombre d’un défaut. L’accord avec la mangue, accord couleur sur couleur est fantastique.

Le Malaga Larios solera 1866 est pour moi une divine surprise. C’est une bouteille que j’ai depuis vingt-cinq ans, fermée d’une vilaine capsule, sans doute embouteillée il y a quarante ans. Qu’avait-on prélevé du tonneau démarré en 1866 ? Je m’attendais à ce qu’il n’y eût que des traces de malaga canonique, aussi quelle n’est pas ma surprise de constater qu’il s’agit d’un vin réellement ancien, délicieux, charmeur et subtil à la fois, qui exsude un poivre que seul l’âge peut produire à ce niveau de raffinement. L’amertume de ce vin est fantastique. J’avoue être étonné de cette perfection. L’accord au plat est attendu et fonctionne bien.

Tout au long du repas, chacun s’est émerveillé de la perfection de présentation de mes vins. Il se démontre ainsi que le voyage n’a eu aucun effet négatif, les vins s’étant reposés dans la cave du restaurant depuis plus de cinq semaines et étant redressés depuis quatre jours.

Nous nous sommes livrés à la traditionnelle séance des votes. Nous sommes neuf votants pour douze vins. Les trois seuls d’entre eux qui n’ont eu aucun vote sont pourtant de solides valeurs : le Dom Ruinart, le Haut-Brion et le Malaga. Le Pétrus 1959 a eu trois votes de premier et quatre votes de second et figure dans les neuf bulletins. Le Chambertin a eu aussi trois votes de premier et deux votes de second. Le Latour a eu trois votes de premier, ce qui indique que seuls trois vins ont eu des votes de premier. Il y a une grande logique à cela.

Le vote du consensus serait : 1 – Pétrus Pomerol 1959, 2 – Chambertin J. Faiveley Tasteviné 1949, 3 – Château Latour Pauillac 1953, 4 – Château Carbonnieux blanc 1953.

Mon vote est : 1 – Chambertin J. Faiveley Tasteviné 1949, 2 – Pétrus Pomerol 1959, 3 – Champagne Krug Clos du Mesnil 1985, 4 – Château Carbonnieux blanc 1953.

La palme des accords reviendra au dessert au litchi et violette avec le vin de Hugel et sera suivi par l’huître au caviar avec le Krug. L’ambiance de ce dîner a été beaucoup plus informelle et amicale que lors du précédent. Il y a à cela deux raisons, c’est qu’au premier il y avait des personnages importants de l’Etat ou de la Cité et aussi que nous nous connaissons mieux avec les convives qui ont assisté aux deux repas.

Daniel Boulud est venu s’asseoir à notre table. Nous avons fait des photos de groupe. Daniel a confirmé son intérêt d’avoir fait ces repas avec l’organisateur « exigeant » que je fus. Desmond était manifestement ravi d’avoir pu ainsi honorer ses amis. Tout fut mis en œuvre pour que ces deux premiers dîners en Chine fussent de vrais succès.

Alors que Desmond avait demandé que l’on accélère le service pour que le repas ne finisse pas trop tard je vois au moment de partir un nuage de fumée dans un coin du bar. C’est Desmond qui a distribué des cigares de sa cassette personnelle à trois de ses amis. Ils tètent les havanes les plus raffinés en dégustant des whiskies fort tourbés. Tout, décidément tout, me surprendra en ce monde attachant, au potentiel quasi infini.

114ème dîner – photos dimanche, 15 mars 2009

Photo des premiers arrivés de ce dîner. Desmond est le plus grand. La belle table dressée pour notre repas.

Les verres prêts à être utilisés et les verres utilisés, en fin de repas

L’ensemble des convives. Daniel Boulud a rejoint notre table en fin de service.

Pour les archives il fallait bien des photos de Daniel Boulud et moi. Daniel tient son guerrier chinois.

Photo de groupe tenant des bouteilles. Il manque le couple des propriétaires du Raffles et autres hôtels de la ville, qui figurent sur la première photo faite avant le repas.

En rentrant, j’ai plein de petit lampions qui s’allument dans ma tête tant je suis heureux.

Apparremment, mon hôtel aussi !

114ème dîner de wine-dinners, le menu et les vins dimanche, 15 mars 2009

Hors d’Oeuvre

·         Crab Roll with basil and orange

·         Hamachi Tartar with caviar and Meyer Lemon

·         Potato Blinis with smoked salmon 

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

J’ai fait rire quand j’ai pris cette photo, ayant oublié de la faire à temps !

Huitres en Gelée D’Algues

Oysters in a seaweed gelée

Champagne Krug Clos du Mesnil 1985

St Jacques rôtie au Poivre doux et Celeri,

Roasted Sea Scallops with Sancho Pepper, celery Root Confit in Duck Fat

"Y" d’Yquem Graves white 1980
Château Haut-Brion Graves white 1983

Tourte de Ris de Veau, Morilles et Pousses de Pois remplacé par Langoustine Gratinée aux pignons, légumes au vert

Tourte of Sweetbread, Macaroni, Morels and Pea shoot replaced by Pinenut crusted Langoustine, Spring vegetables

Château Carbonnieux white 1953

Thon à la truffe noire et lard frais, Lentilles et racines douces

Pancetta wrapped Tuna with Black Truffle, Lentils and Sweet Roots

Château Latour Pauillac 1953

j’ai fait ajouter un plat pour séparer les deux bordeaux rouges, un blanc de volaille aux morilles

Pétrus Pomerol 1959

Tartine de Pigeon grillée, Trompettes de la mort, Sauce salmis

Tartine of Grilled Squab, Foie Gras, Black Trumpet, Sauce Salmis

Chambertin J. Faiveley Tasteviné 1949

Agneau d’Australie à la Provençale

Roasted Loin with Rosemary and Olives

Daube of Shoulder “à la Provencale”

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990

la préparation du plats s’est faite devant nous

découpe par Daniel Boulud

fin de découpe et le plat délicieux

Vacherin de Litchi et violette, Glace au Miel

Vacherin with Lychee and Violette Meringue

Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1976

(sans doute le plat le plus délicat)

Dégustation de mangue et Orange confite

A tasting of Mango and Candied Orange

Château Suduiraut Sauternes 1976

Fondant au Chocolat et Crème Nougatine

Fondant au Chocolat, Walnut Nougatine Whipped Cream

Malaga Larios solera 1866

 

Ouverture des vins dimanche, 15 mars 2009

Les odeurs des vins sont superbes.

Le Pétrus 1959 est immense, totalement Pomerol et totalement truffe.

Le Latour 1953 est doucereux, velouté, d’une race immense.

Le Haut-Brion blanc 1983 est d’une grande noblesse.

Tout se présente bien.

Y 1980, Carbonnieux 1953, Haut-Brion 1983 et Hugel 1976. On remarque la qualité des bouchons

Je n’ai pas réussi à décoller le haut de la capsule entièrement. Le bouchon du Pétrus est magnifique

Sur cette photo on voit bien que la capsule est restée collée au bouchon

Très belle capsule datée du Latour 1953 et très beau bouchon bien sain.

Place Tiananmen dimanche, 15 mars 2009

La classique vue de la porte Nord avec le portrait de Mao. La photo de droite montre trois choses : la pollution, le rythme effrené des constructions, et la foule. Le 63.567ème en partant de la gauche, c’est moi.

La foule; l’une des portes

L’armée et les travailleurs dans une marche en avant pour écrire l’histoire.

114th dinner in Beijing – the wines dimanche, 15 mars 2009

Dinner to be held in Maison Boulud, Beijing on March 15th

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Champagne Krug Clos du Mesnil 1985

"Y" d’Yquem Graves white 1980

Château Haut-Brion Graves white 1983

Château Carbonnieux white 1953

Château Latour Pauillac 1953

Pétrus Pomerol 1959

Chambertin J. Faiveley Tasteviné 1949

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Musigny Vieilles  Vignes Comte Georges de Vogüé 1983 (this is a reserve wine)

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990

Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1976

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Château Suduiraut Sauternes 1976

Malaga Larios solera 1866

ouverture des bouteilles dimanche, 15 mars 2009

Pour aller à la Maison Boulud pour ouvrir les bouteilles, je décide d’emprunter les grandes artères et de traverser la place Tiananmen. Il y a un dimanche à midi dans les rues et sur la place une foule immense dont l’ampleur transposée à Paris serait un rêve pour tout secrétaire général de la CGT. C’est une armée compacte qui occupe les lieux, avec calme, bonhomie et curiosité.

L’ouverture du bouchon de chaque bouteille se passe normalement en deux fois. D’abord, avec un tirebouchon limonadier classique, je soulève le bouchon de quelques millimètres, deux ou trois. Puis, retirant cet outil, j’use de la longue mèche d’un autre tirebouchon, enfoncée sur une longueur plus grande que celle du bouchon, pour lever la totalité du bouchon, qui ne remonterait normalement pas avec le limonadier. Pensant que le bouchon de l’Y d’Yquem 1980 est suffisamment solide, et comme je parle avec Koen, l’aimable jeune sommelier, j’oublie d’utiliser les deux étapes et ce qui devait arriver arrive, un disque peu épais de la base du bouchon reste collé dans le goulot. Comment l’extirper sans l’enfoncer dans le liquide, du fait de la pression mise pour piquer le liège ? Il m’a fallu de longues minutes pour extirper ce disque restant sans qu’une miette de bouchon ne tombe dans le précieux vin. Echaudé par cette expérience liée à l’insouciance pendant mon bavardage je revins au mode opératoire classique pour les autres bouteilles qui furent ouvertes avec facilité. Les odeurs du Pétrus 1959 et de Latour 1953 sont absolument parfaites.

Je retourne à mon hôtel pour une dernière petite sieste avant le dîner. Desmond a demandé que le repas débute à 18 heures précises pour qu’il finisse suffisamment tôt. La veille, il m’avait annoncé que nous serions onze au lieu des douze primitivement prévus. Lorsque nous pénétrons dans la salle à manger joliment agencée, il annonce dix personnes, dont une qui viendra avec retard. Nous saurons au troisième plat que le dixième ne viendra pas. Nous serons donc neuf à partager douze vins.

Concert de l’orchestre symphonique de Berlin samedi, 14 mars 2009

Desmond m’a fait parvenir un billet pour un concert de l’orchestre symphonique de Berlin au « National Centre for the Performing Arts » de Pékin. Cet Opéra conçu par un architecte français est ouvert depuis deux ans. Le chauffeur de taxi qui m’y conduit ne doit pas le connaître, car il me dépose à près de deux kilomètres de l’entrée. Comme de gigantesques douves entourent cette bulle de mercure aux dimensions cyclopéennes, j’ai failli être en retard. Une foule immense se presse pour cette représentation et je constate qu’il y a probablement 95% de chinois. Non loin de ma place, Desmond est entouré de plusieurs amis dont la femme qui a assisté au dîner à la Maison Boulud.

Le programme de ce soir est exclusivement écrit en chinois, aussi me suis-je trouvé vis-à-vis du concert exactement comme en une dégustation de vins à l’aveugle : « je connais ce morceau par cœur, mais lequel est-ce ? ». Le chef Ingo Metzmacher a remarquablement interprété des morceaux très connus du répertoire classique allemand, et j’ai pu constater à quel point l’acoustique de la salle est remarquable. Plusieurs points me semblent absolument remarquables : cet opéra immense fait salle comble avec des chinois sur un programme de musique européenne. Quel succès aurait en France, auprès de français, un opéra jouant de la musique chinoise ? Le public que j’ai côtoyé montre une évidente envie d’apprendre. Des familles sont venues avec des petits enfants. Pas un seul ne s’est mal conduit. Les applaudissements se sont faits aux bons moments, sans manifestation intempestive, et les applaudissements et rappels se sont déroulés comme ils le devaient. C’est une assez belle leçon de comportement. Lorsque nous sommes sortis de la salle avec les amis de Desmond, l’un d’entre eux me demande : « n’êtes vous pas déçu par ce pays retardé ? ». Je lui ai dit que mon impression au contraire est largement positive.

Je suis rentré à pied en traversant la place Tien An Men. La présence policière et militaire est assez forte. Est-ce dû au congrès du Parti Communiste Chinois ?

Il y a dans ce pays beaucoup de choses qui me surprennent positivement.

Quelques instantanés samedi, 14 mars 2009

En rentrant de l’Opéra à mon hôtel, je croise une foule extrêmement jeune. Le nombre de jeunes filles de 15 à 25 ans est extrêmement élevé, et dans les groupes de jeunes, il y a le plus souvent deux fois plus de filles que de garçons.

Quand ces jeunes filles seront mères, la population de la Chine s’éveillera…

Le long d’un haut mur d’enceinte il y a des bancs. Et sur ces bancs publics des couples s’enlacent et se bécotent. Plus loin, un jeune photographie sa belle en profitant de l’éclairage indirect d’une lampe qui éclaire le mur. Tout cela est frais.

Les petits groupes militaires paradent ici et là avec une marche forcée saccadée. Il est interdit de les photographier. Ils sont jeunes, aux visages poupins.

Même de nuit on photographie l’immense portrait de Mao Tsé Toung alors que l’éclairage public est éteint.

Cette ville est d’un bouillonnement assez spectaculaire. Savoir qu’on y a applaudi Beethoven en forçant trois rappels pour honorer le chef d’orchestre donne de la Chine une autre vision. Est-ce la bonne, je ne sais pas, mais c’en est une.