Déjeuner au restaurant Pages avec un amivendredi, 14 avril 2023

J’invite à déjeuner un ami gastronome raffiné que je n’avais pas vu depuis des années. Le restaurant choisi est le restaurant Pages. Un peu avant 11 heures je suis présent au restaurant où l’aspirateur fait un bruit de gros avion.

L’ouverture des vins commence par un Chablis 1er Cru A. Bichot négociant 1947. C’est un des vins acquis de la cave de l’Institut de France. La bouteille n’est pas très belle, la capsule est d’origine et le niveau est légèrement bas. Le haut du bouchon est très sale. Le bouchon se brise et j’utilise une seconde mèche pour sortir le reste du bouchon en entier. Le bouchon est très imbibé au point qu’en plantant la mèche avant de tirer, j’avais vu de petites bulles soulevant du liquide au point haut de la mèche. L’odeur du vin n’est pas repoussante ni désagréable mais semble plate, faible et paresseuse.

Le Châteauneuf-du-Pape Paul Jaboulet Aîné 1953 a perdu sa collerette d’année et je n’ai l’indication du millésime que parce que j’avais acheté trois bouteilles de ce vin. Le niveau dans la bouteille est très haut, parfait. Le bouchon vient bien même s’il se brise en deux et le parfum est divinement séduisant.

Pendant que j’officie, je mets au point le menu avec le chef Ken. Il a prévu des asperges blanches avec des morceaux de homard et une sauce pour homard. Je lui demande de servir les asperges en deux fois, le premier service étant des asperges, cuites à la poêle, seules, puis le plat tel qu’il l’a prévu.

Il annonce ensuite un turbot et des côtes d’agneau. Cela me convient. L’excellent pâtissier a prévu aujourd’hui un dessert léger au chocolat. Très bien. Pierre-Alexandre directeur de salle et sommelier me fait goûter un Rivesaltes Cazes 2014 qui serait un accompagnement judicieux, aux saveurs caléidoscopiques mais fortes. Nous verrons.

Selon la tradition, dès que la séance d’ouverture est finie, je vais boire une bière japonaise à la brasserie 116 qui appartient aux propriétaires de Pages et l’on m’offre de grignoter des édamamés qui forment avec la bière un accord parfait.

Mon ami arrive. Il n’a pas changé depuis notre dernière rencontre et me réciproque le compliment. Yacine nous décrit les amuse-bouches et je suis toujours impressionné quand les serveurs arrivent à décrire sans faute toutes ces complexes préparations.

Horreur, le Chablis 1er Cru A. Bichot négociant 1947 est servi et sa couleur est grise, d’un gris sale, peu avenant. Mais je ressens dans ses difficiles parfums un possible retour à la vie. Après de lourdes averses, mon grand-père avait l’habitude de dire, s’il voyait un petit peu de ciel bleu : il y a assez de bleu pour faire une culotte de gendarme. Le premier contact difficile avec le vin me donne le même espoir et je dis à Jean-Philippe : « je pense que le vin va s’élargir ».

Pour les asperges blanches, nues, le Châteauneuf-du-Pape Paul Jaboulet Aîné 1953 est impérial. L’amertume des asperges excite le vin qui devient rayonnant. Ce vin direct, franc, a tout pour lui et se comprend instantanément.

Avec la sauce pour le homard du plat suivant, le vin blanc s’élargit. La sauce efface ses faiblesses et ses imprécisions. Nous savons que nous buvons un vin fatigué, mais il se met à exprimer de belles complexités.
Le délicieux turbot s’accorde avec les deux, le vin du Rhône recevant la douceur du poisson pour exposer des grâces subtiles.

Pour les côtes d’agneau, le vin rouge est à son aise mais il est intéressant qu’à chaque moment du repas nous allons d’un vin à l’autre pour voir comment les choses se passent et nous avons d’agréables surprises car le vin blanc se met à briller là où on ne l’attend pas. Ce n’est pas un grand vin bien sûr, mais ses fulgurances inattendues sont agréables à vivre.

Nous ne sommes pas en situation d’aborder un vin doux naturel aussi le délicieux dessert au chocolat se déguste à l’eau.

Le vin doit être une surprise. Comme au repas avec ma fille, un vin que beaucoup rejetteraient offre des instants de bonheur. Ça n’en fait pas un grand vin mais une belle découverte.

Manger chez Pages est toujours un grand plaisir. La cuisine est directe, faite de beaux produits aux cuissons idéales. Le service est attentif. J’ai revu avec plaisir un ami gastronome. De nouvelles aventures s’annoncent. C’est le plaisir de la vie.

édamamés et bière