dîner Dom Pérignon de folie aux Crayères mardi, 13 septembre 2011

Dom Pérignon a organisé aux Crayères à Reims un dîner complètement fou, où le marketing côtoie la grande sincérité. Sur le carton d'invitation, noir calligraphié d'argent comme les étiquettes des Dom Pérignon Œnothèque, un libellé sibyllin "avant-première de l'expérience IV.VIII.XVI" et une annonce intrigante : "accueil 21h15, dîner 22h00 précises". Dom Pérignon serait passé à l'heure espagnole ?


Lorsque j'avais demandé à Richard Geoffroy, chef de cave de Dom Pérignon, de quoi il retourne, j'ai compris que c'était secret. Lorsque j'ai croisé Philippe Jamesse le brillantissime sommelier des Crayères, je lui ai demandé de voir la salle du dîner. A ses sauts en l'air j'ai compris que c'était "Secret Défense".


Nous sommes plusieurs logés sur place et ma chambre "Impératrice Eugénie" m'a rappelé l'hôtel du Palais à Biarritz où j'ai passé en famille tant d'étés. La chambre est superbe avec sa belle terrasse donnant sur le parc et le service est irréprochable.


Un peu avant l'heure prévue, tout le monde se retrouve au bar et, chose étrange, seule l'eau minérale est admise. Il y a la fine fleur de ceux qui écrivent sur le vin, plus quelques amis de Richard Geoffroy. Hervé Fort, directeur général du domaine les Crayères nous fait un speech de bienvenue très long, et qui sent la communication à plein nez. Mais c'est son rôle. A ses côtés Richard Geoffroy et Philippe Jamesse sont comme deux gamins enthousiastes à qui on donne enfin l'occasion de réaliser leur projet. Ils sont amusants, car d'un côté, ils veulent garder le mystère, mais de l'autre, ils ont tellement envie de tout dire.


En fait l'idée est née des constatations de Philippe Jamesse. Le champagne Dom Pérignon a des saveurs et des arômes qui évoluent grandement en fonction de la température, et chaque degré de plus change le goût. Or un champagne dans le verre va passer de 8° à 16° en une demi-heure. Comment arrêter le temps ? L'idée est que ce gain de 8° se fasse en deux heures au lieu d'une demi-heure, et qu'un repas soit organisé avec des plats qui correspondent exactement aux saveurs de chaque degré gagné. Le principe était né. Il s'en est ouvert à Richard Geoffroy qui a l'âme d'un chercheur et qui a mordu à l'idée. Pendant dix-huit mois, Philippe, avec son chronomètre et son thermomètre a mesuré les évolutions et les saveurs, et avec Philippe Mille le jeune chef des Crayères, ils ont élaboré un menu spécifiquement calé sur chaque degré de réchauffement du Dom Pérignon.


Le principe est donné, passons à table. Dans la grande salle du restaurant, une longue table accueille les 25 participants. Devant chaque place, un pupitre comme une demie boîte accueille quatre grands verres conçus par Philippe Jamesse. Les panneaux de la boîte sont réfrigérants, et le support sur lequel sont posés les verres est éclairé pour mettre en valeur la beauté de la couleur du champagne. Sur chaque verre deux chiffres romains sont inscrits. On va de gauche à droite de un à quatre, puis de droite à gauche de cinq à huit. Un sommelier verse dans chacun des verres 18 cl de Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1996 dégorgé en 2008, dont Richard dit que ce millésime est "fait par le vent", et nous devrons boire 9 cl, c'est-à-dire la moitié de chaque verre, de un à quatre puis au retour de cinq à huit, ce qui fait que nous commencerons à boire dans le verre de gauche et finirons par celui-ci. Un petit cahier qui nous est remis explique de façon remarquable le processus, ainsi que les plats qui accompagnent chaque degré du vin.


Par curiosité, nous nous sommes prêtés de bonne grâce à cette expérience, illuminée par la démarche brillante de Philippe Jamesse initiateur de l'idée, par l'imagination de Richard Geoffroy et par le talent exceptionnel de Philippe Mille. Et nous avons pu constater que la température du champagne monte extrêmement lentement, d'un degré par quart d'heure, que le goût du champagne évolue à chaque degré et que les accords prévus pour chaque phase sont d'une pertinence et d'une élégance absolues.


Quand ma voisine a demandé à Philippe Jamesse le pourquoi de la référence aux quartiers de la lune pour chaque phase de dégustation et pourquoi ces dîners ne se feraient que les jours de pleine lune, il m'a semblé que cela tenait un peu de la poudre de perlimpinpin médiatique, mais je suis prêt à admettre que je suis un hérétique.


Voici les plats aux titres interminables qui accompagnent chaque degré de température du champagne que j'indique en tête de plat avec l'amusante phase de lune qui lui est associée, avec un petit commentaire entre parenthèses.


8° nouvelle lune : tartare d'huîtres de chez David Hervé, salicornes Cress juste concassées, granité d'eau de mer filtrée, feuilles d'huîtres végétales et fleur de bourrache (plat délicieux, accord parfait, car le Dom Pérignon froid et l'iode, ça fonctionne).


9° premier croissant : langoustines de Guilvinec mi-cuites marinées à la menthe blanche, faisselle de la forêt d'Argonne au thym citron, melba de pain de mie croquant, copeaux de champignons de Paris (l'écart de 1° transforme le champagne. L'accord est pertinent. C'est le plat pour lequel j'ai le moins vibré, même si très bon).


10° premier quartier : saumon sauvage d'Ecosse confit, beurre de mandarine au malt iodé, chapelure d'oranges et bâton de réglisse, sabayon d'agrume de chez Bachès légèrement tourbé (saumon superbe, champagne qui prend de l'ampleur, accord pertinent).


11° gibbeuse croissante : soupe de moules du Mont Saint-Michel, carottes des sables et céleris au safran du Gâtinais, crème fouettée au jus de palourdes et coques de la baie de Somme, moules mi-séchées et pistils de crocus (plat sublime qui vaut trois étoiles, le safran crée un accord magistral. Rien que ce plat et cet accord sur un champagne encore plus ample vaut le voyage). A cette étape nous avons bu des verres de un à quatre, et nous continuons sur le même verre pour revenir au premier.


12° pleine lune : riz basmati d'Inde "la Reine du Parfum", sauté dans un wok fumé au thé Marco Polo, mélange des sous-bois au beurre demi-sel et "tabac" de champignon noir (le champagne est de plus en plus épanoui. L'accord est justifié).


13° gibbeuse décroissante : tajine d'agneau de Lozère à l'amande, côte première grillée au feu de sarments de vigne, caillette d'épaule confite et ses légumes braisés, jus de cuisson infusé à la grappa "Invecchiate" (plat sublime, d'une dextérité infinie et d'une justesse de goût exceptionnelle. Accord parfait. C'est la plénitude du champagne).


14° dernier quartier : caillé frais de chez Mr Laluc, vinaigre à la pulpe de mangue et huile d'olive "bio" Tripodi, feuilles de brick toastées à l'essence de basilic, mouron des oiseaux, jeunes pousses de salade (plat délicieux à la présentation romantique, accord pertinent, mais le champagne a moins de tension).


15/16° dernier croissant : tarte Tatin aux éclats de violette de Toulouse cristallisée, cerneaux de noix à lafleur de sel de Guérande, crème fraîche de chez Vieillard mi-fouettée, zestes de citron de Menton confits (très beau dessert et accord pertinent, mais le champagne a un peu perdu de sa vivacité puisqu'il est dans le verre depuis presque deux heures).


Nous avons applaudi Philippe Mille et son équipe qui a fait un repas trois étoiles. Son talent s'est exprimé de façon remarquable, mes chouchous étant la moule, l'agneau et l'huître. Le champagne m'a plu énormément dans toute la phase montante, jusqu'à 13°. Mais je me suis fait cette réflexion : en se concentrant comme on le fait sur les températures et leurs évolutions, on passe un peu à côté du message du magnifique Dom Pérignon 1996, car on a toujours l'impression de boire un "autre" vin en passant de verre en verre. C'est moins décontracté que lorsqu'on en profite pour lui-même.


La passion de Richard Geoffroy et de Philippe Jamesse est certainement ce qui illumine cette expérience. Je suppose qu'Hervé Fort va commercialiser ces dîners où il est impossible de parler aux convives de l'autre côté de la table, tant les pupitres font barrière. Mais au-delà du markéting, au-delà de la communication et de l'éventuelle exploitation commerciale, il reste une expérience unique, folle, qui a réuni deux passionnés dans une recherche de mise en valeur de la complexité d'un grand champagne en fonction de sa température maîtrisée en arrêtant le temps. Rien que pour cela, c'est un événement inoubliable.


Chapeau Richard et chapeau les deux Philippe.

Le 149ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 8 septembre 2011

Le 149ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. C'est le dîner de la rentrée scolaire et, pour une fois, le thème est centré sur un domaine, le domaine Armand Rousseau. Comme nous serons douze, j'ai prévu treize vins.


A 17h30 tout est prêt pour que je puisse ouvrir les bouteilles déposées depuis une semaine. Mon rhume me handicape toujours, mais je pourrais détecter des défauts. Il n'y en a pas. Les vins d'Armand Rousseau, à l'exception d'une bouteille, provenaient d'une seule cave dont les bouteilles sont poussiéreuses. Il y avait évidemment des inconnues, mais la surprise fut belle. Le Sigalas-Rabaud 1896 au bouchon d'origine a un niveau dans le goulot, ce qui est exceptionnel pour cet âge. Il exhale un parfum divin.


Nous sommes douze, seulement des mâles, ce qui n'est pas mon désir mais le hasard des inscriptions. Sont représentés les Etats Unis, le Japon, le Danemark et la France. Il y a quatre nouveaux et deux convives dont c'est le deuxième dîner. L'autre moitié de notre groupe est formée d'habitués fidèles.


Nous prenons l'apéritif sur un Champagne Charles Heidsieck Royal 1969 au flacon extrêmement joli, tout en courbe avec une belle étiquette évoquant la forme d'une coquille Saint-Jacques. On entre de plain pied dans le monde des champagnes anciens, avec une richesse d'évocation de fruits jaunes et bruns. Le champagne n'est pas aussi glorieux que le Pommery 1953 de la veille, mais il a tout ce qui fait le charme des champagnes anciens. Il convainc tous ceux qui n'en avaient jamais bu.


Le menu créé par Alain Solivérès est ainsi composé : Tartare de bar de ligne parfumé au yuzu et amandes fraîches / Epeautre du pays de Sault en risotto aux cèpes de châtaignier / Mignon de veau de lait de Corrèze rôti aux légumes caramélisés / Suprême de pigeon de Racan en chausson feuilleté, foie gras et chou/ Deux Comtés et des noix / Douceur de mangue aux parfums de pain d’épices et de safran.


Etant un amoureux du champagne Salon mon avis ne sera pas objectif sur le Champagne Salon 1985 que j'adore. Un des convives nouveaux ayant posé des questions sur ce qui caractérise un vin "vieux", nous avons avec les deux champagnes une belle démonstration, car le Charles Heidsieck est "vieux" et le Salon 1985 est "jeune". Il a la force vineuse de Salon, avec une jolie rondeur donnée par ses jeunes vingt-six ans. Le fruit est généreux, la bulle est active et la longueur est satisfaisante. J'aime beaucoup ce champagne qui n'a pas l'aspect glorieux du 1988 ou le caractère romantique du 1982, mais raconte de jolies choses.


Le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1991 est magnifique. La couleur est celle d'un vin jeune, à l'or blanc, le nez est impressionnant car je le ressens même avec mon rhume, et en bouche, la puissance, la force, la pénétration gustative sont impressionnantes. Ce vin lourd et de forte mâche est un vrai régal, car ses vingt ans lui donnent une assise extraordinaire. Je l'ai beaucoup aimé. L'épeautre, plat signature du lieu, lui convient idéalement, mais il serait aussi le compagnon idéal de vins de toutes les couleurs.


Il y a huit vins rouges qui sont répartis en deux séries de quatre vins associées chacune à un plat. La première série est composée de : Gevrey-Chambertin Premier Cru Domaine Armand Rousseau 1972, Charmes Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952, Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1948, Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969. Celui qui tranche par rapport aux trois autres est le seul qui provient d'une autre cave, le 1969. Il a une couleur plus claire et fait jeune, alors que les trois autres sont des vins déjà évolués, avec une belle harmonie. Ce qui frappe d'emblée, c'est la similitude de style entre les vins. Et je me suis pris à rire intérieurement, car chaque fois que je changeais de verre, je me disais : "ah, c'est celui-là le meilleur". Que c'est difficile de choisir entre ces vins. J'aime le 1972 car il a la discrétion de cette année assez gracile, j'aime le 1952 parce que c'est une année virile, pleine d'expression. J'aime le 1948 parce que c'est un Clos de la Roche et parce que l'année 1948 est souvent sous-estimée, et j'aime le 1969 parce que c'est le plus jeune, d'une grande année bourguignonne. Bien malin qui pourrait départager ces vins. Ce que l'on peut noter c'est qu'ils sont tous expressifs, remarquablement faits, avec une belle structure, un fruit présent dans les tons bruns et une trace poivrée dans le final qui est très jolie. Les vins un peu trop chauds font apparaître plus d'alcool que s'ils avaient deux degrés de moins.


La deuxième série comporte : Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935, Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947, Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952, Echézeaux Joseph Drouhin 1947. La question est évidemment apparue : pourquoi un autre bourgogne ? J'ai répondu que c'est ma coquetterie. Je n'aime pas être enfermé dans des plans rigides, et d'ailleurs c'est exceptionnel que je fasse des repas à thèmes, d'où ce vin inattendu rajouté au programme. Dans cette série, il y a des vins extrêmement rares, car lorsque j'ai parlé de ce programme à Eric Rousseau qui serait venu s'il n'était en pleines vendanges, il m'a confié qu'il n'a jamais bu le 1935.


Sur une magnifique création d'Alain sur le thème du pigeon, la deuxième série crée la même impression que la première : on retrouve le style Rousseau et on est embarrassé pour désigner celui que l'on préfère. Ce qu'il y a de nouveau, c'est de sentir du café, du moka et du chocolat dans ces trois chambertins, surtout le 1952. J'aime le 1935 parce qu'il est d'une année subtile, très précieuse, j'aime le 1947 car l'année est rayonnante, ensoleillée et le 1952 s'impose par la force de son message, d'une année riche et complexe. A côté, l'Echézeaux Joseph Drouhin est d'une couleur d'un rubis beaucoup plus rouge, d'une clarté plus grande, et en bouche il est beaucoup plus joyeux. Il a donc sa place aussi pour faire un contraste avec la profondeur des vins d'Armand Rousseau. Au fil du temps, les vins s'épanouissent et les deux chambertins 1947 et 1952 se montrent les plus brillants.


Le Château Chalon Jean Bourdy 1911 qui a juste cent ans est un des plus brillants que j'aie jamais bus. Il est extrêmement facile à comprendre et à accepter, même si l'on n'est pas un grand amateur de vins jaunes, car son intégration et son harmonie le rendent très séducteur. Le vin est presque bourguignon tant il est accueillant, avec des notes légèrement citronnées. Les comtés de dix-huit et trente mois avec de petites noix fraîches créent un accord parfait. L'essai avec le reste du Chevalier Montrachet qui a gardé sa vigueur est particulièrement pertinent.


Le Château Sigalas-Rabaud 1896 a une couleur d'un ambre abricot. Son parfum est envoûtant et en bouche, c'est une pure merveille. Il a beaucoup plus de sucre que le Guiraud 1904 bu hier. Il est fascinant car il n'a pas d'âge. Il serait impossible de dire qu'il est évolué. Il est dans une expression équilibrée et parfaite, intemporelle. Les sauternes ayant une place importante dans mon amour du vin, je suis subjugué par cette précision et par l'accomplissement de ce vin parfait, archétype du sauternes idéal. Le dessert est le plus exact que l'on puisse imaginer pour ce vin.


Nous arrivons au moment des votes et il faut avouer que c'est très difficile. Je vais commencer à en parler en signalant une chose qui me fait un plaisir fou : ce repas comporte treize vins de ma cave. Alors que nous votons pour seulement cinq vins, tous les vins du dîner ont eu au moins un vote. C'est assez extraordinaire, car il n'y a aucun laissé pour compte, ce qui est rare pour treize vins. On comprendra que je sois assez fier.


Quatre vins ont été nommés premiers. Le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952 l' été six fois, le Château Sigalas-Rabaud 1896 l'a été trois fois, le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947 l'a été deux fois et le Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969 l'a été une fois. On notera que le chambertin 1952 a reçu douze votes, ce qui veut dire qu'il est présent sur toutes les feuilles de votes. A côté de cet unisson, la disparité des votes est particulièrement forte.


Le vote du consensus serait : 1 - Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952, 2 - Château Sigalas-Rabaud 1896, 3 - Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947, 4 - Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969, 5 - Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935.


Mon vote est : 1 - Château Sigalas-Rabaud 1896, 2 - Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947, 3 - Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952, 4 - Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1991, 5 - Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935.


Ce dîner fut un grand moment d'émotion. Car rassembler autant de vins rares du domaine Rousseau est quelque chose que je ne peux faire qu'une fois. Par ailleurs, tous les vins du domaine Rousseau (mais bien sûr aussi tous les autres) étaient d'une présentation parfaite. Aucun vin ne nous a donné l'impression d'un vin fatigué, d'un vin au-delà de ses limites. Ce qui prouve la pertinence de la vinification de ce domaine, l'un des plus talentueux de la Bourgogne. Bipin Desai m'a complimenté sur la qualité des vins, ce que je reçois comme un honneur, car ses compliments sont aussi rares que ces vins du domaine Rousseau.


Alain Solivérès a fait une cuisine solide, assurée et d'une exécution parfaite. Ce fut l'un des plus grands repas que nous ayons faits au Taillevent, le pigeon méritant une mention spéciale tant il fut excellent et goûteux. Le fait de mettre quatre vins sur un même plat n'est pas idéal, car on ne profite pas à fond de chacun des vins. Il faudra travailler encore la coordination du service des vins avec celui des plats.


Avec des vins extrêmement rares et présents au rendez-vous que nous leur avions donné, avec une cuisine de très haut niveau, dans la magnifique salle lambrissée que j'adore, nous avons vécu l'un des plus grands repas des 149 de l'histoire de wine-dinners. Ça motive pour continuer.

déjeuner avec un autrichien amoureux du vin dimanche, 28 août 2011

L'an dernier à la même époque, un amoureux du vin autrichien était venu me rejoindre dans le sud pour un déjeuner de très grands vins chez Yvan Roux. Ce déjeuner a marqué nos mémoires lorsque Gerhard, se précipitant pour aller chercher une de ses bouteilles était tombé dans la piscine d'Yvan. Il est chef d'orchestre et compositeur (c'est lui qui a composé le da capo qui figure sur l'étiquette du premier millésime de cuvée da Capo du domaine du Pégau), elle est violoniste, et leurs deux jeunes garçons sont dans le cycle secondaire de leurs études à Graz. Les quatre se présentent comme l'an dernier avec une camionnette Volkswagen antédiluvienne de pompiers de couleur rouge, utile lorsque Gerhard va faire ses emplettes dans des prestigieux domaines de vins où il est connu et ami. J'ai pu le vérifier lorsque j'ai cité son nom à plusieurs vignerons.


Gerhard est profondément généreux, aussi m'a-t-il annoncé les vins suivants : Grüner Veltliner "Ried Lamm" Schloss Gobelsburg 1995, Haut-Brion blanc 1985, Chateauneuf-du-Pape "Cuvée Reservée" Domaine du Pégaü 1981, Chateauneuf-du-Pape "Reserve des Celestins" Henri Bonneau 1981, Chambertin GC F. Tortochot 1969 et Madeira Boal 1934 V.J.H. Comment ajouter des vins alors que nous serons au plus huit, dont ma femme qui ne boit pas et deux adolescents ? Comme l'an dernier, j'annonce beaucoup de vins pour que nous puissions trier : Champagne Salon magnum 1996, Haut-Brion blanc 1960, Chateauneuf-du-Pape blanc Les Cabanes Charles Descarréga 1969 et Vosne Romanée Cros Parantoux Domaine Méo-Camuzet 1999.


Entretemps, notre groupe se réduit à six. Il va falloir écarter plusieurs vins. Gerhard annonce tout de suite la couleur : il n'a aucune intention de repartir avec l'un de ses vins. Nous arbitrons, j'ouvre les bouteilles et prépare les bonnes températures car il fait chaud. Il est temps de prendre l'apéritif.


Le Champagne Salon magnum 1996 me donne un coup de poing au cœur dès que je l'ouvre. Car son parfum est le plus capiteux de tous les 1996 que j'ai bus. Le nez est impérieux, extrêmement vineux. En bouche, c'est la gloire de Salon dans une expression de puissance et de jeunesse. Il est merveilleux. Il combine un caractère vineux avec un fruit extrêmement fort. Ce Salon est parfait. Nous grignotons des petits toasts au foie gras et de la poutargue qui mettent en valeur le champagne.


Nous passons à table et ma femme a prévu un menu pour les vins : tempuras de lotte, gambas à la plancha, filets de loup juste poêlés, quasi de veau basse température aux petites pommes de terre en robe des champs, sauce fine à la courgette, au pignon et à la mûre en trace, camembert, crème de chocolat et caramel.


Pour les poissons, nous avons côte-à-côte trois vins. Le Grüner Veltliner "Ried Lamm" Schloss Gobelsburg 1995 a un nez qui rappelle les eiswein autrichiens. En bouche il est légèrement perlant et évoque les litchis ainsi que les vins de glace, car il a un sucre résiduel non négligeable. Le vin titre 15°. Je n'arrive pas à mordre à ce vin qui ne me crée aucune émotion.


Je tenais beaucoup à faire une confrontation entre les deux millésimes de Haut-Brion, mais à l'ouverture, le nez du 1960 m'avait fait craindre qu'il n'y ait pas de match. Le Château Haut-Brion blanc 1985 a un nez extraordinaire. C'est la perfection du Haut-Brion blanc. Et en bouche c'est un festival de complexité et d'équilibre. C'est un immense vin très fruité et qui plus tard évoquera le miel. A côté, le Château Haut-Brion blanc 1960 qui avait un beau niveau dans la bouteille a une couleur nettement plus foncée. Le nez est riche et beau. En bouche, l'attaque est très plaisante, forte, avec des fruits confits. Mais la fin de bouche a une trace médicinale qui signe la fatigue de ce vin. Gerhard et moi savons être tolérants à ce type de vins qui ont encore un message dont une part est riche, mais le vin est quand même très inférieur à ce qu'il devrait être. Il n'y a pas de match et j'en suis triste car j'aurais aimé un jeu plus égal.


Sur la viande, nous avons aussi trois vins. Le Chambertin F.Tortochot 1969 a une robe plutôt rose foncé. Le nez n'est pas désagréable, mais la fatigue du vin est trop forte, car aucune partie du message n'est claire. Gerhard reconnait un Chambertin, et le goût peut être velouté parfois, mais la cause est entendue. Il faut dire que la confrontation des deux vins suivants capte notre intérêt. Il y a une belle similitude entre le Chateauneuf-du-Pape "Cuvée Reservée" Domaine du Pégaü 1981 et le Chateauneuf-du-Pape "Reserve des Celestins" Henri Bonneau 1981, car l'effet millésime joue a fond, donnant des vins assez stricts, un peu rêches, mais d'une forte charpente. Le Pégau (que Gerhard écrit Pégaü, car semble-t-il c'est ainsi qu'on l'écrivait dans le passé) est le plus pur et le plus plaisant. Le Bonneau est plus "campagnard", plus approximatif dans sa trame. Mais les deux sont d'immenses vins dont nous jouissons de chaque goutte.


La tentation était grande de vérifier si le camembert Jort préfère les vins blancs ou les vins rouges. Avec le Haut-Brion 1985 et avec le Pégau 1981, il y a jeu égal, les sensations étant différentes, mais de même niveau. C'est en fait le Bonneau 1981 qui emporte la mise, car c'est lui, par son côté "campagnard", qui colle le mieux au camembert bien fait. Et chose curieuse, le camembert joue le rôle de "docteur-miracle" envers le chambertin qui a perdu sa fatigue et devient presque plaisant, mais retrouve ses blessures dès que le camembert a disparu.


Mon vote est annoncé en premier : 1 - Haut-Brion 1985, 2 - Salon 1996, 3 - Pégau 1981, 4 - Bonneau 1981, 5 - Haut-Brion 1969.


Pour Gerhard, c'est : 1 - Pégau 1981, 2 - Salon 1996, 3 - Haut-Brion 1985, 4 - Bonneau 1981, 5 - Haut-Brion 1969.


Gerhard va poursuivre son voyage en visitant des vignerons de Chateauneuf-du-Pape et de Bourgogne. Sa générosité et son amour du vin ont contribué à faire de ce repas un grand moment de partage et de communion.

champagne et champagne vendredi, 26 août 2011

Des amis viennent pour une partie de belote. Comme chaque fois, le Champagne Henriot magnum 1996 appelle un mot : "rassurant", car ce champagne résume ce qu'un champagne doit être, agréable, lisible, plein en bouche et se buvant avec facilité. Et comme l'année 1996 lui donne du caractère, c'est un grand champagne. Au moment de la belle qui suit le dîner, il fait soif. Je vais chercher un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum sans année et mon ami estime qu'un magnum serait de trop. Le connaissant, j'imagine assez bien qu'au bout de dix minutes, une bouteille serait insuffisante, aussi le magnum est-il ouvert. Le champagne est très différent du Henriot. Les notes florales délicates, romantiques, explorent une autre dimension du champagne. Il est plus complexe, plus accompli, d'un charme extrême.


Mon ami avait raison car après leur départ, il reste plus de la moitié du magnum. N'ayant aucune intention de boire ce vin tout seul, je lance un "au secours" à nos voisins pour l'apéritif du soir. Ils viennent par la mer le long d'un chemin jadis à sec mais aujourd'hui noyé du fait combiné de la montée des eaux et de l'érosion du littoral. Nous improvisons un petit casse croûte sur la base du Grand Siècle qui n'a pas perdu de bulle et s'est élargi et épanoui, prenant des notes de fruits jaunes tout en conservant ses fleurs blanches. Très vite il me faut ouvrir un Champagne Krug Grande Cuvée au fruité exceptionnel, transcendantal par rapport à celui que nous avions bu au Castellet. C'est un immense champagne invraisemblablement fruité et à la personnalité conquérante. Il nous a cueillis à froid par un uppercut gustatif, car jamais nous n'aurions attendu une telle perfection. C'est sur la note parfaite de ce champagne que s'est conclu cet apéritif impromptu, chacun rentrant sagement chez soi pour un dîner frugal.


Cette appréciation du Krug a été faite le lendemain. Lorsque j'ai voulu mettre les photos sur mon blog, je me suis rendu compte que ce que nous avons bu est Champagne Krug 1996. On comprend mieux l'écart gustatif qui m'avait tant étonné.




dîner chez des amis vendredi, 26 août 2011

Chez des amis, un Champagne Ruinart sans année est agréable à boire, facile, simple, sans chichi, au goût gentiment vineux. Nous allons dîner ensuite chez d'autres amis. Le Champagne Pierre Péters Cuvée Spéciale les Chétillons magnum 2002, blanc de blancs de Mesnil sur Oger est d'une forte personnalité. Je reconnais tout ce qui fait le charme des vins de la "Mecque" du champagne, la commune de Mesnil-sur-Oger. Il est précis, fort, vineux, avec un charme que j'apprécie. J'avais bu deux fois le 2000 des Chétillons, une fois à Miami, sans être très emballé et une fois à Copenhague avec un jugement nettement plus encourageant, ce qui avait justifié que j'achète ce champagne plus connu à l'étranger en France. La démonstration de ce 2002 est convaincante. C'est un bon blanc de blancs.


Le Champagne Dom Pérignon 1996 nous fait changer de registre. C'est un champagne moins vineux, plus romantique, plus gracile, plus séducteur. Mon goût personnel va vers le vin du Mesnil.


Sur un agneau cuit de longues heures, un Palette Domaine du Grand Côté 2005 est sympathique, agréable, sans grande vibration. Un Chateauneuf-du-Pape Les Olivets de Roger Sabon & Fils 1971 ouvert tard a besoin de s'ébrouer. Lorsqu'il a suffisamment respiré, c'est un magnifique Châteauneuf, épanoui, au fort fruit noir, plein en bouche et de belle longueur, qui nous réjouit. J'aime ce Châteauneuf qui est d'une belle maturité et d'accomplissement sans avoir de signe d'évolution.


Pour le dessert, nous prenons un Champagne Salon 1997. Instantanément, nous savons qu'il n'y a pas de match possible entre les deux champagnes de Mesnil-sur-Oger. Le Salon est absolument magnifique et accompli, plus soutenu que de récents 1997 que j'avais bus, et sa palette aromatique complexe et riche en fait le gagnant inatteignable de ce repas. Un Bas Armagnac Langeroy du Tiers 1985 mis en bouteille en février 2011 très bien construit mais encore très jeune a conclu cette belle soirée d'amitié.


Champagne Ruinart sans année


Champagne Pierre Péters Cuvée Spéciale les Chétillons magnum 2002



Champagne Dom Pérignon 1996



Palette Domaine du Grand Côté 2005



Chateauneuf-du-Pape Les Olivets de Roger Sabon & Fils 1971



Champagne Salon 1997



Bas Armagnac Langeroy du Tiers 1985


dîner chez Yvan Roux avec un accord inattendu lundi, 22 août 2011

Nous allons prendre l'apéritif chez des amis d'amis. Le Champagne Bollinger Grande Année 1996 est extrêmement solide. Il est vineux, imprégnant et conquérant. On l'aime pour sa forte personnalité. Le fruit jaune cède la place au vineux puissant. Ce champagne a devant lui un bel avenir mais se boit bien car l'année est magistrale.



Nous nous rendons tous ensemble chez Yvan Roux, suffisamment tôt pour profiter de la vue magnifique rosissant sous les feux du soleil couchant d'un jour caniculaire. Le Champagne Laurent Perrier Cuvée Grand Siècle magnum sans année que nous avions entamé en faisant un crochet chez moi montre un grand contraste avec le précédent. Il est tout en charme romantique, fleurs blanches et gracilité. Il est un peu plus dosé que le souvenir que j'en avais.


Comme Yvan nous annonce des beignets d'anémone de mer pour l'apéritif, je fais ranger le champagne et servir le Chassagne-Montrachet les Chaumées Olivier Leflaive 2000. Mais j'ai soudain une intuition : c'est avec le Tokaji Eszencia Aszu 1988 que l'accord se trouvera le mieux. Tout le monde me regarde en pensant à une incongruité, aussi bien Yvan que Babette et mes amis. Et force est de constater que si l'on prend bien soin de mettre des quantités infimes sur sa langue, le Tokaji est ce qui convient le mieux aux anémones, alors que le Chassagne est hors sujet.


L'anémone a des goûts très complexes, car au-delà de l'iode, il y a du végétal, type artichaut et c'est ce côté végétal qui accroche l'accord avec le Tokaji. C'est vibrant et chacun en convient. Le Tokaji bu à petites gorgées est d'une belle complexité, avec un goût de raisin sec très prononcé, ainsi que des végétaux comme l'artichaut et le fenouil. L'âge lui va bien.


Yvan a essayé une recette nouvelle, avec une soupe froide de moules et une boulette panée de moules. C'est original et très intéressant. La force du plat met mal à l'aise le Chassagne à l'or déjà foncé, au goût légèrement fumé, qui fait assez simple, mais à cause du plat. A côté, le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1998 est pétulant de subtilité, avec une belle acidité et un fort aspect minéral. Il est gouleyant, fluide et ravit de plaisir.


Le plat suivant est fait de seiches cuites à l'encre, plat très fort qui me semble appeler un rouge. Aussi buvons-nous un Château Pradeaux Bandol 1996 dont la maturité est parfaite. Il est riche, râpeux comme la garrigue et son final mentholé signe un très grand vin. Mais l'accord se trouve mieux avec le Chassagne-Montrachet qui a enfin trouvé son terrain d'épanouissement. Il est riche, goulu, plein, et accroche bien avec la chair très typée de la seiche. Le Pradeaux convient aussi, mais l'accord est plus naturel avec le blanc puissant.


La demie langouste avec son corail peut trouver son bonheur avec chacun des trois vins, dans l'ordre de pertinence : le Chevalier-Montrachet, le Chassagne-Montrachet et le Bandol.


Sur des filets de mérous aux aulx confits, c'est à nouveau le Chassagne-Montrachet qui brille plus particulièrement, ce qui forme une compensation par rapport au premier contact assez fade.


Sur le soufflé à la vanille, le Grand Siècle convient à la perfection pour rafraîchir nos palais. Ce fut un beau dîner.



Les vins ne furent pas tous bus



les plats



dîner chez Yvan Roux avec les trois Côtes Rôties de Guigal samedi, 13 août 2011

Après une bonne sieste et des activités ludiques, nous nous rendons au domicile d'Yvan Roux. Le soleil est rasant et colore de rose Giens, Porquerolles et les marais salants. Quand il se cache derrière un bouquet de pins méditerranéens, il semble l'embraser. Sur la terrasse qui surplombe la mer, le Champagne Salon magnum 1997 met un sourire sur nos lèvres. Ce champagne est romantique, floral, et c'est sans doute l'un des moins vineux et des plus féminins de tous les Salon. Mais surtout il est lisible. Il n'est nul besoin de chercher à comprendre son charme. La seule chose à faire est d'y succomber.


De fines tranches de chorizo fait au Pata Negra apportent un gras qui titille aimablement le beau champagne. Mais l'accord divin se fait sur une crème aux poivrons et piment d'Espelette où l'on trempe des beignets de lotte. La chair de la lotte est un régal.


La lune apparaît, merveilleusement ronde, et teinte d'un argent légèrement blond l'onde calme du début de nuit.


Nous passons à table derrière la piscine qui ne gêne en rien la vue sur la mer. C'est cette piscine où un autrichien fou de vin était tombé par mégarde en voulant aller chercher un de ses vins. Nous le reverrons dans quinze jours.


Sur une friture de petits rougets, nous avons deux vins blancs. Le reste du Condrieu Les Chaillées de l'Enfer Domaine Georges Vernay magnum 2000 et un Meursault Charmes Domaine des Comtes Lafon 2002. Je suis très favorablement surpris par la qualité du Condrieu, qui montre son adaptabilité gastronomique au-delà de toute attente. Je ne me souviens pas avoir bu un Condrieu de ce niveau. Il est charmant, puissant, riche de fruit brun, avec une complexité qui me surprend et une longueur plaisante. C'est un grand vin. Le Meursault Charmes est plus élégant, plus raffiné et subtil, mais je dois dire que ce soir, c'est le rhodanien que je préfère.


Sur un carpaccio d'un poisson dont la chair ressemble à celle d'un thon rose, servi avec des copeaux de pamplemousse, l'accord avec le Condrieu est tout simplement diabolique. Le Condrieu est fait pour le pamplemousse, judicieux pour le carpaccio.


Ayant récemment fait des statistiques sur ce que j'ai bu, j'ai constaté que contre toute attente (enfin la mienne), j'ai bu autant de chacune des trois grandes Côtes Rôties de Guigal, la Landonne, la Mouline et la Turque. Spontanément, j'aurais répondu que la Mouline est de loin la plus bue et la Turque beaucoup moins, mais en fait les trois sont numériquement égales dans mes dégustations. Jamais n'avais-je ouvert les trois ensemble aussi suis-je excité à l'idée de le faire avec des amis qui apprécient le vin.


Dans trois verres devant nous se présentent les trois, pour le millésime 2000. Il faut savoir qu'Yvan Roux a fait son menu sans connaître les vins. A peine sommes-nous servis des vins qu'arrivent des assiettes submergées par des énormes moitiés de langoustes. Nous allons comparer nos trois vins sur des chairs absolument succulentes dans leur pureté.


Le nez de la Côte Rôtie La Turque Guigal 2000 est de loin le plus imposant. Le nez le plus subtil et délicat est celui de la Côte Rôtie La Landonne Guigal 2000. Sur la langouste, ma fille comme moi, nous trouvons que c'est la Landonne qui est la plus pertinente. C'est le vin le plus bourguignon des trois, car il joue plus sur la subtilité que sur la force. C'est d'ailleurs celui qui fait le plus évolué.


La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 est la plus séduisante des trois, avec un final mentholé de fraîcheur absolument unique. La Turque est la plus puissante, riche, mais plus brutale.


Jean-Philippe nous fait remarquer que sur le homard, c'est le Meursault Charmes qui est le plus pertinent, et c'est vrai que le meursault crée une vibration beaucoup plus intense que les vins rouges sur le crustacé.


Yvan nous sert ensuite du denti, ce poisson des eaux profondes à la chair très typée, avec des aulx et du pesto, sur une aubergine. Les vins de Guigal s'animent mieux sur le poisson et sur l'ail, et nous sommes bien embarrassés de décider nos préférences entre les trois vins. Ils sont tous les trois attachants, avec des personnalités très différentes. Ma fille continuera de préférer la Landonne, ce que je comprends, mais ce soir, je préférerai la fraîcheur mentholée de la Mouline, avec un fruité rare de fruits noirs.


Je rêvais de faire cette confrontation et je suis heureux de l'avoir faite. Et savoir qu'il n'y a pas de réel gagnant, chaque Côte Rôtie ayant une expression qui se justifie me remplit d'aise.


Le repas s'est terminé sur un fondant au chocolat que j'ai esquivé. Ayant prévu un champagne rosé, je ne l'ai pas ouvert, car la résonance sur le chocolat n'aurait jamais été trouvée.


La nuit illuminée par une lune parfaitement ronde nous donnait envie de jouir de la douceur de la nuit, avec le beau souvenir d'une confrontation réussie des trois belles Côtes Rôties de Guigal, sur la cuisine généreuse et toujours juste d'un Yvan Roux fier que son fils devienne comme lui naguère un rugbyman qui monte.

Deux hasards en cave ajoutent du piment dimanche, 7 août 2011

Deux hasards en cave ajoutent du piment. Nous devons recevoir des amis, et je sais qu'il s'agit d'amateurs de vins, surtout des grands classiques traditionnels, mais qui aiment aussi se faire surprendre. Ma cave dans le sud, comme à Paris, n'est pas à mon domicile. Elle est dans un hangar où j'espère que nul malfrat n'ira supposer qu'il y a du vin. Alors que ma cave du sud est microscopique par rapport à celle de Paris, je ne sais pas mieux ce que j'ai. Je remarque une caisse carton de champagne Salon noire, sale, avachie comme un béret, avec des noirceurs de moisissure. Dedans, une bouteille a encore son enveloppe de papier blanc intacte, et quand je l'ouvre pour repérer le millésime, je constate que sous l'emballage intact, l'étiquette de la bouteille a disparu, évaporée en poussière. Rien n'est plus lisible, aussi est-ce vers le carton que je cherche une information. L'étiquette du carton a perdu toute trace d'écriture, mais je vois "83" écrit distinctement. L'idée d'ouvrir un Salon 1983 me paraît excitante, car cette année jugée plutôt faible m'a souvent donné de belles surprises. Je poursuis mes recherches et je vois un Montrose 1978 qui me semble convenir au plat prévu par ma femme et un vin d'Armand Rousseau me fait de l'œil. Ma pioche est faite.


Le jour venu, je veux ouvrir les rouges quelques heures avant le déjeuner, avec l'angoisse qu'un temps orageux ne donne des vins lourds à boire. Avant d'ouvrir, je prends des photos. Dans le viseur de mon appareil, le 1978 du Montrose, lorsque je le rends plus lisible, me semble 1918. Il me paraît impossible que ce soit le cas. Je prends la bouteille en main et il apparaît sans doute possible que c'est un 1918. Par cette chaleur, je n'aimerais pas ouvrir un 1918, aussi mon choix se reporte sur un Terrebrune Bandol 1987 que j'ai à domicile. J'ouvre les deux bouteilles et le Terrebrune exhale un parfum exceptionnel alors que le Clos Saint-Jacques a encore le pied sur le frein aromatique.


Les amis arrivent, et le bouchon du Champagne Salon 1983 résiste de façon imprévue. Impossible de l'ouvrir. Nous essayons en usant de toutes nos forces, sans succès. Avec un ouvre-boite nous cisaillons le bouchon et avec mon tirebouchon, je lève le reste du bouchon avec une extrême difficulté. Le pschitt est faible mais la bulle est intense. La couleur du champagne est d'un or de blé d'été. Le nez de ce champagne est extraordinaire, et je suis heureux que ce champagne soit au dessus du souvenir que j'ai des 1983. C'est une bonne pioche, profitons-en. En bouche, ce champagne est magique. C'est la perfection du chardonnay, c'est d'une puissance à se damner, avec une rémanence en bouche inégalable. Nous l'essayons sur du Cicena de Léon, du Pata Negra, de la poutargue et des tempuras de fleurs de courgette, et à chaque fois il est parfait.


Nous passons à table et ma femme a prévu un grenadin de veau à basse température d'une tendreté érotique. Avec le reste du Salon 1983, c'est à se damner. Je sers d'abord le Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Domaine Armand Rousseau 2001 et ce qui est absolument subjuguant, c'est la précision et la cohérence de ce vin. On imagine que le travail sur les grains de raisin a été redoutable, car ce jus est d'une pureté infinie. Tout dans ce vin est cohérent et on n'imagine pas bourgogne plus séducteur et serein que celui-ci. Velouté, cohérent, structuré, délicieusement fruité, il a tout pour lui. A côté le Terrebrune Bandol 1987 est l'exacte définition des vins du sud, avec un parfum de garrigue, d'olive noire et de romarin. C'est lui qui s'associe le mieux avec la tapenade que ma femme a léchée d'un peu de réglisse. Mais évidemment, la race, la précision sont du côté du bourguignon.


Un repas sans camembert Jort, ça n'existe pas et les deux rouges chacun dans son registre, captent des saveurs singulières de cette pâte divine.


Nous nous rendons chez ma fille à quelques hectomètres de chez nous pour goûter la tarte aux mirabelles que mon gendre va accompagner d'un Champagne Henriot magnum 1996. Ce champagne absolument plaisant montre à quel point il y a un abîme entre un bon champagne et le Salon que nous avons bu.


De retour chez nous, nous rangeons les plats et les verres restés en place et ma femme me dit ; "n'oublie pas le bouchon du champagne". Je le prends en main pour une éventuelle photographie, et je regarde. Wow ! C'est 1982 qui est inscrit sur le bouchon et je réalise que le "83" que j'avais lu, c'est - je le suppose - le département de livraison.


Tout devient plus clair. Nous avons bu un des Salon que je préfère, le plus romantique de tous, le Champagne Salon 1982, le plus mythique pour moi avec 1966, au dessus du légendaire 1959. Tout redevient cohérent. Nous avons bu l'un des plus grands Salon qui soit. Tant mieux ! Et savoir que j'ai dans ma cave du sud un Montrose 1918, tout est bien qui finit bien.

coup d’envoi des vacances (2) vendredi, 22 juillet 2011

Un vendredi soir, mon fils arrive par le train et mon gendre arrive par l'avion. Gendre et fille ont loué une villa à moins d'un kilomètre de chez moi. La tentation est grande de les accueillir au champagne. Ce sera chez mon gendre. Les petites tartines sont déjà prêtes et les prélèvements se feront sur le stock de mon gendre. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996 est une leçon de champagne. Dans un registre très classique, ce champagne se positionne à un niveau de grande qualité. On ne peut qu'aimer ce champagne rassurant, plaisant, facile à vivre mais racé. Sur des toasts à la tapenade, à la crème de sardine et sur des jambons aussi fins que des crêpes Suzette, c'est un régal.


Est-ce le mistral insistant, on ne sait, mais le niveau dans les verres baisse vite, et il faut vite doubler avec un Champagne Dom Ruinart 1990. Le saut qualitatif est sensible, ce qui n'enlève rien à la pertinence de l'Enchanteleur. Le vin est d'une précision extrême, avec des évocations de fleurs blanches et roses. Ce champagne est noble. Une crème de saumon tartinée lui plait bien. C'est un grand champagne, expressif, buriné, ciselé, qui malgré sa puissance extrême, conserve le caractère floral d'un élégant romantisme. On sent qu'il a pris un peu de maturité, et ça lui va bien.


Mais une fois encore, le mistral, les conversations passionnées d'un début de vacances pour les nouveaux arrivants pousse à ouvrir autre chose. Nous savons que nous n'irons pas au bout d'un magnum, mais il n'y aura aucun mal à le finir demain. Le Champagne Henriot magnum 1996 est un solide guerrier. Il n'a pas la finesse des deux précédents, mais il se place bien en bouche. Il est carré, solide, plaisant, mais une trace de liqueur de fruit entrave mon plaisir. Alors qu'il n'est pas trop dosé, on ressent la trace de la liqueur de dosage. Dans le calme du soir éreinté d'un insistant mistral, ce champagne est vraiment agréable à boire, même s'il souffre un peu d'être servi après deux très grands champagnes.

coup d’envoi des vacances lundi, 18 juillet 2011

De bon matin après le dîner coréen, direction le sud. Les six petits-enfants sont au complet, avec quatre sur six de leurs parents. De quoi agiter la maison de rires et de pleurs, de caprices et de tendresse. C'est le coup d'envoi des vacances, alors, ça s'arrose. Le lecteur assidu de ces bulletins sait que tout est prétexte à ouvrir de bons vins quand on est au bord de l'eau.


Le Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle magnum sans année montre par son bouchon qu'il a plus d'une dizaine d'années. Sa sérénité est spectaculaire. Ce qui frappe, avec la mémoire de la verticale de Bollinger, c'est que le Grand Siècle est féminin, floral, romantique, gracile, délicatement tactile, alors que le Bollinger est vineux, masculin et joue sur la richesse. Et nous sommes heureux de constater que ces deux conceptions se complètent au lieu de se combattre. Il y a la place pour deux. Les fleurs blanches, les évocations subtiles avec une longueur extrême sont un véritable bonheur et donnent bien le coup d'envoi d'un été qui sera chaud. La boutargue cette année est qualitativement meilleure que celle de l'an dernier, plus grasse, plus moelleuse, et s'accorde merveilleusement au champagne.


Un jour plus tard, mon gendre sait qu'il doit repartir le lendemain par le premier avion. On ne va pas le laisser partir comme cela. Aussi, c'est un Champagne Henriot magnum 1996 qui est ouvert sur la boutargue mais aussi sur un foie gras qui se tartine sur des galettes à la châtaigne. Je suis frappé de voir à quel point le passage entre la boutargue et le foie gras aussi bien que l'inverse se font sans la moindre difficulté. Cela vient du fait que la boutargue est moelleuse et très peu salée. Le champagne est d'une grande pureté et il représente pour moi un champagne orthodoxe. Si l'on devait définir ce qu'est le champagne classique de grand niveau, ce serait celui-ci, car il est équilibré et ne cherche pas à éblouir en étant typé. Il est champagne, il l'assume, et le vit bien.