dîner de Krug à l’Assiette Champenoise jeudi, 22 décembre 2011

La maison Krug et le restaurant l'Assiette Champenoise ont uni leurs efforts pour une expérience dans un lieu insolite dans Paris : dîner dans une "cabane de chantier" posée au dessus d'un immeuble en construction. Naïvement, j'avais imaginé pouvoir y aller à un moment où Olivier Krug et Arnaud Lallement seraient là. Or tout était réservé de longue date et l'expérience étant lancée, aucun des deux n'avait prévu de s'y trouver. Arnaud me dit : "venez donc goûter ce menu accord Mets & Champagne, car je le sers à mon hôtel pendant le mois de décembre".


Le rendez-vous est pris et Olivier Krug sera présent avec son épouse. Par ailleurs, Tomo m'indiquant qu'il est seul ce jour-là voudrait partager de grandes bouteilles avec moi. Je lui suggère de se joindre à notre table rémoise.


L'hôtel a été nouvellement décoré au printemps et notre chambre immense est d'un raffinement certain dans le choix des couleurs, des éclairages et des objets. Sur le mur, derrière le lit, une immense odalisque d'Ingres semble vouloir partager notre couche. Une demi-bouteille de Champagne Krug Grande Cuvée est offerte et je succombe à sa tentation.


Nous attendons nos convives au bar dont les fauteuils sont profonds et très gentiment Arnaud Lallement vient bavarder avec nous. Il nous annonce qu'il va changer un peu le menu mets et champagne et qu'il va agrémenter ses plats de truffes.


Le menu est ainsi conçu : Sandwich à la truffe avec une émulsion à la truffe sur Champagne Krug Clos du Mesnil 2000 / Océan : Saint-Jacques et truffes noires avec Champagne Krug Clos du Mesnil 2000 et Champagne Krug Vintage 2000 / Pâte : Ricotta et truffes noires sur Gnocchis avec Champagne Krug Vintage 2000 et Champagne Krug Vintage 1998 / Mer : turbot breton et truffes noires sur Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2006 / Terre : cochon noir et truffes noires avec Champagne Krug rosé / Fromages affinés par Philippe Olivier avec les champagnes précédents / Croustillant caramel et mousse pomme avec Champagne Krug Collection 1989 et Château du Breuil 1921.


La cuisine d' Arnaud Lallement est une cuisine en "euse" : goûteuse, copieuse, joyeuse, généreuse et heureuse. La truffe est présente, à profusion. Les produits sont de grande qualité et mis en valeur de façon lisible et intelligente. Parmi les plats délicieux, j'ai préféré la ricotta et le cochon noir.


Le Champagne Krug Clos du Mesnil 2000 est très vert, très jeune, mais d'une superbe élégance. Les subtilités dans des tons de citron et de pommes vertes sont belles. Le Champagne Krug Vintage 2000 est aussi très jeune, mais plus accompli. Les deux champagnes sont comme deux frères, et lorsque le Champagne Krug Vintage 1998 est servi, il apparaît flamboyant, goûteux et généreux à côté des graciles gamins qui courent à ses côtés. Mais cette impression va changer. Car si au début le 2000 met en valeur le 1998, au cours du repas, c'est le 1998 qui va révéler l'extrême romantisme des deux 2000. Les 2000 sont délicats, pianotant doucement et élégamment de belles complexités. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2006 est magnifique dans sa jeunesse. Il est très équilibré, juteux et serein. Il met en valeur les champagnes, et l'inverse se fait aussi. L'association de vins blancs avec des champagnes est très souvent pertinente. C'est le cas ce soir. Et ce Corton Charlemagne juteux est ensoleillé de bonheur. Il vibre avec la truffe.


Le Champagne Krug rosé accompagne bien le cochon noir dans un accord de couleurs. Il est gastronomique. Le Champagne Krug Vintage 1989 se signale par un parfum éblouissant. Quelle race ! En bouche il est solide, carré, entreprenant. C'est un grand champagne de belle maturité. A côté de lui, le Château du Breuil Coteaux du Layon cave Nicolas 1921 que Tomo a apporté est d'une couleur d'un acajou presque noir d'une rare beauté. Et en bouche, c'est du plaisir pur, d'un jus confituré de jouissance absolue. C'est un vin immense qui cohabite bien avec le champagne de 1989.


Ce serait difficile de classer ces merveilles, mais je m'y risquerai : 1 - Château du Breuil 1921, 2 - Champagne Krug Vintage 1989, 3 - Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2006, 4 - Champagne Krug Clos du Mesnil 2000 que je mettrais volontiers ex-æquo avec le 1998.


Arnaud est venu souvent nous voir pour bavarder et recueillir nos avis. Sa cuisine est aussi généreuse, gaie et positive qu'il l'est lui-même. Déguster ces champagnes avec Olivier Krug et son épouse dans une atmosphère décontractée est un grand plaisir. Voir Olivier et Tomo se parler en japonais est une surprise. L'Assiette Champenoise est une étape de choix. Nous y sommes logés de façon princière. Toutes les conditions sont réunies pour que l'on ait envie de remettre le couvert. Il faut rendre hommage à ce chef talentueux et généreux.



L'odalisque nous attend déjà au lit !



dans ce repas, il y a de la truffe !.... mais il n'y a pas que ça !




les vins






les verres de ma place en fin de repas



l'imposant lustre de Baccarat de la salle à manger



photo avec Arnaud Lallement au moment du départ


153ème dîner de wine-dinners au restaurant Michel Rostang mercredi, 14 décembre 2011

C'est la première fois en 153 dîners, puisque ce soir se tient le 153ème dîner de wine-dinners, que nous aurons la chance de profiter du talent de Michel Rostang. Maintes fois l'idée m'en était venue et puis enfin c'est le moment.


J'arrive à 16h30 au restaurant Michel Rostang pour ouvrir les vins en compagnie d'Alain, le sympathique et compétent sommelier, attentif à ma méthode. J'avais, avant de venir, de petits doutes pour le Pernand Vergelesses Domaine Joseph Drouhin 1955, mais c'est en fait lui qui a l'odeur la plus charmante, et sur le Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955 dont la bouteille est peu engageante. Mais le parfum de ce vin est superbe. Aucun problème réel de bouchon ne survient, même si nombreux sont ceux qui se brisent en morceaux. Le parfum de la Romanée Conti est impérialement Romanée Conti et comme s'il s'agissait d'une tradition, le haut de son bouchon, lorsqu'on enlève la capsule, est noir et sent fortement la terre de la cave ancienne de la Romanée Conti. Ce qui est étonnant, c'est que le haut du bouchon de ce 1983 fait au moins trente ans plus vieux, alors que le corps du bouchon est superbe. Le parfum de l'Yquem 1966 est tonitruant. C'est le plus glorieux de tous.


J'ai réservé une surprise à mes amis, et je ne vais pas la dévoiler maintenant, mais son odeur est d'un raffinement unique. Compte-tenu de son âge, va-t-il tenir ? Nous verrons.


Pendant que j'officie je vois en cuisine toute la brigade qui s'affaire et chacun sait que ce soir, ce sera un grand dîner. Quand Caroline Rostang, la fille de Michel, passe au restaurant, elle est au courant de tout ce qui se trame et ses yeux brillent. Elle aurait aimé se joindre à nous et je l'y aurais invitée, mais elle est retenue ailleurs.


Nous sommes installés dans un salon au fond de la salle qui convient parfaitement pour dix convives. Trois femmes et sept hommes dont un seul bizut à notre table. Un couple canadien fidèle et des convives chevronnés ont permis une atmosphère souriante, enjouée voire chahuteuse et taquine.


Michel Rostang a conçu le menu suivant : Les Œufs de Caille pochés en Coque d’Oursin / La langoustine royale rôtie, Beurre de Caviar / Le Sandwich à la Truffe noire / La trilogie des trois Gibiers à Plume, le premier en Parmentier / Le second rôti à l’ail confit / Le dernier en feuilleté chaud / Le Saint-nectaire / La Mangue compotée et craquante, Dacquoise Noisette, Blancs en Neige passionnés / Panettone.


C'est probablement l'un des plus beaux repas que nous ayons connus en 153 dîners.


L'apéritif se prend à table et le Champagne «Rare» de Piper Heidsieck 1979 à la très jolie bouteille est à l'âge voluptueux où l'on sent aussi bien la jeunesse gaillarde que la maturité sensuelle. Ce champagne est très carré, solide, combinant la fluidité d'un vin blanc avec le compoté et le confit discret des champagnes anciens.


Le Champagne Dom Pérignon 1966 est totalement indissociable de la magnifique langoustine car l'accord est certainement l'un des plus grands que nous ayons vécus. La couleur du champagne est rose, comme le dos de la large langoustine, créant, comme je les aime, un accord couleur sur couleur. Et la mâche "pullman" de la langoustine crée une vibration avec le vin qui est d'une sensualité infinie. Il y a du tactile dans cet accord, comme le fait remarquer ma voisine. Il y a cinq jours, j'ai bu le Dom Pérignon Œnothèque 1966 qui est complètement différent de celui-ci. Le 1966 de ce soir a été dégorgé au moment de sa commercialisation. L'Œnothèque est résolument plus tendu, claquant comme un fouet, alors que ce 1966 est plus langoureux, dans des esquisses d'agrumes confits. Il faut aimer les deux, bien sûr, mais mon cœur va pencher ce soir vers le vin que nous buvons, à cause de l'accord exceptionnel avec cette diabolique langoustine, et de l'excitation que provoque le caviar.


Le sandwich à la truffe de Michel Rostang, c'est une institution. Il n'y a pas de façon plus gourmande de s'enivrer de truffe. Et dans cette combinaison, c'est le plat qui est dominant par rapport au Chevalier Montrachet Domaine Bouchard Père & Fils 1988. Le vin se présente avec un peu d'oxydation, fermé, mais dès qu'il s'ébroue dans le verre, on trouve un vin élégant, au fruit devenu joyeux et au final de belle mâche. Le sandwich m'a donné envie de l'essayer plutôt avec un fort vin rouge et j'ai pensé à un Châteauneuf d'Henri Bonneau. Ce sera un prétexte pour revenir ici.


Les trois oiseaux sont le point culminant de ce repas, avec des chairs extraordinaires et des mâches viriles tant ils sont gibiers. Le premier se mange avec deux vins. Le Grands Echézeaux Domaine Henry Lamarche 1979 est clairet avec de petites notes grisées. Le nez est d'un bourguignon viril. Le vin très puritain, très droit, est sans concession, presque militaire et d'un rêche bourguignon militant. J'adore ces bourgognes qui dérangent. A côté de lui, le Pernand Vergelesses Joseph Drouhin 1955 joue plutôt les odalisques. On est dans le charme oriental et un des plus anciens de mes dîners soupçonne un baptême du pinot noir par des ajoutes méditerranéennes. Il ne faut pas l'exclure, mais 1955 est une année de vins riches et capiteux. Toujours est-il que le vin est charmeur, de belle consistance et convient à ravir à la chair du volatile. Combiner le plat aussi bien avec un vin ascète qu'avec un vin paillard, c'est un bonheur de plus.


Lorsque j'avais ouvert les 1961, ils avaient montré tous les deux des odeurs de poussière. L'évolution rapide des parfums m'avait rassuré. Et maintenant, les vins sentent spectaculairement bon. Le Pommard 1er Cru Rugiens Domaine Pierre Clerget 1961 me fait me pâmer d'aise. Quel grand vin racé, viril, ce qui est étonnant pour un pommard, gaillard et insistant comme le regard d'un psychanalyste. Il pénètre le cœur en force. A côté, le Gevrey Chambertin 1er Cru Clos Saint-Jacques Domaine Clair Daü 1961 est très différent. Il se cherche un peu et à un moment je le préfère au pommard car il est plus accessible. Mais il est moins incisif et je finis par préférer le pommard, trouvant toutefois dans le Gevrey un charme envoûtant. La sérénité des deux vins est extrême, et cela tient à l'année, mais aussi à l'aération lente créée par l'ouverture plus de cinq heures auparavant.


C'est maintenant le temps fort du dîner, la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 sur un oiseau en feuilleté chaud, avec une farce que Michel Rostang m'avait fait goûter vers 18 heures. Une des convives avait regardé dans les archives que 1983 est une année difficile pour la Romanée Conti. Mais lorsque j'avais senti vers 18 heures le parfum de ce vin que j'ai déjà bu plusieurs fois, je n'avais pas le moindre souci : je savais qu'il serait grand. Pour apprécier ce parfum gigantesque et émouvant, il fallait que le plat ne soit pas servi, car dès que l'assiette est posée, c'est impossible d'en saisir toutes les nuances, les odeurs de gibier envahissant la pièce. Cette Romanée Conti, que l'on ne peut pas classer dans les puissantes, est d'une émotion totale. Je vibre comme jamais et je suis étonné que mes amis parlent et parlent, alors que je me recueille, pour essayer de capter toute la subtilité de ce grand vin. On pourrait se dire que mon émotion est liée au prestige de l'étiquette, mais ce n'est pas le cas, et la démonstration est surtout fournie par le vin qui suivra. Cette Romanée Conti, saline, délicate, racée, élégante avec des évocations de roses séchées, d'ardoise, fait vibrer en moi tous les souvenirs de ce vin que je révère.


Le Chambertin Grand Cru Vieilles Vignes Domaine Rossignol Trapet 1990 qui fait suite a bien du mal à trouver sa place. C'est un beau chambertin d'une très grande année, qui brillerait sans doute, mais l'écart de complexité et de raffinement avec le 1983 est trop fort. De plus le Saint-nectaire qui lui est associé n'est pas ce qui le mettrait réellement en valeur. Très jeune, gouleyant, il mériterait un meilleur sort que celui qu'il a trouvé à cette place et avec ce fromage.


Le Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955 est devenu une triste surprise. Car le vin dont le parfum à l'ouverture m'avait agréablement convaincu a perdu de sa superbe. Il est buvable bien sûr et on devine ce qu'il a envie de nous dire, mais une vilaine fatigue l'empêche de nous plaire. Il aura seulement apporté un témoignage fugace de sa belle Loire.


Le Château d’Yquem Sauternes 1966 est d'un or magnifique, très acajou clair. Ce millésime est beaucoup plus foncé que le 1967, et cela lui va bien. En bouche, c'est un vin gourmand, très abricot et mangue. L'alcool est sensible et lui donne une puissance rare. J'aime beaucoup ce millésime qu'on a mis un peu à l'ombre de 1967 et qui mérite une place de grand Yquem. C'est le plus beau parfum généreux et sa persistance aromatique n'est que de plaisir.


Il est temps maintenant d'apporter mon cadeau, car c'est bientôt Noël et c'est le dernier dîner de l'année 2011. Alain montre à tous une bouteille sans étiquette, au verre transparent et sans couleur, dont le liquide est d'une couleur châtaigne. Instantanément, le plus fidèle des fidèles dit Sigalas-Rabaud, et précise même l'année, tant il me connait bien, ce qui surprend les autres convives. Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896 est émouvant. Son nez est d'une subtilité rare. Il a mangé un peu de son sucre, donc le parfum est un peu strict, mais élégamment délicat. En bouche c'est un bonheur insaisissable, avec de légères évocations de thé et d'agrumes séchés. Finir le dernier dîner sur un vin de 115 ans, c'est tout droit dans la ligne de ces dîners.


Nous procédons au classement, chacun selon ses critères, l'une de mes voisines choisissant en fonction des accords avec les plats. Dix vins sur douze sont dans les classements alors que seulement les quatre premiers sont nommés, ce qui est pour moi très plaisant. Les deux sans vote sont le Vouvray, ce qui est logique et le chambertin, du fait de sa place dans le repas. Cinq vins ont des votes de premier, ce qui est aussi plaisant : le Pommard Rugiens quatre fois, le Dom Pérignon et le Clos Saint-Jacques deux fois, et la Romanée Conti et le Sigalas Rabaud chacun une fois. Deux vins sont dans les dix feuilles de vote, le pommard et la Romanée Conti. Je suis très étonné d'être le seul à avoir mis la Romanée Conti en numéro un.


Le vote du consensus serait : 1 - Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961, 2 - Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 3 - Champagne Dom Pérignon 1966, 4 - Clos Saint Jacques Gevrey Chambertin Clair Daü 1961, 5 - Château d'Yquem 1966.


Mon vote est : 1 - Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 - Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961, 3 - Château d'Yquem 1966, 4 - Champagne Dom Pérignon 1966.


La belle salle à la table ronde est propice aux échanges. On avait ouvert les paravents de la salle pour éviter que nous soyons gênés par le bruit des tables de la grande salle toutes réservées à un groupe. Mais j'ai bien l'impression que les paravents ont surtout protégé les autres clients, tant nos rires et nos plaisanteries fusaient. Le service a été exemplaire, ainsi que le service du vin. La cuisine a été brillantissime et quand Michel Rostang, qui était venu plusieurs fois nous donner des conseils pour déguster ses plats, est venu nous dire au revoir, nous l'avons applaudi chaudement, tant ce repas fut magistral.


Le plus bel accord est celui de la langoustine avec le Dom Pérignon, grâce à cette mâche unique. Et l'accord de la Romanée Conti avec le feuilleté fait partie des accords dont on se souviendra toute sa vie. Après un 150ème dîner de folie avec des vins rarissimes, ce153ème dîner entrera dans le top 10 des plus beaux dîners que j'ai l'honneur d'organiser.







notre table





la forêt de verres en fin de repas


153ème dîner de wine-dinners – les vins mercredi, 14 décembre 2011

Champagne «Rare» de Piper Heidsieck 1979



Champagne Dom Pérignon 1966



Chevalier Montrachet Domaine Bouchard Père & Fils 1988



Pernand Vergelesses Joseph Drouhin 1955



Grands Echézeaux Domaine Henry Lamarche 1979



Pommard 1er Cru Rugiens Domaine Pierre Clerget 1961



Gevrey Chambertin 1er Cru Clos Saint-Jacques Domaine Clair Daü 1961



Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983



Chambertin Grand Cru Vieilles Vignes Domaine Rossignol Trapet 1990



Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955



Château d’Yquem Sauternes 1966



Château Sigalas-Rabaud 1896


passionnante dégustation de vins d’Egon Müller mardi, 13 décembre 2011

Les caves Legrand Filles & Fils organisent de belles dégustations. Il n'était pas question que je manque celle des vins d'Egon Müller, présentés par Egon Müller lui-même. Il est à noter que son père s'appelle Egon et que son fils aussi, "ça permet de ne pas changer les étiquettes".


Les vins de Moselle en Allemagne couvrent 9.000 hectares d'un vignoble qui date de la période romaine. On ne sait pas très bien quels cépages existaient du temps de romains. Les propriétaires des vignobles étaient l'église et la noblesse jusqu'à la fin du 18ème siècle époque où l'on a commencé à introduire massivement le riesling, seul cépage qui permet de faire des grands vins en Moselle. Du fait des successions, les propriétés sont très morcelées et la moyenne est de deux hectares par propriété. Le climat est pluvieux avec des étés froids, aussi les vendanges se font-elles fin octobre et début novembre. Les raisins sont de maturités très variables. Le Beerenauslese n'existe que depuis 1959. La Sarre abrite un dixième de la Moselle et Egon Müller possède 16 hectares sur les 900 du vignoble de la Sarre. L'appellation Scharzhofberg couvre 28 ha et Egon Müller en possède 8,5 ha. C'est ce que nous allons goûter ce soir.


Egon Müller explique les différents niveaux de vins, avec le vin de table, le Qualitäts wein qui correspond au VDQS et le Prädikat qui correspond aux vins d'appellations. Le classement est ensuite fait en fonction de la maturité des raisins. Le Kabinett peut être un vin sec, demi-doux ou doux mais Egon Müller a arrêté de faire des vins secs. Pour lui, l'équilibre se trouve autour de 30 grammes de sucre.


La famille Müller a acheté le domaine en 1797 à l'église. L'acheteur, de la "nième" génération au dessus de notre hôte avait sept enfants. On imagine qu'il avait acheté une belle parcelle de la Moselle. Aujourd'hui le domaine produit autour de 80.000 bouteilles par an, avec des rendements bas. J'ai cru comprendre qu'un année récente n'avait donné que 30.000 bouteilles.


Le "Scharzhof" Egon Müller 2009 est le vin de base dans les rieslings de la Moselle. Egon Müller dit que c'est un grand millésime. Le vin est très clair, à peine jaune. Le nez est très fruité, acidulé, et en bouche il est marqué par une légère fraîcheur perlante. Ce vin a tout du bonbon acidulé. Il est agréable à boire même s'il manque d'ampleur. Il irait bien avec des poissons de rivière. Il évoque des fleurs blanches.


Le Scharzhofberger Kabinett Egon Müller 2010 a été mis en bouteille en juin 2011. Il est nettement plus jaune, même s'il est clair. Le nez est beaucoup plus raffiné et cohérent. On sent le doucereux mais discret. La bouche est marquée par un léger perlant. Il y a un peu de poivre. C'est aussi un bonbon acidulé mais plus construit. Le final combine l'acidulé et le sucré. Il est très agréable à boire.


Le Scharzhofberger Kabinett Egon Müller 1995 est d'un jaune identique à celui du 2010. Le nez est impressionnant. Il a la puissance et la cohérence. On hume du capiteux, des parfums subtils d'écorce d'orange. En bouche, il est incroyablement parfumé, avec de l'orange, du pomelos. Il est follement complexe et séduisant. On dirait un mariage de la mandarine et du kumquat. La longueur est infinie, très aérienne. Le 2010 est plus riche, mais trop jeune et pas encore intégré.


Le Scharzhofberger Spätlese Egon Müller 2010 est fait de raisins en surmaturité. La couleur est jaune clair, le nez est jeune, pas encore assemblé. On imagine le végétal et le sucre. En bouche il est mentholé, frais, plus sucré, gourmand, encore bonbon acidulé. Le sucre est très apparent. La combinaison de l'acidité et du sucre est très belle.


Le Scharzhofberger Spätlese Egon Müller 1994 a été choisi car Egon Müller pense que c'est un millésime très proche de 2010. Le jaune est légèrement plus prononcé, le nez est intégré, plein de fraîcheur acidulée. En bouche, il est magnifique de fraîcheur. Il est très intégré. Il a aussi le côté pomelos, frais, de belle longueur. Le sucre est cohérent, le vin est gourmand. Je fais sourire Egon Müller en disant que c'est un vin qui donne soif tellement il se boit bien. On a encore le bonbon acidulé, mais plus noble.


Le Scharzhofberger Auslese Egon Müller 2010 est un vin fait de grains botrytisés triés. Il est jaune clair. Le nez est discret et l'on sent le gras du vin. Son goût est encore perlant. Il a une belle acidité. Le sucre est là, mais on ne le sent pas.


Le Scharzhofberger Auslese Egon Müller 1999 est de la meilleure année des années 90. Le vin est jaune clair, le nez est marqué par la fraîcheur. Ce qui frappe en bouche, c'est la fraîcheur. Il fait très jeune. On avale sa salive en buvant ces vins. Il est gourmand, fluide, marqué surtout par la fraîcheur. Il a une belle acidité finale. On aimerait qu'il ait quelques années de plus. Lorsqu'on demande à Egon Müller quand est la meilleure ancienneté pour boire ces vins, il ne répond pas, s'abritant derrière : "c'est le goût de chacun".


Le père ou le grand-père d'Egon Müller avaient hiérarchisé les qualités d'Auslese en créant le Fein Auslese et le Feinste Auslese. Comme cette classification ne peut pas exister, on a contourné la difficulté en créant les capsules d'or. Egon Müller nous indique qu'il existe aussi des Lange Goldskapsel, mais qu'il garde pour lui !


Le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 2010 titre 7,5°. Il est d'un jaune soutenu. Le nez est très fort, suggérant l'acidité et le sucre non encore intégrés. La bouche est perlante mais on sent l'élégance et la noblesse du fruit, avec un sucre plus élevé. Il y a une fraîcheur acidulée. Le vin est gourmand et frais. La persistance aromatique est folle, avec une acidité très bien dosée.


Le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 1989 est un cadeau absolu, car seulement 180 bouteilles ont été mises sur le marché. Le reste, non quantifié, est gardé par Egon Müller pour des dégustations comme celle-ci. La couleur est jaune d'or, le nez est très équilibré et c'est la première fois que je sens du miel. En bouche, tout est équilibré, délicat et fin. Il se boit avec gourmandise et une grande envie d'en reprendre. Le vin est gras, épais, tout en étant fluide. C'est un vin immense et complexe, de miel, de blé mûr, avec très peu d'acidité et un final infini.


Egon Müller nous signale suite à une question que ses vins ne font pas de fermentation malolactique et que s'ils la font, le vin est rejeté.


Le Scharzhofberger Trockenbeerenauslese Egon Müller 2010 titre 5,5°. C'est le vin le plus cher au monde, plus de deux fois plus cher qu'une Romanée Conti. Cela tient à sa rareté. Le vin quand il est versé dans le verre donne à l'œil l'impression qu'il est visqueux, étonnamment gras. Le nez est riche et acidulé. Le vin, même s'il est légèrement perlant du fait de sa jeunesse, se montre gras. Il est très acidulé, de citron et de fruits jaunes. La persistance en bouche est incroyable. C'est un bloc de sucre, mais avec de l'acidité et de la longueur. C'est un vin épais. Comme il est peu probable de susciter des accords culinaires, je dis à Egon Müller que c'est un vin de méditation. Il me répond : "c'est un vin de discussion". Jolie formule.


Ce vin qui n'existe que depuis 1959 a donné lieu au millésimes suivants : 59, 71, 75, 76, 89, 90, 94, 95, 97, 99, 00, 01, 03, 05, 06, 07, 09, 10, 11. L'accélération des fréquences est liée au réchauffement climatique. Egon Müller nous dit qu'il n'aurait pas dû faire 2000, mais il l'a fait pour son fils né cette année-là et il n'a rien commercialisé.


Ces vins sont dans un registre gustatif à part. Les comparer aux sauternes n'aurait pas de sens. Ils sont précis, complexes, gourmands et d'une pureté extrême. On les boit avec un grand bonheur. Le vin le plus brillant pour moi est le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 1989 surtout à cause de l'effet de l'âge. Egon Müller est un personnage calme, posé, souriant et passionnant. Ce fut une impressionnante dégustation.




Le jour le plus long de mon année de vin samedi, 10 décembre 2011

Aujourd'hui, c'est le jour le plus important de l'année, quand il s'agit de vin. Alors que les aventures se succèdent et que je vais d'émerveillement en émerveillement, j'ai toujours le même enthousiasme et au réveil, mon cœur bat comme pour un premier rendez-vous amoureux. Depuis onze ans, j'organise un dîner annuel de vignerons appelé le dîner des amis de Bipin Desai, célèbre collectionneur américain d'origine indienne. Et, disons-le tout simplement, je suis fier que des vignerons dont je célèbre les vins soient devenus des amis. Le simple énoncé des vins et de ceux qui les apportent montre l'ampleur de l'événement :


Champagne Salon magnum 1983 (Didier Depond qui devait venir mais a eu un empêchement), Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 (Richard Geoffroy), Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 (Jean-Charles de la Morinière), Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 (Jean-Luc Pépin), Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 (Jean-Pierre Perrin), Château La Gaffelière Naudes 1953 (François Audouze), Château Palmer 1964 (François Audouze), Clos de Tart 1996 (Sylvain Pitiot), Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 (Jean-Luc Pépin), Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 (Eric Rousseau), Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 (Joseph Henriot), La Romanée Comte Liger-Belair 1974 (Louis-Michel Liger-Belair), Richebourg Théophile Gavin 1947 (François Audouze), Clos de Tart 1945 (Sylvain Pitiot), Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 (Jacques Grange), Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 (Joseph Henriot), Château d’Yquem 1967 (Pierre Lurton non présent).


Le cas de Pierre Lurton mérite d'être signalé. Dès que j'ai lancé les invitations, Pierre savait qu'il ne pourrait venir. Or il a tenu à être présent dans nos pensées en offrant un vin, et pas n'importe lequel.


Entretemps, Bipin Desai a souhaité déjeuner avec moi. Nous allons au restaurant Apicius. La liste ci-dessus est colossale pour douze personnes à table. En rajoutant un déjeuner, comment va se terminer la journée ?

un dîner de vignerons gargantuesque vendredi, 9 décembre 2011

J'arrive au restaurant Laurent à 16h30 et avec Ghislain, nous rassemblons les bouteilles pour faire la photo de groupe. C'est assez dément, car nous serons douze et il y a dix-sept vins dont quatre magnums, ce qui fait en équivalent bouteilles un total de vingt-et-un. J'ouvre les bouteilles et fort curieusement, il y a de nombreux bouchons ultraserrés. Celui du Corton Charlemagne en magnum me fait souffrir, comme celui du Musigny vieilles vignes 1985. Le bouchon de ce vin a été changé en 2004 et celui de la Romanée 1974 a été changé en 1999. Et curieusement; le Volnay-Caillerets 1959 a son bouchon d'origine, alors que la stratégie de la maison Bouchard est de changer les bouchons beaucoup plus fréquemment. Le bouchon du Clos de Tart 1996 est très serré et se brise à la montée, tant il est sec. Celui du Clos de Tart 1945 à l'inverse, très imbibé et noir, est très peu serré et tourne presque dans le goulot. Deux nez sont particulièrement émouvants : celui de La Romanée Liger Belair 1974 et celui tonitruant de l'Yquem 1967. Il faudrait classer ce parfum au patrimoine mondial de l'Unesco. Le nez incertain est celui du 1945.


Lorsque j'avais rassemblé mes trois apports provenant de la cave de mon domicile, très différente de ma cave principale, j'avais remarqué une demi-bouteille dont le niveau a baissé de moitié. S'il est des gens avec lesquels on peut essayer de la boire, c'est bien avec des vignerons. Il s'agit d'un Corton, Emile Chandessais, négociant à Fontaines, près Mercurey 1929. Je ne l'ai pas encore ouverte. J'attends le dernier moment pour qu'il n'y ait pas d'évanouissement prématuré.


Les amis arrivent, échelonnés dans le temps, et dès que nous sommes en nombre suffisant, j'ouvre le Corton 1929. C'est une demi-bouteille, à moitié pleine. Le bouchon est difficile à extirper, car il s'enfonce à chaque fois que je veux le piquer. Je mets plusieurs minutes avant de trouver un point d'accroche. Le bouchon est noir et le goulot revêtu d'une sale suie. Le verdict olfactif tombe comme un couperet : cet humus, cette puanteur condamnent le vin. Aucun miracle n'est à attendre. Nul de nous ne s'est aventuré à le goûter.


L'apéritif dans la belle salle ronde de l'entrée est le Champagne Salon magnum 1983 qui nous donne l'occasion de trinquer à la santé de Didier Depond qui ne pouvait être avec nous. Ce 1983 conforte mon amour pour Salon. L'année 1983 m'a donné des sentiments divers depuis que j'en bois. Agrément, puis doute, et cette belle bouteille donne un véritable plaisir. Il n'y a aucun signe de vieillissement alors que parfois les Salon "adultes" affichent leur âge. Richard Geoffroy signale les similitudes entre ce Salon très rectiligne et le Dom Pérignon du même millésime. J'aime la belle cohérence de ce champagne avec des traces légères de fruits confits. Les rouelles de pieds de porc forment un accord gourmand.


Nous rejoignons notre table située dans la rotonde, au centre de celle-ci. Notre joyeuse bande est délurée, si, si, je donnerai des noms, les plus gentiment dissipés étant Louis-Michel Liger-Belair qui, avec délicatesse se demande si je pourrais être son père ou son grand-père et Richard Geoffroy, plus taquin que son clone en hologramme d'il y a deux jours.


Le menu préparé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon est : Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / Homard servi dans l’esprit d’une bourride / Œuf à la première truffe noire / Foie gras de canard poêlé et petits haricots « resina » / Pigeon cuit en cocotte, betteraves verjutées, mille-feuille de pommes gaufrettes au chou rouge / Risotto à la truffe blanche d’Alba / Lièvre à la « Royale » cuisiné selon la recette du sénateur Couteaux, « fusilli » pour la sauce / Vieux Comté / Mille-feuille à la mangue et au piment d’Espelette / Mignardises et chocolats.


Autant le dire tout de suite, ce fut excellent, d'une justesse permanente. Cette cuisine traditionnelle est sereine. Ajoutons à cela un service parfait et l'équation n'a qu'une solution : c'est la table la plus accueillante et agréable de Paris.


Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 est l'expression aboutie du charme. Dégorgé en 2004, ce champagne est parfait, d'une maturité absolue. Et ce qui est intéressant c'est qu'on ne sait jamais quelle facette il est en train d'exposer. C'est un Fregoli. Veut-on de l'ampleur, elle est là. Veut-on de la grâce et de la finesse, elle est là. La fluidité aussi et une invraisemblable longueur. Ce champagne est une leçon de choses et l'accord avec l'araignée, plat emblématique du Laurent, est d'une justesse absolue.


Le homard est servi avec deux vins. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 est charmant, délicat et romantique, ce qui est un paradoxe, car il sait être puissant. A côté de lui, le Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 est d'une empreinte plus forte, d'un goût plus prononcé où les fruits confits se retrouvent. On est presque en face d'un couple féminin - masculin, le féminin étant le Corton. Les deux vins sont splendides, d'une précision extrême dans les deux cas.


Le Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 est une belle surprise, car ce vin n'a aucun signe d'âge et se signale par une élégance extrême. Il est très au dessus de l'idée que je m'en faisais, qui était une belle idée. Avec Eric Rousseau et Jean-Luc Pépin, nous nous disons que jamais nous ne dirions Châteauneuf en buvant ce vin à l'aveugle. Sa précision et sa finesse sont exemplaires. C'est surtout son attaque qui est envoûtante, car le final est assez court. L'accord avec un nouveau plat, celui de l'œuf, est pertinent et le plat est réussi.


Aucun vigneron bordelais ne figurant à notre table, il fallait bien que j'ajoute des bordeaux pour que la fête ne les oublie pas. Le Château La Gaffelière Naudes 1953 me fait douter à la première gorgée, mais le vin s'assemble peu de temps après. J'adore ce vin qui est un vrai Saint-Emilion dans la plénitude de son charme. Au premier contact, je préférais de loin le Château Palmer 1964 extrêmement précis. Mais de deux coins de la table, si l'on peut dire ainsi d'une table ovale, Bipin Desai et Richard Geoffroy jugent ce vin plutôt sec. Avec Sylvain Pitiot, nous refusons cette analyse. Ce Palmer assez rectiligne me plait énormément. Il est charnu, droit, de grande séduction par son discours direct. J'ai aimé ces deux bordeaux qui ont plu à mes amis, avec des commentaires divers et des appréciations souvent différentes. L'association osée avec le foie gras était justifiée.


Sur le pigeon nous avons trois vins. Le Clos de Tart 1996 est pétulant de jeunesse et de générosité. C'est un vin direct, sans détour, qui emplit la bouche et s'y impose. Un vin racé mais de plaisir. Le Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 est assez incroyable, car il explose de fruit. C'est du fruit rouge de belle mâche et un plaisir premier, même si la complexité existe. La tâche est plus rude pour Eric Rousseau qui a eu le courage de choisir un millésime moins généreux que les deux autres. Mais le Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 a de le ressource. Il fait plus évolué et plus bourguignon, dans l'acception que j'aime, un peu saline. C'est un grand vin subtil, plus discret et moins puissant que les deux autres et très délicat.


Le bœuf est accompagné de deux vins. La Romanée Comte Liger-Belair 1974 avait le nez le plus envoûtant à l'ouverture. Il l'a toujours. J'adore ses impressions salines. On est de plain-pied dans le vin déroutant que j'adore, ultra bourguignon. Ses énigmes folles m'envoûtent. A côte de lui, le Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 est d'un plus grand classicisme. Je parlais tellement - et Bipin Desai m'en fera le gentil reproche en disant que je me "bettanise" - que, dans la brume de ce matin, où j'essaie de reconstituer mes impressions sans avoir pris de notes, j'ai du mal à retrouver mon souvenir de ce vin.


Le risotto accueille deux vins. Le Clos de Tart 1945 est trop fatigué pour que son message nous intéresse réellement. Son bouchon avait permis une évaporation qui a torréfié le vin, lui ôtant la splendeur du 1945 que j'avais bu au domaine, que j'avais qualifié d'immense. A côté de lui, le Richebourg Théophile Gavin 1947 est enjôleur. Il a du charme à en revendre, avec de la générosité. Et même si l'on peut supposer qu'il a été un peu hermitagé, il est agréable et épanoui.


Pour résister à la puissance du lièvre à la royale, il fallait un vin aussi puissant que l'Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 riche, équilibré, épanoui et plus grand que celui que j'avais bu au siège de la maison Deutz. Ce vin est un heureux bonheur.


Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 est "the right man at the right place", car il apporte sa fraîcheur bien nécessaire après les trois blancs et les dix rouges que nous avons bus. J'adore ce champagne clair, lisible, à qui l'année 1959 va comme un gant. C'est un très grand champagne gouleyant, de beaux fruits jaunes.


Nous lançons dans les airs un message d'amitié à Pierre Lurton qui nous a fait cadeau d'un Château d’Yquem 1967. Pour paraphraser Marguerite Duras, ce sauternes est parfait, forcément parfait. Plein, riche en fruit, d'une longueur à se pâmer, il atteint maintenant une sérénité complète, avec une richesse maîtrisée remarquable. Le dessert lui va bien, mais il est en Harley-Davidson, c'est-à-dire, comme le chantait Brigitte Bardot, qu'il n'a besoin de personne pour exprimer son impérial talent.


Je ne pouvais pas regarder les autres tables d'où j'étais, mais il est certain que nos rires, nos éclats ainsi que la forêt invraisemblable de deux cents verres sur table ont dû en impressionner plus d'un. L'ambiance était extrêmement décontractée, volontiers taquine, et nous avons passé une excellente soirée d'amitié. Pour donner une idée des taquineries, lorsque j'ai évoqué le fait que j'avais rencontré des bouchons ultraserrés, je croyais soulever une docte question. La seule réponse qui me fut faite est que j'ai perdu toute force et que je n'arrive plus à extirper les bouchons !


Avec des vignerons présents, il n'est pas question de faire voter pour les vins, mais comme je rangerai le onzième dîner des amis de Bipin Desai dans les dîners de wine-dinners puisque j'en suis l'organisateur, sous le numéro 152, je classe, pour moi, avec la particularité de mon goût, les vins de ce soir : 1 - La Romanée Comte Liger-Belair 1974, 2 - Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966, 3 - Château d’Yquem 1967, 4 - Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991.


Tous les vins, sauf le Clos de Tart 1945 ont été d'un intérêt extrême et présentés dans les meilleures conditions possibles. L'accord le plus original est celui de l'œuf avec le Beaucastel blanc et le plus juste est celui de l'araignée avec le Dom Pérignon.


Nous nous sommes tous remerciés de nos générosités réciproques, et particulièrement Bipin Desai qui nous avait invités. Dans mes rêves de la nuit, il y avait un grand bonheur d'avoir côtoyé autant d'amitié.






de gauche à droite : Jacques Grange, Jean Pierre Perrin, Jean-Charles de la Morinière, Valérie Pitiot, Joseph Henriot, Bipin Desai, Richard Geoffroy, Eric Rousseau, Jean-Luc Pépin, François Audouze, Sylvain Pitiot, Louis-Michel Liger-Belair









dîner de vignerons – les vins vendredi, 9 décembre 2011

Champagne Salon magnum 1983 (Didier Depond non présent)



Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 (Richard Geoffroy)



Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 (Jean-Charles de la Morinière)



Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 (Jean-Luc Pépin)



Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 (Jean-Pierre Perrin)



Château La Gaffelière Naudes 1953 (François Audouze)


Château Palmer 1964 (François Audouze)



Clos de Tart 1996 (Sylvain Pitiot)



Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 (Jean-Luc Pépin)



Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 (Eric Rousseau)



Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 (Joseph Henriot)




La Romanée Comte Liger-Belair 1974 (Louis-Michel Liger-Belair)



Richebourg Théophile Gavin 1947 (François Audouze)



Clos de Tart 1945 (Sylvain Pitiot)




Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 (Jacques Grange)



Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 (Joseph Henriot)



Château d’Yquem 1967 (Pierre Lurton non présent)



pour mémoire, le Corton 1929 complètement mort que j'ai ajouté alors qu'il était plus qu'en vidange



16ème séance de l’académie des vins anciens jeudi, 1 décembre 2011

La seizième séance de l'académie des vins anciens se tient au restaurant La Cagouille tenu par le sympathique et truculent André Robert. Nous sommes 27 à nous partager 43 vins dont quinze proviennent de ma cave. Nous sommes répartis en deux groupes dont voici les vins :


Groupe 1 : Champagne le Brun de Neuville Chardonnay brut - Champagne Janisson Baradon & Fils brut - Champagne François Giraux brut élaboré par P et C Heidsieck années 2000 - Mesnil Nature Blanc de blancs Vin originaire de la Champagne - Mesnil Nature Blanc de blancs Vin originaire de la Champagne - Champagne blanc de blancs sélection Cuis de Pierre Gimonet des années 70 - Champagne Chanoine Frères à Ludes Grande année 1969 - Champagne Charles Heidsieck 1949 - Pavillon Blanc de Château Margaux 1981 - Vin de l'Etoile Coopérative Vinicole de l'Etoile 1979 - Château La Mission Haut-Brion magnum 1972 (commun aux deux groupes) - Château Lafite-Rothschild 1970 - Château Brane Cantenac 1962 - Château Croizet-Bages 1957 - Château Meyney 1914 - Chassagne-Montrachet rouge 1er Cru Boudriottes domaine Ramonet 1978 - Clos Vougeot Armand Naulot 1937 - Châteauneuf-du-Pape Domaine de Mont-Redon 1961 - Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1955 - Domaine Weinbach Collette Faller Gewürztraminer Vendanges Tardives 1976 - Sauternes Soleil de France années 1930;


Groupe 2 : Champagne le Brun de Neuville Chardonnay brut - Champagne Janisson Baradon & Fils brut - Champagne François Giraux brut élaboré par P et C Heidsieck années 2000 - Mesnil Nature - Blanc de blancs - Vin originaire de la Champagne - Champagne Piper-Heisieck des années 60 - Champagne blanc de blancs sélection de Pierre Gimonet des années 70 - Puligny-Montrachet 1er Cru Les Combettes domaine Robert Ampeau 1979 - Côtes du Jura blanc Fruitière Vinicole de Château Chalon à Voiteur 1979 - Chateau Coufran 1970 - Château Lestage Listrac 1961 - Château La Mission Haut-Brion magnum 1972 (commun aux deux groupes) - Château Haut-Brion 1964 - Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1938 - St Emilion Seignouret 1937 - Vosne-Romanée 1er Cru Les Malconsorts domaine Sylvain Cathiard 1985 - Beaune Cent-Vignes Grands Vins Chevillot 1961 - Chambertin Cuvée Héritiers Latour domaine Louis Latour 1955 - Chateauneuf du Pape Armand Girardin 1953 - Vouvray demi-sec Albert Moreau 1955 - Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1976 - Champagne Meunier à Ay rosé années 2000.


J'arrive à 17 heures avec la quasi-totalité des vins, certains ayant été livrés au restaurant il y a quelques jours. Kang et Olivier, deux collaborateurs efficaces du restaurant aménagent un espace pour que je puisse ranger les vins de chaque groupe dans l'ordre de service, pour faire la traditionnelle photo de groupe. L'opération d'ouverture commence et je suis très rapidement rejoint par deux amis luxembourgeois qui sont venus avec deux rieslings allemands, Oestricher Lenchen Riesling Auslese Weingut Norbert Eser 1971 et Wehlener Sonnenuhr Riesling Auslese Joh. Jos. Prum 1983, que nous buvons pour nous donner des forces. Ces vins sont brillants, joyeux, et nous mettent d'humeur enjouée. Plus tard, d'autres amis viennent partager ces deux vins et parfois aider aux ouvertures, mais l'opération est déjà presque terminée.


L'apéritif debout se prend avec le Champagne Le Brun de Neuville Chardonnay brut qui est le champagne de la famille d'un des académiciens les plus assidus. Il est simple, mais se boit avec une grande spontanéité. Le Champagne Janisson Baradon & Fils brut est beaucoup trop simple et sans vibration aussi nous le laissons de côté.


Etant du groupe 1, je décrirai ces vins que nous buvons maintenant à table. Le Champagne François Giraux brut élaboré par P et C Heidsieck années 2000 est une belle surprise. Il est agréable, se boit bien et avec des coques, il est généreux et de bon plaisir. Le Mesnil Nature Blanc de blancs Vin originaire de la Champagne pourrait être des années 70, voire 60. Il est beaucoup trop fatigué pour qu'on trouve du plaisir, malgré un goût intéressant que l'on devine.


Le Champagne blanc de blancs sélection Cuis de Pierre Gimonet des années 70 est un champagne déjà évolué mais sympathique. Il a des fruits confits et des fruits bruns et se boit aimablement. Le Champagne Chanoine Frères à Ludes Grande année 1969 est original et agréable, mais il manque un peu de profondeur.


Le Champagne Charles Heidsieck 1949 est d'une année exceptionnelle et l'on ressent tout ce qu'il pourrait dire. Mais hélas il ne délivre qu'un message limité par la fatigue. Ce vin complexe est intéressant mais limité ce qui est frustrant.


Le Pavillon Blanc de Château Margaux 1981 est glorieux, joyeux et puissant. C'est un vrai vin jeune en pleine possession de ses moyens, avec un nez tonitruant. Il est conquérant et convaincant.


Le Vin de l'Etoile Coopérative Vinicole de l'Etoile 1979 est un vin que j'adore. Il est déroutant, profond, coloré. C'est un bonheur lié à sa typicité et son étrangeté.


Le Château La Mission Haut-Brion magnum 1972 (commun aux deux groupes) me déçoit à la première approche et mes amis autour de moi ne comprennent pas ma sévérité. Progressivement il s'assemble et ressemble à ce que La Mission Jaut-Brion peut être, même s'il est discret.


Le Château Lafite-Rothschild 1970 a la beauté racée d'un Lafite, et sa discrétion ne limite pas sa noblesse. C'est un grand vin.


On ne dira jamais assez à quel point 1962 est au dessus de tout ce qui a été écrit. Car le Château Brane Cantenac 1962 est tout simplement superbe de sérénité. C'est un très beau vin de plaisir.


Le Château Croizet-Bages 1957 est une belle surprise, car on n'attendrait pas ce gouleyant d'un vin de ce millésime. Il est très agréable.


Le Château Meyney 1914 est "la" merveille qui justifie à elle seule tous les objectifs de l'académie. Toute la table est subjuguée par ce vin incroyable. C'est le septième ciel. Le fruit rouge et rose, framboise et cassis est incroyablement présent. Il est grandiose. J'avais apporté cette bouteille pour montrer que l'académie doit mettre en valeur ces vins qui méritent d'être bus avant qu'il ne soit trop tard et ne justifient pas le scepticisme absurde trop généralement répandu.


Le Chassagne-Montrachet rouge 1er Cru Boudriottes domaine Ramonet 1978 est un jeune bourgogne très sympathique, qui a de belles subtilités de fruits rouges.


Le Clos Vougeot Armand Naulot 1937 que j'ai apporté avec la même intention de découverte est un magnifique vin accompli. Il a un équilibre parfait de "vrai" bourgogne et ne souffre d'aucun signe de fatigue. Un très grand vin.


Le Châteauneuf-du-Pape Domaine de Mont-Redon 1961 est une merveille. C'est le Châteauneuf accompli, serein. C'est un exemple.


L'Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1955 est très beau, vivant, très Rhône.


Le Gewürztraminer Vendanges Tardives Domaine Weinbach Colette Faller 1976 est gourmand et aussi accompli que l'était le Pavillon Blanc de Château Margaux. Un Alsace d'une élégance rare et d'un fruit plein.


Le Sauternes Soleil de France années 1930 ou peut-être plus jeune est fatigué et sans vrai message.


La cuisine intelligente dans sa simplicité a permis, par la multiplicité de plats de la mer de nous restaurer agréablement. Les plats raffinés nous ont plu.


A l'académie des vins anciens, il est normal que cohabitent des vins fatigués et des vins brillants. Nous avons eu la chance de profiter de vins exceptionnels, dont les meilleurs se suivaient à la fin du repas.


Mon classement est : 1 - Château Meyney 1914, 2 - Clos Vougeot Armand Naulot 1937, 3 - Châteauneuf-du-Pape Domaine de Mont-Redon 1961, 4 - Gewürztraminer Vendanges Tardives Domaine Weinbach Colette Faller 1976, 5 - Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1955, 6 - Château Brane Cantenac 1962, 7 - Pavillon Blanc de Château Margaux 1981, 8 - Vin de l'Etoile Coopérative Vinicole de l'Etoile 1979, 9 - Château Lafite-Rothschild 1970.


L'académie des vins anciens a atteint son objectif : faire sortir des caves des vins anciens et les partager entre amateurs motivés.

















Superge repas bien dosé




Dégustation des vins de 2008 du domaine de la Romanée Conti et une sympathique troisième mi-temps mercredi, 30 novembre 2011

Dégustation des vins de 2008 du domaine de la Romanée Conti au siège de Grains Nobles. C'est une des rares présentations que conduit Aubert de Villaine. Il donne des indications sur le millésime, qui aura été marqué par la chance. A Pâques, on ressentait ce que seraient les vents de l'année et les vents d'ouest annonçaient des problèmes. Lors de l'éclosion des raisins, on les voyait superbes, bâtis pour faire un beau millésime. Une période assez fraîche a donné du millerandage. La floraison tardive de début juin s'est étalée sur deux à trois semaines, ce qui est long et donne de grandes différences de maturité aux raisins. L'été a été très difficile, avec du froid au mois d'août. Le mildiou et l'oïdium ont été maîtrisés en biodynamie ce qui s'est révélé être "du sport". Le botrytis est apparu tôt, dès le mois d'août. La dernière attaque a été lors de la deuxième semaine de septembre. La pluie n'arrêtait pas et Aubert de Villaine pensait qu'il n'y aurait pas de millésime 2008. Mais le 14 septembre, le vent du nord et le beau temps ont élevé les degrés d'alcool et la concentration de sucre et d'acidité. Le vent du nord a séché le botrytis. Le 27 septembre, c'est le début des vendanges, étalées sur dix jours. Les vendanges ont été difficiles car il y avait un peu de grillure. Ce fut un travail de haute couture à la récolte, avec le rejet de 30 à 40% des raisins. Ce qui est allé en cuve était totalement sain. Les attaques subies ont permis la sélection, l'éclaircissage. Et ça donne un bon millésime. Merci au changement climatique pour la qualité, mais ça a donné une demi-récolte. Les vendanges ont été faites en deux fois. Au deuxième passage, tout a été inclus dans le Vosne Romanée premier cru, fait de vieilles vignes de grand cru. Le degré alcoolique est de 12,6 à 12,7° pour les rouges.


Après cet exposé toujours humble et d'une grande clarté, nous avons aviné nos verres et notre palais avec un Bourgogne cuvée MCMXXVI Laurent Père & Fils, qui repositionne nos papilles. Les notes qui vont suivre sont prises au fil de la plume. Cela veut dire que les variations d'impressions dépendent énormément de l'éclosion ou non du vin dans le verre. Cela apparaitra de façon spectaculaire pour le montrachet. Je n'ai pas modifié mes notes prise à la volée. Les redites et répétitions sont conservées.


L'Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2008 a un joli rouge rubis rose clair. Le nez est soufré. Par cette expression, je ne veux pas dire qu'il s'agit de soufre, mais que l'impression est celle-ci. Et plus on remue le verre et plus le soufre est sensible. La bouche est agréable, élégante et subtile. Tout est exposé en délicatesse. Il est extrêmement romantique. Le final, de quetsche et de pruneau est extrêmement présent. On sent que le vin a de la profondeur. Aubert de Villaine dit qu'il est comme les autres dans une phase de fermeture. Je suis impressionné par la délicatesse et l'équilibre fruité. Malgré sa jeunesse il est gourmand. La rémanence en bouche est très forte. Michel Bettane parle d'équilibre, de noblesse et de boisé très distingué.


Le Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2008 a un rubis clair. Le nez est délicat, moins prononcé que celui de l'Echézeaux. La bouche est poivrée. Il est moins accueillant. La matière est belle et le final est très fort. Le vin est très différent à cause du poivre. Il est plus strict, moins ouvert. De belle race, très mâle, il est tendu comme un arc. Il va se révéler magnifiquement. Sa trace en bouche est très belle mais l'Echézeaux est plus accueillant. Le final est très racé. Il est plus cerise quand le précédent était plus pruneau.


La Romanée Saint Vivant Domaine de la Romanée Conti 2008 a un même rubis clair, peut-être un peu plus gris. Le nez est discret. La bouche attaque en fanfare. Il est très tonique, dynamique. Il combine élégance et rigueur. Mais il a aussi du charme - il faut dire que j'adore les Romanée Saint Vivant. Il a un peu d'amertume et on pressent le sel que l'on reconnaîtra dans quelques années. Le final est un peu plus court, mais très fruité. Le vin est de grande race. Il faudra l'attendre même s'il a de la gourmandise, discrète et contrôlée. Aubert de Villaine dit que Romanée Saint Vivant est masculin, alors qu'on signale volontiers ses aspects féminins.


Il continue en disant que Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2008 est souvent présenté sur tous ses millésimes comme un mousquetaire, alors que c'est un vin très tendre. Le rubis est un peu plus foncé, le nez est strict et évoque le minéral. L'attaque est gourmande de fruits rouges mûrs. Il y a un peu de poivre. Il est beaucoup plus riche et dense que les précédents. Il est très riche, gourmand, puissant. Il est encore fermé mais très prometteur. C'est son fruit riche qui attaque en bouche. Michel dit que ce Richebourg est le plus grand des quinze dernières années. Il est magnifique de fruit et de finesse.


La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2008 est d'un rubis plus clair que le Richebourg. Le nez est plus intense à ce stade de sa vie. Je suis frappé par l'élégance du parfum de ce vin. En bouche il est incroyablement délié, aérien. Il est d'une grande noblesse, totalement délicat. Je ne reconnais pas spécifiquement La Tâche car il est trop jeune. Le final pianote, avec des notes de fruits blancs. La trace en bouche est belle, très imprégnante. La Romanée Saint Vivant s'est ouverte dans le verre et devient plus gourmande et charmeuse. Le Richebourg est plus tendu, et percutant. Il passe en force et convainc. La Tâche est la plus Romanée Conti, on sent déjà le sel et une amertume noble.


La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2008 a le même rubis que La Tâche. Le nez m'impose un mot : respect. Car dans ce parfum, il y a quelque chose qu'il n'y a nulle part ailleurs. Le nez est noble et profond mais annonce la gourmandise. En bouche, la démonstration est là. Plus que sur d'autres années lorsqu'on boit les vins jeunes, l'écart de la Romanée Conti avec les autres vins du domaine est immense. Il boxe dans une catégorie sans concurrent. Il est riche, gourmand, séducteur. C'est énorme et j'en ai des frissons. Car la démonstration est totale. Il a tout. Un final incroyable, une réussite absolue et il suggère toutes les Romanée Conti plus anciennes, avec cette finesse, cette race et cette râpe qui sont uniques. C'est un vin rare.


Le Richebourg est très beau en fin de verre. Il est joyeux. La Tâche est plus noble mais plus stricte. Et la Romanée Conti est totalement Romanée Conti. Le fruit est beau, de mûre, de cerise, de prune et le final est tonitruant. La dernière goutte est un au revoir. Elle est émouvante, et sa trace est infinie. Et j'ai la chance qu'elle finisse sur une note de sel.


Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2008 est d'un beau jaune d'or clair. Le nez est encore le nez ingrat d'un vin très jeune. On sent aussi le soufre. En bouche il est ingrat au premier abord. Il est pour moi trop jeune pour donner un vrai plaisir. Il donne l'impression de ne pas être encore assemblé. Mais voilà qu'il s'assied dans le verre. Il devient plus rond et même gras. Il a la fraîcheur citronnée. Il s'arrondit et montre qu'il est grand. La profondeur se met en place et c'est immense. Aubert de Villaine nous parle des années à botrytis et des années sans botrytis, ces dernières étant de plus longue garde. 2008 est une année à botrytis. Michel Bettane très en forme nous parle des levures et des ferments et du travail de ces millions de petites bébêtes au grand talent. Il dit qu'à la Romanée Conti, ce sont de véritables artistes. Son imagination est débordante quand il parle de la vie sexuelle de ces bébêtes. Le vin continue de s'épanouir vers des notes lactiques, boulangères. Il devient prodigieux, bien loin de ma première impression. Vivant et gourmand, il a un caractère fou. Le léger toast est créé par les ferments. Aubert de Villaine dit que les ferments font partie du terroir et signale que des cuvées assemblées de vins d'ailleurs, vieillissant au domaine, avaient pris des caractères de la Romanée Conti. C'est la signature des ferments indigènes.


Le final du vin est très riche et d'une élégance extrême. Il passe en force mais garde son élégance. Il y a plusieurs millésimes pour lesquels mon classement de plaisir met le Montrachet devant la Romanée Conti. Aujourd'hui, la Romanée Conti est nettement au dessus des autres, avec le classement suivant : Romanée Conti, Montrachet, La Tâche, Richebourg et à égalité, les trois autres vins.


La dernière goutte du Montrachet est glorieuse, de lait, de citron, de gras, de melon vert, mais c'est surtout l'opulence, l'équilibre et la longueur infinie qui m'émeuvent.




Après une telle dégustation, on est tout retourné, car la justesse de ton de tous ces vins est exceptionnelle. Délicatesse, élégance, précision, noblesse, voilà ce qui résume pour moi ce voyage dans un millésime qu'il serait opportun de garder au moins vingt ans pour pouvoir recueillir son message exceptionnel.


Après la réunion, lorsque les dernières poignées de main signent la fin du match, Pascal Marquet de Grains Nobles retient un petit groupe pour la troisième mi-temps. Il y a bien sûr Michel Bettane et Bernard Burtschy auprès d'Aubert de Villaine ainsi que trois ou quatre amis. Michel Bettane a apporté un Champagne Billecart Salmon Grande Cuvée 1982. Alors que le bouchon résiste, c'est Aubert de Villaine qui l'ouvre avec une poigne autoritaire. Le champagne est tout simplement merveilleux et c'est exactement ce qu'il fallait après la féerie des vins du domaine de la Romanée Conti. Sa couleur est d'un bel or, sa bulle est très active. Il ne donne pas de prise aux années sauf dans le goût, d'une maturité superbe. Aubert de Villaine nous dit : "c'est ainsi que l'on devrait boire les champagnes, quand ils ont cette sérénité". Et ce champagne est parfait, d'un équilibre de fruits jaunes et de soleils souriants. Nous grignotons des toasts au foie gras posé sur des coussins de tomates confites, avec un poivre insistant. Après la concentration que nous avions pour analyser les vins du domaine, cette pause est un bonheur de relaxation.


On ouvre alors un Riesling Geisberg Grand cru Kientzler vendange tardive 1983 qui est une pure merveille. La pureté de ce vin est une leçon de choses. Pureté, précision, élégance sont ses caractéristiques et Aubert de Villaine ajoute un mot qui est fondamental pour lui lorsqu'il s'agit de ce vin : "transparence". Je le trouve absolument exceptionnel et d'une pureté absolue.


Il commence à accompagner un risotto aux cèpes fait à la minute - en fait dix-huit minutes - pour nous par un maestro du risotto qui nous a raconté ses critères de sélection des meilleurs riz. L'accord est possible mais n'est pas un faire-valoir du riesling. Nous essayons un Barolo Le Vigne Sandrone 2004 qui est intéressant dans sa spontanéité et s'accorde bien au risotto. Mais le vin manque de vibration car son discours est assez simple. Michel choisit dans les réserves de Pascal un Beaujolais Moulin à Vent Jules Desjourneys 2007. Là au moins, ça pulse, bien qu'il n'ait que 12° contre 14° pour le vin italien. Et ce vin très subtil et vibrant me pousse, contre toute raison, à doubler ma portion de l'excellent risotto.


Pascal a prévu des fromages magnifiques et il ouvre un Château Bel-Air Marquis d'Aligre Margaux 1970 au nez assez spectaculaire. Michel et Bernard adorent ce vin plein légèrement fumé et toasté, d'une jeunesse extrême.


Des vins de la Romanée Conti plus une troisième mi-temps gourmande avec un beau champagne et un merveilleux riesling, en fait il suffit de "peu de choses" pour faire aimer le vin !







les 2010 de Bouchard Père & Fils en 19 vins vendredi, 18 novembre 2011

Par un fort brouillard, je quitte le château de Saran pour me rendre à Beaune. A 17 heures, la maison Bouchard Père & Fils organise une dégustation du millésime 2010 en dix-neuf vins. Il y a dans la belle salle du château de Beaune la fine fleur des journalistes et professionnels de la dégustation du vin. Il faut dire que c'est le week-end de la traditionnelle vente des Hospices de Beaune, qui attire le beau monde du vin.


Juger des vins aussi jeunes n'est pas un exercice facile pour moi, car j'analyse ce que je bois, plus que le devenir de ce que je bois. Les vins sont dans des phases d'évolution différentes, certains étant déjà mis en bouteille alors que d'autres sont encore en fûts. Les plus complexes et les plus grands sont plus fermés que les vins plus simples. On a même, comme avec l'Enfant Jésus, un assemblage qui n'est pas l'assemblage définitif. J'ai pris des notes sur le cahier très documenté qui nous est remis. Ils s'agit d'impressions de voyage. Selon la tradition Bouchard, les rouges précèdent les blancs.


Savigny-lès-Beaune Village Bouchard Père & Fils rouge 2010 : couleur rouge très belle, nez très riche, de framboise. La bouche est gourmande, poivre, fenouil. Le final est de fruits noirs. Vin simple, déjà prêt à boire. Bu après le Clos de la Mousse il fait plus plat. C'est un vin goûteux, plus prêt à boire que beaucoup d'autres. Final assez joli.


Beaune Clos de la Mousse 1er Cru Monopole Bouchard Père & Fils rouge 2010 : rouge plus gris que le Savigny. Le nez est plus doux, subtil. L'attaque est discrète. Le vin est un peu plat, mais le final est plus profond que celui du Savigny. C'est un beau vin à attendre. Lorsqu'il s'ouvre, le fruit est net. Le vin est élégant et peut se boire dans sa jeunesse. Il a une belle précision.


Beaune Grèves Vigne de l'Enfant Jésus 1er Cru Monopole Bouchard Père & Fils 2010 : sa couleur est belle. L'attaque est franche et le poivre est très fort. C'est un vin racé que j'adore car il a déjà les caractéristiques des vieux "Baby Jesus", comme disent les américains, que j'adore. Il faut l'attendre d'autant que l'assemblage des cinq parcelles n'est pas définitif.


Volnay Caillerets Ancienne cuvée Carnot 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : rouge plus sombre. L'attaque est moins tendue que celle de l'Enfant Jésus. Il a du corps, un beau fruit et un final épicé très long et joli. Un très beau vin qu'il faut attendre.


Volnay Clos des Chênes 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : le rouge est plus sombre. Il est très beau. Le nez évoque le fenouil. L'attaque est un peu perlante et Géraud Aussendou me confirme qu'il a encore du gaz. Il a des aspects végétaux et un final de vin qui n'est pas encore formé. Quand il s'ouvre dans le verre il devient gourmand et riche, mais il faut attendre.


Le Corton Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils rouge 2010 : le nez est très subtil. Il a la richesse, l'opulence et semble presque sucré. Très doux et poivré. Il a encore du gaz. Le final est très racé, gourmand. C'est un vin à attendre, de belle matière et au final riche.


Chambolle-Musigny Les Noirots 1er Cru Bouchard Père & Fils 2010 : le nez est fermé, il y a du perlant. La matière est belle et riche mais il y a de l'astringence car il n'est pas encore assemblé. Plus tard, il se montre subtil et délicat.


Nuits Saint Georges Les Cailles 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : nez subtil, bouche élégante, racée. Il sait même être gourmand. J'aime beaucoup ce vin. Il a un beau final et il m'évoque de beaux souvenirs de ce vin quand il est plus âgé.


Clos Vougeot Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : le nez est discret, le vin est riche, de belle structure mais encore très jeune. Beau final. Le vin est assez archétypal, au final profond. C'est un grand vin qui promet.


Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Bouchard Père & Fils 2010 : le nez est très subtil, charmeur. La bouche est trop jeune et ne révèle pas encore toutes les qualités que l'on pressent On le sent très délicat mais pas encore formé. Son fruit est beau et riche.


Nous passons maintenant aux vins blancs.


Bourgogne Réserve Coteaux des Moines blanc Bouchard Père & Fils 2010 : nez strict de vin très jeune. En bouche il est gourmand et c'est le final qui révèle qu'il est court.


Meursault Les Clous Village Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : nez très floral. La bouche est élégante. C'est un vin qui se boit déjà, au final frais mais un peu court.


Beaune du Château blanc 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : le nez est très joli même s'il est discret. La bouche est gourmande. Très jeune mais au final bien plein. Très vert encore, à attendre. Il devient plus rond mais montre qu'il n'est pas encore formé.


Meursault Genevrières 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : joli nez élégant, avec un peu de caramel. La bouche est ample et de belle matière. On sent bien que c'est un meursault. Le vin est solide au final riche. Un grand vin qui combine une belle acidité, une jolie minéralité et un aimable côté doucereux.


Meursault Perrières 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : le nez minéral est très élégant. La bouche est précise, de vin strict. Très citron vert, plus strict que le Genevrières. Belle race. Il s'étoffe un peu mais reste plus strict.


On passe maintenant aux quatre poids lourds !


Corton Charlemagne Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : nez de bébé, bouche superbe. Il y a matière et élégance. Un peu fermé et strict mais c'est lié à sa jeunesse. Très beau final avec des notes de moka et de caramel. Il est à la fois minéral et citron. Il a beaucoup de charme.


Chevalier Montrachet Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : quel vin brillant ! Aucun jusqu'à présent ne m'a conquis comme celui-ci à la première seconde. Le parcours en bouche est superbe. Il a une personnalité folle. Il a un fruité fou, il est gourmand et magnifique. C'est un grand.


Chevalier Montrachet La Cabotte Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : il a une élégance folle, une plus grande race, mais il n'a pas la générosité actuelle du Chevalier. Le final montre sa race. Il est très floral et délicat.


Montrachet Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : on sent qu'il est très grand, mais il a encore un peu de perlant. Il est plus paresseux, car il ne se livre pas encore. Caramel, crème, on sent qu'il sera riche mais il joue encore en dedans du fait de son âge. Le Corton Charlemagne fait très élégant après le Montrachet.


En goûtant à nouveau, le Montrachet est le plus riche, la Cabotte le plus noble, le Chevalier le plus gourmand et le Corton Charlemagne le plus romantique.


Une telle dégustation est intéressante mais pour moi, les écarts d'évolution limitent la portée de l'exercice. Je me suis rendu compte que ceux qui me plaisent le plus sont ceux pour lesquels j'ai la mémoire de leurs grands anciens : le Beaune Grèves Vigne de l'Enfant Jésus, le Nuits Cailles m'évoquent de grand souvenirs. Les quatre grands blancs sont superbes, le Chevalier étant le plus immédiatement gourmand. Le travail qui est fait sur tous ces vins est d'une extrême précision. La démarche qualité est conduite par une équipe motivée. Tous ces vins vont devenir très grands.



dans la salle de dégustation, des vestiges du château, dont cet étrange animal - ma place de dégustation